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Date : 20070215

Dossier : DES‑1‑00

Référence : 2007 CF 171

Ottawa (Ontario), le 15 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le demandeur, Mohamed Zeki Mahjoub est ressortissant égyptien. Il demande à être mis en liberté sous conditions en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la Loi), jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la question de savoir s’il peut être renvoyé en Égypte ou expulsé vers un autre pays. M. Mahjoub est arrivé au Canada en 1995 et il s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention l’année suivante. En 1999, il a été condamné par contumace en Égypte à une peine d’emprisonnement de 15 ans pour des infractions liées aux activités d’une organisation interdite. En juin 2000, il a été placé en détention par les autorités canadiennes en vertu d’un certificat de sécurité. Ce certificat a été jugé raisonnable par un juge de la Cour. M. Mahjoub conteste devant la Cour suprême du Canada la procédure relative aux certificats de sécurité pour des motifs constitutionnels. Les demandes de mise en liberté qu’il a présentées en 2002 et en 2005 ont été rejetées.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis convaincu que M. Mahjoub répond maintenant aux conditions d’exercice, par la Cour, du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 84(2) de la Loi : la mesure de renvoi dont il fait l’objet ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et il ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui s’il est mis en liberté aux conditions que j’estime indiquées. Je tiens à souligner que cette mise en liberté assortie de conditions équivaut à une forme de détention à domicile et que M. Mahjoub sera à nouveau mis en détention s’il contrevient à ces conditions.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               M. Mahjoub est arrivé au Canada le 30 décembre 1995 en provenance du Soudan, et il a immédiatement demandé l’asile. Le 24 octobre 1996, la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié lui a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention. M. Mahjoub a fait la connaissance de Mona El Fouli, qui est citoyenne canadienne, et l’a épousée. Le couple a deux enfants, Yusuf, âgé de sept ans, et Ibrahim, âgé de neuf ans. Mme El Fouli a aussi un fils, Haney, qui est âgé de 23 ans.

 

[4]               Le 26 juin 2000, M. Mahjoub a été placé en détention en vertu d’un certificat de sécurité signé par le solliciteur général (maintenant le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) et par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (les ministres). Il est détenu depuis lors.

 

[5]               Selon le certificat, M. Mahjoub, qui est ressortissant étranger, est interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il est visé par le sous‑alinéa 19(1)e)(ii), les divisions 19(1)e)(iv)(B) et (C), le sous‑alinéa 19(1)f)(ii) et la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l’immigration qui était en vigueur à l’époque (L.R.C. 1985, ch. I‑2) (l’ancienne loi). Plus précisément, M. Mahjoub est une personne :

a)         qui, pendant son séjour au Canada, travaillera ou incitera au renversement d’un gouvernement par la force;

 

b)        qui est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle travaillera ou incitera au renversement d’un gouvernement par la force ou commettra des actes de terrorisme;

 

c)         qui s’est livrée à des actes de terrorisme;

 

d)        qui est ou a été membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des actes de terrorisme.

 

[6]               Le 27 juin 2000, le certificat a été renvoyé à la Cour, sous le régime de l’ancienne loi, afin que l’on décide s’il devait être annulé. Le rapport secret en matière de sécurité rédigé par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), sur lequel le certificat était fondé, a été examiné par le juge Marc Nadon.

 

[7]               Le 30 juin 2000, le juge Nadon a ordonné que soit remis au défendeur un résumé des renseignements nécessaires afin qu’il soit suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat. Le résumé expose les renseignements fournis aux ministres par le SCRS et examinés par le juge Nadon. Il énonce les raisons pour lesquelles le SCRS croit que M. Mahjoub, s’il reste au Canada, travaillera ou incitera au renversement du gouvernement de l’Égypte par la force et qu’il est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée et se livre à des actes de terrorisme. Le résumé explique aussi pourquoi le SCRS croit que M. Mahjoub s’est livré à des actes de terrorisme.

 

[8]               Il ressort du résumé que le SCRS croit que M. Mahjoub est un membre haut placé d’une organisation terroriste islamique égyptienne, le Vanguard of Conquest (le VOC), une aile radicale du Jihad islamique égyptien, aussi appelé Al Jihad (le Jihad). Selon le résumé, le Jihad est l’un des groupes qui se sont détachés de la section égyptienne de la Fraternité musulmane (la FM) au cours des années 1970 pour former une organisation plus extrémiste et militante qui prône le recours à la violence en vue d’instaurer un État islamique en Égypte. M. Mahjoub est soupçonné d’occuper un poste élevé au sein du conseil de direction du VOC. La condamnation et la peine prononcées contre lui en Égypte découlent de son appartenance à ces organisations.

 

[9]               Le 5 octobre 2001, le juge Nadon a décidé que le certificat de sécurité était raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2001 CFPI 1095, [2001] 4 C.F. 644 (la décision Mahjoub). Le juge Nadon a conclu, compte tenu de la preuve dont il disposait, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le Jihad et le VOC s’étaient livrés à des actes de terrorisme et que M. Mahjoub avait été et était membre de ces deux organisations ou de l’une d’elles : décision Mahjoub, précitée, au paragraphe 48. Le 25 mars 2002, la Section d’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé, sur la foi du certificat de sécurité, que M. Mahjoub était interdit de territoire au Canada, et une mesure de renvoi a été prise contre lui.

 

[10]           M. Mahjoub est toujours libre de quitter le Canada de son propre gré pour retourner en Égypte ou aller dans un autre pays prêt à l’accueillir. Toutefois, parce qu’il est un réfugié, il ne peut pas, selon l’alinéa 115(2)b) de la Loi, être renvoyé dans un pays où il risque la persécution, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, sauf si le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est d’avis qu’il ne doit pas rester au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada. Par conséquent, à moins qu’il ne soit conclu que M. Mahjoub n’est pas exposé à pareil risque ou que, une fois ces considérations pesées, la sécurité du Canada exige son renvoi, M. Mahjoub ne peut être renvoyé en Égypte ou dans un autre pays où il serait exposé à ce risque.

 

[11]           La Loi est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Le 18 octobre 2002, une requête en mise en liberté de M. Mahjoub a été présentée en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi. La décision rendue par la juge Eleanor Dawson, en date du 30 juillet 2003, était la première décision prononcée en vertu de cette disposition : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2003 CF 928, [2004] 1 R.C.F. 493 (décision Mahjoub no 1).

 

[12]           Dans la décision Mahjoub no 1, la juge Dawson a conclu que M. Mahjoub n’avait pas convaincu la Cour que la mesure de renvoi dont il faisait l’objet ne serait pas exécutée dans un délai raisonnable. La Cour a ensuite examiné le deuxième critère prévu par le paragraphe 84(2) de la Loi, même si cela n’était pas absolument nécessaire. La Cour a conclu qu’elle disposait d’une preuve abondante justifiant la conviction objectivement raisonnable que la mise en liberté de M. Mahjoub constituerait un danger pour la sécurité nationale : décision Mahjoub no 1, précitée, au paragraphe 73. La Cour a aussi souligné que la preuve produite pour le compte de M. Mahjoub manquait de solidité et que les conditions et cautions proposées n’étaient pas suffisantes pour dissiper la conviction raisonnable que sa mise en liberté constituerait un danger.

 

[13]           Le 22 juillet 2004, une représentante du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (la représentante du ministre) a décidé que M. Mahjoub devait être renvoyé en Égypte, en vertu de l’alinéa 115(2)b) de la Loi, malgré le fait qu’il [traduction] « pourrait être grandement exposé au risque de mauvais traitements et de violations des droits de la personne au point que son renvoi puisse être interdit en vertu du paragraphe 115(1) de la Loi ». Cette décision a été contestée par M. Mahjoub et, le 31 janvier 2005, la juge Dawson a accueilli sa demande de contrôle judiciaire et a renvoyé l’affaire pour qu’un autre représentant du ministre rende une nouvelle décision : Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 156, [2005] 3 R.C.F. 334.

 

[14]           En 2005, la Cour a entendu la deuxième demande présentée par M. Mahjoub en vertu du paragraphe 84(2) : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2005 CF 1596, 2 F.T.R. 101 (décision Mahjoub no 2). Dans la décision Mahjoub no 2, la juge Dawson a conclu : 1) que M. Mahjoub avait convaincu la Cour que la mesure de renvoi du Canada prise à son égard ne serait pas exécutée dans un délai raisonnable; 2) qu’il n’avait pas convaincu la Cour que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui; 3) que l’imposition de conditions et les cautions offertes ne suffisaient pas à neutraliser le danger que constituerait, selon la Cour, sa mise en liberté. Elle a donc rejeté la demande.

 

[15]           Le 3 janvier 2006, une autre représentante du ministre a décidé que M. Mahjoub devait être renvoyé en Égypte, en vertu de l’alinéa 115(2)b) de la Loi. Dans sa décision, elle a conclu que M. Mahjoub constituait un grave danger pour la sécurité du Canada et qu’il ne devait pas être autorisé à demeurer au Canada. Elle a aussi conclu que M. Mahjoub n’était pas exposé à un risque sérieux d’être soumis à la peine de mort, à des traitements ou peines cruels et inusités ou à la torture en Égypte.

 

[16]           Dans la décision rendue le 14 décembre 2006, la juge Danielle Tremblay‑Lamer a conclu qu’était manifestement déraisonnable l’opinion de la deuxième représentante du ministre selon laquelle M. Mahjoub ne serait pas exposé à un risque sérieux de torture s’il était renvoyé en Égypte. La décision a donc été annulée et l’affaire a été renvoyée à un autre représentant du ministre pour réexamen.

 

[17]           Comme il a été mentionné plus haut, il s’agit en l’espèce de la troisième demande que présente M. Mahjoub en vertu du paragraphe 84(2). Cela fait maintenant plus de six ans et demi que M. Mahjoub est détenu. Il est manifeste que les instances judiciaires et sa détention s’éternisent. Ma collègue la juge Dawson a résumé de manière détaillée l’historique des instances jusqu’à la date de la demande dont elle était saisie dans la décision Mahjoub no 2 : voir le paragraphe 3 et l’annexe A. La chronologie des événements et des instances, adaptée de celle de la juge Dawson, est jointe également à la décision de la juge Tremblay‑Lamer. Par souci de commodité, cette chronologie actualisée figure à l’annexe A des présents motifs. Je ne pense pas qu’il soit maintenant nécessaire de repasser en revue l’historique de la cause.

 

LE CADRE LÉGAL

 

[18]           L’article 81, le paragraphe 84(2) et l’alinéa 115(2)b) de la Loi se lisent comme suit :

81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l’interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu’il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l’enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

 

81. If a certificate is determined to be reasonable under subsection 80(1),

(a) it is conclusive proof that the permanent resident or the foreign national named in it is inadmissible;

(b) it is a removal order that may not be appealed against and that is in force without the necessity of holding or continuing an examination or an admissibility hearing; and

(c) the person named in it may not apply for protection under subsection 112(1).

 

84. (2) Sur demande de l’étranger dont la mesure de renvoi n’a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui.

84. (2) A judge may, on application by a foreign national who has not been removed from Canada within 120 days after the Federal Court determines a certificate to be reasonable, order the foreign national’s release from detention, under terms and conditions that the judge considers appropriate, if satisfied that the foreign national will not be removed from Canada within a reasonable time and that the release will not pose a danger to national security or to the safety of any person.

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

[...]

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

...

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[19]           Comme il a été indiqué plus haut, seul l’étranger dont la mesure de renvoi n’a pas été exécutée dans les 120 jours suivant la décision sur le certificat de sécurité peut présenter une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2). En l’espèce, il est évident que cette condition préliminaire est remplie.

 

[20]           Le demandeur a reconnu que, même si un avis de questions constitutionnelles a été signifié et déposé et qu’il maintient son objection à la procédure relative aux certificats de sécurité pour des motifs fondés sur la Charte, la Cour est liée par l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 54, [2005] 3 C.F. 142 (Almrei), jusqu’à l’issue de l’instance devant la Cour suprême du Canada. Par conséquent, je n’ai entendu aucun argument sur ces questions et n’en traiterai pas dans les présents motifs.

 

[21]           L’avocat des défendeurs a fait valoir, à l’audience, que les ministres ne s’opposaient pas à la présente demande de mise en liberté. Comme la Cour d’appel fédérale l’a signalé dans l’arrêt Almrei, précité, au paragraphe 52, « [...] une demande en vertu du paragraphe 84(2), à l’instar de toute autre demande, peut être renouvelée si de nouveaux faits apparaissent ou si la situation a évolué au point où la détention n’est plus nécessaire ni justifiée » (non souligné dans l’original). Dans Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 628, 278 F.T.R. 118, aux paragraphes 24 et 27 (la décision Harkat), la juge Dawson a conclu qu’il convenait d’entendre la deuxième demande fondée sur le paragraphe 84(2) de M. Harkat parce que la situation avait changé; il y avait eu un délai inexpliqué dans la désignation du représentant du ministre, de sorte que, selon elle, il y avait « [...] une situation nettement différente de ce que la Cour pouvait raisonnablement prévoir lorsqu’elle a rejeté la première demande de mise en liberté ». La décision de la juge Dawson concernant la mise en liberté sous conditions de M. Harkat a été confirmée par la Cour d’appel fédérale : Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 259, 270 D.L.R. (4th) 35.

 

[22]           En l’espèce, les avocats ont convenu – et j’abonde dans leur sens – qu’il est indiqué, dans les circonstances, de réexaminer le cas de M. Mahjoub en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi. La deuxième décision rendue par la représentante du ministre en application de l’alinéa 115(2)b) de la Loi faisait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire à la date de l’audience; depuis, elle a été annulée et l’affaire a été renvoyée pour réexamen. M. Mahjoub a été placé dans un nouvel établissement où les conditions de sa détention sont différentes de ce qu’elles étaient lorsque ses demandes de mise en liberté précédentes ont été examinées. En outre, beaucoup de temps s’est écoulé depuis la dernière demande présentée par M. Mahjoub en vertu du paragraphe 84(2). Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la condition préliminaire est remplie en l’espèce.

 

[23]           Par conséquent, il me reste seulement à décider si :

1.   la mesure de renvoi prise contre M. Mahjoub ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable;

2.   sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui.

 

[24]           Sans toutefois faire de concession sur ce point, les avocats du demandeur ont indiqué qu’ils voulaient bien postuler, en l’espèce, qu’il incombe à M. Mahjoub de prouver ces deux éléments à la Cour selon la prépondérance des probabilités.

 

LE RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

 

[25]           Dans les présents motifs :

1.                              je conclus que M. Mahjoub a démontré, comme il lui incombait de le faire, que la mesure de renvoi prise contre lui ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable;

2.                              je conclus que M. Mahjoub a démontré, comme il lui incombait de le faire, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui;

3.                              j’impose l’ensemble des conditions que j’estime indiquées pour neutraliser ou restreindre tout danger ou menace susceptible d’être posé par sa mise en liberté.

 

Aussi, j’ordonnerai que M. Mahjoub puisse être mis en liberté aux conditions énoncées à l’annexe B des présents motifs, lesquels font partie de l’ordonnance formelle. Les parties disposeront de sept jours pour présenter des observations sur ces conditions avant que l’ordonnance soit rendue.

 

LA PREUVE

 

[26]           Les avocats des parties ont convenu que la preuve produite dans les instances antérieures concernant la détention de M. Mahjoub, notamment celles qui ont trait au caractère raisonnable du certificat, soit prise en considération dans la présente demande. Tous les documents produits en preuve dans ces instances, soit lors d’audiences publiques soit à huis clos, ont été déposés à nouveau. De plus, les transcriptions des audiences publiques et à huis clos ont été déposées en preuve devant moi du consentement des parties. Cette preuve a été examinée soigneusement, en plus des nouveaux éléments de preuve produits.

 

[27]           La preuve présentée au cours de l’audience publique dans la décision Mahjoub no 1 a été résumée par la juge Dawson aux paragraphes 32 à 47 de cette décision. Dans la décision Mahjoub no 2, la juge Dawson a résumé, aux paragraphes 9 à 11, les nouveaux témoignages recueillis dans le cadre de cette instance, en plus du rapport d’un psychologue produit pour le compte du demandeur. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de répéter ces résumés ici.

 

[28]           La nouvelle preuve produite dans le cadre de la présente demande de mise en liberté – la troisième – était composée des éléments suivants :

(i) les documents déposés en audience publique pour le compte de M. Mahjoub et des ministres;

(ii) les témoignages prononcés en audience publique pour le compte de M. Mahjoub et des ministres;

(iii) les renseignements communiqués à huis clos par les ministres.

 

(i)         La preuve documentaire

 

 

[29]           Quatorze affidavits ont été déposés à l’appui de la mise en liberté du demandeur, outre le sien. Ces affidavits émanent de son épouse et de son beau‑fils, ainsi que de connaissances et de personnes au sein de la communauté qui lui sont favorables et qui sont prêt à se porter caution pour M. Mahjoub. Ils exposent leurs liens avec M. Mahjoub ou avec sa famille, ainsi que la nature des responsabilités qui leur incomberont selon eux si la Cour les accepte comme cautions.

 

[30]           L’affidavit de Patricia Taylor est typique de la preuve émanant des personnes qui sont favorables à M. Mahjoub au sein de la communauté. Mme Taylor est un pasteur anglican à la retraite. Elle est disposée à offrir un cautionnement conditionnel de 1 000 $ à l’appui de la mise en liberté de M. Mahjoub parce qu’elle croit qu’il serait juste et équitable de le libérer et de le laisser vivre chez lui avec sa famille. Mme Taylor ne connaît pas le demandeur, mais elle a rencontré son épouse et leurs trois enfants. Elle est aumônier bénévole dans différents établissements correctionnels. Elle reconnaît qu’elle ne peut pas surveiller M. Mahjoub parce qu’elle vit dans le centre du pays et qu’elle ne parle pas arabe. Elle fait confiance à l’épouse du demandeur et aux autres personnes qui sont disposées à agir comme cautions et à le surveiller.

 

[31]           Les affidavits de Murray Lumley, de Maggie Panter, d’Elizabeth Block, de Laurel Smith, de John Valleau et de Dwyer Sullivan sont d’une teneur semblable. Ils ont une opposition de principe aux certificats de sécurité et veulent concrétiser leur opposition d’une manière utile. Elles ont eu peu de rapports, voire aucun, avec le demandeur, mais elles ont appris à connaître Mme El Fouli et ses enfants au cours des activités de défense des droits de M. Mahjoub et à leur faire confiance. El Sayed Ahmed, Omar Ahmed Ali, Rizwan Wancho et Aly Hindy connaissaient le demandeur parce qu’ils le rencontraient à la mosquée Salaheddin ou parce qu’ils étaient amis avec son épouse.

 

[32]           Le député Bill Siksay a écrit dans un courriel déposé sans qu’aucune objection ne soit soulevée qu’il connaissait le demandeur et son épouse et qu’il était disposé à déposer un cautionnement conditionnel de 250 $ car il est [traduction] « très préoccupé par le fait qu’une personne puisse être détenue pendant si longtemps au Canada sans que des accusations soient portées ou sans qu’un procès public ait lieu ». Dans un courriel annexé à un affidavit, le député Omar Alghabra, acceptait que [traduction] « mon nom soit ajouté de manière symbolique en qualité de personne opposée à la notion de détention à durée indéterminée et pour souligner la nécessité de l’application régulière et transparente de la loi à laquelle, je crois, chacun a droit ». De même, dans un document déposé à l’audience sans qu’aucune objection ne soit soulevée, la députée Meili Faille, qui est aussi la vice‑présidente du Comité permanent de la Chambre des communes sur la citoyenneté et l’immigration, manifeste son opposition aux certificats de sécurité et offre de déposer la somme de 100 $ pour garantir la mise en liberté de M. Mahjoub.

 

[33]           Les ministres ont déposé les affidavits de Lisa Lewis, une adjointe juridique de la Section du droit de l’immigration, de Louis Dumas, directeur de la Division de la sécurité nationale de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), et de Philip Whitehorne, qui est gestionnaire au Centre de surveillance de l’Immigration de Kingston (le CSIK).

 

[34]           L’affidavit de Mme Lewis a servi simplement à la production des lettres échangées entre les avocats qui confirment que les ministres avaient l’intention de renvoyer M. Mahjoub, mais pas avant qu’il ait été statué sur la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la deuxième représentante du ministre le 3 janvier 2006. M. Dumas, qui a aussi témoigné à l’audience, s’est exprimé dans son affidavit sur l’obligation de procéder au renvoi de M. Mahjoub si la décision de la représentante du ministre était maintenue. À son avis, ce renvoi pourrait être exécuté [traduction] « dans un délai de trois semaines, peut‑être moins ». Je reviendrai sur cette question plus loin.

 

[35]           Philip Whitehorne est employé par l’ASFC et gestionnaire du CSIK. Dans son affidavit, il répond aux affirmations de M. Mahjoub concernant le manque de soins médicaux adéquats au CSIK et, en particulier, à la déclaration faite par M. Mahjoub dans son affidavit selon laquelle [traduction] « il n’y a aucun médecin disponible au CSIK pour surveiller [son] état de santé et traiter [ses] problèmes médicaux très graves. » M. Whitehorne n’a pas témoigné à l’audience.

 

[36]           M. Whitehorne a déclaré dans son affidavit que des services médicaux sont assurés quotidiennement aux détenus du CSIK par la Direction des services de santé de Service correctionnel Canada. Il affirme aussi notamment, sur la foi des renseignements qui lui ont été transmis par Belinda Roscoe, la chef des services de santé de l’Établissement de Millhaven, que tous les soins de santé qui peuvent être assurés au CSIK le sont [traduction] « sur place »; que les détenus peuvent recevoir les soins médicaux essentiels; qu’ils reçoivent la visite d’un infirmier au moins une fois par jour; qu’ils peuvent obtenir des services médicaux en tout temps; qu’ils peuvent consulter un spécialiste de l’hépatite C. M. Whiteborne ajoute dans son affidavit que, [traduction] « sauf dans les cas urgents, tous les services de santé, à moins qu’ils ne soient considérés comme déraisonnables sur le plan opérationnel, sont administrés dans la salle de traitement de l’édifice administratif. Les consultations quotidiennes du personnel médical de l’Établissement de Millhaven et la distribution des médicaments ont lieu dans les unités résidentielles. »

 

[37]           M. Mahjoub devait consentir à ce que les renseignements personnels contenus dans son dossier médical au CSIK soient divulgués. Le formulaire de divulgation a été signé par le demandeur avant la tenue de l’audience publique et le dossier médical, qui portait sur la période allant de son admission au CSIK, le 24 avril 2006, au 8 décembre 2006, a été produit en preuve. Le dossier renferme une évaluation de l’état de santé de M. Mahjoub au moment de son admission au CSIK, ainsi que les documents suivants rédigés par des médecins, des membres du personnel infirmier et des agents de détention :

  • les ordonnances médicales et les notes d’évolution quotidiennes du médecin;
  • les registres d’administration des médicaments;
  • les formules de renvoi à des spécialistes;
  • les demandes d’analyse en laboratoire et les rapports ultérieurs;
  • les formules de demande de traitement médical du détenu;
  • les déclarations et les rapports d’observation des agents;
  • les registres concernant les grèves de la faim;
  • différentes lettres.

 

[38]           Selon l’évaluation effectuée au moment de son admission à l’Établissement de Millhaven le 24 avril 2006, M. Mahjoub semblait être en bonne santé, mais il avait plusieurs problèmes graves; il était notamment atteint d’hépatite C, d’une blessure au genou gauche et d’hypertension artérielle. M. Mahjoub avait affirmé auparavant qu’il avait fait une dépression après un incident survenu au Centre de détention de la communauté urbaine de Toronto‑Ouest (le Centre de détention de Toronto‑Ouest) en 2002, pour laquelle des antidépresseurs lui avaient été prescrits. Il a refusé de voir un psychiatre au CSIK.

 

[39]           L’évaluation révélait également que M. Mahjoub avait eu des douleurs à la poitrine, un œdème dans les jambes et les chevilles et des problèmes respiratoires pendant ses grèves de la faim. M. Mahjoub a fait plusieurs grèves de la faim pendant qu’il était détenu au Centre de détention de Toronto‑Ouest. Les notes d’évolution quotidiennes indiquent qu’il a entrepris plusieurs grèves de la faim au cours des mois qui ont suivi son arrivée au CSIK. Ces notes exposent en détail les soins médicaux qui lui ont été offerts et les relevés quotidiens concernant son état de santé.

 

(ii) Les témoins cités par le demandeur

 

[40]           Au cours de l’audience publique, le demandeur a fait témoigner les membres de la collectivité qui sont prêts à se porter garants de lui, que ce soit en déposant un montant d’argent en espèces ou une garantie conditionnelle. Les témoignages d’Elizabeth O’Connor, de Margaret Panter, de Laurel Smith, d’Elizabeth Block, de John Valleau et de Murray Lumley reflétaient leurs affidavits. Ces témoins ont rencontré Mme El Fouli et ses enfants lors de manifestations silencieuses concernant les certificats de sécurité et ils la croient intelligente et digne de confiance. S’ils ont toute confiance en Mme El Fouli, ils sont cependant surtout animés par leur opposition à la procédure des certificats de sécurité. Chacun a signalé, avant de témoigner, qu’il avait examiné de nombreux documents fournis par les avocats du demandeur qui portaient sur les allégations invoquées contre lui, notamment le fait que les juges Nadon et Dawson avaient conclu qu’il avait menti à la Cour. Les témoins n’ont pas évoqué ces allégations devant M. Mahjoub. Il semble que, jusqu’à ce que les avocats le leur disent, la plupart d’entre eux ignoraient que Mme El Fouli et M. Mahjoub s’étaient séparés très peu de temps avant que celui‑ci soit placé en détention.

 

[41]           Mme El Fouli et ses enfants font partie des relations de Laurel Smith depuis plus de quatre ans. Mme Smith en est venue à connaître la famille grâce à son mari, Matthew Behrens, un activiste communautaire qui a lancé une campagne contre les certificats de sécurité. Elle a parlé au téléphone avec M. Mahjoub pendant qu’il était détenu au Centre de détention de Toronto‑Ouest. Mme Smith, qui s’est aussi portée garante d’une autre personne, est prête à déposer une garantie de 10 000 $ pour M. Mahjoub.

 

[42]           Murray Lumley a, lui aussi, déjà aidé des personnes à se conformer aux conditions de leur mise en liberté. Il est prêt à déposer une garantie de 5 000 $ pour M. Mahjoub. John Valleau ne connaît pas le demandeur, mais il est disposé à déposer un cautionnement en espèces de 5 000 $, ainsi qu’une somme de 5 000 $ pour qu’il obtienne sa mise en liberté. Vu ses rapports avec la famille du demandeur, il estime qu’il est peu probable que ce dernier ne respecte pas les conditions d’une ordonnance de mise en liberté.

 

[43]           Rizwan Wancho est prêt à déposer la somme de 2 500 $ en espèces à l’appui de la libération de M. Mahjoub. Il a fait la connaissance de M. Mahjoub à la mosquée Salaheddin peu de temps avant que celui‑ci soit placé en détention, et il croit qu’il est une personne honnête et digne de confiance. Il a proposé de participer à la surveillance de M. Mahjoub si celui‑ci est libéré, tout en reconnaissant cependant qu’il ne parle pas arabe et qu’il ne pourrait pas surveiller les conversations que le demandeur aurait dans cette langue. M. Wancho considère que, en mentant à la Cour, le demandeur a agi [traduction] « comme une personne qui vole parce qu’elle a faim et parce qu’elle mourrait si elle ne le faisait pas ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il était disposé à se porter garant de M. Mahjoub, il a répondu spontanément que les attentats du 11 septembre 2001 étaient un coup monté et que, dans l’[traduction] « hystérie » qui a suivi, [traduction] « chacun doit avoir la possibilité d’être blanchi ».

 

[44]           Aly Hindy, est ingénieur, et il est l’imam de la mosquée Salaheddin. Il se décrit comme un ami du demandeur, même s’il ne le connaissait pas avant sa détention. C’est Mme El Fouli qui s’est adressée à lui afin d’obtenir de l’aide lorsque le demandeur a été placé en détention. M. Hindy a fait la connaissance de Mme El Fouli dans les années 1980. Cette dernière enseigne à la mosquée depuis son ouverture. M. Hindy a rendu visite à M. Mahjoub au Centre de détention de Toronto‑Ouest et il lui a parlé au téléphone peut‑être une fois par mois. Il est disposé à déposer une somme de 10 000 $ en espèces pour garantir la mise en liberté du demandeur. Il s’est porté garant d’accusés dans deux autres affaires criminelles distinctes, dont l’une est toujours en instance. Il a aussi offert d’agir comme caution relativement à deux autres personnes détenues en vertu d’un certificat de sécurité.

 

[45]           Omar Ahmed Ali a offert de déposer 15 000 $ en espèces. Il a fait la connaissance du demandeur à la mosquée un an ou deux avant qu’il soit placé en détention. Depuis qu’il a décidé d’appuyer la présente demande de mise en liberté, il est resté en contact avec M. Mahjoub en lui parlant au téléphone. Selon lui, c’est parce que M. Mahjoub avait peur qu’il a menti à la Cour par le passé. M. Ali croit que M. Mahjoub ne manquera à aucune des conditions dont serait assortie sa mise en liberté, et il est disposé à participer à sa surveillance par téléphone ou en lui rendant visite.

 

[46]           Al Sayed Ahmed et son épouse sont des amis proches de Mme El Fouli, qu’ils connaissent depuis 25 ans. C’est surtout grâce à cette relation que M. Ahmed connaît le demandeur. M. Ahmed croit donc que M. Mahjoub peut être mis en liberté parce qu’il est digne de confiance. Il lui a rendu visite une fois au Centre de détention de Toronto‑Ouest et lui a parlé au téléphone. Il est prêt à déposer un cautionnement conditionnel de 5 000 $. M. Ahmed parle arabe et il est disposé à aider Mme El Fouli et son fils Haney à surveiller M. Mahjoub si ce dernier est libéré sous conditions. Il ne pourrait cependant le faire que les fins de semaine ou après 17 h les jours de semaine.

 

[47]           L’épouse du demandeur, Mona El Fouli, a reconnu dans son témoignage qu’elle et son mari se sont séparés avant que ce dernier soit placé en détention. Elle et son mari se seraient mariés très peu de temps après s’être rencontrés. Ils se disputaient souvent pour des broutilles. Ils ont convenu de se séparer pour résoudre leurs problèmes et ils se sont réconciliés pendant que M. Mahjoub était en détention. Mme El Fouli a dit qu’elle a eu de la difficulté à rendre visite à son mari après son transfèrement au CSIK. Elle dépend du bon vouloir d’autres personnes pour se rendre à cet endroit. Elle lui parle cependant une heure au téléphone chaque jour. L’état de santé de son mari et la durée de la séparation de sa famille l’inquiètent beaucoup.

 

[48]           La somme de 10 000 $ en espèces qui a été déposée au nom de Mme El Fouli pour garantir la mise en liberté de M. Mahjoub a été recueillie par l’organisation de M. Behrens, Homes not Bombs. Mme El Fouli a déclaré dans son témoignage qu’elle pensait que ce soutien de la communauté rendrait son mari responsable. Elle a ajouté qu’elle était prête à dénoncer son mari s’il manquait à ses conditions et à accepter des restrictions concernant l’accès à sa maison et les moyens de communication s’y trouvant, notamment les ordinateurs et les téléphones.

 

[49]           Haney El Fouli est âgé de 23 ans. Il étudie au Humber College, il travaille à temps partiel et il fréquente un gymnase pour se maintenir en forme. Il est prêt à participer à la surveillance de son beau‑père; il a toutefois reconnu qu’il était très occupé et qu’il serait en mesure de le faire seulement quelques heures ou un jour par semaine tout au plus. Il comprend l’arabe et il est resté en contact avec son beau‑père depuis que ce dernier est détenu. Il est disposé à accepter que l’accès à la maison et l’utilisation des moyens de communication à l’intérieur de celle‑ci fassent l’objet de restrictions.

 

[50]           M. Mahjoub a témoigné par vidéoconférence dans une pièce de l’édifice administratif du CSIK. Avant l’audience, une requête a été présentée en son nom afin que la Cour ordonne qu’il soit escorté par un superviseur de détention plutôt que par un agent de détention pour aller à l’édifice administratif et pour en revenir et, aussi, que le superviseur et l’agent quittent la pièce pendant son témoignage. J’ai rendu une ordonnance en ce sens le 29 novembre 2006.

 

[51]           Cette requête faisait suite à une controverse qui avait pris naissance le 2 septembre 2006, lorsqu’un agent de détention a allégué que M. Mahjoub l’avait menacé. M. Mahjoub a nié l’allégation et a dit craindre pour sa vie. Il croyait que les agents de détention s’étaient ligués contre lui et que leur parole l’emporterait sur la sienne. Il a ensuite refusé de se déplacer entre l’unité où il était détenu à l’Établissement de Millhaven et l’édifice administratif de l’établissement, une distance d’environ 35 mètres, sans être escorté par un superviseur. Les défendeurs soutenaient qu’il n’était pas nécessaire, sur le plan logistique, que M. Mahjoub soit accompagné d’un superviseur et que cela entraverait l’exercice des fonctions du superviseur. Par ailleurs, la Police provinciale de l’Ontario avait tenté de faire enquête sur l’incident qui serait survenu le 2 septembre, mais le refus de coopérer de M. Mahjoub l’en avait empêchée.

 

[52]           En faisant droit à la requête demandant à la Cour d’ordonner qu’un superviseur escorte M. Mahjoub à l’endroit où devait avoir lieu la vidéoconférence à l’intérieur de l’édifice administratif et qu’aucun agent ne se trouve dans la pièce pendant son témoignage, je n’ai tiré aucune conclusion sur le fond du différend opposant M. Mahjoub et les agents de détention du CSIK. À mon avis, l’ordonnance était nécessaire pour assurer à M. Mahjoub l’instruction complète et équitable de sa cause.

 

[53]           Dans son témoignage, M. Mahjoub a répété les déclarations figurant aux paragraphes 10 et 11 de son affidavit, à savoir qu’il ne croit pas à l’usage de la violence et qu’il ne défendrait pas des personnes qui y ont recours et, également, qu’il ne partage pas les points de vue extrémistes islamiques. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne l’avait pas dit avant, il a répondu que ses convictions sur cette question n’avaient pas changé depuis la précédente demande de mise en liberté, mais qu’on ne l’avait tout simplement pas interrogé à ce sujet lors de l’audition de cette demande. Il dit qu’il était totalement opposé à l’usage de la violence à l’époque et qu’il l’est toujours aujourd’hui. Il a rejeté l’affirmation du SCRS selon laquelle il jouissait en quelque sorte du [traduction] « pouvoir d’une star » capable de motiver de jeunes musulmans impressionnables vivant au Canada et il a déclaré qu’il n’essaierait jamais de le faire.

 

[54]           M. Mahjoub a affirmé qu’il se conformerait aux conditions proposées par ses avocats et qu’il comprenait qu’il serait remis en détention s’il ne le faisait pas. Il a déclaré aussi qu’il se conformerait à ces conditions dans l’intérêt de ses enfants, et aussi par respect pour l’ordonnance de la Cour, et parce qu’il ne veut pas retourner en détention. Il a accepté explicitement chacune des conditions proposées.

 

[55]           Des questions précises sur ses rapports avec Ahmed Said Khadr, Essam Marzouk, Ahmed Agiza et Mubarak Al Duri, des membres présumés d’Al Qaeda ou d’organisations liées à celle‑ci impliqués dans des activités terroristes, ont été posées à M. Mahjoub par ses avocats et par la partie adverse. M. Mahjoub ignorait où se trouvaient M. Agiza et M. Al Duri. Il croyait savoir que, selon des documents gouvernementaux présentés à la Cour, ces personnes étaient maintenant emprisonnées en Égypte. M. Mahjoub s’est engagé à ne pas avoir de rapport avec l’une de ces personnes ou avec les autres personnes détenues en vertu d’un certificat de sécurité s’il est libéré sous conditions.

 

[56]           Selon ses dires, M. Mahjoub a fait la connaissance de M. Khadr seulement lorsque celui‑ci est revenu au Canada après un séjour au Pakistan. C’est son épouse qui entretenait des liens d’amitié avec la famille Khadr. Il n’a pas expliqué pourquoi il avait séjourné chez les beaux‑parents de M. Khadr à son arrivée à Toronto et avant de faire la connaissance de son épouse. Il sait que M. Khadr a été tué lors d’un échange de coups de feu avec les autorités pakistanaises.

 

[57]           M. Mahjoub a reconnu avoir travaillé avec Mubarak Al Duri au service d’Oussama ben Laden au Soudan. Il aurait vu M. Al Duri pour la dernière fois lorsqu’il a remis sa démission, au milieu de l’année 1993. Depuis son arrivée au Canada, il a été en rapport avec M. Al Duri une seule fois, par lettre.

 

[58]           M. Mahjoub a déclaré qu’il avait l’intention de continuer à s’opposer à son renvoi du Canada et à son retour en Égypte. Il soutient que ce renvoi constitue une menace à sa vie et une violation du droit et des conventions internationaux. Il a cependant affirmé que, s’il doit éventuellement être renvoyé en Égypte, il se présentera aux autorités pour que celles‑ci procèdent à son renvoi. Entre‑temps, il a l’obligation, dit‑il, de se conformer à toute ordonnance de la Cour.

 

[59]           En ce qui concerne l’incident du 2 septembre 2006 qui a amené un gardien du CSIK à alléguer que M. Mahjoub l’avait menacé, le demandeur a affirmé que cette allégation n’était pas fondée. Il craignait cependant que d’autres gardiens fassent la même allégation et que c’était pour cette raison et aussi pour sa propre protection qu’il avait refusé de quitter le secteur résidentiel sans être accompagné d’un superviseur. Le 8 septembre, il a dit à un infirmier qu’il craignait pour sa vie s’il devait se rendre à l’édifice administratif sans escorte. Cette demande a toujours été rejetée, depuis l’incident initial jusqu’à l’audience en décembre. Par conséquent, il n’a pas quitté l’espace carcéral pour voir un médecin ou pour recevoir un traitement médical, par exemple. La seule raison pour laquelle il l’a fait, c’est pour témoigner dans des instances judiciaires. Il n’a pas non plus vu sa famille pendant cette période.

 

[60]           M. Mahjoub a exposé assez longuement la suite de conflits de peu d’envergure qu’il a eus avec le personnel de détention et le personnel médical du CSIK avant l’incident du 2 septembre. Il ressortait clairement de ses propos et de la preuve des défendeurs que, dans les mois qui ont suivi son transfert au CSIK, M. Mahjoub a affronté l’administration dans le but d’exercer un certain contrôle sur son environnement et le régime quotidien de l’établissement.

 

[61]           Sa frustration évidente à l’origine du conflit découlait en partie de l’absence de programmes offerts aux détenus du CSIK. Lors du premier contrôle de la détention de M. Mahjoub, alors que celui‑ci était toujours détenu au Centre de détention de Toronto‑Ouest, la juge Dawson a dit être préoccupée par le fait qu’aucun programme de longue durée n’était offert parce que cet établissement était un centre de détention provisoire. M. Mahjoub est maintenant détenu au CSIK, près de deux grands établissements fédéraux, où il n’y a toujours pas de programme pour les détenus, à part les récréations au gymnase.

 

[62]           M. Mahjoub a déclaré dans son témoignage qu’il avait demandé l’accès à des programmes d’éducation et à la bibliothèque de Millhaven et aux cours offerts à cet endroit, mais que sa demande avait été rejetée parce que ces programmes, bibliothèque et cours relevaient de Service correctionnel Canada et non de l’ASFC, laquelle gérait le CSIK. Les détenus avaient un ordinateur à leur disposition, mais aucun autre logiciel qu’un cours de langue pour débutants qui ne servait à rien selon eux. M. Mahjoub n’a pas non plus été autorisé, pour des raisons de sécurité, à suivre des cours par correspondance offerts par une université américaine. Contrairement aux détenus fédéraux, les personnes détenues au CSIK ne pouvaient pas travailler et gagner un peu d’argent.

 

[63]           Selon M. Mahjoub, le personnel médical avait l’habitude de rendre visite aux détenus dans leur unité résidentielle et de leur assurer certains services, comme la vérification de la pression artérielle, mais il ne le fait plus. La question de savoir où, exactement, les services devaient être assurés avait suscité la controverse. Au début, M. Mahjoub voulait que les services soient assurés dans le centre de traitement situé dans l’édifice administratif et non dans l’espace carcéral. En juin, il s’est opposé à ce que du personnel infirmier féminin entre dans l’espace carcéral pour des motifs religieux. Après l’incident du 2 septembre, il a refusé de se rendre au centre de traitement sans escorte. Il est convaincu que son attitude a entraîné un changement de politique. Il croit que l’administration, y compris les agents de détention, les superviseurs et le personnel médical, a décidé de se liguer contre lui et les autres détenus.

 

[64]           M. Mahjoub a soutenu que, à cause de cette impasse, il n’a pas pu commencer le traitement contre l’hépatite C et faire vérifier sa pression artérielle régulièrement, comme il devait le faire. Les traitements de physiothérapie qu’il recevait pour sa blessure au genou n’ont donné aucun résultat. Un appareil orthopédique sur mesure lui a aussi été fourni. Des arrangements ont été pris avec lui pour qu’il rencontre un chirurgien orthopédiste, mais cette rencontre n’a jamais eu lieu non plus à cause du différend au sujet de l’escorte.

 

[65]           M. Mahjoub a déclaré qu’il ne refuse pas d’aller dans la salle de traitement pour y recevoir des soins. Il exige cependant qu’un superviseur l’accompagne à chaque fois qu’il quitte l’unité résidentielle pour se rendre dans l’édifice administratif où la salle de traitement est située. Il a nié s’être déjà mal conduit avec un membre du personnel médical, notamment avec Mme Roscoe, la chef des services médicaux. Il a reconnu avoir dit à une occasion qu’il frapperait le psychiatre de l’établissement si celui‑ci continuait à essayer de le voir contre son gré. Il a cependant proféré cette menace seulement après avoir répété à maintes reprises qu’il ne voulait pas voir ce médecin. À son avis, il avait le droit de refuser un traitement médical et il n’avait pas besoin des services d’un psychiatre.

 

[66]           M. Mahjoub a déclaré qu’il avait entrepris une autre grève de la faim pour protester contre le rejet de ses demandes par l’administration. Il se nourrissait seulement de liquides et il avait arrêté de prendre ses médicaments devant contrôler sa pression artérielle en guise de protestation.

 

            (iii) Les témoins des défendeurs

 

[67]           J’ai mentionné plus haut que le directeur de la sécurité nationale de l’ASFC, Louis Dumas, avait, dans son affidavit, exposé les conditions relatives à l’exécution de la mesure de renvoi prise à l’égard de M. Mahjoub et précisé combien de temps, à son avis, cette exécution prendrait si la décision de la représentante du ministre était maintenue. Il a répété la même chose dans son témoignage. Il a aussi mentionné que, si la demande de contrôle judiciaire était rejetée, l’ASFC attendrait l’arrêt de la Cour suprême du Canada sur la constitutionnalité des certificats de sécurité avant de procéder au renvoi de M. Mahjoub. Selon lui, trois semaines environ seraient nécessaires pour prendre tous les arrangements à la suite de la décision confirmant la constitutionnalité de la procédure.

 

[68]           Lors de son contre‑interrogatoire, M. Dumas a indiqué que, à son avis, une autre décision d’un représentant du ministre pourrait être obtenue en trois mois si la décision faisant l’objet du contrôle au moment de son témoignage était annulée. Il a reconnu avoir fait des estimations similaires dans d’autres affaires, et on lui a alors présenté une liste d’affaires dans lesquelles le délai moyen d’obtention d’une décision d’un représentant du ministre avait plutôt été de plus d’un an.

 

[69]           En février 2005, M. Dumas a affirmé qu’aucune autre demande de garantie n’avait été présentée au gouvernement égyptien concernant le traitement d’une personne détenue qui est renvoyée dans ce pays. Lors du contre‑interrogatoire mené alors, on lui a demandé si des vérifications avaient été faites auprès du gouvernement égyptien à la lumière du rapport de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. M. Dumas a répondu que les fonctionnaires de l’ASFC attendaient l’issue de l’instance en contrôle judiciaire et les directives de la Cour suprême. Si aucun obstacle découlant de ces affaires ne les empêchaient de le faire, ils procéderaient au renvoi de M. Mahjoub.

 

[70]           Un employé du SCRS, qui est actuellement le chef du secrétariat du sous‑directeur des Opérations, a témoigné sous le pseudonyme « JP ». JP travaille au service du SCRS depuis 16 ans, surtout dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Il a d’abord été analyste au sein de la Direction de l’analyse et de la production; il était alors chargé des dossiers concernant le Moyen‑Orient. À partir de 1993, il a travaillé à Toronto comme enquêteur en matière de lutte contre le terrorisme pendant quatre ans. Il est ensuite revenu à Ottawa, où il a occupé différents postes au sein de la direction de la lutte contre le terrorisme. Il occupe son poste actuel depuis mai 2006. Son témoignage était fondé sur sa connaissance du dossier du SCRS concernant M. Mahjoub et du terrorisme islamique en général.

 

[71]           En ce qui concerne le point de vue du SCRS sur la menace constituée par le terrorisme islamique, JP a déclaré qu’[traduction] « il s’agit en fait de la menace la plus sérieuse à laquelle le Canada a été exposé ». Il a parlé de la menace liée au terrorisme islamique sunnite en particulier et a rappelé que le Canada avait été désigné formellement comme une cible d’Al Qaeda en 2002, et implicitement en 1996, en raison de sa position apparente d’allié des États‑Unis et d’Israël. Il a ajouté qu’à la suite de la désorganisation d’Al Qaeda après les attentats du 11 septembre 2001 la menace est devenue plus diversifiée et plus difficile à définir.

 

[72]           En ce qui a trait précisément à M. Mahjoub, JP a affirmé que, selon le SCRS, le demandeur est membre du VOC et a des liens avec des membres importants d’Al Qaeda. Le SCRS soupçonne M. Mahjoub de faire partie du conseil Shura, un organe consultatif ou décisionnel du VOC. Son appartenance à ce groupe exclusif montre bien qu’il est un extrémiste islamique. S’il est libéré, il pourrait reprendre ses activités, rétablir ses relations avec des extrémistes ou en créer de nouvelles. Le SCRS ne croit pas que le demandeur a adouci ses opinions ou a renoncé à l’usage de la violence. Le SCRS se fonde largement à cet égard sur le fait que le demandeur a menti par le passé au sujet de ses liens avec certaines personnes. En fait, son refus constant de reconnaître son appartenance à des organisations extrémistes est considéré comme une raison de penser qu’il continue de croire en ces causes.

 

[73]           Le SCRS croit toujours que M. Mahjoub pourrait se servir de son [traduction] « pouvoir de star » pour influencer de jeunes musulmans impressionnables vivant au Canada. Selon lui, des personnes ayant ses antécédents dans des organisations extrémistes sont rares. Le SCRS craint que M. Mahjoub communique avec certaines de ces personnes ou que ces dernières entrent en contact avec lui. Selon JP, il y avait plus que la condamnation prononcée en Égypte et la prétendue association de M. Mahjoub avec le VOC qui traduisaient une propension à la violence qui n’avait pas été révélée publiquement. Le SCRS croit que des partisans des extrémistes islamiques ont soutenu M. Mahjoub pendant toute sa détention. JP a reconnu que le demandeur aurait plus de difficulté à reprendre contact ou à maintenir des rapports avec ces personnes si des conditions étaient imposées à sa mise en liberté, et il a admis que le demandeur pouvait communiquer avec elles même pendant sa détention.

 

[74]           Au cours du contre‑interrogatoire, des questions précises ont été posées à JP au sujet de la fiabilité des sources citées à l’appui des déclarations contenues dans les résumés publics déposés par les défendeurs. Par exemple, dans le résumé du 12 mai 2005 produit aux fins de la deuxième demande de contrôle de la détention, le SCRS révélait qu’il avait obtenu des renseignements selon lesquels Mubarak Al Duri serait le principal agent d’approvisionnement d’Oussama ben Laden en matière d’ADM. M. Al Duri avait travaillé avec M. Mahjoub pour ben Laden au Soudan; il aurait vécu à Richmond, en Colombie‑Britannique, pendant un certain temps et il a peut‑être eu des contacts avec Essam Marzouk, qui habitait aussi dans cette ville. Une note de bas de page indiquait que ces renseignements provenaient d’un rapport de synthèse rédigé conjointement par la CIA et le FBI, qui était cité dans le rapport de la commission sur les événements du 11 septembre 2001. Au cours de son contre‑interrogatoire, JP a reconnu qu’il était incapable de citer une autre source publique concernant cette information, outre ce rapport. Il n’a pas non plus été en mesure de produire des éléments de preuve publics qui confirmerait que M. Mahjoub connaissait M. Marzuk avant que les deux hommes arrivent séparément au Canada.

 

[75]           En ce qui concerne la question de la mise en liberté sous conditions, JP a fait observer que des conditions ne constituent pas une garantie. Bien qu’elles puissent temporairement inciter l’intéressé à s’y conformer, elles ne décourageront pas la personne qui est déterminée à prendre la fuite ou à reprendre ses activités terroristes. Le SCRS estime qu’aucune condition ne peut garantir que la sécurité nationale ou la sécurité d’une personne ne seraient pas compromises si M. Mahjoub était mis en liberté. JP a donné des exemples de personnes qui, en Grande‑Bretagne, ont pris la fuite alors qu’elles étaient soumises à des mesures de contrôle. Il a convenu cependant que la question de savoir si l’intéressé respectera les conditions qui lui sont imposées et s’il respectera les cautions et les engagements que celles‑ci ont pris dépend toujours de la personne en cause. Il a reconnu également que les personnes qui ont accepté de se porter garantes de M. Mahjoub de même qu’une surveillance visuelle et électronique externe, garantiraient, dans une certaine mesure, que M. Mahjoub respectera les conditions qui lui seront imposées. Il a aussi reconnu, au cours de son contre‑interrogatoire, qu’il y avait un certain risque que M. Mahjoub se livre à des activités terroristes pendant sa détention.

 

[76]           Belinda Roscoe est la chef des soins de santé de l’Établissement de Millhaven et du CSIK. Mme Roscoe, qui est infirmière, est chargée d’assurer aux détenus les soins de santé essentiels, y compris l’accès à des spécialistes. Son employeur est Service correctionnel Canada. Elle supervise le travail de trois commis, d’un psychologue, d’un technicien des sciences du comportement, de 14 infirmiers et d’employés occasionnels. Dans l’exécution de son travail, elle suit les normes de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario. Les soins reçus par les détenus du CSIK sont soumis aux mêmes politiques et procédures que ceux qui sont assurés aux détenus de l’Établissement de Millhaven.

 

[77]           Mme Roscoe a une connaissance personnelle directe des soins et des traitements reçus par M. Mahjoub pendant sa détention au CSIK. À son avis, ses problèmes médicaux ont été aggravés par ses grèves de la faim intermittentes et par son refus ou son incapacité d’accepter des traitements. Elle a signalé que M. Mahjoub avait été vu par un optométriste à son arrivée à l’unité et que des lunettes lui avaient été remises. M. Mahjoub a aussi été examiné pour une intolérance au lactose, et un régime adapté à sa condition a été établi. Il a aussi reçu un appareil orthopédique sur mesure pour sa blessure au genou. Mme Roscoe a aussi mentionné que M. Mahjoub avait arrêté de prendre les médicaments qui avaient été prescrits pour son problème d’hypertension artérielle.

 

[78]           Selon Mme Roscoe, le type d’hépatite C dont est atteint M. Mahjoub – le génotype 4 – n’est pas courant en Occident. La littérature spécialisée et la consultation d’un hépatologue permettent de croire que M. Mahjoub a probablement contracté la maladie en recevant un vaccin alors qu’il était enfant en Égypte. Le traitement recommandé consiste en des injections hebdomadaires pendant 48 semaines. Ce traitement a sur le corps des effets semblables à ceux de la chimiothérapie, et le sang du patient, la fonction hépatique et la perte ou le gain de poids doivent être surveillés de près. Selon Mme Roscoe, ces mesures ne peuvent être effectuées que dans la salle de traitement de l’établissement, et M. Mahjoub ne recevra aucun traitement tant qu’il refusera de se rendre à cet endroit. À ses yeux, l’attitude de M. Mahjoub équivaut à un refus de traitement et, comme il est sain d’esprit et ne se trouve pas dans un état critique, le personnel médical n’intervient pas.

 

[79]           M. Mahjoub s’est plaint de douleurs à la poitrine à un certain moment. Le personnel médical a pris des dispositions afin qu’il puisse subir un électrocardiogramme d’effort dans une clinique de Kingston. Lorsque des détenus sont déplacés pour un motif de ce genre, la GRC leur fait porter une veste pare‑balles pour leur sécurité. Comme M. Mahjoub a refusé d’enfiler la veste lorsque les officiers de la GRC sont arrivés pour l’accompagner, l’épreuve d’effort n’a pas eu lieu. M. Mahjoub a aussi probablement besoin d’une intervention chirurgicale pour sa blessure au genou. Mme Roscoe a trouvé un spécialiste orthopédique qui était disposé à se rendre à l’établissement pour examiner le demandeur dans la salle de traitement. M. Mahjoub a refusé de s’y rendre sans être accompagné par un superviseur.

 

[80]           Le 8 décembre 2006, alors que M. Mahjoub se trouvait dans l’édifice administratif pour participer à la présente instance par vidéoconférence, on lui a proposé de rencontrer, pendant une pause de l’audience, un médecin qui était alors dans l’édifice. La salle de traitement est à quelques pas de la salle où se trouvait M. Mahjoub. Celui‑ci a maintenu qu’il n’accepterait de se faire examiner par le médecin que s’il était entendu qu’un superviseur serait présent à cet examen et à toutes les rencontres qui suivraient.

 

[81]           Mme Roscoe a reconnu, au cours de son contre‑interrogatoire, que certains soins étaient souvent donnés de manière informelle dans l’espace carcéral, mais elle a signalé que le personnel médical avait mis fin à cette pratique à la demande des détenus. Tous les soins sont maintenant assurés dans la salle de traitement de l’édifice administratif, sauf dans les cas d’urgence. Comme des visites médicales quotidiennes doivent à tout le moins être effectuées, le personnel médical se rend chaque jour dans l’unité résidentielle. Les détenus sont renvoyés dans leur cellule avant que le personnel médical n’entre dans le secteur résidentiel. Pendant les visites, les détenus peuvent demander tous les soins médicaux dont ils ont besoin et ils peuvent aussi recevoir les médicaments qui leur ont été prescrits.

 

[82]           Mme Roscoe a exposé les incidents au cours desquels M. Mahjoub se serait mal conduit envers elle en ayant une attitude et un langage menaçants. Elle a déposé une plainte relativement à l’un de ces incidents. Comme il a été mentionné précédemment, M. Mahjoub a nié avoir agi de façon menaçante ou agressive envers le personnel médical, sauf en ce qui a trait à l’incident concernant le psychiatre. Il a aussi donné sa version de l’incident signalé par Mme Roscoe.

 

(iv) Les renseignements communiqués à huis clos

 

[83]           Les ministres ont produit des renseignements confidentiels que j’ai examinés à huis clos avant les audiences publiques. Il s’agissait notamment des renseignements confidentiels présentés au juge Nadon aux fins de son examen du caractère raisonnable du certificat de sécurité, ainsi que des autres renseignements fournis lors des deux instances en contrôle de la détention instruites auparavant par la juge Dawson. Avant l’audience publique, j’ai entendu à huis clos d’autres témoignages sous serment et des observations supplémentaires. J’ai approuvé le résumé des renseignements entendus à huis clos, daté du 28 novembre 2006, afin qu’il soit versé au dossier public de la présente instance.

 

[84]           Le résumé public des renseignements communiqués à la Cour à huis clos, qui est daté du 28 novembre 2006 et qui a été déposé aux fins de la présente demande, est essentiellement similaire aux résumés qui ont été déposés lors des audiences tenues devant les juges Nadon et Dawson. J’ai pris connaissance des motifs confidentiels de la juge Dawson qui sont joints à ses motifs publics et je les fais miens car ils contiennent les renseignements que j’ai entendus à huis clos. Il n’y a pas de différence importante.

 

[85]           Après avoir entendu la preuve publique et pris connaissance des observations des avocats, j’ai tenu une nouvelle audience à huis clos le 21 décembre 2006, au cours de laquelle d’autres personnes ont déposé sous serment. J’ai ordonné aux défendeurs de poursuivre leur enquête et de transmettre les renseignements recueillis à la Cour par écrit. Aussi, les avocats des défendeurs ont communiqué, par écrit, des renseignements supplémentaires à la Cour le 16 janvier 2007; ces renseignements ont été versés au dossier confidentiel de la Cour, avec une transcription de l’audience du 21 décembre 2006. Les avocats des deux parties ont présenté des observations supplémentaires écrites à la suite de la décision de la juge Tremblay‑Lamer concernant le deuxième avis de danger.

 

ANALYSE

 

 

M. MAHJOUB A‑T‑IL DÉMONTRÉ, COMME IL LUI INCOMBAIT DE LE FAIRE, QUE LA MESURE DE RENVOI PRISE CONTRE LUI NE SERA PAS EXÉCUTÉE DANS UN DÉLAI RAISONNABLE?

 

(i)         Les principes de droit applicables

 

[86]           Dans la décision Harkat, précitée, ma collègue la juge Dawson a très bien résumé, au paragraphe 30, les principes juridiques qui s’appliquent aux instances relevant du paragraphe 84(2) de la Loi et qui avaient été énoncés par la Cour d’appel dans l’arrêt Almrei. Je reproduis ce résumé ici :

1.

Les délais et les agissements des parties sont au cœur de la demande introduite en vertu du paragraphe 84(2) (paragraphe 5 de l’arrêt Almrei).

 

2.

Le paragraphe 84(2) vise à ce que le ministre fasse preuve de diligence dans le renvoi d’un ressortissant étranger détenu pour des motifs de sécurité (paragraphe 28 de l’arrêt Almrei).

 

3.

La charge de la preuve incombe à la personne qui demande sa mise en liberté et la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités (paragraphe 39 de l’arrêt Almrei).

 

4.

La demande introduite en vertu du paragraphe 84(2), oblige le juge à décider si l’étranger sera renvoyé du Canada dans un « délai raisonnable ». La notion de renvoi dans un « délai raisonnable » exige qu’un certain temps se soit écoulé depuis le moment où le certificat de sécurité a été déclaré raisonnable et l’application de la question de savoir si le délai est tel qu’il faut conclure que le renvoi n’aura pas lieu dans un délai raisonnable (paragraphe 55 de l’arrêt Almrei).

 

5.

Le juge doit tenir compte du retard et en examiner les causes. Les demandes de mesures réparatrices doivent être présentées au tribunal avec diligence et en temps utile. Il en va de même pour les réponses du ministre et l’audition de ces demandes par la cour. Le paragraphe 84(2) de la Loi « autorise un juge à ne pas tenir compte, en tout ou en partie, du délai résultant d’une procédure amorcée par le demandeur qui a pour effet précis d’empêcher la Couronne d’appliquer la loi dans un délai raisonnable ». En d’autres termes, lorsque le demandeur tente d’empêcher son renvoi du Canada et qu’un retard s’ensuit, il ne peut se plaindre que ce renvoi n’a pas eu lieu dans un délai raisonnable, sauf si le retard est déraisonnable ou excessif pour des raisons qui ne relèvent pas de lui (paragraphes 57 et 58 de l’arrêt Almrei).

 

6.

Le critère applicable est prospectif. Il faut produire la preuve que le demandeur ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable. Si la preuve crédible et concluante d’un renvoi imminent est produite, la durée de la détention, ainsi que les conditions de celle‑ci, perdent beaucoup de leur importance (paragraphe 81 de l’arrêt Almrei).

 

7.

La durée de la détention antérieure n’est pertinente que dans la mesure où l’historique des événements peut soulever un doute sur la fiabilité de l’affirmation et la preuve soumise selon laquelle le renvoi est imminent (paragraphe 82 de l’arrêt Almrei).

 

[87]           Comme ma collègue l’a souligné, ces principes s’inscrivent dans le contexte d’une instance qui visait à établir une démarche valide sur le plan constitutionnel qui permette le renvoi sommaire du Canada des non‑citoyens considérés comme un danger pour la sécurité du pays. Il est difficile cependant, dans des cas comme celui de M. Mahjoub, de prétendre qu’une instance qui est en cours depuis si longtemps est de nature sommaire. Aussi, il est impératif de rappeler que les ministres sont tenus de faire preuve de diligence quant au renvoi de l’étranger qui est détenu pour des motifs de sécurité (arrêt Almrei, précité, au paragraphe 28) et que le retard qui prolonge indûment la détention enfreint des droits garantis par la Constitution (décision Harkat, précitée, au paragraphe 33).

 

[88]           Je tiendrai donc compte des facteurs suivants pour déterminer si M. Mahjoub s’est acquitté du fardeau de démontrer à la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que la mesure de renvoi prise contre lui ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable : la durée de sa détention, les retards et leurs causes, la nature prospective du critère et les conditions de sa détention. Ces conditions seront examinées au regard de la question de savoir si, et dans quelle mesure, la Cour doit ne pas tenir compte des recours judiciaires pour déterminer ce qu’est un « délai raisonnable » en l’espèce.

 

(ii)        La durée de la détention

 

[89]           Le certificat de sécurité de M. Mahjoub a été jugé raisonnable le 5 octobre 2001. Plus de cinq ans ont passé depuis et M. Mahjoub est toujours détenu.

 

(iii)       Les retards et leurs causes

 

[90]           Dans la décision Mahjoub no 2, la juge Dawson a examiné de façon approfondie les retards causés par M. Mahjoub et par les ministres avant l’audience. Je ne me propose pas de revenir sur les conclusions qu’elle a tirées à cet égard, mais il y a eu depuis d’autres retards à cause du temps que la représentante du ministre a pris pour rendre la nouvelle décision, comme l’avait ordonné la Cour.

 

[91]           Le 31 janvier 2005, la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire visant le premier avis de la représentante du ministre qui avait été présentée par M. Mahjoub. Le deuxième avis n’a été rendu que le 3 janvier 2006. Lorsqu’elle évalue ce retard, la Cour doit prendre en considération le fait que, « [...] lorsqu’une personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu affirme qu’elle risque la torture en cas d’expulsion, le délai raisonnable exigé pour s’assurer que les principes de justice fondamentale ont été respectés sera plus long » : décision Mahjoub no 1, précitée, au paragraphe 55. Cela dit, la prise en considération du risque de torture ne fait pas de toute période de temps écoulée avant l’exécution d’une mesure de renvoi un retard raisonnable. En effet, « [...] [l]e tribunal doit plutôt vérifier attentivement si tout a été mis en œuvre pour exécuter diligemment la mesure de renvoi dans le respect des mesures de protection prévues par la Charte » : décision Mahjoub no 1, précitée, au paragraphe 56.

 

(iv)       La nature prospective du critère

 

[92]           Le critère qui sert à déterminer si la mesure de renvoi sera exécutée dans un délai raisonnable est de nature prospective. Comme la Cour d’appel l’a dit dans l’arrêt Almrei et comme la Cour l’a réitéré dans la décision Mahjoub no 2, si une preuve crédible et concluante d’un renvoi imminent est produite, la durée de la détention, ainsi que les conditions de celle‑ci, perdent beaucoup de leur importance. L’historique des événements peut toutefois soulever un doute sur la fiabilité de la preuve que le renvoi est imminent : décision Mahjoub no 2, précitée, au paragraphe 26; Almrei, précité, au paragraphe 82.

 

[93]           En l’espèce, les ministres ont affirmé que M. Mahjoub serait renvoyé dans un délai raisonnable, que l’avis de danger de la représentante soit maintenu ou non dans le cadre du contrôle judiciaire. Les ministres rappellent qu’un laissez‑passer a été délivré à M. Mahjoub par l’ambassade d’Égypte le 19 août 2004 et que, selon M. Dumas, un nouvel avis de danger pourrait être obtenu en quelques mois si la décision du 3 janvier 2006 était annulée, comme elle l’a été.

 

[94]           Je ne souscris pas à l’opinion exagérément optimiste de M. Dumas quant au délai dans lequel un nouvel avis de danger pourrait être obtenu. Comme l’avocat du demandeur le lui a rappelé pendant son contre‑interrogatoire, M. Dumas a fait des approximations semblables dans d’autres affaires et celles‑ci se sont avérées très éloignées de la réalité.

 

[95]           Comme la juge Dawson l’a signalé dans la décision Mahjoub no 2, si la représentante du ministre devait rendre un autre avis de danger selon lequel M. Mahjoub devrait être refoulé en dépit du risque de torture, il faudrait, avant de le renvoyer en Égypte, décider si ce renvoi peut se justifier vu l’article premier de la Charte. La juge Dawson a affirmé en outre que, étant donné que la question de droit au sujet de la torture n’est toujours pas résolue et que rien dans la preuve n’indique que la position de l’Égypte quant à M. Mahjoub changera, selon la prépondérance des probabilités :

 

29 [...] M. Mahjoub ne sera probablement pas renvoyé du Canada jusqu’à ce que la Cour suprême ait décidé péremptoirement s’il existe des circonstances justifiant le renvoi au risque de torture. Si cette Cour conclut que le renvoi au risque de torture est acceptable constitutionnellement dans des circonstances exceptionnelles, alors le contexte particulier de la présente espèce devra être examiné afin de déterminer si de telles circonstances exceptionnelles existent. Une contestation constitutionnelle sur cette question prendra beaucoup de temps et il reste tout à fait possible que, dans le cas de M. Mahjoub, on décide que son renvoi au risque de torture est inconstitutionnel.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[96]           Le cas de M. Jaballah ajoute du poids à ces propos. Dans Jaballah (Re), 2006 CF 346, 278 F.T.R. 90 (Jaballah), la Cour a conclu que la décision du représentant du ministre de rejeter, le 23 septembre 2005, la demande de protection présentée par M. Jaballah en vertu de l’article 112 de la Loi était licite. En parvenant à cette conclusion, la Cour a signalé que, si le certificat de sécurité était jugé raisonnable et s’il était ensuite décidé de la concrétiser par une mesure d’expulsion de M. Jaballah vers l’Égypte, les faits seraient suffisants pour déterminer si la Charte couvrirait l’expulsion d’une personne interdite de territoire au Canada pour des raisons de sécurité vers un pays où elle risquerait d’être tuée ou torturée, même si elle n’est pas une personne protégée visée à l’article 115 de la Loi. La Cour a dit clairement que, si ces événements se produisaient, « [i]l s’agi[rait] d’une question constitutionnelle très importante, une question qui, si j’ai bien compris les conséquences de Suresh, mérite[rait] d’être examinée par les tribunaux de ce pays avant qu’une quelconque mesure d’expulsion ne soit prise en vue de renvoyer M. Jaballah en Égypte » : décision Jaballah, précitée, au paragraphe 60 [non souligné dans l’original].

 

[97]           En fait, cette question a été abordée par la Cour ultérieurement, lorsque, ayant conclu que le certificat de sécurité était raisonnable, elle a statué qu’il convenait maintenant de décider s’il existait une limite juridique quelconque à l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’avait le ministre de renvoyer M. Jaballah en vertu du certificat de sécurité : décision Jaballah (Re), 2006 CF 1230. La Cour a conclu que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ne pouvait pas renvoyer M. Jaballah vers un pays où il était exposé à un risque sérieux de torture, de mort ou de traitements cruels et inusités, car son cas ne faisait pas partie de la catégorie des exceptions envisagée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh.

 

[98]           Il reste également la question de la constitutionnalité de la procédure des certificats de sécurité elle‑même, dont est actuellement saisie la Cour suprême du Canada. Comme cela a été signalé plus haut, les défendeurs se sont engagés à ne pas procéder à l’expulsion de M. Mahjoub avant qu’une décision ait été rendue relativement à cette question.

 

v)         Les conditions de détention et l’exercice des recours judiciaires

 

[99]           Comme la Cour d’appel l’a souligné dans l’arrêt Almrei, précité, au paragraphe 58, la compétence conférée par le paragraphe 84(2) de la Loi autorise le juge à ne pas tenir compte, en tout ou en partie, des retards résultant des instances introduites par le demandeur qui ont pour effet d’empêcher l’État de se conformer à son obligation de renvoyer les personnes dans un délai raisonnable. S’appuyant sur l’arrêt Almrei pour savoir s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire à cet égard, l’État a fait valoir, dans la décision Mahjoub no 2, que les conditions de détention de M. Mahjoub étaient pertinentes. Elle a mis en évidence en particulier le passage suivant de l’arrêt Almrei :

 

82 [...] Quant aux conditions de détention, elles peuvent être de nature telle, particulièrement lorsqu’il s’agit également d’une longue détention, que l’expression « dans un délai raisonnable » prend un autre sens, celui de l’urgence. Le renvoi doit donc être effectué encore plus rapidement afin de respecter les exigences du paragraphe 84(2).

 

 

[100]       Les conditions de détention de M. Mahjoub sont différentes de celles qui existaient à l’époque où l’affaire Mahjoub no 2 a été entendue. M. Mahjoub a été transféré du Centre de détention de Toronto‑Ouest au CSIK. L’information fournie par les demandeurs indique qu’au moins une partie des préoccupations exprimées dans la décision Mahjoub no 2 ont été réglées à la suite de ce transfert. J’abonde dans le même sens. Par exemple, le CSIK n’est pas un établissement de détention provisoire de courte durée, mais un établissement conçu spécialement pour les détenus de l’Immigration. Ainsi, les fouilles à nu ne sont pas une pratique courante au CSIK. De plus, des protocoles particuliers ont été mis au point au regard des personnes visées par un certificat de sécurité. Par exemple, les détenus rencontrent les visiteurs dans une pièce destinée à cette fin ou peuvent communiquer avec eux par téléconférence; ils peuvent avoir un téléphone et un téléviseur dans leur cellule; des récréations et des loisirs sont prévus; des services spirituels et religieux sont offerts. Même si un préavis semble toujours devoir être donné, des avocats, des représentants d’organisations non gouvernementales et des agents consulaires peuvent aussi rendre visite aux détenus en tout temps à l’extérieur des heures de visite. En outre, les détenus rencontrent leurs avocats dans une pièce privée destinée à cette fin.

 

[101]       Cela dit, il est manifeste que certaines questions restent en suspens, dont les plus importantes sont les suivantes :

·           aucun programme d’éducation ou d’emploi n’est offert aux détenus; ces derniers n’ont, pour passer le temps, qu’un gymnase ou la cour extérieure où ils peuvent faire de l’exercice;

 

·           M. Mahjoub n’a pas reçu les soins médicaux dont il a besoin à cause de son différend avec le CSIK et l’administration de Millhaven au sujet de la question de l’escorte et du lieu où les traitements doivent être donnés;

 

·           M. Mahjoub continue à avoir de la difficulté à voir sa famille, principalement parce que celle‑ci habite loin du CSIK et n’a pas les moyens de s’y rendre régulièrement.

 

 

[102]       Le problème le plus grave est le fait que M. Mahjoub n’est pas traité pour l’hypertension et l’hépatite C dont il est atteint. Ce traitement pouvait être donné à M. Mahjoub. Son avocat a reconnu à juste titre, dans son plaidoyer final, que la situation actuelle était peut‑être fondée en partie sur une perception déformée des événements. Il semble toutefois peu important de savoir si c’est l’établissement ou M. Mahjoub qui a raison. Il ne fait aucun doute que M. Mahjoub a aggravé une situation déjà difficile en entreprenant une autre grève de la faim. La situation s’est détériorée au point où les conditions de détention doivent être considérées comme un facteur important.

 

[103]       Même s’il convient toujours, à mon avis, de ne pas tenir compte des retards résultant des instances introduites par le demandeur, on ne peut faire abstraction du fait que celui‑ci est maintenant détenu depuis six ans et demi. Comme l’a dit le juge Marshall Rothstein dans Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 85 F.T.R. 99, au paragraphe 27, « [...] si un nombre indéfini de procédures peuvent être engagées par l’une ou l’autre partie et si on ne sait pas combien de temps va prendre chacune de ces procédures, je pense qu’on peut dire qu’une détention de longue durée, du moins sur le plan pratique, est bien proche de ce qu’on peut raisonnablement qualifier de détention de durée “indéterminée” ». Or, en l’espèce, aucune date n’est fixée pour la conclusion de l’instance ou pour le renvoi de M. Mahjoub du Canada. En ce sens, sa détention peut raisonnablement être qualifiée d’indéterminée.

 

v)         Conclusion

 

[104]       Ayant pris en compte et soupesé les facteurs mentionnés plus haut, M. Mahjoub m’a convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la mesure de renvoi prise contre lui ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable.

 

M. MAHJOUB A‑T‑IL DÉMONTRÉ, COMME IL DEVAIT LE FAIRE, QUE SA MISE EN LIBERTÉ NE CONSTITUERA PAS UN DANGER POUR LA SÉCURITÉ NATIONALE OU LA SÉCURITÉ D’AUTRUI?

 

(i)         Les principes de droit applicables

 

[105]       Il incombe à M. Mahjoub de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Cette démonstration peut être difficile à faire étant donné que des soupçons objectivement raisonnables donnant lieu à une crainte de préjudice sérieux peuvent suffire à établir le danger : décision Mahjoub no 1, précitée, au paragraphe 65; décision Mahjoub no 2, précitée, au paragraphe 46; décision Harkat, précitée, au paragraphe 57. Le critère est de nature prospective. Comme la Cour l’a mentionné dans la décision Charkaoui (Re), 2005 CF 248, [2005] 3 R.C.F. 389, au paragraphe 39 (décision Charkaoui (Re)), le législateur demande au juge désigné d’analyser la preuve en se demandant si le danger est toujours d’actualité.

 

[106]       Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (l’arrêt Suresh) :

 

90 [...] une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

 

 

[107]       De plus, la Cour d’appel a précisé dans l’arrêt Almrei que c’est la charge de la preuve qui incombe au demandeur. Aussi, M. Mahjoub doit produire « des éléments de preuve que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Cette preuve exige une réponse, sinon M. Mahjoub a le droit d’être mis en liberté s’il a aussi convaincu la Cour qu’il ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable » : décision Mahjoub no 2, précitée, au paragraphe 47 (non souligné dans l’original).

 

[108]       De plus, je conviens que, « [d]ans la mesure du possible, la conclusion de la Cour relativement au danger devrait se fonder sur le dossier public. Il pourrait toutefois s’avérer nécessaire de s’appuyer sur des renseignements présentés à la Cour sous le sceau de la confidentialité par les ministres » : décision Harkat, précitée, au paragraphe 58; voir aussi l’arrêt Almrei, précité, aux paragraphes 32 et 33.

 

[109]       En ce qui concerne les principes pertinents quant à l’appréciation des renseignements confidentiels en particulier, ils sont explicités par la Cour dans la décision Harkat (Re), 2005 CF 393, 261 F.T.R. 52 :

98   En somme, le juge désigné doit s’enquérir de la source de tout élément d’information comptant parmi les renseignements confidentiels invoqués par les ministres comme motif raisonnable de croire que la personne en cause doit être interdite de territoire pour des raisons de sécurité. Une fois identifiée la source du renseignement, le juge désigné doit s’interroger sur ce qui ressort au juste de la documentation, et voir ce qu’un témoin peut utilement dire de la fiabilité du renseignement et de la mesure dans laquelle ce renseignement, ou d’autres informations provenant de la même source, peuvent être corroborés. Pendant tout cet examen, le juge doit demeurer très attentif à cette obligation de sonder la fiabilité de chaque élément de preuve. Il doit garder à l’esprit la possibilité d’une méprise, d’une erreur quant à l’identité de telle ou telle personne, de manœuvres, d’incompétence ou de malveillance. Rappelons combien il est important de demander si le Service ne dispose pas de renseignements disculpatoires.

 

99   Seul cet exercice délicat permet à la Cour d’évaluer correctement les preuves produites tant par les ministres que par la personne faisant l’objet du certificat. Il faut parvenir, sur ce point, à une conclusion rigoureuse et objective afin de protéger non seulement les droits de la personne nommée dans le certificat mais également les intérêts légitimes de l’État.

 

 

[110]       Vu ce qui précède, j’examinerai maintenant les observations des parties et procéderai ensuite à l’analyse du danger. Si je conclus qu’il existe des soupçons objectivement raisonnables justifiant la crainte que la mise en liberté de M. Mahjoub donne lieu à un risque important, je verrai dans quelle mesure le préjudice appréhendé peut être neutralisé ou restreint par l’imposition de conditions assortissant sa mise en liberté.

 

(ii)        La position de M. Mahjoub sur la question du danger

 

[111]       M. Mahjoub affirme que, même si la Cour a déjà conclu à deux reprises que sa mise en liberté constituerait un danger pour la sécurité nationale, des changements importants sont survenus, de sorte que tel n’est plus le cas maintenant. Il attire l’attention de la Cour sur la preuve selon laquelle, après avoir passé six ans et demi en détention, séparé de sa famille, il est maintenant un homme malade préoccupé par ses problèmes de santé. Il soutient subsidiairement que les inquiétudes subsistant pourraient être gérées par des conditions imposées à sa mise en liberté.

 

[112]       M. Mahjoub soutient que la thèse des défendeurs s’appuie sur une évaluation selon laquelle il appartenait à une organisation terroriste avant de venir au Canada en 1995. Il fait valoir que le résumé le plus récent est fondé sur des renseignements anciens et qu’il n’y a eu aucune divulgation publique. En outre, M. Mahjoub a condamné l’extrémisme et la violence islamiques. Il soutient que l’argument du SCRS selon lequel il ne faut pas le croire parce qu’il n’a pas admis avoir été coupable de certains actes par le passé est déraisonnable. Le SCRS s’appuie sur le passé et n’a pas tenté de l’interroger depuis qu’il a été placé en détention. Selon M. Mahjoub, la question n’est pas de savoir ce qu’il est soupçonné d’avoir été, mais plutôt s’il constituerait un danger s’il était mis en liberté aujourd’hui.

 

[113]       Compte tenu des trois décisions précédentes de la Cour selon lesquelles il constituait un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui, le demandeur reconnaît qu’il est peu probable que la Cour en arrive à une conclusion différente en l’espèce. Il fait valoir à cet égard que la véritable question est de savoir si le danger peut être restreint ou neutralisé par des conditions. Il fait valoir en outre que les conditions proposées sont beaucoup plus strictes et rigoureuses que celles qui ont été proposées à la juge Dawson.

 

[114]       En ce qui concerne les cautions proposées, le demandeur reconnaît que la plupart de ces personnes ne le connaissent pas personnellement et qu’elles sont motivées largement par leur opposition aux certificats de sécurité et par leur désir d’aider Mme El Fouli et sa famille. Il soutient cependant que la question que la Cour doit trancher est de savoir si les cautions proposées comprennent ce à quoi elles s’engagent; selon lui, leurs témoignages indiquent clairement que c’est le cas. Il fait aussi valoir qu’il ne fait aucun doute que Mme El Fouli est suffisamment forte et indépendante pour être la caution principale.

 

(iii)       La position des ministres sur la question du danger

 

[115]       Les ministres prétendent que M. Mahjoub constitue toujours un danger pour la sécurité nationale et que ce danger ne peut être neutralisé ou restreint par l’imposition de conditions ou l’exercice d’une surveillance par les cautions. Ils rappellent les conclusions qui ont déjà été tirées selon lesquelles M. Mahjoub était un membre haut placé du VOC et avait des liens avec le Jihad. Ces organisations ont commis des actes de terrorisme et font maintenant partie de l’organisation de plus grande envergure qu’est Al Qaeda par l’entremise d’Ayuman Al Zawaheri.

 

[116]       Les ministres soulignent que M. Mahjoub s’est déjà parjuré quant à ces liens et que ses explications ont été rejetées à la fois par le juge Nadon et par la juge Dawson. De plus, bien qu’il affirme ne pas croire à la violence, il a agi de manière inconvenante, voire agressive, à plusieurs occasions pendant sa détention, comme le révèlent son propre aveu concernant la menace de brutaliser le psychiatre et le témoignage de Mme Roscoe. Un psychologue l’a qualifié d’instable dans un rapport antérieur. Les ministres s’appuient sur ces faits et sur les renseignements communiqués à huis clos pour affirmer que M. Mahjoub est une personne instable et imprévisible.

 

[117]       En ce qui concerne les cautions proposées, les ministres n’ont pas évoqué, en l’espèce, les réserves mises en évidence par la juge Dawson. L’objectivité de bon nombre des cautions est discutable car elles ont décidé de se porter garantes après avoir participé à la campagne contre les certificats de sécurité. Il était clair qu’elles ne seraient pas très exigeantes. Un grand nombre d’entre elles connaissaient peu le demandeur et ne l’avaient jamais rencontré ou n’avaient jamais communiqué avec lui. Celles qui connaissaient le mieux la famille étaient surtout des amis de Mme El Fouli. La question était réellement de savoir si la Cour était convaincue que Mme El Fouli pourrait contrôler M. Mahjoub. Les ministres ont prétendu également que les éléments de preuve entendus à huis clos devaient inciter la Cour à se demander si Mme El Fouli serait indépendante de M. Mahjoub et pourrait efficacement agir comme caution.

 

(iv)       L’analyse du danger

 

[118]       Je crois que les facteurs suivants sont très importants aux fins de mon analyse du danger que la mise en liberté de M. Mahjoub pourrait constituer, le cas échéant :

a.       l’appui que M. Mahjoub a accordé par le passé à l’extrémisme islamique;

b.      la renonciation de M. Mahjoub à la violence et à l’extrémisme islamique;

c.       la possibilité que M. Mahjoub se mette de nouveau en rapport avec des extrémistes islamiques;

d.      les déclarations mensongères antérieures de M. Mahjoub à la Cour;

e.       le changement de situation, le cas échéant, pouvant avoir une incidence sur le danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub.

 

 

 

(a)   L’appui que M. Mahjoub a accordé par le passé à l’extrémisme islamique

 

[119]       Comme la juge Dawson l’a souligné dans la décision Mahjoub no 2, personne n’a contesté l’affirmation selon laquelle le VOC et le Jihad étaient des organisations terroristes. En fait, elles comptaient toutes deux parmi les premières organisations qui ont été interdites au Canada en vertu de la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41. La juge Dawson a ainsi conclu quant aux liens de M. Mahjoub avec le Jihad et le VOC :

64     [...] les renseignements présentés à la Cour soulèvent à tout le moins des soupçons objectivement raisonnables que, jusqu’à l’époque où il a été arrêté :

 

1.

M. Mahjoub était un membre haut placé du VOC, une aile [du Jihad].

2.

M. Mahjoub était membre du conseil Shura du VOC et, à ce titre, il prenait normalement part au processus décisionnel de cette organisation terroriste.

3.

M. Mahjoub avait participé à des activités terroristes. Aux alentours de 1996‑1997, on le connaissait sous le pseudonyme « Shaker ».

4.

M. Mahjoub avait des contacts importants avec des personnes associées au terrorisme islamique international, y compris Oussama ben Laden, Ahmad Said Khadr, Essam Hafez Marzouk, Ahmed Agiza et Mubarak Al Duri. Il était aussi en contact avec Mahmoud Jaballah. Au vu de la procédure visant M. Jaballah devant la Cour, je n’avance aucune conclusion ou commentaire au sujet de la prétendue implication de M. Jaballah dans des activités terroristes.

 

[120]       La juge Dawson a aussi souligné des éléments de preuve publics qui démontraient que M. Mahjoub avait eu des rapports avec des personnes très haut placées et influentes dans le mouvement islamique extrémiste. La Cour, qui s’est aussi appuyée sur des renseignements communiqués par les ministres à huis clos, a conclu que cette preuve était suffisante pour établir que M. Mahjoub constituait un danger pour la sécurité nationale à cette époque : décision Mahjoub no 2, précitée, au paragraphe 74.

 

[121]       Me fondant sur mon propre examen de la preuve communiquée à huis clos et lors de l’audience publique, je fais miennes les conclusions tirées par ma collègue relativement aux antécédents de M. Mahjoub.

 

(b)   La renonciation par M. Mahjoub à la violence et à l’extrémisme islamique

 

[122]       Lorsqu’elle a conclu que M. Mahjoub ne s’était pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait dans la décision Mahjoub no 2, la juge Dawson a insisté sur le fait qu’il n’avait pas lui‑même affirmé dans son témoignage qu’il avait renoncé à l’extrémisme islamique et à l’usage de la violence et que rien ne garantissait qu’il n’appuierait pas ou n’encouragerait pas des actes qui poseraient un danger ou qu’il ne participerait pas à de tels actes. Il s’agissait, aux yeux de la Cour, d’une « omission significative » : décision Mahjoub no 2, précitée, au paragraphe 87. La Cour a aussi rappelé les propos formulés par le juge Simon Noël dans la décision Charkaoui (Re), précitée, au paragraphe 53 : « [C]omment un juge désigné peut‑il évaluer l’existence d’un danger et la possibilité d’une libération avec conditions si la personne intéressée ne l’informe pas, entre autres, qu’il entend respecter les conditions? [...] ».

 

[123]       En l’espèce, M. Mahjoub a clarifié ces omissions. Il a déclaré dans son affidavit et dans son témoignage : 1) qu’il ne croit pas à la violence, ne tolère pas que d’autres personnes fassent usage de violence, n’encourage pas ou n’encouragerait pas la perpétration d’actes qui poseraient un danger pour la sécurité d’autrui au Canada ou ne participerait pas à de tels actes; 2) qu’il ne défend pas des points de vue extrémistes islamiques et qu’il ne croit pas à l’extrémisme islamique; 3) que, s’il est libéré, il ne s’associerait pas avec des extrémistes islamiques ou avec des personnes ou des organisations liées à de tels extrémistes; 4) qu’il ne croit pas qu’il constitue un danger pour le public ou la sécurité nationale du Canada; 5) qu’il connaît les conditions qui ont été imposées à MM. Charkaoui et Harkat et qu’il accepterait d’être soumis à des conditions analogues s’il était mis en liberté; 6) qu’il coopérera pleinement avec la Cour peu importe les conditions que celle‑ci lui imposera, notamment celle de se présenter régulièrement à ses cautions; finalement, 7) qu’il ne manquerait à aucune de ses conditions car il ne voudrait pas compromettre ses chances de vivre de nouveau avec sa famille.

 

[124]       Je signale également la réponse donnée par M. Mahjoub, lorsqu’il a témoigné à l’appui de sa demande, quand on lui a demandé pourquoi, dans les instances antérieures, il n’avait pas expressément condamné la violence. Il a simplement répondu qu’on ne lui avait pas posé la question. On pourrait cependant se demander pourquoi il ne l’a pas fait spontanément. Quoi qu’il en soit, son témoignage à cet égard répond à la réserve soulevée par la juge Dawson.

 

(c)    La possibilité que M. Mahjoub se mette de nouveau en rapport avec des extrémistes islamiques

 

[125]       Il ressort clairement de la preuve mentionnée plus haut que M. Mahjoub a eu, par le passé, des rapports avec des personnes liées à des organisations terroristes. Je pense particulièrement à Ahmed Said Khadr, à Mubarak Al Duri, à Essam Marzouk et à Ahmed Agiza. Bien que l’une de ces personnes soit maintenant décédée et que deux autres soient incarcérées en Égypte, il n’est pas déraisonnable de conclure que le SCRS ne sait pas tout des rapports que M. Mahjoub a eus par le passé avec des extrémistes. Les ministres ont fait valoir que, si le demandeur est mis en liberté, il sera en mesure de reprendre contact avec des extrémistes islamiques et qu’aucune condition ne peut garantir que cela n’arrivera pas. En outre, le témoin JP a exprimé ses craintes quant au [traduction] « pouvoir de star » ou de l’influence que M. Mahjoub pourrait exercer sur de jeunes musulmans impressionnables s’il était libéré.

 

[126]       Je signale que M. Mahjoub était soumis à des conditions un peu moins restrictives concernant ses communications avec des personnes de l’extérieur pendant qu’il était détenu au Centre de détention de Toronto‑Ouest, jusqu’à ce qu’il demande d’être placé en isolement. Ses appels n’étaient pas contrôlés. Il pouvait à l’époque communiquer avec des personnes à l’extérieur du centre de détention. La preuve dont je dispose ne me permet pas de penser qu’il a profité de cette possibilité pour communiquer avec des extrémistes islamiques. On allègue vaguement que certaines des personnes qui l’appuient sont connues pour être des défenseurs ou des sympathisants d’extrémistes – les membres de la famille Khadr notamment.

 

[127]       Il est quelque peu ironique de constater que les arrangements de sa détention actuels forcent M. Mahjoub à entretenir des liens avec des personnes qui sont considérées par le gouvernement comme des extrémistes islamiques. Le demandeur a convenu que, s’il était mis en liberté, il n’aurait plus aucun contact avec les autres détenus faisant l’objet d’un certificat de sécurité.

 

[128]       Bien que la possibilité que M. Mahjoub se mette de nouveau en rapport avec des extrémistes islamiques ne puisse être totalement écartée, je suis convaincu que le risque peut être géré par des conditions de mise en liberté strictes.

 

(d)   Les déclarations mensongères antérieures de M. Mahjoub à la Cour

 

[129]       Dans les motifs expliquant pourquoi il estimait que le certificat de sécurité était raisonnable, le juge Nadon a souligné que M. Mahjoub n’avait pas dit la vérité à la Cour. M. Mahjoub a reconnu avoir menti au juge Nadon lors de son premier témoignage. Il dit qu’il a tenté de clarifier ses propos lorsqu’il en a eu la possibilité. Il importe toutefois de souligner qu’il l’a fait seulement lorsqu’il a appris que les ministres étaient en mesure de prouver qu’il avait menti.

 

[130]       Dans la décision Mahjoub no 2, la juge Dawson a aussi conclu, sur la foi des renseignements confidentiels dont elle disposait, que M. Mahjoub n’avait pas dit toute la vérité lorsqu’il a témoigné au sujet des conditions de sa détention à l’époque. C’est aussi ce que démontre le dossier confidentiel que j’ai reçu en preuve. En l’espèce, les parties du témoignage de M. Mahjoub qui portent sur ses conditions de détention actuelles contredisent le compte rendu des événements tiré de son dossier médical et le témoignage de Mme Roscoe que j’ai jugé crédibles et dignes de foi. Vu cette contradiction, je n’ajoute pas foi à la version donnée par M. Mahjoub de ses rapports avec le personnel de détention et le personnel médical de l’établissement.

 

[131]       Comme ma collègue l’a mentionné dans la décision Mahjoub no 2, c’est lorsqu’on soupèse la preuve que M. Mahjoub a présentée que le caractère mensonger de son témoignage prend une importance particulière. En effet, ses déclarations mensongères donnent réellement lieu à un doute quant à la question de savoir si tous les rapports qu’il a eus par le passé et qu’il aurait pu avoir ont été révélés ou compromis et, aussi, quant à la question de savoir quelle valeur la Cour peut accorder à l’assurance que M. Mahjoub a donnée concernant sa renonciation à la violence et à la cause extrémiste islamique.

 

[132]       Cela dit, les mensonges et les paroles équivoques de M. Mahjoub permettent‑ils de conclure qu’il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui? Son avocat soutient qu’il y a deux façons de voir cette question : les mensonges du demandeur sont‑ils graves au point que l’on ne peut absolument pas lui faire confiance, ou peut‑on considérer que ces mensonges ont été faits pour de mauvaises raisons, mais qu’il sont compréhensibles dans les circonstances? Les ministres voudraient que je réponde par l’affirmative à la première possibilité. M. Mahjoub prétend qu’il n’est pas rare que des personnes usent de faux‑fuyants devant les tribunaux lorsqu’elles pensent que la vérité nuirait à leurs intérêts. Mais cela signifie‑t‑il qu’elles sont un danger pour la société?

 

[133]       Je suis convaincu que, même s’ils sont troublants, les mensonges de M. Mahjoub ne portaient pas sur des éléments fondamentaux; il ne s’agit donc pas d’un facteur important dont je doive tenir compte pour décider s’il constituerait un danger s’il était mis en liberté à des conditions strictes.

 

(e)    Le changement de situation, le cas échéant, pouvant avoir une incidence sur le danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub

 

[134]       Comme la Cour l’a souligné dans la décision Charkaoui (Re), précitée, dans le cadre du quatrième contrôle de la détention de M. Charkaoui fondé sur le paragraphe 83(2) de la Loi :

 

39 [...] Le législateur demande au juge désigné d’analyser la preuve en s’interrogeant si le danger est toujours existant. Ceci veut donc dire qu’il peut exister à un certain moment et non à un autre moment. On exige donc que le juge désigné évalue la preuve avec cette préoccupation à l’esprit. Il y a donc possibilité qu’il y ait imminence d’un danger mais que par la suite, celui‑ci soit neutralisé. Il me semble que c’est ce que le législateur entend du rôle du juge désigné [non souligné dans l’original].

 

Je crois que ces propos s’appliquent également à la demande fondée sur le paragraphe 84(2).

 

[135]       Le genre de changement de situation, s’il y a eu effectivement changement, qui pourrait avoir une incidence sur le danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub a été défini par le témoin JP et résumé de la façon suivante au paragraphe 9 de la décision Mahjoub no 2 : « ... les personnes ou groupes évalués par le SCRS peuvent changer avec le temps. Par exemple : de nouveaux groupes peuvent être créés ou un groupe existant peut être démantelé; les membres d’un groupe peuvent changer, ainsi que son allégeance à d’autres groupes; les méthodes d’action préférées d’un groupe donné peuvent changer; les circonstances politiques qui donnent naissance à des menaces à la sécurité peuvent changer; les opérations des services de renseignements peuvent venir perturber des activités qui constituaient une menace pour la sécurité du Canada. ». Le témoignage fait par JP en l’espèce est au même effet.

 

[136]       M. Mahjoub soutient que, vu le changement de circonstances, sa mise en liberté ne pose plus un aussi grand danger. Son avocat dit que, même s’il est vrai qu’Al Qaeda et le Jihad se sont livrés à des actes de terrorisme violents, ces groupes ne constituent pas aujourd’hui une organisation internationale puissante; il s’agit plutôt d’un réseau qui a été démantelé, qui est constitué par des groupes isolés, et qui n’est pas en mesure de commettre des actions concertées. Ce fait ressortirait des déclarations des représentants de l’administration américaine qui prétendent mener avec succès la « guerre à la terreur ». Il serait donc plus difficile pour M. Mahjoub de renouer des liens avec ces organisations, s’il est vrai, aux fins de la discussion, qu’il a entretenu de tels liens dans le passé.

 

[137]       Je ne souscris pas à cet exposé de la situation actuelle d’Al Qaeda et du Jihad. En fait, JP a déclaré au cours de son témoignage que la situation est même plus dangereuse qu’auparavant, ces organisations ayant réuni leurs forces et étant devenues plus diversifiées et plus difficiles à cerner. Le danger réside maintenant dans les actions spontanées que peuvent commettre des groupes distincts et qui sont inspirées par ces organisations. Ce portrait est, à mon avis, plus exact.

 

[138]       Cela dit, l’enquête concernant M. Mahjoub était pour ainsi dire terminée lorsqu’il a été détenu en vertu du certificat de sécurité. Les organismes de sécurité n’ont pas tenté de l’interroger depuis qu’il a été placé en détention. Le demandeur est aujourd’hui un homme malade et vieillissant, préoccupé par sa santé et par l’absence de rapports avec sa famille autres que ceux qu’il entretient par téléphone et par des visites occasionnelles. Les conditions de sa détention ont aggravé ce problème.

 

(f)     Les conclusions concernant le danger posé

 

[139]       C’est à M. Mahjoub qu’il incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Même en tenant compte du changement de situation exposé ci‑dessus, on ne peut pas dire, selon la prépondérance des probabilités, que M. Mahjoub a démontré qu’il ne constitue plus un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. En parvenant à cette conclusion, je tiens compte du fait que le maintien en détention de M. Mahjoub revêt une grande importance pour la société canadienne. Ayant cette considération à l’esprit, je vais aborder la question de savoir si le danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub peut être neutralisé ou restreint par l’intervention de cautions et l’imposition de conditions.

 

(v)        Le danger peut‑il être neutralisé ou restreint par l’intervention de cautions et l’imposition de conditions?

 

[140]       Pour répondre à la question de savoir si le danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub peut être neutralisé ou restreint par l’intervention de cautions et l’imposition de conditions, j’examinerai les principes de droit applicables et la preuve produite.

 

 

(a)   Les principes de droit applicables

 

[141]       Pour savoir si l’imposition de conditions serait suffisante pour neutraliser ou restreindre le danger posé en l’espèce, il faut porter une attention particulière aux éléments suivants : la nature des actes auxquels, croit‑on, M. Mahjoub se livrerait; la nature du danger auquel donneraient lieu ces actes; les raisons pour lesquelles on croit que l’imposition de conditions neutraliserait ou restreindrait ou non ce danger : décision Harkat, précitée, au paragraphe 69.

 

[142]       De plus, en déterminant quelles conditions, le cas échéant, pourraient être indiquées, la Cour doit garder à l’esprit qu’il faut qu’elles soient adaptées à la situation précise de M. Mahjoub. Pour être indiquées, les conditions « doivent être conçues de manière à empêcher la participation [du demandeur] à toute activité consistant à commettre, à encourager ou à faciliter des actes de terrorisme, à être l’instigateur de tels actes, ou sa participation à toute activité semblable » et elles « doivent être proportionnelles au risque que pose [le demandeur] » : décision Harkat, précitée, au paragraphe 83.

 

[143]       En outre, comme la juge Dawson l’a souligné dans la décision Harkat, si la Cour concluait que les conditions proposées par M. Mahjoub ne permettent pas de neutraliser ou de restreindre le danger posé par sa mise en liberté, il serait « erroné de rejeter la demande de mise en liberté [du demandeur] s’il existait des conditions qui, selon la prépondérance des probabilités, pourraient neutraliser ou contrecarrer le danger occasionné par cette mise en liberté. En de telles circonstances, le maintenir emprisonné ne pourrait se justifier en raison du respect par le Canada des droits de la personne ainsi que des valeurs protégées par notre Charte. » (décision Harkat, précitée, au paragraphe 82). Aussi, si je devais conclure que les conditions proposées par M. Mahjoub ne sont pas suffisantes pour neutraliser le danger, je verrai si un autre ensemble de conditions le serait.

 

(b)   Analyse de la preuve

 

[144]       Je ne pense pas qu’il soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce d’adopter l’approche privilégiée par ma collègue dans la décision Harkat comme l’avocat du demandeur me presse de le faire, c’est‑à‑dire renvoyer à une série de notes de bas de page ou de fin de document indiquant des renseignements devant demeurer confidentiels afin de protéger la sécurité nationale et qui seraient consignés dans une annexe confidentielle jointe aux présents motifs. Si je suivais cette approche, je répéterais l’opération effectuée par ma collègue la juge Dawson dans la décision Mahjoub no 2 et j’aboutirais essentiellement aux mêmes résultats.

 

[145]       Je préfère en l’espèce que l’intégralité des motifs de ma décision fasse partie du dossier public. À mon avis, la nature du danger que M. Mahjoub est censé poser ressort clairement des résumés publics qui ont été déposés au dossier jusqu’à maintenant, des témoignages qui ont été entendus et des observations faites par les avocats des ministres lors des audiences publiques. Je conclus que le résumé public du 28 novembre 2006 expose correctement le danger que M. Mahjoub constitue pour la sécurité nationale et la sécurité d’autrui. La question est de savoir si ce danger peut être neutralisé.

 

[146]       Comme la Cour l’a souligné dans ses dernières observations dans la décision Mahjoub no 2, « M. Mahjoub peut toujours présenter à nouveau une demande de mise en liberté et fournir à ce moment‑là de meilleures cautions et une preuve plus solide, y compris son propre témoignage, qui serait de nature à convaincre la Cour que le danger qu’il constitue pourrait être neutralisé » (décision Mahjoub no 2, précitée, au paragraphe 104). Une grande attention a été portée à cette question en l’espèce. Je suis convaincu, sur la foi de la preuve qui m’a été produite lors des audiences publiques, que le demandeur a répondu aux préoccupations exprimées par la juge Dawson.

 

[147]       En ce qui concerne les cautions, dans la décision Mahjoub no 2, la Cour était particulièrement soucieuse de la durée de la relation entre les cautions, à l’exclusion de l’épouse de M. Mahjoub, et ce dernier. Elle était également soucieuse du contrôle que les cautions seraient en mesure d’exercer sur les activités de M. Mahjoub.

 

[148]       En l’espèce, l’épouse de M. Mahjoub, Mona El Fouli, a à nouveau offert d’agir comme caution principale. Rizwan Wancho et Omar Ahmed Ali, des connaissances de la famille, et Aly Hindy, l’imam de la famille, sont également à nouveau prêts à se porter garants de M. Mahjoub. À ces personnes on peut ajouter les nouvelles cautions suivantes : Haney El Fouli, le beau‑fils de M. Mahjoub; El Sayed Ahmed, une connaissance de la famille; Murray Lumley, Maggie Panter, Elizabeth Block, Laurel Smith et Dwyer Sullivan, des membres de la communauté qui appuient M. Mahjoub; les trois députés qui ont offert symboliquement leur appui.

 

[149]       Haney El Fouli était trop jeune auparavant pour agir comme caution. Il a offert d’aider sa mère en veillant directement à ce que M. Mahjoub respecte les conditions proposées. Il a reconnu avec franchise qu’à cause de ses études au collège et de ses autres obligations il ne pourrait pas consacrer beaucoup de temps à cette tâche. Haney a néanmoins démontré à la Cour, lors de son témoignage, qu’il est un jeune homme franc et intelligent. Je suis convaincu que, contrairement à ce qu’affirment les avocats des ministres, il ne se laisserait pas facilement intimider par son beau‑père.

 

[150]       Il ressort clairement des témoignages des personnes favorables à M. Mahjoub au sein de la collectivité et des amis de la famille que la plupart d’entre eux, à l’exception d’El Sayed Ahmed et d’Omar Ahmed Ali, ne seraient pas en mesure de surveiller le demandeur en pratique. Ces personnes exerceront plutôt une pression morale sur M. Mahjoub, ce qui l’incitera à respecter les conditions de mise en liberté afin de leur prouver qu’ils ont eu raison de lui faire confiance et – cela est peut‑être plus important – de faire confiance à son épouse.

 

[151]       J’ai plus de réserves quant au fait que M. Wancho, le docteur Hindy et les trois députés mentionnés plus haut ont proposé de se porter garants de M. Mahjoub, quoique ce soit pour des raisons différentes. M. Wancho n’a pu se retenir de dire, au cours de son témoignage, qu’il souscrit aux théories du complot concernant les événements du 11 septembre 2001. Il a reconnu franchement qu’il peut ainsi donner l’impression d’être [traduction] « cinglé ou quelque chose du genre ». L’avocat du demandeur fait valoir – et je suis d’accord avec lui – que l’on ne devrait pas empêcher M. Wancho d’agir comme caution uniquement à cause de ses opinions politiques. Je suis convaincu qu’il comprend l’engagement qu’il prend envers la Cour en agissant comme caution et qu’il le respectera.

 

[152]       Le cas du docteur Hindy pose problème parce qu’il a offert d’agir comme caution dans de nombreuses affaires. Il est impossible qu’il puisse remplir tous ces engagements envers la Cour. En outre, ses déclarations publiques peuvent laisser croire qu’il considère favorablement les menaces du terrorisme islamique envers le Canada ou, à tout le moins, qu’il essaie de les justifier. Dans les circonstances, j’estime qu’il n’est pas une caution acceptable.

 

[153]       Quant aux trois députés mentionnés plus haut, leur geste est de nature politique et symbolique et pourrait être considéré comme une ingérence inconvenante dans une affaire judiciaire. Quoi qu’il en soit, la Cour n’est pas disposée à tenir compte de leurs motivations politiques.

 

[154]       Dans la lettre datée du 7 février 2007, l’avocat du demandeur a donné le nom d’une autre personne disposée à agir comme caution, celui du directeur exécutif du programme pour les détenus musulmans au Centre de détention de Toronto‑Ouest, M. Ibrahim Downey. La Cour est disposée à accepter que M. Downey prenne la place du docteur Hindy, sous réserve des observations que pourraient faire valoir les défendeurs, comme il est indiqué ci‑dessous.

 

[155]       En fin de compte, pour savoir si des cautions et des conditions seront suffisantes pour neutraliser le danger en l’espèce, la Cour doit répondre aux questions suivantes : Mme El Fouli peut‑elle surveiller adéquatement son mari et le fera‑t‑elle, et celui‑ci se conformera‑t‑il aux directives de la Cour? Dans son affidavit et dans son témoignage, Mme El Fouli a passé sous silence les différends qui ont mené à sa séparation d’avec M. Mahjoub avant que celui‑ci soit placé en détention. Je conviens avec les ministres qu’elle n’a pas été parfaitement franche à cet égard. Néanmoins, son témoignage et ceux des autres témoins qui la connaissent m’ont convaincu qu’elle est une personne forte, indépendante et intelligente et qu’elle respectera les obligations qui lui incombent en qualité de caution. Je crois également qu’elle ne décevra pas les membres de la communauté qui les ont soutenues, elle et sa famille, au cours des six dernières années.

 

[156]       En ce qui concerne M. Mahjoub, je conclus que, à cette étape‑ci de sa vie et compte tenu du fait que les intérêts de sa famille et sa santé sont en jeu, il a tout simplement trop à perdre pour manquer aux conditions de sa mise en liberté.

 

[157]       Je conclus que les facteurs suivants militent en faveur de la mise en liberté de M. Mahjoub, à des conditions strictes :

1) les cautions, notamment Mona et Haney El Fouli, sont en mesure de le surveiller efficacement;

 

2) M. Mahjoub n’est plus en mesure de communiquer avec des personnes appartenant au réseau extrémiste islamique parce qu’il a été détenu pendant longtemps;

 

3) son cas a été largement médiatisé;

 

4) on peut supposer que les autorités continueront de s’intéresser à lui;

 

5) je le crois lorsqu’il dit qu’il veut vraiment être avec sa famille et que, pour cette raison, il respectera les conditions qui lui seront imposées;

 

6) je crois également que son désir de ne pas retourner en détention est compréhensible;

 

7) on peut supposer que les personnes qui souhaitent se cacher des autorités canadiennes seront moins tentées de communiquer avec M. Mahjoub en raison de la publicité entourant ses conditions strictes;

 

8) j’ai également accordé une certaine importance à la tendance qui se dessine au Royaume‑Uni, où un grand nombre de terroristes ont été mis en liberté en vertu d’ordonnances de contrôle. J’ai aussi accordé une certaine importance au fait que M. Charkaoui (décision Charkaoui (Re), précitée) et M. Harkat (décision Harkat, précitée) ont été mis en liberté à des conditions strictes et que leur mise en liberté n’a causé aucun problème important jusqu’à maintenant.

 

 

(c)    Conclusion sur les conditions

 

[158]       J’ai examiné la question de savoir si un ensemble de conditions pourrait neutraliser ou restreindre le danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub et j’ai tenu compte du fait que ces conditions doivent être adaptées à sa situation précise. J’ai aussi tenu compte des limites des outils de surveillance actuels. Compte tenu des facteurs et des éléments de preuve mentionnés plus haut, je conclus que les conditions énoncées à l’annexe B des présents motifs peuvent être imposées et que, selon la prépondérance des probabilités, elles neutraliseront ou restreindront tout danger posé par la mise en liberté de M. Mahjoub.

 

CONCLUSION

 

[159]       Pour tous ces motifs, la présente demande est accueillie et M. Mahjoub sera mis en liberté aux conditions énoncées à l’annexe B ci‑jointe lorsque la Cour aura constaté que les exigences prévues par cette annexe ont été remplies. Comme il a été indiqué plus haut, les parties auront sept jours à compter de la réception des présents motifs pour faire part à la Cour de leurs observations, qui ne devront pas dépasser deux pages, au sujet de ces conditions avant que l’ordonnance formelle soit signée et rendue.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


 

ANNEXE A

Chronologie des événements

 

 

 

26 juin 2000

 

 

 

M. Mahjoub est arrêté et détenu sur la base d’un certificat de sécurité signé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) et le solliciteur général du Canada (les « ministres »).

 

 

5 octobre 2001

 

 

 

Le juge Nadon de notre Cour conclut que le certificat est raisonnable.

 

 

25 mars 2002

 

 

 

M. Mahjoub est déclaré interdit de territoire au Canada et une mesure d’expulsion est prise à son égard.

 

 

18 octobre 2002

 

 

 

M. Mahjoub dépose une requête pour obtenir sa mise en liberté.

 

 

31 octobre 2002

 

 

 

La date d’audition de la requête de mise en liberté est fixée aux 28 et 29 janvier 2003.

 

 

16 décembre 2002

 

 

 

Le résumé des renseignements confidentiels est communiqué à M. Mahjoub.

 

 

24 janvier 2003

 

 

 

L’audience est ajournée à la demande de M. Mahjoub. Par la suite, la reprise de l’audition est fixée au 29 mars 2003.

 

 

28 mars 2003

 

 

 

M. Mahjoub reçoit signification des documents qui doivent être remis au ministre aux fins de sa prise de décision, conformément à l’alinéa 115(2)b) de la Loi, sur la question de savoir si M. Mahjoub doit être renvoyé en Égypte. Les observations de M. Mahjoub en réponse doivent être déposées avant le 23 mai 2003.

 

 

28 mars 2003

 

 

 

La requête de mise en liberté est ajournée et, par la suite, la reprise de l’audition est fixée au 10 mai 2003.

 

 

10 mai 2003

 

 

 

La preuve est administrée et la requête de mise en liberté est entendue. Les parties conviennent de disjoindre l’instance. Si M. Mahjoub n’a pas gain de cause au fond, on entendra les arguments portant sur la constitutionnalité de sa détention.

 

 

30 juillet 2003

 

 

 

La Cour conclut que M. Mahjoub ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la mesure de renvoi du Canada prise à son égard ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Les avocats sont invités à s’adresser au greffe de la Cour afin d’obtenir une date de reprise de l’audience, aux fins de traiter des questions constitutionnelles.

 

 

20 novembre 2003

 

 

 

Les avocats n’ayant pas contacté le greffe et la Cour ayant délivré trois directives et tenu une conférence de gestion de l’instance, une ordonnance prévoit que l’audience reprendra les 10 et 11 janvier 2004.

 

 

9 janvier 2004

 

 

 

La requête de M. Mahjoub en ajournement de l’audience prévue est accueillie. La requête est présentée au motif que M. Mahjoub a retenu les services de nouveaux avocats, [traduction] « qui ne peuvent procéder à l’audience sur la requête de mise en liberté à la date prévue, étant donné l’état du dossier ».

 

 

8 mars 2004

 

 

 

La requête supplémentaire de M. Mahjoub en autorisation de soulever de nouvelles questions et de présenter une preuve supplémentaire est accueillie.

 

 

31 mai-4 juin 2004

 

 

 

La Cour entend la requête en mise en liberté de M. Mahjoub.

 

 

22 juillet 2004

 

 

 

Le ministre conclut que M. Mahjoub doit être expulsé du Canada et renvoyé en Égypte.

 

 

7-8 septembre 2004

 

 

 

Des preuves supplémentaires sont entendues au sujet de la requête en mise en liberté de M. Mahjoub.

 

 

8 septembre 2004

 

 

 

La Cour sursoit au renvoi de M. Mahjoub en Égypte, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de le renvoyer.

 

 

21 octobre 2004

 

 

 

Dépôt des observations écrites de M. Mahjoub dans le cadre de sa requête de mise en liberté.

 

 

23 novembre 2004

 

 

 

Dépôt des observations écrites des ministres.

 

 

3 décembre 2004

 

 

 

M. Mahjoub indique qu’il ne déposera pas d’observations en réplique.

 

 

13 décembre 2004

 

 

 

Suite au prononcé des motifs de la Cour d’appel dans l’arrêt Charkaoui (Re), [2004] A.C.F. no 2060, 2004 CAF 421, la Cour demande aux avocats s’ils veulent déposer des observations supplémentaires.

 

 

17 décembre 2004

 

 

 

La Cour entend la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de renvoyer M. Mahjoub en Égypte. À cette audience, les avocats conviennent des dates de dépôt d’observations supplémentaires fondées sur la jurisprudence récente, y compris l’arrêt Charkaoui (Re), précité. Ces observations seront prises en compte à la fois dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire et dans celui de la requête en mise en liberté.

 

 

31 janvier 2005

 

 

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du ministre de renvoyer M. Mahjoub en Égypte est annulée.

 

 

31 janvier 2005

 

 

 

La Cour donne une directive où elle exprime ses préoccupations suite au fait que lorsque les motifs du 30 juillet 2003 ont été prononcés, la Cour ne pouvait savoir qu’au 31 janvier 2005 elle serait toujours en attente des observations écrites définitives quant à la constitutionnalité de la détention de M. Mahjoub. Cette directive souligne aussi que les circonstances ont changé ou qu’il y a de nouveaux éléments qui sont apparus depuis le 30 juillet 2003. Les avocats furent donc invités à présenter leurs observations quant à savoir si l’examen de la détention devrait être rouvert par le dépôt d’une nouvelle preuve et de nouveaux arguments. Le texte complet de la directive de la Cour est placé en annexe B aux présents motifs.

 

 

4 février 2005

 

 

 

Les avocats déclarent vouloir produire des preuves supplémentaires, pertinentes quant aux critères énoncés au paragraphe 84(2) de la Loi. La Cour décide de siéger le 11 février 2005.

 

 

8 février 2005

 

 

 

La Cour décide que le 11 février 2005, elle entendra les observations des avocats au sujet des questions constitutionnelles qui demeurent d’actualité, vu l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 213, 2005 CAF 54, rendu le même jour.

 

 

11 février 2005

 

 

 

Au début de l’audience, les avocats de M. Mahjoub admettent qu’au vu de l’arrêt Almrei, rendu par la Cour d’appel fédérale, qui constitue un précédent obligatoire, il ne subsiste plus de questions constitutionnelles d’actualité. M. Mahjoub n’abandonne pas ses arguments constitutionnels, mais il n’a pas l’intention de les faire valoir à nouveau. Il s’attend à ce que la Cour rejette les questions constitutionnelles au vu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. Les avocats des ministres sont d’avis que toutes les questions constitutionnelles ont été réglées par l’arrêt Almrei, de manière défavorable à M. Mahjoub, et déclarent qu’il n’est pas nécessaire que la Cour entende des observations. La Cour siège donc pour entendre la nouvelle preuve pertinente aux critères prévus par la loi pour la mise en liberté.

 

 

14-15 mars 2005

 

 

 

Des preuves supplémentaires sont présentées au sujet de la requête en mise en liberté de M. Mahjoub.

 

 

18 mars 2005

 

 

 

La Cour entend des preuves supplémentaires ex parte et à huis clos. L’audience est ajournée pour que les parties puissent obtenir des renseignements supplémentaires en réponse aux questions de la Cour.

 

 

22 mars 2005

 

 

 

Les avocats des parties font valoir leurs arguments à l’audience, sous réserve de leur droit de présenter des observations supplémentaires suite à toute nouvelle séance à huis clos.

 

 

2-3 mai 2005

 

 

 

Des preuves supplémentaires sont reçues à huis clos et ex parte.

 

 

12 mai, 21 et

29 juin 2005

 

 

 

Des résumés des renseignements obtenus ex parte et à huis clos sont rendus publics.

 

 

17 juin 2005

 

 

 

Les avocats de M. Mahjoub informent la Cour qu’ils ont trouvé un psychologue qui accepte de l’examiner et qu’un rapport écrit sera déposé à la Cour.

 

 

6 juillet 2005

 

 

 

La Cour reçoit le rapport psychologique.

 

 

15 juillet 2005

 

 

 

Les avocats des ministres déclarent qu’ils ne produiront aucune nouvelle preuve en réponse, mais ils demandent qu’on les autorise à s’exprimer au sujet des plaidoiries finales à la Cour.

 

 

3 août 2005

 

 

 

Les plaidoiries finales ont lieu devant la Cour. M. Mahjoub se voit accorder une semaine pour remettre une clarification du rapport du psychologue.

 

 

9 août 2005

 

 

 

La clarification du rapport est déposée par les avocats de M. Mahjoub.

 

 

22 août 2005

 

 

 

La Cour modifie le résumé public le plus récent afin d’y ajouter d’autres éléments.

 

 

25 novembre 2005

 

 

 

La demande de mise en liberté de M. Mahjoub est rejetée par la juge Dawson.

 

 

3 janvier 2006

 

 

 

La représentante du ministre rend sa décision et prononce ses motifs pour lesquels M. Mahjoub constitue un danger pour la sécurité du Canada ou la sécurité d’autrui et ne serait pas exposé à un risque sérieux d’être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Égypte. Elle recommande son renvoi en Égypte.

 

 

6 janvier 2006

 

 

 

 

M. Mahjoub présente une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision du ministre.

 

 

26 septembre 2006

 

 

 

Avis de requête (aucune date d’audience) déposé pour le compte du demandeur, Mohamed Zeki Mahjoub, afin que sa mise en liberté soit ordonnée en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR. Le 3 novembre 2006, ce document est mis à jour et l’audience est fixée au 4 décembre 2006.

 

 

15 et 16 novembre 2006

 

 

 

La demande de contrôle judiciaire visant la décision de la représentante du ministre est instruite par la juge Tremblay‑Lamer, qui décide de reporter sa décision.

 

 

28 novembre 2006

 

 

 

Une audience ex parte a lieu devant le juge Mosley relativement au contrôle de la détention de M. Mahjoub. La Cour a approuvé le résumé proposé.

 

 

29 novembre 2006

 

 

 

Le juge Mosley ordonne que M. Mahjoub soit accompagné par un superviseur de détention pour se rendre à la salle audiovisuelle du CSIK pour la portion publique du contrôle de sa détention et pour en revenir, et que le superviseur ne soit pas présent dans la salle de vidéoconférence pendant son témoignage.

 

 

30 novembre 2006

 

 

 

Un résumé des renseignements confidentiels relatifs à la demande de mise en liberté présentée par M. Mahjoub en application de l’article 84 de la LIPR est communiqué.

 

 

4 décembre 2006

 

 

 

La portion publique de l’instance en contrôle de la détention a lieu devant le juge Mosley pendant sept jours. La décision est reportée.

 

 

14 décembre 2006

 

 

 

La juge Tremblay-Lamer accueille la demande de contrôle judiciaire visant la décision de la représentante du ministre qui avait été présentée par M. Mahjoub.

 

 

15 décembre 2006

 

 

 

La Cour accepte de prendre connaissance d’observations écrites supplémentaires vu la décision de la juge Tremblay‑Lamer. Des lettres des avocats des parties sont reçues et examinées.

 

 

21 décembre 2006

 

 

 

Une autre audience ex parte a lieu devant le juge Mosley relativement à la demande de contrôle de la détention de M. Mahjoub.

 

 

16 janvier 2007

 

 

 

Des renseignements supplémentaires concernant la demande de mise en liberté présentée par M. Mahjoub en vertu de l’article 84 de la LIPR sont reçus dans une lettre émanant d’André Seguin du ministère de la Justice.

 

 

 

 


Annexe B

 

Conditions de mise en liberté

 

 

 

1.

 

M. Mahjoub sera mis en liberté à condition qu’il signe un document, devant être rédigé par ses avocats et approuvé par les avocats des ministres, dans lequel il accepte de se conformer strictement à chacune des conditions qui suivent.

 

 

2.

 

Avant d’être mis en liberté, M. Mahjoub sera muni d’un dispositif de télésurveillance, selon les dispositions que pourra prendre l’ASFC, ainsi que d’un appareil de repérage qu’il devra porter en tout temps par la suite et ne pas modifier. Lorsque le dispositif de télésurveillance devra être retiré pour des raisons médicales essentielles et à la demande d’un médecin qualifié, l’ASFC en sera avisée au préalable et prendra les dispositions nécessaires à cette fin ainsi que les mesures de surveillance de M. Mahjoub pendant que le dispositif est retiré pour des traitements médicaux. M. Mahjoub devra également, avant d’être mis en liberté, faire installer à ses frais dans la résidence indiquée plus loin une ligne téléphonique traditionnelle distincte répondant aux exigences de l’ASFC afin de rendre possible une surveillance électronique efficace. M. Mahjoub devra consentir à la désactivation de tout service ou fonction de cette ligne téléphonique qui pourrait être requise.

 

 

3.

 

Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, l’ASFC devra installer l’équipement nécessaire, le mettre à l’essai et faire ensuite savoir à la Cour si elle estime que l’équipement fonctionne correctement et que tout le nécessaire a été fait pour assurer la surveillance électronique.

 

 

4.

 

Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, la somme de 32 500 $ devra être versée à la Cour conformément à l’article 149 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, par les personnes suivantes :

 

 

 

Mona El Fouli

10 000 $

Omar Ahmed Ali

15 000 $

Rizwan Wancho

2 500 $

John Valleau

5 000 $

 

 

 

5.

 

Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, les personnes mentionnées ci‑dessous devront signer un cautionnement de bonne exécution selon lequel elles reconnaissent être liées envers Sa Majesté du chef du Canada quant aux montants précisés ci‑dessous. Chaque cautionnement de bonne exécution sera assorti de la condition suivante : si M. Mahjoub enfreint l’une des conditions prévues dans l’ordonnance de mise en liberté, laquelle pourrait être modifiée, les sommes garanties par les cautionnements seront confisquées au profit de Sa Majesté. Les conditions des cautionnements de bonne exécution, qui devront être conformes à celles des garanties visées à l’article 56 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), seront communiquées par les avocats des ministres aux avocats de M. Mahjoub. Chaque caution devra reconnaître par écrit avoir lu les conditions prévues dans la présente ordonnance et déclarer explicitement avoir compris la présente condition.

 

i)

ii)

iii)

iv)

v)

vi)

vii)

viii)

ix)

 

El Sayed Ahmed

5 000 $

Murray Lumley

5 000 $

Maggie Panter

10 000 $

Elizabeth Block

1 000 $

Laurel Smith

10 000 $

Dwyer Sullivan

20 000 $

Elizabeth O’Connor

1 000 $

Patricia Taylor

1 000 $

John Valleau

5 000 $

 

6.

 

Au moment de sa mise en liberté, M. Mahjoub sera conduit par la GRC (ou un autre organisme dont l’ASFC et la GRC pourront convenir) au _______________, dans la ville de Toronto, en Ontario (la résidence), où il habitera par la suite avec Mona El Fouli, son épouse, Haney El Fouli, son beau‑fils, et Ibrahim et Yusuf, ses fils. Afin que soit protégée la vie privée de ces personnes, l’adresse de la résidence ne figurera pas dans le dossier public de la présente instance. M. Mahjoub devra demeurer dans cette résidence en tout temps, sauf s’il y a urgence médicale ou dans les cas prévus par la présente ordonnance. M. Mahjoub ne devra pas rester seul dans la résidence : en tout temps, Mona El Fouli, Haney El Fouli, El Sayed Ahmed ou une autre personne approuvée par la Cour devra également s’y trouver. Le terme « résidence » utilisé dans les présents motifs vise uniquement la maison d’habitation, à l’exclusion de tout espace extérieur qui y est associé.

 

 

7.

 

M. Mahjoub pourra sortir de la résidence entre 8 h et 21 h, mais il devra demeurer alors dans les limites de tout espace extérieur qui y est associé (c’est‑à‑dire la cour). Il devra alors être accompagné en tout temps de Mona El Fouli, d’Haney El Fouli ou d’El Sayed Ahmed. Dans la cour, M. Mahjoub ne pourra rencontrer que les personnes mentionnées au paragraphe 9 ci‑dessous.

 

 

8.

 

M. Mahjoub pourra, entre 8 h et 21 h :

 

i)          avec l’autorisation préalable de l’ASFC, quitter la résidence trois fois par semaine pour une durée maximale de 4 heures par absence. L’autorisation devra être demandée au moins 48 heures à l’avance et l’endroit ou les endroits où M. Mahjoub désire se rendre ainsi que l’heure de son départ et de son retour à la résidence devront être précisés. Si une telle absence est autorisée, M. Mahjoub devra signaler son départ avant de quitter la résidence et signaler son retour sans délai, conformément aux instructions plus précises que lui donnera un représentant de l’ASFC. L’ASFC peut également examiner des demandes spéciales présentées par M. Mahjoub pour faire des sorties en famille d’une durée de plus de quatre heures. Ces demandes devront toutefois être faites au moins une semaine à l’avance;

ii)         quitter la résidence les jours d’école entre 8 h et 9 h 15 et entre 15 h et 16 h 30 en compagnie de Mona El Fouli ou d’Haney El Fouli pour reconduire ses fils Ibrahim et Yusuf à l’école le matin et les ramener à la résidence après l’école. L’adresse de l’école ou des écoles devra être communiquée par M. Mahjoub à l’ASFC avant sa mise en liberté. Si les enfants doivent quitter l’école pour une raison imprévue mais légitime à d’autres moments de la journée, M. Mahjoub pourra aller les chercher avec Mona El Fouli ou Haney El Fouli, pourvu que l’ASFC soit avisée de la situation avant qu’il quitte la résidence et soit avisée de son retour;

iii)         en avisant au préalable l’ASFC, quitter la résidence au besoin et pour la durée nécessaire pour des rendez‑vous médicaux ou psychologiques et des examens, des traitements ou des interventions connexes. Le préavis devra être donné au moins 48 heures avant l’absence prévue et préciser l’endroit ou les endroits où M. Mahjoub doit se rendre ainsi que l’heure de son départ et l’heure prévue de son retour à la résidence. M. Mahjoub devra signaler son départ avant de quitter la résidence et signaler son retour sans délai, conformément aux instructions plus précises que lui donnera un représentant de l’ASFC. L’ASFC devra être avisée dès que possible, par M. Mahjoub, Mona El Fouli ou Haney El Fouli, de toute urgence médicale exigeant l’hospitalisation de M. Mahjoub, ainsi que de l’endroit où M. Mahjoub aura été transporté. Elle devra aussi être avisée sans délai de son retour à la résidence;

iv)        si Ibrahim ou Yusuf doivent être transportés d’urgence à l’hôpital et que personne n’est disponible pour surveiller M. Mahjoub dans la résidence, ce dernier est autorisé à aller à l’hôpital avec Mona El Fouli ou Haney El Fouli, peu importe à quel moment l’incident survient, jusqu’à ce qu’une autre personne puisse le surveiller. M. Mahjoub avisera dès que possible l’ASFC de la situation, ainsi que de son retour à la résidence.

 

Lors de toutes les absences autorisées, M. Mahjoub devra en tout temps porter sur lui l’appareil de repérage permettant la surveillance électronique et être accompagné de Mona El Fouli, d’Haney El Fouli ou d’El Sayed Ahmed, lesquels auront la responsabilité de le surveiller et de s’assurer qu’il se conforme parfaitement à toutes les conditions de la présente ordonnance, ce qui obligera ces personnes à rester constamment auprès de lui pendant qu’il sera à l’extérieur de la résidence, sauf pendant les consultations avec ses médecins ou les examens, les traitements ou les thérapies. Dans ces cas, Mona El Fouli, Haney El Fouli ou El Sayed Ahmed resteront aussi près que possible de la pièce dans laquelle les consultations, traitements ou thérapies se déroulent. Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, Mona El Fouli, Haney El Fouli et El Sayed Ahmed devront signer un document dans lequel ils reconnaissent prendre cet engagement, et notamment l’obligation de signaler sans délai à l’ASFC tout manquement à une condition de la présente ordonnance. Les avocats de M. Mahjoub devront rédiger ce document, qui sera soumis pour approbation aux avocats des ministres.

 

 

 

9.

 

Seules les personnes suivantes sont autorisées à entrer dans la résidence :

 

 

a)

Mona, Haney, Ibrahim et Yusuf El Fouli;

b)

les autres personnes mentionnées au paragraphe 5 ci‑dessus;

c)

les avocats de M. Mahjoub, Barbara Jackman et John Norris;

d)

en cas d’urgence, des pompiers, des policiers et des professionnels de la santé;

e)

les amis âgés de moins de 15 ans d’Ibrahim et de Yusuf, les fils de M. Mahjoub;

f)

le gérant de l’immeuble et les personnes autorisées et qualifiées qu’il emploie pour effectuer les réparations;

e)

toute personne autorisée à l’avance par l’ASFC. Pour obtenir une telle autorisation, le nom, l’adresse et la date de naissance de l’intéressé doivent être communiqués à l’ASFC. Une fois autorisé, l’intéressé n’aura pas à demander une autre autorisation pour les visites ultérieures. L’ASFC peut toutefois retirer son autorisation en tout temps.

 

 

Les personnes mentionnées ci‑dessus, qui sont autorisées à entrer dans la résidence, ne peuvent apporter avec elles aucun dispositif électronique sans fil ou pouvant être relié à Internet ou à un téléphone cellulaire.

 

 

 

 

10.

 

Lorsque M. Mahjoub quittera la résidence avec l’autorisation de l’ASFC en conformité avec l’article 8, il ne devra pas :

 

 

i)

sortir du secteur délimité par les rues ou les points de repère géographiques dont auront convenu tous les avocats avant sa mise en liberté, ces limites devant être précisées dans une ordonnance ultérieure de la Cour;

ii)

se rendre à un aéroport, une gare, un terminus d’autobus ou une agence de location de véhicules, ni monter à bord d’un bateau ou d’un navire;

iii)

rencontrer des personnes avec lesquelles il aurait pris rendez‑vous, à l’exception :

a)

     de Barbara Jackman ou de John Norris;

b)

     de toute personne autorisée au préalable par l’ASFC; pour obtenir cette autorisation, le nom, l’adresse et la date de naissance de l’intéressé devront être communiqués à l’ASFC;

iv)

aller ailleurs que dans les endroits autorisés conformément au paragraphe 8 ci‑dessus, pendant les heures autorisées.

 

 

11.

 

M. Mahjoub ne devra en aucun temps ou d’aucune manière s’associer ou communiquer directement ou indirectement avec :

 

 

 

i)

des personnes qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, soutiennent le terrorisme ou le Jihad violent ou qui se sont trouvées dans un camp d’entraînement ou dans une maison d’accueil exploitée par une entité qui soutient le terrorisme ou le Jihad violent;

 

ii)

des personnes qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, ont un casier judiciaire, à l’exception de Matthew Behrens;

 

iii)

les personnes que la Cour pourrait éventuellement désigner dans une ordonnance modifiant la présente ordonnance.

 

 

 

12.

 

 

Sous réserve de ce qui est prévu aux présentes, M. Mahjoub ne devra pas, directement ou indirectement, posséder, avoir à sa disposition ou utiliser un poste de radio ou un dispositif radio ayant une capacité de transmission, de l’équipement de communication ou du matériel permettant la connexion à Internet, ou une composante d’un tel équipement, notamment un téléphone cellulaire, un ordinateur muni d’un modem ou permettant l’accès à Internet, ou une composante d’un tel ordinateur, un téléavertisseur, un télécopieur, un téléphone public, un téléphone à l’extérieur de la résidence, une installation Internet ou un appareil portatif comme un BlackBerry. La connexion Internet des ordinateurs utilisés par le beau‑fils et les deux fils de M. Mahjoub devra être gardée dans une partie fermée à clé de la résidence à laquelle M. Mahjoub n’a pas accès. Chaque ordinateur dans la résidence devra être muni d’un mot de passe qui ne sera pas divulgué à M. Mahjoub et à ses fils, Ibrahim et Yusuf. Mona El Fouli et Haney El Fouli devront conserver avec eux en tout temps leur téléphone cellulaire et veiller à ce que M. Mahjoub n’y ait pas accès. M. Mahjoub pourra utiliser une ligne téléphonique traditionnelle se trouvant dans la résidence (la ligne téléphonique) autre que la ligne téléphonique traditionnelle distincte mentionnée au paragraphe 2 ci‑dessus à la condition suivante : avant sa mise en liberté, lui et l’abonné à ce service téléphonique devront consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, de toutes les communications acheminées par ce service, notamment à ce que l’ASFC intercepte les communications orales et obtienne les relevés des communications effectuées à l’aide de ce service. La formule de consentement sera préparée par les avocats des ministres.

 

 

13.

 

Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, celui‑ci et toutes les personnes habitant dans la résidence devront consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, des communications écrites à destination ou en provenance de la résidence qui sont transmises par la poste, par messagerie ou par un autre moyen. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de donner un tel consentement. La formule de consentement sera préparée par les avocats des ministres.

 

 

14.

 

M. Mahjoub devra permettre aux employés de l’ASFC, à toute personne désignée par l’ASFC et à tout agent de la paix d’entrer dans la résidence en tout temps (après identification) pour vérifier s’il s’y trouve ou s’assurer que lui ou une autre personne se conforment aux conditions de la présente ordonnance. Il est entendu que M. Mahjoub devra permettre à ces personnes de fouiller la résidence, d’en retirer tout objet suspect ou d’y installer ou conserver le matériel requis par le dispositif de télésurveillance ou la ligne téléphonique traditionnelle distincte mentionnés au paragraphe 2 ci‑dessus. Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, tous les autres occupants de la résidence devront signer un document, dans une forme acceptable par les avocats des ministres, dans lequel ils acceptent de respecter cette condition. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de respecter cette condition.

 

 

 

15.

 

 

 

Avant sa mise en liberté, M. Mahjoub et les cautions chargées de sa surveillance consentiront par écrit à être interrogés, au besoin, par l’ASFC ou pour son compte, séparément ou ensemble, afin de vérifier si M. Mahjoub ou d’autres personnes respectent les conditions de la présente ordonnance. La Cour pourra aussi demander à Mona El Fouli, à Haney El Fouli ou à El Syed Ahmed de lui faire un rapport périodique sur l’efficacité des conditions.

 

 

16.

 

Avant sa mise en liberté, M. Mahjoub devra remettre son passeport et tout document de voyage, le cas échéant, à un représentant de l’ASFC. Il sera interdit à M. Mahjoub, à moins d’autorisation préalable de l’ASFC, de demander, d’obtenir ou de posséder un passeport ou des documents de voyage, des billets d’autobus, de train ou d’avion ou tout autre document lui permettant de voyager. M. Mahjoub pourra néanmoins utiliser les services de transport en commun par autobus de la ville de Toronto, y compris le traversier des îles de Toronto, ou de la ville de Mississauga, en conformité avec le paragraphe 8 ci‑dessus.

 

 

17.

 

Si son renvoi du Canada est ordonné, M. Mahjoub devra se présenter en conséquence aux autorités aux fins de son renvoi. Il devra également se présenter devant la Cour lorsque celle‑ci l’exigera.

 

 

18.

 

M. Mahjoub ne pourra pas posséder une arme, une imitation d’arme, des substances nocives ou des explosifs, ou des composantes de ceux‑ci.

 

 

19.

 

M. Mahjoub devra avoir une bonne conduite et ne pas troubler l’ordre public.

 

 

20.

 

Tout agent de l’ASFC ou agent de la paix, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une condition de la présente ordonnance n’a pas été respectée, pourra procéder à l’arrestation sans mandat de M. Mahjoub et le placer en détention. Dans les 48 heures qui suivent, un juge de la Cour, désigné par le juge en chef, devra décider s’il y a eu manquement à une condition de la présente ordonnance, si les conditions de la présente ordonnance devraient être modifiées et si M. Mahjoub devrait être placé sous garde.

 

 

21.

 

Si M. Mahjoub ne respecte pas scrupuleusement toutes les conditions de la présente ordonnance, il pourra être détenu sur nouvelle ordonnance de la Cour.

 

 

22.

 

M. Mahjoub ne peut changer le lieu de sa résidence sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Cour. Nul ne peut occuper la résidence sans l’autorisation de l’ASFC.

 

 

23.

 

Tout manquement à la présente ordonnance constitue une infraction au sens de l’article 127 du Code criminel ainsi qu’une infraction visée à l’alinéa 124(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

24.

 

La Cour peut modifier les conditions de la présente ordonnance en tout temps sur demande d’une partie ou d’office en en avisant les parties. La Cour examinera les conditions de la présente ordonnance : i) lorsque le représentant du ministre décidera si M. Mahjoub peut être renvoyé du Canada ou ii) quatre mois après la date de la présente ordonnance, selon la première des deux éventualités. La Cour décidera ensuite à quels moments les conditions de la présente ordonnance devront être examinées.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        DES‑1‑00

 

INTITULÉ :                                                       MOHAMED ZEKI MAHJOUB

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION et

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               DU 4 AU 13 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 15 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman                                                 POUR LE DEMANDEUR

John Norris

 

Donald A. MacIntosh                                           POUR LES DÉFENDEURS

Daniel Roussy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John Norris

Avocat

Ruby and Edwardh

Toronto (Ontario)

 

John. H. Sims, c.r.                                                POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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