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Date : 20070131

Dossier : IMM-343-07

Référence : 2007 CF 100

Montréal (Québec), le 31 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

NADIATH RADJI

LEYLA APITHY

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l'agente qu'elle décide si l'intérêt supérieur de l'enfant milite en faveur du non-renvoi -- c'est un fait qu'on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l'agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi du parent. (Non souligné dans l’original.)

 

Il s’agit d’une citation du juge Robert Décary dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1687, pages 562 à 563 (C.A.) (QL), reprise par les demanderesses.

 

[traduction]

[2]               Aux fins du sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, le critère du préjudice irréparable est un critère très rigoureux. Le préjudice irréparable est très grave. La preuve de l'existence d'un préjudice irréparable doit être claire et dépasser les conjectures; la Cour doit être persuadée que, si le redressement n'est pas accordé, il en résultera un préjudice irréparable. En l’espèce, les troubles médicaux du demandeur ne l’empêchent pas de voyager en avion ou autrement. Il n’existe pas de preuve que le traitement des troubles médicaux du demandeur, constitué de séances de réadaptation, de massothérapie, d’acupuncture, d’acupressure et de myothérapie ainsi que d’une nouvelle évaluation, ne lui est pas accessible aux États-Unis ou, quant à cela, en Lettonie. (Non souligné dans l’original.)

 

 

La Cour a tenu ces propos en 2004 au sujet de la situation médicale du demandeur, dans l’affaire German Suels c. Solicitor General of Canada, dans laquelle elle a rendu une ordonnance (IMM-6418-04, le 26 juillet 2004).

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[3]               Par la présentation d’un avis de requête daté du 24 janvier 2007, les demanderesses cherchent à obtenir un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi aux États-Unis prévue le 1er février 2007.

 

[4]               Les demanderesses veulent obtenir un sursis jusqu’à ce que la Cour ait statué sur leur demande d’autorisation, déposée le 24 janvier 2007. La demande sous-jacente à la présente requête conteste la décision de l’agente chargée des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (l’agente CH), rendue le 14 décembre 2006 et communiquée aux demanderesses le 9 janvier 2006, dans laquelle elle rejetait la demande de résidence permanente des demanderesses fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). 

 

CONTEXTE

[5]               La demanderesse principale, Mme Nadiath Radji, citoyenne du Bénin, et sa fille âgée de quatre ans, Leyla Apithy, citoyenne des États-Unis, sont arrivées au Canada le 6 janvier 2004 et ont fait une demande d’asile le même jour.

 

[6]               Le 7 octobre 2004, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse principale. La Commission a conclu que le récit de la demanderesse principale manquait de crédibilité. Elle a noté en particulier que le comportement de la demanderesse principale, qui est retournée dans son pays à plusieurs reprises, et son défaut de demander l’asile en France et aux États-Unis étaient incompatibles avec sa crainte subjective alléguée de persécution dans son pays d’origine.

 

[7]               Le 2 février 2005, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse relativement au rejet de sa demande d’asile par la Commission.

 

[8]               Le 14 décembre 2006, l’agente CH a rendu une décision défavorable à l’égard de la demande CH des demanderesses. La demanderesse a été avisée de cette décision et de la date de son départ le 9 janvier 2007.

 

QUESTION EN LITIGE

[9]               Les demanderesses ont-elles prouvé que la présente requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de leur renvoi satisfait aux trois volets du triple critère établi par la Cour pour statuer qu’un sursis doit être accordé?  

 

ANALYSE

[10]           Pour que leur demande de sursis soit accueillie, les demanderesses doivent démontrer qu’elles satisfont aux trois volets du triple critère établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL). Elles doivent prouver : (1) que leur requête soulève une question sérieuse à trancher; (2) qu’elles subiront un préjudice irréparable si la mesure de renvoi est exécutée; (3) que la prépondérance des inconvénients penche en leur faveur plutôt qu’en faveur du ministre.

 

LA QUESTION SÉriEuse

[11]           La Cour a statué qu’une ordonnance de sursis aurait effectivement pour effet d’accorder le redressement recherché dans la demande sous-jacente; par conséquent, la demande doit être fondée sur une base juridique suffisamment solide et non simplement sur une question sérieuse à trancher. Les demanderesses doivent donc démontrer qu’elles ont de bonnes chances de succès dans leur demande sous-jacente de contrôle judiciaire. (Barrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 779 (C.F. 1re inst.), [2003] A.C.F. no 1007 (QL), paragraphe 6; John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 365 (C.F. 1re inst.), [2002] A.C.F. no 466 (QL), paragraphe 7.)

 

[12]           Les demanderesses n’ont pas démontré, au moyen de leurs arguments, que la demande sous-jacente de contrôle judiciaire de la décision en matière de considérations d’ordre humanitaire (la décision CH) pourrait être accueillie.

 

[13]           Pour l’essentiel, les demanderesses font valoir que l’agente CH a commis une erreur en concluant qu’elles ne subiraient pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elles devaient présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

L’agente CH a bien évalué l’intérêt supérieur de l’enfant

[14]           Les demanderesses font valoir que l’agente CH a commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise norme dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant. (Dossier des demanderesses, page 101, paragraphes 41 à 69.)

 

[15]           Quoiqu’un agent d’immigration doive toujours considérer l’intérêt supérieur de l’enfant en étant « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » lorsqu’il prend la décision CH, les tribunaux ont établi clairement que cela ne signifie certes pas que la présence de l’enfant constitue un facteur déterminant pour trancher la demande ou que l’intérêt supérieur de l’enfant l’emporte toujours sur les autres facteurs. Si l’agent d’immigration examine et soupèse l’intérêt de l’enfant et ne minimise pas son intérêt supérieur « d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre », ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé à ce facteur par l’agent d’immigration. (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457 (QL), paragraphes 11 à 13 et 29; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphes 63 et 75.)

 

[16]           La question de savoir si un agent d’immigration a accordé suffisamment de poids à l’intérêt supérieur de l’enfant est tranchée au cas par cas. En l’espèce, les demanderesses n’ont pas démontré que la décision de l’agente CH était déraisonnable. L’évaluation faite par l’agente à cet égard démontre que celle-ci a été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure, mais qu’au bout du compte, cela n’était pas suffisant pour justifier une dispense de l’application des exigences normales de la LIPR dans le cadre de la demande CH présentée par les demanderesses.

 

[17]           Dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse principale, l’agente a formulé les observations suivantes :

·        La demanderesse mineure est une citoyenne des États-Unis et a actuellement presque 5 ans. Elle est arrivée au Canada à l’âge de 2 ans et 10 mois.

·        Elle a vécu au Bénin, le pays d’origine de sa mère, de l’âge de 3 mois à l’âge de 16 mois.

·        Elle a également visité la France pendant une brève période et a vécu aux États-Unis.

·        Elle a déjà voyagé et rien n’indique qu’elle était incapable de s’adapter aux divers endroits où elle a vécu.

·        Son père ne participe pas à son éducation.

·        En sa qualité d’enfant d’une citoyenne du Bénin, elle possède un droit à la citoyenneté dans ce pays.

·        Elle s’est très bien adaptée à son environnement au Canada.

·        Elle n’a pas encore l’âge de fréquenter l’école.

·        Les possibilités d’étudier qui s’offrent aux filles s’améliorent au Bénin.

·        La demanderesse principale est bien éduquée; elle a fait ses études au Bénin et en Côte d’Ivoire.

·        La demanderesse principale a démontré qu’elle est prête à faire tout en son pouvoir pour veiller à ce que sa fille obtienne les meilleurs services et reçoive les meilleurs soins possibles.

(Décision CH et motifs, dossier des demanderesses, pages 4 à 10.)

[18]           Après avoir étudié avec soin l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, l’agente CH a conclu que le renvoi des demanderesses du Canada afin qu’elles présentent une demande de résidence permanente depuis l’étranger ne porterait pas préjudice au développement ou au bien-être émotionnel de l’enfant. 

 

[19]           Comme l’a déclaré le juge Décary dans l’arrêt Hawthorne, précité, arrêt que les demanderesses elles-mêmes ont cité :

Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l'agente qu'elle décide si l'intérêt supérieur de l'enfant milite en faveur du non-renvoi -- c'est un fait qu'on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l'agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi du parent. (Non souligné dans l’original.)

 

 

[20]           Il incombait à la demanderesse principale de soumettre à l’agente tous les facteurs précis qu’elle souhaitait voir celle-ci prendre en considération dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agente n’est pas tenue de demander d’autres renseignements.

 

[21]           Les demanderesses n’ont pas prouvé que l’agente CH n’était pas réceptive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[22]           Par conséquent, on ne peut conclure que l’agente CH a commis une erreur de droit dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

L’agente CH a bien évalué le degré d’établissement des demanderesses

[23]           Les demanderesses font valoir que l’agente a commis une erreur en omettant de bien évaluer leur demande CH à la lumière de leur degré d’établissement au Canada.

 

[24]           La décision de l’agente CH démontre clairement qu’elle a expressément pris en compte le critère pertinent afin de déterminer si les circonstances d’ordre humanitaire étaient suffisantes pour justifier l’octroi d’une dispense.

 

[25]           Par exemple, l’agente a tenu compte de l’emploi de la demanderesse principale, de ses compétences linguistiques, de ses efforts de perfectionnement, de ses liens familiaux, de son implication au sein de la collectivité et de son bénévolat. (Décision CH, dossier de la demanderesse, pages 9 et 10.)

 

[26]           Les efforts déployés par la demanderesse pour s’intégrer à la société canadienne constituaient un facteur militant en sa faveur. Cependant, le degré d’établissement ne constitue qu’un élément parmi plusieurs autres qui devaient être soupesés et pris en compte par l’agente CH.

 

 

[27]           Les demanderesses n’ont pas démontré que leur degré d’établissement dépassait celui qu’on peut habituellement attendre de personnes qui ont vécu dans ce pays pendant deux ans. Elles n’ont pas démontré que leur départ du Canada leur occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives par rapport à leur situation actuelle au Canada.

 

[28]           L’agente CH a donc décidé que ce facteur ne constituait pas, en soi, un motif suffisant pour justifier l’octroi d’une dispense de l’exigence de demander un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.

 

[29]           Les demanderesses n’ont pas démontré que l’agente CH a commis une erreur dans son évaluation de ce facteur.

 

L’incompétence alléguée de l’ancien avocat

[30]           De sérieuses allégations ont été formulées dans le mémoire des demanderesses quant à la compétence de leur ancien avocat pour le dépôt de leur demande CH.

 

[31]           Ces allégations ne sont pas à prendre à la légère, car elles ont des répercussions sur la réputation professionnelle de la personne en question.

 

[32]           Le critère utilisé pour établir l’incompétence d’un avocat est très élevé. Il faut démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été les erreurs commises par l’avocat par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente. (Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, [2006] A.C.F. no 789 (QL), paragraphe 9, citant Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509, [2005] A.C.F. no 1864 (QL).)

 

[33]           Que les allégations soient fondées ou non, la demanderesse principale est néanmoins responsable des observations formulées en son nom.

 

[34]           La demanderesse principale soutient que son avocat lui a fait signer une copie vierge de la formule de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. (Affidavit de la demanderesse principale, observations des demanderesses, page 13, paragraphe 22.)

 

[35]           Il est évident que, en tant que femme instruite ayant eu l’expérience de remplir des formules dans le contexte de sa demande d’asile, la demanderesse principale doit assumer la responsabilité de sa propre négligence si elle signe un document vierge sans en connaître le contenu. (Yilmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1498, [2003] A.C.F. no 1970 (QL), paragraphe 34.)

 

[36]           En outre, les conclusions de l’agente CH concernant l’absence de risque d’excision pour la fille de la demanderesse ne constituent pas l’élément déterminant de sa décision. Elles ne représentent qu’un élément parmi plusieurs autres qui ont été pris en compte par l’agente pour rendre la décision défavorable.

 

[37]           Les demanderesses ne peuvent donc pas invoquer les prétendues erreurs commises par leur ancien avocat pour établir l’existence d’une question sérieuse à trancher quant à la décision CH.

 

[38]           Compte tenu du fait que la demanderesse n’a pas établi l’un des trois éléments du critère de l’arrêt Toth, soit l’existence d’une question sérieuse à trancher, la présente requête pourrait être rejetée en raison de ce seul point. Néanmoins, l’analyse se poursuit aux fins de l’étude de l’affaire dans son ensemble.

 

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[39]           Aux fins du sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, le « préjudice irréparable » est un critère très rigoureux. Il suppose la probabilité sérieuse que la vie ou la sécurité des demanderesses est menacée. Il doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion. (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (C.F. 1re inst.), paragraphes 20 et 21.)

 

[40]           Les demanderesses doivent étayer leur requête d’éléments de preuve clairs et convaincants établissant un préjudice irréparable. La preuve concernant le préjudice irréparable doit dépasser les conjectures et être crédible et il doit y avoir un haut degré de probabilité que le préjudice se concrétisera. Comme l’a affirmé la Cour dans la décision Ramratran c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 377, [2006] A.C.F. no  472 (QL) :

[21]      Étant donné qu'il est statué sur un sursis d'exécution ou une injonction interlocutoire avant que soient décidés les points soulevés dans la procédure de contrôle judiciaire, la preuve de l'existence d'un préjudice irréparable doit être claire et dépasser les conjectures; la Cour doit être persuadée que, si le redressement demandé n'est pas accordé, il en résultera un préjudice irréparable. En l'espèce, il n'a pas été prouvé, par des éléments précis autres que des conjectures, que le simple fait de l'expulsion du demandeur causera à quiconque un préjudice irréparable. (dossier du demandeur, affidavit du demandeur, pages 7 à 10; John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n° 915 (C.F. 1re inst.) (QL); Wade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n° 579, paragraphes 3 et 4) (Non souligné dans l’original.)

 

 

[41]           Le préjudice irréparable doit être évalué en fonction du pays vers lequel le ministre se propose de renvoyer une personne.

 

[42]           Il n’y a pas de préjudice irréparable en l’espèce, car les demanderesses sont renvoyées aux États-Unis.

 

[43]           L’affidavit de la demanderesse principale ne fait pas mention du préjudice qu’elle-même ou sa fille pourraient subir si elles étaient renvoyées aux États-Unis.

 

[44]           Le préjudice irréparable allégué par les demanderesses est que l’enfant mineure subira un préjudice important et des difficultés considérables si elle est renvoyée du Canada, parce que son intérêt supérieur n’a pas été adéquatement considéré. Compte tenu du fait que l’exposé circonstancié de la décision de l’agente CH établit clairement qu’elle était « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant mineure, cet argument n’est pas fondé. (Décision CH, dossier des demanderesses, pages 8 et 9.)

 

[45]           En ce qui concerne la prétention selon laquelle l’enfant ne recevra pas au Bénin le genre d’éducation à laquelle elle aurait eu accès au Canada, aucun préjudice irréparable n’a été prouvé à cet égard par les demanderesses.

 

[46]           Premièrement, les demanderesses sont renvoyées aux États-Unis, soit le pays de citoyenneté de la demanderesse mineure. Rien ne prouve que l’enfant subirait quelque préjudice que ce soit quant à ses études dans ce pays, compte tenu du fait, en particulier, qu’elle n’est pas encore d’âge scolaire.

 

[47]           Deuxièmement, l’agente CH a effectué une évaluation adéquate des répercussions scolaires que subirait la fille de la demanderesse principale au Bénin sur la foi des renseignements dont elle disposait.

 

[48]           Dans la décision Vasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 91, [2005] A.C.F. no 96 (QL), la Cour a tenu les propos suivants :

[43]      Eu égard aux circonstances de la présente affaire, rien ne permet d'affirmer que les enfants seraient exposés à des risques ou ne pourraient se rétablir avec succès au Mexique ou au Honduras. Le fait que les enfants puissent se trouver mieux au Canada, sur le plan du confort en général ou celui des possibilités futures, ne saurait, à mon avis, être concluant dans une décision en matière de motifs d'ordre humanitaire qui a pour objet de voir s'il y a des difficultés excessives. (Non souligné dans l’original.)

 

 

[49]           En ce qui concerne la lettre des médecins de la demanderesse principale datée du 23 janvier 2007 (observations de la demanderesse, page 94), dans laquelle ils expriment leur inquiétude au sujet de son niveau d’anxiété et de son état psychologique fragile face à l’expulsion, il est fait renvoi aux propositions de la Cour dans la décision Wade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1995) 29 Imm. L.R. (2d) 163, dans laquelle le juge Marshall Rothstein affirmait :

[2]        En ce qui concerne cependant la question du préjudice irréparable, j'ai examiné l'évaluation de la psychologue et je remarque qu'elle souligne que la requérante est dépressive. Bien que je ne connaisse pas toutes les causes de sa dépression, il semble que celle-ci est en partie liée à son statut relatif à l'immigration. La question relative à ce statut ne sera cependant pas tranchée dans le cadre des présentes procédures. Que le sursis soit accordé ou non, la requérante doit obtenir une autorisation; […] Cela prendra du temps, et la question du statut de la requérante ne sera pas réglée avant que la présente affaire ne soit plus tard définitivement tranchée. Je ne suis pas convaincu que l'octroi d'un sursis d'exécution dissipera les inquiétudes de la requérante. (Non souligné dans l’original.)

 

[50]           De plus, la Cour a également statué que les problèmes personnels ne constituent pas en soi un préjudice irréparable :

[7]        Le requérant connaîtrait certainement des inconvénients et des difficultés personnels sérieux s'il était expulsé.  Il y aurait perte de chances de faire des études et il retournerait en Inde où il n'aurait plus de liens familiaux proches ni de perspectives économiques. Toutefois la jurisprudence de cette cour, comme le montre la décision rendue par mon collègue le juge MacKay dans l'affaire Kerrutt v. M.E.I., (1992) 53 F.T.R. 93, établit que les difficultés personnelles ne constituent pas un préjudice irréparable, aussi sérieuses qu'elles peuvent être pour le requérant. Il ne sera pas refoulé vers un pays où sa sécurité ou sa vie est en danger. Il n'existe aucune preuve que d'autres personnes sont à la charge du requérant.

 

(Chatterjee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n1102 (QL).)

 

 

[51]           Il convient de signaler que la preuve présentée à l’agente CH a établi que la demanderesse principale était dépressive et avait des tendances suicidaires à son arrivée au Canada. La preuve a également indiqué qu’elle a bénéficié des services psychologiques et sociaux qui lui étaient offerts au Canada et que son état s’était stabilisé au moment de sa demande. (Décision CH, observations de la demanderesse, pages 5 et 6.)

 

[52]           Les défendeurs font également observer qu’une lettre d’un médecin datée du 23 janvier 2007 indique que, à cette date, la demanderesse était encore capable d’exercer son emploi et de s’occuper de sa fille. (Observations de la demanderesse , page 94, paragraphe 3.)

 

[53]           Le fait que l’imminence de la date de départ de la demanderesse principale lui ait causé de l’angoisse ne suffit pas en soi à constituer un préjudice irréparable.

 

[54]           Aucune preuve n’a été soumise à la Cour concernant l’accès qu’aurait la demanderesse principale à des services psychologiques et sociaux aux États-Unis, pays où les demanderesses sont renvoyées.

 

[55]           Il incombe à la demanderesse principale de prouver qu’elle n’aurait pas accès aux États-Unis aux soins dont elle pourrait avoir besoin. La demanderesse ne s’est pas acquittée de cette obligation. Il n’y a aucun motif de croire qu’elle n’aurait pas accès à des services psychologiques et sociaux dans ce pays.

 

[56]           Dans la décision Suels, précitée, la Cour a tenu les propos suivants au sujet de la situation médicale du demandeur :

[traduction]

Aux fins du sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, le critère du préjudice irréparable est un critère très rigoureux. Le préjudice irréparable est très grave. La preuve de l'existence d'un préjudice irréparable doit être claire et dépasser les conjectures; la Cour doit être persuadée que, si le redressement n'est pas accordé, il en résultera un préjudice irréparable. En l’espèce, les troubles médicaux du demandeur ne l’empêchent pas de voyager en avion ou autrement. Il n’existe pas de preuve que le traitement des troubles médicaux du demandeur, constitué de séances de réadaptation, de massothérapie, d’acupuncture, d’acupressure et de myothérapie ainsi que d’une nouvelle évaluation, ne lui est pas accessible aux États-Unis ou, quant à cela, en Lettonie. (Non souligné dans l’original.)

 

[57]           Les demanderesses n’ont pas présenté de preuve convaincante qu’il existe une probabilité sérieuse que leur vie ou leur sécurité serait menacée aux États-Unis.

 

[58]           Les prétentions de la demanderesse principale concernant les risques auxquels elle serait exposée au Bénin ont déjà été évaluées trois fois. La Commission a rejeté les demandes d’asile parce qu’elle a conclu que la demanderesse principale manquait de crédibilité. (Affidavit de Ketsia Dorceus, pièce « A ».) Les demanderesses ont également demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR), demande qui a été rejetée. (Affidavit de la demanderesse principale, dossier de la demanderesse, page 14, paragraphe 29.) Enfin, leurs allégations de risque de préjudice au Bénin ont été évaluées et rejetées par l’agente CH dans la décision CH. (Décision CH, dossier de la demanderesse, pages 5 à 8.)

 

[59]           Il convient de signaler que l’agente CH a examiné la preuve et a conclu que la demanderesse aurait accès à des services de santé mentale au Bénin. (Décision CH, dossier de la demanderesse, page 6, paragraphes 3 à 5.)

 

[60]           Compte tenu des arguments énoncés ci-dessus, les allégations des demanderesses sont manifestement insuffisantes pour prouver qu’elles subiraient un préjudice irréparable si elles étaient renvoyées aux États-Unis ou si elles devaient ultérieurement retourner au Bénin.

 

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS PENCHE EN FAVEUR DU MINISTRE

[61]           L’intérêt public veut que les mesures de renvoi soient exécutées de manière efficace, rapide et équitable et que l’on appuie les efforts des personnes responsables de leur exécution. Ce n’est que dans des cas exceptionnels que l’intérêt d’un individu l’emportera sur l’intérêt public.

 

[62]           La Cour a reconnu explicitement que le ministre a l’obligation d’exécuter les mesures de renvoi valides et qu’il est dans l’intérêt public d’exécuter rapidement de telles mesures. La Cour a exposé les considérations d’intérêt public qui sous-tendent l’évaluation qui doit être faite relativement à la prépondérance des inconvénients :

Cependant, d'après la prépondérance des inconvénients, il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout à fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeurer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé.

 

(Membreno-Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 535 (C.F. 1re inst.) (QL).)

 

[63]           Les demanderesses n’ont pas démontré dans la présente requête que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de leurs intérêts, c’est-à-dire que leurs intérêts l’emportent sur l’intérêt public. Les demanderesses sont au Canada depuis 2004. La demanderesse principale est une demandeure d’asile déboutée et elle a aussi fait l’objet d’un ERAR défavorable. Les demanderesses ont également reçu un avis défavorable pour ce qui est du risque dans le cadre de leur demande CH.

 

[64]           La Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli), [1992] 1 R.C.S. 711, déclaré ce qui suit :

Le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer.

 

 

[65]           Compte tenu des arguments exposés ci-dessus, la prépondérance des inconvénients penche nettement en faveur des défendeurs. La présente requête visant l’obtention d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi doit donc être rejetée.

 

CONCLUSION

[66]           Les demanderesses n’ont pas prouvé que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la non-application de la loi.

 

[67]           Pour les motifs énoncés précédemment, la requête des demanderesses visant l’obtention d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la requête des demanderesses visant l’obtention d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit rejetée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-343-07

 

INTITULÉ :                                       NADIATH RADJI

                                                            LEYLA APITHY

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE

                                                            LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION

                                                            CIVILE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jared Will

 

POUR LES DEMANDERESSES

Suzanne Trudel

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jared Will

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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