Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20070216

Dossier : IMM-1706-06

Référence : 2007 CF 182

Ottawa (Ontario), le 16 février 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

CLARIS CHIEDZA MUZA

demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue en date du 9 mars 2006, selon laquelle la demanderesse n’avait qualité ni de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse sollicite un jugement déclaratoire annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire pour un nouvel examen.

 

Faits et Procédure

 

[3]               La demanderesse, Claris Chiedza Muza, est une citoyenne du Zimbabwe âgée de vingt et un ans. Elle alléguait qu’elle craignait d’être persécutée en raison de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques. La demanderesse craignait d’être persécutée parce qu’elle était membre du parti Mouvement pour un changement démocratique (le MDC), parce qu’elle avait déserté du Service pour la jeunesse nationale (SJN), et en raison de ses opinions défavorables au gouvernement. La demanderesse a exposé les circonstances qui l’ont amenée à demander l’asile dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[4]               La demanderesse a adhéré au MDC en juillet 2001. En juillet 2002, elle a été recrutée à l’école par la contrainte et amenée à un camp de formation du SJN dirigé par le parti au pouvoir au Zimbabwe, le Zimbabwe African National Union-Patriotic Front (ZANU-PF). Elle croyait avoir été recrutée parce qu’elle était membre du MDC. La demanderesse a expliqué que le ZANU-PF contraignait les partisans du MDC à participer à de tels camps pour leur soutirer des renseignements et leur faire faire défection. Elle a dit que ses premiers jours au camp étaient supportables, mais que la situation s’est rapidement détériorée. La demanderesse a été forcée de dénoncer le MDC et privée de nourriture. Elle a été victime d’agressions physiques et sexuelles de la part de ses instructeurs. Lorsque la demanderesse s’est plainte des mauvais traitements, elle s’est fait dire que telle était sa punition pour avoir été membre du MDC. Deux de ses amies ont été violées pendant qu’elles étaient au camp. 

 

[5]               La demanderesse a exposé une altercation avec un commandant, qui a alors commencé à l’agresser sexuellement. Elle a tenté de se débattre. Il l’a plaquée au sol et a menacé de la tuer si elle continuait à résister. Le commandant l’a libérée lorsqu’elle a commencé à subir une grave crise d’asthme. La demanderesse a ensuite commencé à éprouver des douleurs à la poitrine et a convaincu un garde de l’emmener à l’infirmerie. Elle y est demeurée pendant trois jours et s’est échappée pendant les heures de visite. La demanderesse a été au camp pendant treize jours au total. Elle est ensuite allée se cacher au domicile de son oncle. Des membres du ZANU-PF l’ont cherchée, mais sa mère ne leur a pas dit qu’elle s’était échappée. Les membres du ZANU-PF ont dit à sa mère de renvoyer sa fille au camp parce qu’elle était recherchée pour désertion. Le 21 août 2002, la demanderesse a demandé un visa d’étudiante d’une durée de deux ans aux États-Unis, et il lui a été délivré le 29 août 2002.

 

[6]               La demanderesse s’est enfuie du Zimbabwe le 4 septembre 2002 et est arrivée aux États-Unis le 5 septembre 2002 en transitant par Londres. Elle a étudié aux États-Unis de septembre 2002 à septembre 2005. Cependant, elle n’a pas suivi suffisamment de cours pour conserver son visa d’étudiante. Elle avait perdu contact avec son répondant et n’a pu payer ses frais de scolarité. La demanderesse a expliqué que le ZANU-PF était à la recherche de son répondant sous prétexte qu’il avait parrainé une personne qui s’est enfuie du Zimbabwe. La demanderesse a expliqué qu’elle n’a pas demandé l’asile aux États-Unis parce qu’elle craignait un refus et une expulsion vers le Zimbabwe. Recherchée pour désertion, elle craignait d’être arrêtée, torturée et violée à son retour. Après avoir obtenu de l’argent de son répondant, elle n’avait plus le statut requis pour demeurer aux États-Unis. Lorsqu’elle a tenté de recouvrer son statut en 2004, les autorités de l’immigration des États-Unis lui ont ordonné de quitter le pays. Elle a quitté les États-Unis le 6 septembre 2005, est arrivée à Toronto ce jour-là, et a présenté une demande d’asile sur-le-champ. L’audition de sa demande d’asile s’est tenue le 13 février 2006 et sa demande a été rejetée dans la décision rendue le 9 mars 2006. En l’espèce, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

Motifs de la Commission

 

[7]               La Commission a conclu que la demanderesse n'avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention, ni qualité de personne à protéger. Sa demande a été rejetée en raison de manque de preuve crédible. La Commission a reconnu la présomption selon laquelle un témoignage fait sous serment devrait être considéré véridique, sauf s’il existe une bonne raison de douter de sa véracité (voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)). Les incohérences et les invraisemblances peuvent être prises en compte pour apprécier la crédibilité de la preuve de la demanderesse, en plus de son caractère rationnel et logique (voir Shahamati c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (QL) (C.A.F.)).

 

[8]               La Commission n’a pas cru qu’elle était membre du MDC. La demanderesse a témoigné qu’elle a adhéré au MDC en juillet 2001, mais sa carte ne portait aucune date et il n’y avait aucune indication que des frais avaient été payés avant 2005. La Commission a conclu que les cartes pouvaient être obtenues moyennant paiement de frais limités et qu’ils n’indiquaient pas l’adhésion au parti. La demanderesse a déclaré qu’elle a adhéré au MDC en 2001 parce qu’elle souhaitait donner son appuyer financier au parti. Cependant, son frère aurait payé ses frais en 2001 et 2002. Malgré le fait qu’elle était membre du MDC, elle n’a pas participé à des rassemblements ou à des assemblées, et elle n’a pas eu de problèmes avant son prétendu recrutement en juillet 2002. Lorsque des représentants de l’immigration lui ont demandé si elle faisait partie d’un groupement politique, elle n’a pas dit qu’elle était membre du MDC. Elle a expliqué cette omission en déclarant qu’elle n’y avait pas pensé. Le défaut de sa part d’accorder de l’importance à son adhésion au MDC révélait qu’elle n’en était pas membre. Elle a témoigné que ses frères et sœurs étaient des partisans du MDC; cependant, aucune preuve documentaire n’a été produite pour étayer cette affirmation. 

 

[9]               Le témoignage de la demanderesse concernant son recrutement au SJN n’était pas crédible. La demanderesse a affirmé qu’elle a été recrutée pendant qu’elle était à étudiante en juillet 2002. Cependant, elle a produit un livret qui révélait qu’elle a terminé la session au cours de laquelle aurait été recrutée. Elle a expliqué que ses notes étaient la moyenne des notes obtenues avant sa disparition. Il n’était pas plausible que le livret scolaire ne mentionne pas qu’elle n’avait pas terminé la session ou fait ses examens. Il n’était pas non plus plausible que sa mère n’ait jamais été avisée qu’elle avait été retirée de l’école. La demanderesse a expliqué que l’école était dirigée par le gouvernement et que le directeur se sentait vraisemblablement obligé d’autoriser le recrutement d’étudiants. La méthode de recrutement manquait de crédibilité, car la preuve montrait que les jeunes chômeurs sont attirés au SJN et quittent les rues. Il n’existait pas de preuve que des étudiants ont été recrutés par la contrainte. 

 

[10]           La demanderesse a obtenu un passeport le 29 mai 2002, a présenté une demande d'admission à une université américaine en juillet 2002, et a reçu son visa d’étudiante le 29 août 2002, ce qui révélait qu’elle s’était préparée à étudier à l’étranger avant son recrutement en juillet 2002. D’après la Commission, elle a quitté le Zimbabwe en septembre 2002 pour étudier plutôt que pour échapper à la persécution. Cette conclusion était étayée par le fait qu’elle n’a pas demandé l’asile pendant qu’elle était aux États-Unis. La demanderesse a expliqué qu’elle ne l’a pas fait parce qu’elle était sans statut lorsqu’elle est arrivée aux États-Unis. Elle n’a pas été en mesure de suivre le nombre de cours nécessaire par manque de fonds. La Commission a conclu que si elle craignait d’être expulsée et si elle était sans statut, sa situation aurait rendu une demande d’asile de sa part d’autant plus impérative. Sa sœur avait présenté avec succès une demande d’asile aux États-Unis; elle avait donc de la famille qui aurait pu l’aider à faire sa demande.

 

[11]           La demanderesse a produit une lettre qui proviendrait du cabinet du Président, indiquant qu’elle avait déserté le SJN et que sa désertion suscitait certaines préoccupations du point de vue de la sécurité de l’État. La lettre a été envoyée par télécopieur le jour de l’audience. La demanderesse a expliqué qu’elle avait été perdue au domicile de sa mère depuis décembre 2002. La demanderesse l’avait reçue seulement la veille. Il était impossible de vérifier l’authenticité du document sans l’original, et on ne savait pas clairement qui l’avait produite. Compte tenu du témoignage invraisemblable et non crédible de la demanderesse au sujet de son recrutement et de sa fuite du SJN, aucun poids n’a été accordé à la lettre.

 

[12]           La demanderesse a également produit une lettre d’un médecin canadien selon laquelle la cicatrice sur sa main tendait à confirmer son récit quant aux traumatismes subis. Son FRP ne faisait mention d’aucun incident au cours duquel elle aurait été poignardée. La demanderesse a témoigné qu’elle a été poignardée au cours d’une tentative de viol. Elle a expliqué que la déclaration « Je vais te tuer » inscrite dans l’exposé circonstancié de son FRP faisait référence à l’homme qui l’a poignardée à la main. Son explication était insuffisante et l’omission de ce renseignement dans son FRP était importante. La Commission n’a pas accepté l’affirmation selon laquelle la cicatrice a été infligée durant l’altercation décrite dans son FRP. De plus, la conclusion du médecin selon laquelle elle a subi du stress consécutif à un traumatisme ne confirmait pas les allégations contenues dans son FRP. 

 

[13]           La Commission a conclu que l’enlèvement de la demanderesse et la manière dont elle a été traitée après le rapt manquaient de crédibilité. Des réserves du point de vue de la crédibilité résultant d’omissions dans son FRP étayaient cette conclusion. La Commission a conclu qu’elle n’était pas membre du MDC et qu’elle n’a pas déserté du SJN. De plus, elle n’avait pas le profil qui la rendait à vraisemblablement susceptible d’être recrutée par le SJN. Il n’existait aucune possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée si elle retournait au Zimbabwe. La demande fondée sur l’article 97 de la LIPR a également été rejetée, car il n’existait pas de preuve supplémentaire concernant sa crainte de retourner au Zimbabwe.

 

Questions en litige

 

[14]           La demanderesse demande à la Cour de se prononcer sur :

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la prétention de la demanderesse n’était étayée par nulle preuve crédible?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ce sens que ses conclusions de fait étaient manifestement déraisonnables?

            3.         Les conclusions de la Commission en matière de vraisemblance étaient-elles injustifiées vu la jurisprudence de la Cour fédérale?

 

[15]           Je reformulerais ces questions de la manière suivante :

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur quant à ses conclusions d’invraisemblance?

            2.         La conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité était-elle manifestement déraisonnable?

 

Moyens de la demanderesse

 

[16]           La demanderesse fait valoir que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient manifestement déraisonnables. Elle ajoute que la preuve documentaire ne mentionnait pas que seuls certains types de jeunes étaient recrutés de force par la milice. Des éléments de preuve produits devant la Commission établissent que : (1) des femmes étaient violées dans des camps de la milice; (2) des partisans de l’opposition ont été amenés dans des camps de la milice des jeunes et torturés; et (3) la formation dispensée par la milice des jeunes est devenue obligatoire au Zimbabwe. La demanderesse fait valoir que des preuves documentaires corroboraient son récit. Par conséquent, les conclusions de la Commission au sujet du profil des personnes contraintes de servir dans la milice des jeunes étaient manifestement déraisonnables. La Commission a conclu qu’il était invraisemblable que la demanderesse ait été recrutée à l’école pour une formation dans la milice. Toutefois, la preuve documentaire révélait que la région dans laquelle se trouvait son école constituait un épicentre de la violence encouragée par l’État pendant la période de son enlèvement. La preuve a établi que le gouvernement a eu recours au SJN pour répondre la violence à des fins politiques et que les institutions du pays vivaient dans le chaos. On fait valoir que les conclusions de la Commission selon lesquelles il était invraisemblable que la mère de la demanderesse ignore qu’elle avait été recrutée ou que le directeur autorise le recrutement d’étudiants n’étaient pas bien étayées. 

 

[17]           Par la décision Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2002), 118 A.C.W.S. (3d) 119, la Cour a statué que la conclusion d’invraisemblance ne peut être évaluée que si la Commission explicite clairement tous les faits qui en constituent le fondement. Dans l’arrêt Valtchev c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2001) 208 F.T.R. 267, 107 A.C.W.S. (3d) 293, la Cour a statué que la Commission doit être prudente lorsqu’elle rend une décision fondée sur la vraisemblance, car des gestes qui semblent invraisemblables selon les normes canadiennes peuvent être vraisemblables dans le milieu de la demanderesse. La demanderesse fait valoir que les conclusions d’invraisemblance de la Commission ont été tirées de manière arbitraire vu la preuve. On a allégué que la Commission a commis une erreur en présumant que les écoles du Zimbabwe fonctionnent comme elles le font au Canada.

 

[18]           La demanderesse fait valoir que la conclusion selon laquelle elle ne risquait pas d’être persécutée et selon laquelle elle pourrait être protégée ne répond pas au critère exposé dans l’arrêt Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, (1951) 4 W.W.R. (N.S.) 171(C.A. de la C.-B.), parce que la personne avisée admettrait que son témoignage était cohérent au regard de la prépondérance des probabilités vu le moment et le lien pertinents. Par la décision R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2003) 228 F.T.R. 43, 26 Imm. L.R. (3d) 292, la Cour a statué que ce ne sont cependant pas tous les genres d'invraisemblance entachant la preuve produite par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité. Elle a statué que la Commission ne doit pas tirer ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents et que la crédibilité et la vraisemblance devraient être évaluées au regard des conditions du pays et d’autres preuves documentaires (voir également Zirou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 244, 123 A.C.W.S. (3d) 543).

 

[19]           La Commission n’a pas cru que la demanderesse était membre du MDC et a conclu que sa demande n’était pas étayée par des preuves crédibles. La demanderesse fait valoir que la Commission a suivi, relativement à sa preuve une norme qui était plus stricte que celle de la prépondérance des probabilités. Elle allègue qu’elle a produit des documents relatifs à son identité et à d’autres éléments de sa demande (voir l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228). La demanderesse fait valoir que la Commission ne s’est fondée sur aucune preuve lorsqu’elle a statué que ses cartes du MDC n’indiquaient pas sa qualité de membre du parti. La demanderesse allègue que la Commission a commis une erreur en exigeant d’elle qu’elle explicite les motifs pour lesquels ses frères et sœurs ont obtenu le statut de réfugiés aux États-Unis. La demanderesse soutient que la Commission n’a pas appliqué la présomption énoncée dans l’arrêt Maldonado, précité. Elle a ajouté que l’absence d’indication dans le formulaire rempli par l’agent d’immigration selon laquelle elle était membre du MDC constituait une incohérence mineure par rapport à l’exposé circonstancié se trouvant dans son FRP et que celle-ci n’aurait pas dû aboutir à une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[20]           La demanderesse fait valoir que la Commission a tiré une conclusion arbitraire en ce qui concerne le moment de sa demande de titres de voyage et la véracité de son exposé circonstancié. La Commission a fait abstraction de la preuve indiquant qu’elle avait demandé son  visa d’étudiante le 21 août 2002, lorsqu’elle a conclu qu’elle s’est préparée à étudier à l’étranger en juillet 2002. La demanderesse fait vouloir que l’on obtient un passeport pour de nombreux motifs et que cela ne doit pas être perçu comme une indication que sa demande n’était pas suffisamment crédible.

 

[21]           La demanderesse fait valoir que : (1) son défaut de demander l’asile aux États-Unis; (2) sa communication tardive de la lettre provenant du cabinet du président; et (3) la preuve de sa blessure subie pendant la tentative de viol peuvent être mis en contexte compte tenu des principes établis dans la jurisprudence Zirou. Par l’arrêt Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), 54 Imm. L.R. (3d) 128, 2006 CF 405, la Cour a dit que la Commission devait à la fois tenir compte du fait que les victimes de violence familiale peuvent afficher des symptômes du syndrome de stress post-traumatique qui peuvent nuire à leur mémoire et prendre en considération les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans de tels cas. La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en omettant d’appliquer les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe à son cas. Elle a également allégué que la preuve non contredite devant la Commission suffisait à ce qui soit accueillie sa demande d’asile.

 

Moyens du défendeur

 

[22]           Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission en matière de vraisemblance appellent un degré élevé de retenue judiciaire. Par conséquent, dans les cas où les inférences et les conclusions de la Commission peuvent raisonnablement donner lien à une telle retenue à la face même du dossier, la Cour ne doit pas intervenir (voir Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)). Le défendeur fait valoir que, compte tenu de la preuve documentaire, la conclusion de la Commission selon laquelle la description donnée par la demanderesse de son recrutement était improbable n’était pas arbitraire. Le défendeur prétend que la Commission a donné des motifs convaincants à l’appui du rejet de certains documents produits par la demanderesse afin d’étayer sa prétention selon laquelle elle était membre du MDC.

 

[23]           Le défendeur soutient que la Commission avait le droit de tenir compte de l’important décalage entre ses réponses en entrevue et l’exposé circonstancié dans son FRP, en ce qui concerne son adhésion au MDC (voir Ratnavelu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 938). Il prétend que la Commission avait le droit de conclure que le défaut de sa part de demander l’asile aux États-Unis était incohérent avec une crainte fondée de persécution (voir Sellathamby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 97 A.C.W.S. (3d) 1195). Le défendeur fait valoir que la Commission n’était pas tenue d’accepter son explication du retard s’il avait des motifs raisonnables de conclure qu’elle était invraisemblable (voir Bogus c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 71 F.T.R. 260, 45 A.C.W.S. (3d) 513).

 

[24]           Le défendeur fait valoir que les conclusions de la Commission relativement à la crédibilité et à la vraisemblance de la preuve soumise par la demanderesse étaient raisonnables au vu du dossier. Il soutient que l’appréciation de la crédibilité et de la preuve relevait de la Commission et qu’à cet égard, nul fondement juridique ne permet à la cour de modifier la décision (voir Castro c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 42 A.C.W.S. (3d) 118).

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité et de vraisemblance est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir la décision Aguebor précitée).

 

[25]           Question 1

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur quant à ses conclusions d’invraisemblance ?

            La Commission a conclu que la demanderesse n’a pas été recrutée par la contrainte dans un camp de milice du SJN. Cette conclusion repose sur certaines invraisemblances dans son récit. Dans la décision Valtchev, précitée, le juge Muldoon a fait les observations suivantes concernant les conclusions d’invraisemblance au paragraphe 7 :

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur […]

 

 

[26]           Les jeunes chômeurs

            La Commission a dit que la preuve révélait que les jeunes chômeurs qui s’ennuient cherchent à adhérer à la milice des jeunes et que ceux qui étaient contraints de s’y joindre semblaient être des jeunes chômeurs recrutés dans la rue. La Commission a alors conclu qu’il était invraisemblable que la demanderesse ait été recrutée de la façon exposée, parce qu’elle était une jeune étudiante visant des notes de A qui fréquentait un pensionnat. La Commission n’a pas indiqué que la preuve documentaire mentionnait également que le SJN est maintenant obligatoire au Zimbabwe (voir le dossier du tribunal, volume 2, page 170). Compte tenu de cette preuve, je conclus que cette conclusion d’invraisemblance était manifestement déraisonnable.

 

[27]           La mère non informée par l’école que sa fille a été recrutée par la contrainte

            La preuve documentaire révèle que le ZANU-PF est libre de faire ce qu’il veut. Ses membres peuvent agresser, torturer et violer les personnes. La demanderesse a témoigné que l’école était dirigée par le gouvernement et que le directeur aurait probablement des problèmes s’il ne collaborait pas avec le ZANU-PF. Cette situation pourrait également expliquer pourquoi il n’a pas fait rapport de leurs activités à la mère de la demanderesse. Ce qui serait invraisemblable dans un contexte canadien n’est pas nécessairement invraisemblable dans le contexte chaotique du Zimbabwe. Je conclus que cette conclusion d’invraisemblance est manifestement déraisonnable.

 

[28]           Bulletin scolaire

            La demanderesse a témoigné qu’elle a été retirée de l’école environ trois semaines avant la fin du semestre. La Commission a fait mention d’un document scolaire qui, d’après sa conclusion, révélait que la demanderesse avait terminé son semestre et indiquait la date du début du prochain semestre. De plus, la Commission a constaté que la partie « Commentaires du professeur » ne comprenait aucune observation selon laquelle la demanderesse n’avait pas terminé son semestre. La demanderesse a témoigné que les notes indiquées étaient des moyennes des notes obtenues avant sa disparition de l’école. La Commission a tout simplement affirmé que ce n’était pas crédible. Je constate que le relevé n’indiquait aucune note attribuée dans la colonne « examens ». Je suis d’avis que la Commission ne peut se servir de cet élément de preuve pour conclure que la demanderesse manquait de crédibilité.

 

[29]           Passeport et visa

            La Commission a conclu que la demanderesse s’est rendue aux États-Unis pour étudier parce qu’elle a obtenu un passeport le 29 mai 2002, et elle a reçu son visa d’étudiante des États-Unis le 29 août 2002. Je souligne que l’on n’a pas demandé à la demanderesse ne s’est jamais fait demander pour quel motif elle a obtenu son passeport et a demandé le visa d’étudiante le 21 août 2002, soit après son recrutement à la mi-juillet. Je suis d’avis que les conclusions de la Commission sur ce point sont manifestement déraisonnables.

 

[30]           Je ne me pencherai pas sur l’autre, car j’estime que, vu les conclusions tirées ci-dessus, la question de la crédibilité de la demanderesse doit être réexaminée à la lumière de la preuve relevée. Je ne puis savoir de quelle manière la mise en compte de ces faits aurait pu avoir une incidence sur la conclusion de la Commission. Il n’appartient pas à la Cour de tirer cette conclusion, car la Commission a le droit de prendre en compte ces faits supplémentaires et de tirer sa conclusion en matière de crédibilité.

 

[31]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvel examen. 

 

[32]           Aucune partie n’a souhaité proposer de question grave de portée générale pour que je l’étudie à des fins de certification.


 

JUGEMENT

 

[33]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvel examen .

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.L., B.C.L.


 

ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont énoncées dans la présente section.

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. :

 

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1706-06

 

INTITULÉ :                                       CLARIS CHIEDZA MUZA

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 7 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge O’Keefe

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 février 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Tyndale

 

                POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.