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Date :  20070202

Dossier :  IMM-287-07

Référence :  2007 CF 109

Montréal (Québec), le 2 février 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

SEYDOU KANTE

Partie demanderesse

et

 

Ministre de la Sécurité publique

et de la Protection civile 

 

Partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Le demandeur qui soulève à nouveau devant cette Cour les mêmes allégations que celles examinées à fond par la SPR (laquelle a jugé non crédible et inventée l’histoire du demandeur), l’agent de la demande d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) et l’agent CH (considérations d’ordre humanitaire), échoue à établir ce préjudice irréparable.

 

[2]               Dans Akyol, le juge Luc Martineau indiquait ce qui suit :

[6]        Premièrement, il n'y a aucune preuve que les demandeurs courraient vraisemblablement un risque pour leur vie ou leur sécurité : Kerrutt c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 53 F.T.R. 93; Atakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 68 F.T.R. 122 (Atakora); Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 201 (C.F. 1re inst.); Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 92 F.T.R. 107; Duve c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 387 (C.F. 1re inst.).

[7]        Deuxièmement, l'allégation d'un préjudice irréparable ne doit pas être une simple hypothèse ni être fondée sur une série de possibilités. La Cour doit être convaincue que ce préjudice surviendra si la réparation sollicitée n'est pas accordée : Atakora, précitée, au paragraphe 12; Syntex Inc. c. Novopharm Inc. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129, à la page 135 (C.A.F.); Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 559, 2001 CFPI 325, au paragraphe 15.

[8]        Troisièmement, la Cour note que le risque que les demandeurs courraient s'ils retournaient en Turquie a été évalué deux fois : une première fois par la SPR, et la seconde fois par l'agent d'ERAR. Dans les deux cas, ces deux tribunaux administratifs ont conclu que les demandeurs ne courraient pas de risque. En l'espèce, la SPR a clairement mis en doute la crédibilité des demandeurs lorsqu'elle a conclu, en se fondant sur le comportement que les demandeurs avaient eu pendant une longue période, qu'ils n'avaient pas la crainte subjective d'être persécutés qui était à la base de leur revendication. La jurisprudence de la Cour établit que lorsque le récit d'un demandeur est jugé non crédible, ce récit ne peut servir de base à une allégation de préjudice irréparable dans le cadre d'une demande de sursis : Saibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 151, 2002 CFPI 103, au paragraphe 11; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 751, au paragraphe 12; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 483, aux pages 492 et 493 (1re inst.). [La Cour souligne.]

 

(Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, [2003] A.C.F 1182 (QL).)

 

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[3]               Le demandeur présente à cette Cour une requête en sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi émise à l’égard du demandeur, laquelle requête est greffée à une demande d’autorisation principale contestant la « décision » d’un agent d’immigration de l’Agence des Services Frontaliers du Canada (ASFC), (agent de renvoi), datée du 10 janvier 2007 fixant la date du renvoi du demandeur du Canada vers le Mali au 3 février 2007.

 

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

Intitulé des procédures

[4]               Le défendeur remarque que le demandeur a entrepris son recours (tant la demande d’autorisation que la requête en sursis qui s’y greffe) à l’encontre du « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

 

[5]               L’intitulé de la demande d’autorisation et de la requête en sursis est amendé afin que le « Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile », qui est le Ministre responsable de l’exécution des mesures de renvoi, soit remplacé à titre de partie défenderesse, le tout conformément à la Loi sur le ministère de la sécurité publique et de la protection civile, L.C. 2005, ch. 10 et au décret émis le 4 avril 2005 (C.P. 2005-0482).

 

 

 

Requête en sursis – Juridiction de cette Cour

 

[6]               Le demandeur a choisi de déposer une requête en sursis seulement dans le cadre du dossier de demande d’autorisation no. IMM-287-07, attaquant la décision datée du 10 janvier 2007 de l’agent de renvoi fixant au 3 février 2007, la date du renvoi du demandeur du Canada pour exécuter la mesure prise à son égard le 5 avril 2004.

 

[7]               En regard du principe voulant que la requête en sursis soit l’accessoire d’un recours principal, en l’occurrence, la demande d’autorisation contestant la décision du 10 janvier 2007 fixant la date du renvoi du demandeur, le demandeur ne peut que demander à la Cour, si celle-ci jugeait sa requête méritoire, d’accorder un sursis jusqu’à ce que cette demande d’autorisation soit tranchée et si elle était accordée, jusqu’à ce que cette demande de contrôle judiciaire soit tranchée elle-même tranchée par cette Cour. (Art. 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. (1985), ch. F-7.)

 

[8]               En d’autres termes, cette Cour n’est saisie d’aucune requête en sursis dans le cadre de la demande d’autorisation contestant la décision négative d’ERAR (no IMM-286-07) et de la demande d’autorisation contestant la décision négative CH (no IMM-285-07). Dès lors, le demandeur ne peut valablement demander à la Cour, comme il le fait dans les prétentions appuyant sa requête en sursis, d’ordonner un sursis au renvoi jusqu’à ce que ces deux autres demandes d’autorisation distinctes soit tranchées par la Cour. La juridiction de cette Cour porte sur la requête en sursis et la demande d’autorisation sous-jacente.

Preuve nouvelle postérieure à la décision du 10 janvier 2007

[9]               Le défendeur souligne que la lettre datée du 24 janvier 2007, jointe comme pièce « F » à l’affidavit du demandeur (Dossier de requête en sursis, p. 34), est une preuve nouvelle qui n’existait pas lors de la décision du 10 janvier 2007 faisant l’objet de la demande d’autorisation. Ainsi, cette Cour ne saurait en tenir compte dans le cadre de la demande d’autorisation ou de l’examen du mérite d’une requête accessoire à cette demande, comme la requête en sursis.

 

[10]           Dans Isomi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1394, [2006] A.C.F. 1753 (QL), le juge Simon Noël dit: 

 

[6]        La jurisprudence de cette Cour établit clairement que, lors d'un contrôle judiciaire, la Cour peut uniquement considérer la preuve dont disposait le décideur initial (Lemiecha (Tuteur d'instance) c. Canada (Ministre de l'Emploie et de l'Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49 au para. 4; Wood c. Canada (P.G.) 2001, 199 F.T.R. 133 au para. 34; Han c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 533, 2006 FC 432 au para. 11). Dans la décision Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 52, 2003 CFPI 45 aux paras. 7 et 8, concernant une demande d'asile fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, le juge Kelen précisait:

« Il est de droit constant que le contrôle judiciaire d'une décision devrait uniquement être fondé sur la preuve dont disposait le décideur.

La Cour ne peut pas soupeser de nouveaux éléments de preuve et substituer sa décision à celle de l'agent d'immigration. Elle ne statue pas sur les demandes fondées sur des CH [considérations humanitaires]. Elle effectue le contrôle judiciaire de pareilles décisions en vue de s'assurer qu'elles sont conformes au droit. »

 

[7]        De plus, le juge Martineau dans la cause Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1596, 2003 CF 1274 au para. 36, traitant d'un contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'ERAR, écrivait ce qui suit :

« Il est regrettable que le rapport du psychologue n'ait pas été soumis à l'agente ERAR avant que celle-ci ait pris sa décision. Si on tient compte du fait que l'opinion du psychologue n'a pas été produite à l'agente ERAR, qui a refusé sa demande, la demanderesse ne peut invoquer cette nouvelle preuve. La Cour a reconnu, à de nombreuses reprises, que le contrôle judiciaire d'une décision doit se faire à la lumière des éléments de preuve qui ont été soumis au décideur : voir Noor c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no 574 (C.A.) (QL), au paragraphe 6; Rodbom c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 636 (C.A.) (QL); Bara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 992 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12; Khchinat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 954 (1re inst.) (QL), au paragraphe 18; LGS Group Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 C.F. 474 (1re inst.), à la page 495; Quintero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995) 90 F.T.R. 251, aux paragraphes 30 à 33; Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 80 F.T.R. 79; Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713. »

 

FAITS

[11]           Le demandeur est un citoyen du Mali de 28 ans.

 

[12]           En novembre 2000, le demandeur arrive à Dorval, Québec, sur permis d’étudiant valide jusqu’au 31 mars 2003. En avril 2002, il cesse d’étudier et, en juin 2002, il quitte le Canada pour aller aux États-Unis où il a tenté d’obtenir une prolongation de son visa d’étudiant pour revenir au Canada mais cela lui fut refusé parce qu’il n’était plus considéré étudiant. En décembre 2002, à sa deuxième entrée au Canada, à Lacolle, Québec, son permis d’étudiant lui a été enlevé par Citoyenneté et Immigration Canada et on lui a remis une fiche de visiteur valide jusqu’au 15 janvier 2003.

[13]           Le 29 mars 2004, le demandeur présente une demande d’asile auprès de la Section de Protection des Réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR).

 

[14]           Le 5 avril 2004, le demandeur fait l’objet d’un rapport aux termes de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et une mesure d’interdiction de séjour est prise à l’égard du demandeur à cette même date.

 

[15]           En janvier 2005, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Essentiellement, le demandeur alléguait craindre les représailles de la part de son père qui a adhéré au groupe religieux intégriste des Hamalites car le demandeur a désobéi à son père en ne retournant pas au Mali, il craint d’être enrôlé de force dans ce groupe et il craint les représailles de ce groupe pour avoir désobéi à son père. La SPR a conclu à l’absence de crédibilité du demandeur et de son histoire et a jugé que les autres éléments dont la documentation sur la situation au Mali ne pouvait l’amener à conclure qu’il est un « réfugié » ou une « personne à protéger ». La SPR a conclu à l’existence de protection étatique au Mali.

 

[16]           Le 12 mai 2005, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation déposée par le demandeur à l’encontre de la décision de la SPR.

 

[17]           Le 21 octobre 2005, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente présentée au Canada en vertu de considérations humanitaires (CH). Au soutient de sa demande, le demandeur invoquait essentiellement son intégration au Canada, sa relation avec une citoyenne canadienne et les risques pour son intégrité, sa sécurité ou sa vie s’il retourne au Mali. Les allégations quant aux risques reprenaient celles présentées à la SPR.

 

[18]           Le 5 septembre 2006, le demandeur a présenté une demande d’ERAR. Le demandeur basait sa demande sur les mêmes allégations que celles présentées à la SPR. Le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve dont ne bénéficiaient pas la SPR.

 

[19]           Le 6 décembre 2006, la demande d’ERAR est rejetée par l’agent. L’agent a conclus que le demandeur n’a pas établi de risques objectivement identifiables et personnels s’il retourne dans son pays de nationalité, le Mali.

 

[20]           Le 6 décembre 2006, la demande CH est rejetée par l’agent. Les notes de l’agent relatives à la décision CH, notes dont le demandeur allègue ne pas avoir copie, sont produites par le défendeur.

 

[21]           La conclusion de l’agent pour rejeter la demande CH figure en page 5 de ses notes au dossier :

Le demandeur n’a pas démontré avec preuves suffisantes qu’il était suffisamment intégré au Canada ou que ses attaches sont importantes, il n’a pas établi que sa vie ou sa sécurité seraient menacées dans l’éventualité d’un retour au Mali. Les circonstances particulières de son cas ne sont pas exceptionnelles et font en sorte que de déposer sa demande de dispense de visa à l’étranger ne constituerait pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Sa demande est rejetée.

[22]           Le 10 janvier 2007, le demandeur a rencontré en entrevue un agent de renvoi qui lui a alors communiqué, en main propre, la décision négative sur sa demande d’ERAR et la décision négative sur sa demande CH. En outre, l’agent a informé le demandeur que la date de son renvoi du Canada vers le Mali était fixée au 3 février 2007 et lui a remis, en main propre, un avis à cet effet.

 

[23]           Les notes d’entrevue du 10 janvier 2007 de l’agent d’immigration de l’ASFC indiquent :

« rencontré le sujet   je lui ai donné réponse négative ERAR et H&C le sujet me dit clairement qu’il veut coopérer. Je lui demande s’il a quelqu’un pour l’aider une fois arrivé au Mali et il me répond oui.  Il me déclare que les parents de ses cousins peuvent le recevoir et l’aider. Le sujet me déclare également qu’il n’a pas l’argent afin de payer son billet je lui explique que nous achèterons le billet pour lui.

 

départ le 03 février 2007 »

ANALYSE

[24]           Afin d’évaluer le bien-fondé de la requête en sursis, cette Cour doit déterminer si le demandeur satisfait aux critères jurisprudentiels émis par la Cour d’appel fédérale dans l'affaire Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL).

 

[25]           Dans cette affaire, la Cour d’appel a retenu trois critères qu’elle a importés de la jurisprudence en matière d'injonction, plus particulièrement de la décision de la Cour suprême du Canada dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.

Ces trois critères sont les suivants:

A   -     l’existence d’une question sérieuse;

B    -     d’un préjudice irréparable;

C   -     et l’évaluation de la balance des inconvénients.

[26]           Ainsi, en l’absence de sursis statutaire, il revient à cette Cour de déterminer si le demandeur a démontré l’existence d’une question sérieuse dans son dossier, d’un préjudice irréparable du fait de son renvoi au Mali et d’inconvénients supérieurs à ceux que le Ministre pourrait subir du fait de la non-exécution du renvoi et du non-respect des dispositions de la LIPR. Les trois critères doivent être rencontrés pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d’entre eux n’est pas rencontré, cette Cour ne peut pas accorder le sursis demandé.

 

A - QUESTION SÉRIEUSE

[27]           D’abord, il est bien établi qu’une requête en sursis est l’accessoire d’un recours principal. En l’occurrence, le seul recours principal auquel se greffe la présente requête en sursis dont est saisie cette Cour est la demande d’autorisation no IMM-287-07 contestant la décision du 10 janvier 2007 de l’agent de renvoi fixant la date du renvoi du demandeur au 3 février 2007. (Art. 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales.)

 

[28]           L’évaluation par cette Cour de l’existence d’une question sérieuse dans le présent dossier doit se faire uniquement à l’égard de cette décision du 10 janvier 2007, et non pas à l’égard d’autres décisions faisant l’objet de demandes d’autorisation distinctes dans lesquelles aucune requête en sursis n’a été déposée, en l’occurrence les décisions d’ERAR ou CH négatives.

 

La validité de la mesure de renvoi n’est pas attaquée par le demandeur

[29]           Le demandeur ne remet aucunement en cause la validité de la mesure de renvoi prise à son égard en date du 5 avril 2004. Le délai pour attaquer cette mesure est d’ailleurs expiré depuis très longtemps.

 

Décision du 10 janvier 2007 fixant la date du renvoi du Canada

[30]           Le demandeur échoue à établir l’existence d’une question sérieuse eu égard à la décision du 10 janvier 2007 de l’agent de renvoi de fixer la date de départ au 3 février 2007. En l’espèce, l’agent a agi dans le cadre de sa discrétion très limitée et en conformité avec la loi. Le demandeur n’a aucunement démontré le contraire. (Art. 48 et ss. de la LIPR; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] A.C.F. no 295 (QL) (Juge Denis Pelletier).)

 

[31]           En ce qui concerne la décision du 10 janvier 2007 fixant la date du renvoi, le demandeur, dans son affidavit ou ses prétentions écrites, n’allègue aucun reproche spécifique valable à l’encontre de l’agent de renvoi pouvant établir l’existence d’une question sérieuse.

 

[32]           Dans ses prétentions écrites, le demandeur allègue que lors de la rencontre du 10 janvier 2007 lors de laquelle l’agent de renvoi lui a remis la décision confirmant sa date de renvoi, « aucune option de départ volontaire n’a été soumise au demandeur ». Or, cette allégation est gratuite car non appuyée par l’affidavit du demandeur muet à ce sujet. Au surplus, les notes d’entrevue du 10 janvier 2007 de l’agent de renvoi indiquent :

« rencontré le sujet   je lui ai donné réponse négative ERAR et H&C   le sujet me dit clairement qu’il veut coopérer.  Je lui demande s’il a quelqu’un pour l’aider une fois arrivé au Mali et il me répond oui.  Il me déclare que les parents de ses cousins peuvent le recevoir et l’aider.  Le sujet me déclare également qu’il n’a pas l’argent afin de payer son billet je lui explique que nous achèterons le billet pour lui.

 

départ le 03 février 2007 »

 

[33]           Le défendeur soutient que l’agent de renvoi n’avait aucune obligation de donner une option de départ volontaire en l’espèce. D’ailleurs, le demandeur a lui-même déclaré ne pouvoir quitter de son propre chef car il n’avait pas l’argent pour payer son billet d’avion pour son retour au Mali. Au surplus, nulle part dans son affidavit le demandeur n’établit qu’il aurait demandé à l’agent de renvoi une option de départ volontaire.

 

[34]           Le demandeur ne soulève aucunement dans son affidavit qu’il aurait présenté, verbalement ou par écrit, auprès de l’agent de renvoi, une demande pour que son renvoi du Canada soit reporté à une date ultérieure pour quelques motifs que ce soit. Pas plus qu’il n’allègue dans son affidavit qu’il aurait remis, durant l’entrevue, des documents à l’agent de renvoi.

 

[35]           Les notes d’entrevue semblent confirmer que le demandeur n’a pas soulevé auprès de l’agent la possibilité de reporter son renvoi au Mali à une date ultérieure au 3 février 2007.

 

[36]           Aux termes de l’article 48(2) de la LIPR, le Ministre doit exécuter une mesure de renvoi exécutoire « dès que les circonstances le permettent ». L’agent de renvoi ne saurait envisager de différer l’exécution du renvoi sans justification valable car il doit se conformer à une obligation positive imposée par la Loi. (Wang, ci-dessus.)

 

[37]           Le demandeur allègue que la décision de renvoi de l’agent d’exécution de la loi est hâtive. À cet égard, le défendeur fait valoir que :

·        la mesure de renvoi a été prise le 5 avril 2004, elle est exécutoire et ne fait l’objet d’aucun sursis statutaire – par. 48(1) LIPR;

·        le Ministre doit exécuter une mesure de renvoi exécutoire « dès que les circonstances le permettent » – par. 48(2) LIPR;

·        le demandeur a eu tout le loisir de présenter une demande d’asile, une demande CH et une demande ERAR, toutes trois ayant été rejetées;

·        l’entrevue avec l’agent de renvoi au cours de laquelle la date du renvoi a été fixée a eu lieu après que l’agent Beaulac ait évalué les allégations du demandeur quant au risque de retour au Mali et aux possibles considérations humanitaires et ne rende des décisions ERAR et CH négatives.

 

 

[38]           Même si cette Cour devait évaluer le mérite de la question sérieuse à la lumière des allégations du demandeur portant sur les décisions d’ERAR et CH négatives, la Cour arriverait aux conclusions suivantes.

 

Décision ERAR

[39]           Une lecture attentive de la décision et des notes de l’agent d’ERAR dans leur ensemble démontre qu’elle :

·        a pris en compte et examiné l’ensemble des allégations et éléments de preuve devant elle;

·        a bien cerné le fondement de la crainte ou du risque invoqué par le demandeur;

·        a valablement noté que la SPR « a jugé l’ensemble du témoignage du demandeur non plausible, non crédible et inventé »;

·        a apprécié les nouveaux éléments de preuve aux termes du paragraphe 113(a) de la LIPR et la preuve documentaire objective récente;

·        a fourni des motifs clairs et intelligibles soutenant les inférences à l’appui de sa décision négative, rendues en conformité avec les principes de droit applicables.

 

 

[40]           Par ses allégations générales, le demandeur ne démontre aucunement l’existence d’un motif sérieux pouvant justifier l’intervention de la Cour.

 

[41]           En fait, le demandeur allègue, de façon générale, que la décision est manifestement déraisonnable, sans présenter d’argument valable étayé par la preuve qui pourrait justifier l’intervention de la Cour. Le demandeur cherche plutôt à réitérer son histoire et à substituer sa propre opinion à celle du décideur quant à l’appréciation de la crédibilité, du poids, de la suffisance ou de la pertinence des divers éléments de preuve. Le désaccord du demandeur avec les inférences tirées par l’agent d’ERAR en regard de la preuve devant elle ne suffit pas à établir que l’agent d’ERAR n’aurait pas soigneusement analysé les nouveaux éléments de preuve qu’il a déposés.

 

[42]           L’évaluation de la preuve à laquelle s’est livré le tribunal est une question de fait. Dans le jugement Tharumarasah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 FC 211, [2004] A.C.F. no 258 (QL), la Cour a décrit dans les termes suivants la norme de contrôle applicable aux décisions d’un agent d’ERAR, qui commande une grande déférence :

[6]        Il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions des agents d'ERAR. Si la décision de l'agent d'ERAR n'a rien de déraisonnable, il n'y a pas de question sérieuse. En l'espèce, l'agent d'ERAR a clairement tenu compte des observations de Mme Tharumarasah et de la preuve documentaire soumise à l'appui de celles-ci relativement aux violations persistantes des droits de la personne au Sri Lanka. Ce que Mme Tharumarasah demande à la Cour c'est d'apprécier de nouveau la preuve dont est était saisi l'agent d'ERAR. Mme Tharumarasah n'accepte peut être pas la décision de l'agent d'ERAR, mais elle n'a pas établi qu'il était permis de croire que cette décision était déraisonnable ou abusive; en conséquence, aucune question sérieuse n'est soulevée en l'espèce. [La Cour souligne.]

 

 

[43]           Quant au reproche du demandeur portant que l’agent d’ERAR ne fait pas allusion, dans sa décision d’ERAR ou ses notes, à son lien avec une citoyenne canadienne, il est mal fondé en l’espèce. La demande d’ERAR vise à évaluer les risques de retour du demandeur lui-même car il est celui sujet à renvoi dans son pays et non pas à évaluer les considérations humanitaires basées sur sa relation avec une citoyenne canadienne. C’est dans la demande CH du demandeur que ces considérations, incluant la séparation du couple en cas de renvoi, ont été prises en compte et pleinement évaluées. (Affidavit de H. Exantus – Pièce D : notes au dossier du 6 décembre 2006.)

 

[44]           Quant à l’allégation portant que la décision d’ERAR ne respecte pas le principe d’impartialité, de justice fondamentale et d’équité procédurale, le demandeur ne précise aucunement en quoi l’agent aurait manqué à ces principes en l’occurrence, ni en quoi le demandeur n’aurait pu faire valoir ses moyens. Une allégation aussi vague et générale sans aucun appui dans la preuve ne saurait réussir à établir une question sérieuse. 

Décision CH (considérations humanitaires)

[45]           Le paragraphe précédent s’applique également quant à la décision CH.

 

[46]           Le demandeur allègue que « [L]’agente d’immigration a erré en rendant sa décision sans prendre en compte des objectifs de la nouvelle politique publique en matière d’immigration ». Ce reproche général est mal fondé en l’espèce. Il ressort des notes au dossier de l’agent, déposées comme « Pièce D » de l’affidavit de H. Exantus, qu’elle a conclu que le demandeur ne se qualifiait pas aux termes de cette politique et que sa demande devait être évaluée en regard de l’article 25(1) de la LIPR. Les notes au dossier indiquent :

« Il vit avec une citoyenne canadienne depuis juillet 2006, cela ne fait pas un an et ils ne peuvent être considérés comme conjoints de faits.  Il n’y a pas de parrainage au dossier non plus. »

 

(Notes CH - p. 2, partie 4, question no. 2)

« … Les demandes faites au Canada doivent répondre aux critères de catégories décrites au Règlement 72. Le requérant ne peut être évalué dans une catégorie, aussi, je considère les motifs humanitaires de sa demande de dispense des exigences d’une catégorie en application de l’article 25(1) de la LIPR concernant des cas non prévus par la Loi. »

 

(Notes CH - p. 4, partie 5, 2e paragraphe)

« Tel qu’indiqué, le demandeur vit avec sa conjointe de fait depuis juillet 2006, ce qui ne fait pas un an et aucun parrainage n’a été déposé, il ne peut donc pas être considéré dans le cadre des directives du 18 février 2005 sur les conjoints et conjoints de fait.  Il vit avec son amie canadienne, Marilyne Lachapelle depuis juillet 2006, mais la fréquentait depuis plusieurs mois. »

 

(Notes CH – p. 4, partie 5, 5e paragraphe.)

 

B - PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[47]           Cette Cour dans l’affaire Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 53 F.T.R. 93, [1992] A.C.F. no 237 (QL), le juge Andrew MacKay s’est prononcé comme suit sur la notion du préjudice irréparable :

[15]      À supposer, aux fins de la requête en l'espèce, qu'il y ait une question importante à trancher, il échet d'examiner si le requérant subira un préjudice irréparable au cas où la requête en suspension ne serait pas accueillie. Je ne doute pas qu'il éprouverait beaucoup d'inconvénients et certainement des difficultés, s'il devait être expulsé avant que sa demande d'autorisation de recours en contrôle judiciaire ne soit entendue. Ses liens avec ses soeurs et leurs familles au Canada, qui l'avaient manifestement aidé à retomber sur ses pieds après ses problèmes d'alcoolisme et son incarcération, s'en ressentiront. Il a actuellement un travail régulier au Canada et n'a aucune perspective d'emploi s'il retourne en Guyane. Il n'y a pas de famille immédiate non plus. Il lui sera plus difficile de communiquer avec son avocate au sujet de sa demande d'autorisation. Je ne pense cependant pas que ces difficultés personnelles constituent un préjudice irréparable, aussi graves qu'elles soient pour le requérant. Il ne sera pas renvoyé dans un pays où sa sécurité ou sa vie sera en danger. Si l'autorisation lui est accordée d'exercer son recours en contrôle judiciaire, si les ordonnances qu'il recherche par cette demande sont rendues et si, après nouvel examen du dossier, l'intimé conclut qu'il y a des raisons d'ordre humanitaire qui justifient qu'il demeure au Canada, la mesure d'expulsion en cours et qui doit être mise à exécution le 23 mars 1992 pourra être contestable du même coup, et il ne sera pas inimaginable que l'intimé admette le requérant au Canada si celui-ci demande à y retourner.

 

[48]           La décision Kerrutt a été suivie par la juge Sandra Simpson dans Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1995) 92 F.T.R. 107, [1995] A.C.F. no 393 (QL), où elle ajoutait ce qui suit relativement à la définition du préjudice irréparable :

Le critère est très exigeant et j’admets son principe de base selon lequel on entend par préjudice irréparable quelque chose de très grave, c’est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ.

[49]           Le principal préjudice irréparable allégué par le demandeur est relié à la crainte alléguée pour son intégrité, sa sécurité ou sa vie s’il retourne au Mali pour les motifs présentés devant la SPR, devant l’agent d’ERAR et devant l’agent CH.

 

[50]           Or, aucun de ces décideurs n’a donné raison au demandeur, les seuls éléments jugés crédibles qu’il a soumis étant insuffisants pour satisfaire aux critères applicables aux termes des articles 96, 97 ou 25(1) de la LIPR, selon le décideur en cause.

 

[51]           Soulignons que la SPR a conclu à l’absence de crédibilité du demandeur et de son histoire inventée, et a notamment conclu à l’existence de protection étatique en l’espèce. Cette Cour a refusé la demande d’autorisation de la décision de la SPR.

 

[52]           L’agent d’ERAR a elle aussi conclu que le demandeur n’avait pas établi de risques objectivement identifiables et personnels s’il retourne dans son pays de nationalité, le Mali, et que la protection étatique existait en l’espèce.

 

[53]           Cette Cour a reconnu, dans le cadre d’une requête en sursis, la valeur des évaluations du risque à laquelle se sont livrés d’autres décideurs. Dans le jugement Wang, ci-dessus, cette Cour a écrit :

[53]      Selon moi, les questions que le demandeur a soulevées dans sa demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire ne font pas état d'une obligation légale qui justifierait que le ministre ne se décharge pas de l'obligation qui est sienne en vertu de la loi. La séparation forcée d'avec son épouse est regrettable, mais elle n'a pas l'effet d'exiger une intervention. Le demandeur a fait l'objet d'une évaluation des risques dans le cadre de la révision des revendications refusées et la conclusion est qu'il ne fait pas face à un risque significatif s'il est renvoyé en Chine.

 

[54]      Pour remettre le tout dans le contexte de l'analyse expliquée ci-dessus, le demandeur est visé par une mesure de renvoi valable. Le demandeur a cherché à obtenir qu'on diffère l'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'on ait traité sa demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire. Cette demande est fondée sur son mariage et sur la détresse qui sera causée par la séparation imposée. Le demandeur a eu le bénéfice d'une évaluation en tant que DNRSRC, suite à laquelle on n'a pas constaté l'existence d'un danger réel s'il était renvoyé en Chine. Par conséquent, ceci ne suffit pas à justifier qu'on ne respecte pas les exigences de l'article 48 de la Loi. Dans les circonstances, je conclus qu'il n'y a pas de question sérieuse à trancher qui puisse justifier suffisamment l'octroi du sursis. [La cour souligne.]

 

 

[54]           La notion de préjudice irréparable fut définie dans l’affaire Kerrutt, ci-dessus, cité notamment dans l’affaire Akyol, ci-dessus, comme le renvoi du requérant vers un pays où il existe du danger pour sa vie et sa sécurité.

 

[55]           Dans Akyol, ci-dessus, le juge Luc Martineau indiquait ce qui suit :

[6]        Premièrement, il n'y a aucune preuve que les demandeurs courraient vraisemblablement un risque pour leur vie ou leur sécurité : Kerrutt c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 53 F.T.R. 93; Atakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 68 F.T.R. 122 (Atakora); Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 201 (C.F. 1re inst.); Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 92 F.T.R. 107; Duve c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 387 (C.F. 1re inst.).

[7]        Deuxièmement, l'allégation d'un préjudice irréparable ne doit pas être une simple hypothèse ni être fondée sur une série de possibilités. La Cour doit être convaincue que ce préjudice surviendra si la réparation sollicitée n'est pas accordée : Atakora, précitée, au paragraphe 12; Syntex Inc. c. Novopharm Inc. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129, à la page 135 (C.A.F.); Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 559, 2001 CFPI 325, au paragraphe 15.

 

[8]        Troisièmement, la Cour note que le risque que les demandeurs courraient s'ils retournaient en Turquie a été évalué deux fois : une première fois par la SPR, et la seconde fois par l'agent d'ERAR. Dans les deux cas, ces deux tribunaux administratifs ont conclu que les demandeurs ne courraient pas de risque. En l'espèce, la SPR a clairement mis en doute la crédibilité des demandeurs lorsqu'elle a conclu, en se fondant sur le comportement que les demandeurs avaient eu pendant une longue période, qu'ils n'avaient pas la crainte subjective d'être persécutés qui était à la base de leur revendication. La jurisprudence de la Cour établit que lorsque le récit d'un demandeur est jugé non crédible, ce récit ne peut servir de base à une allégation de préjudice irréparable dans le cadre d'une demande de sursis : Saibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 151, 2002 CFPI 103, au paragraphe 11; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 751, au paragraphe 12; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 483, aux pages 492 et 493 (1re inst.). [La Cour souligne.]

 

[56]           À la lumière de ce qui précède, le demandeur qui soulève à nouveau devant cette Cour les mêmes allégations que celles examinées à fond par la SPR (laquelle a jugé non crédible et inventée l’histoire du demandeur), l’agent d’ERAR et l’agent CH, échoue à établir ce préjudice irréparable.

 

Autres inconvénients allégués

[57]           Cette Cour a conclu, à maintes reprises, que les inconvénients qui sont les conséquences normales du renvoi d’un individu du Canada (par exemple la séparation de la famille, perte d’un emploi, biens à liquider, etc.) ne sauraient établir, en soi, l’existence d’un préjudice irréparable. Kerrutt et Akyol, ci-dessus :

[12]      En conclusion, je conclus que l'expulsion des demandeurs n'a pas d'autres conséquences que des conséquences normales (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39, au paragraphe 21). Dans ces circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur vu qu'il est dans l'intérêt public que la mesure de renvoi soit exécutée dans les meilleurs délais possible (Celis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1679, 2002 CFPI 1231, au paragraphe 4).

[58]           Dans la décision Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1075, [2003] A.C.F. no 1350 (QL) :

[6]        [...] Il existe une abondance de jurisprudence de la Cour qui a statué que la séparation de la famille constitue une conséquence déplorable, mais inévitable de l'expulsion...

 

 

[59]           Dans l’affaire Celis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1231, [2002] A.C.F. no 1679 (QL), le juge Yvon Pinard a précisé ce qui suit :

[3]        Deuxièmement, la séparation de la famille ne constitue pas, en soi, un préjudice irréparable, parce qu'il s'agit d'une conséquence normale de l'expulsion (voir, par exemple : Asomadu-Acheampong c. M.E.I. (22 mars 1993), IMM-1008-93; Boda c. M.E.I. (1992), 56 F.T.R. 106; Mobley c. M.C.I. (12 juin 1995), IMM-107-95; Jones c. M.C.I. (12 juin 1995), IMM-454-95; Ram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 883 (QL); Mario Ernesto Huezo et al. c. M.C.I. (21 avril 1997), IMM-1491-97; William Geovany Castro c. M.C.I. (14 octobre 1997), IMM-2729-97; Melo c. Canada (M.C.I.) (2000), 188 F.T.R. 39 et Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 766 (QL)). La situation du demandeur ne diffère en rien des autres situations d'expulsion.

[60]           Dans l’affaire Bayemi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-2348-04, 23 mars 2004, le juge Pinard mentionne :

It is well established that irreparable harm connotes harm that results to the applicant, and not to his wife or family (see Simpson v. Canada (M.E.I.), [1993] F.C.J. No. 380). The applicant’s separation from his wife, in the present circumstances, does not amount to irreparable harm (see Robinson v. Canada, [1994] F.C.J. No. 52). Irreparable harm must be serious and more than the unfortunate hardship associated with the break up of family ties or financial constraints (see Pourghannad v. Canada (M.C.I.), [1995] F.C.J. No. 13364)).

 

 

[61]           En l’espèce, le demandeur a débuté une relation avec sa conjointe alors qu’il était en statut précaire. À l’égard d’un demandeur qui a choisi de se marier en dépit de son statut précaire, dans l’affaire Banwait c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 393 (QL), le juge Paul Rouleau a conclu :

[16]      Je ne vois pas en quoi le ministre aurait agi irrégulièrement ou aurait suscité des attentes chez le demandeur; si celui-ci a décidé de se marier alors que sa situation n'avait pas encore fait l'objet d'une décision favorable de la part des autorités canadiennes, c'est à ses propres risques, et non à ceux du ministre qui a l'obligation de faire respecter les lois du Canada.

[17]      Lorsque des demandeurs demandent l'examen de leur dossier pour des considérations d'ordre humanitaire en sachant très bien que leur renvoi est imminent, je ne suis généralement pas disposé à accorder un sursis.

[18]      L'avocat du demandeur prétend que son client a été mis sur une fausse piste par l'incompétence d'un notaire public incompétent dont il a retenu les services. Cet argument n'est pas suffisant à mon avis pour convaincre la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

[19]      La Cour n'a aucun motif de retarder le renvoi parce que la demande à titre de conjoint n'a pas encore été tranchée. La demande fondée sur des considérations humanitaires sera un jour examinée en profondeur. Si la décision rendue est favorable, le demandeur pourra alors recevoir de l'aide pour revenir au Canada. La crainte que son renvoi en Inde inspire au demandeur a déjà fait l'objet d'un examen minutieux et il a été décidé qu'elle n'avait aucun fondement raisonnable. [La Cour souligne]

 

[62]           Dans ses prétentions écrites, le demandeur allègue qu’il partage les charges du domicile conjugal avec sa conjointe, qu’il perdra son emploi et ses biens acquis au Canada. Ces allégations sont gratuites car non appuyées par l’affidavit du demandeur muet à ce sujet (sauf la perte de son emploi qui appert être une conséquence inévitable de son renvoi du Canada).

[63]           D’une part, dans Bayemi, ci-dessus, cette Cour a déjà conclu que le préjudice irréparable devait être apprécié en regard de l’individu qui sera renvoyé du Canada, et non d’une tierce personne incluant un conjoint.

It is well established that irreparable harm connotes harm that results to the applicant, and not to his wife or family (see Simpson v. Canada (M.E.I.), [1993] F.C.J. No. 380).

 

 

[64]           D’autre part, le fait que le demandeur pourrait subir des inconvénients économiques ne constitue pas un préjudice irréparable. Le juge Allan Lutfy dans Trusewicz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 460 (QL), dit ce qui suit :

[4]        Le fait que les requérants pourront subir des inconvénients économiques et sociaux ne constitue pas un préjudice irréparable. (Voir Kerrutt c. M.E.I. (1992), 53 F.T.R. 93; Sora c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 488, IMM-2220-93 (14 janvier 1993); Sanchez c. M.E.I., IMM-2884-95 (8 décembre 1995), [1995] A.C.F. no 1647; et Khan c. M.E.I. (1992), 58 F.T.R. 98).

 

(Également : Akyol, ci-dessus, au par. 9.)

 

[65]           Le défendeur souligne que l’agent de renvoi, à l’entrevue du 10 janvier 2007, a demandé au demandeur « s’il a quelqu’un pour l’aider une fois arrivé au Mali » ce à quoi le demandeur a répondu oui et a déclaré « que les parents de ses cousins peuvent le recevoir et l’aider. » (Affidavit de H. Exantus – Pièce E : notes de l’entrevue du 10 janvier 2007.)

 

[66]           Enfin, le renvoi d’une personne ayant une demande pendante devant la Cour ne constitue ni une question sérieuse ni un préjudice irréparable. En l’espèce, le demandeur est représenté par procureur et le traitement des demandes d’autorisation peut continuer même si le demandeur n’est plus au Canada. Dans Akyol, ci-dessus, la Cour mentionnait :

[11]      Sixièmement, l'expulsion de personnes alors qu'elles ont présenté des demandes d'autorisation ou engagé d'autres instances devant la Cour ne constitue ni une question sérieuse ni un préjudice irréparable : Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 86 (1re inst.), au paragraphe 12; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1166 (1re inst.). Je note également que le traitement de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire continuera peu importe où les demandeurs se trouvent et qu'ils peuvent donner à leur avocat, à partir des États-Unis ou à partir de la Turquie, s'ils se retrouvaient là, les directives à suivre pour la poursuite de leur litige.

 

 

C - Balance des inconvÉnients

[67]           Le défendeur est d’avis que la balance des inconvénients penche en faveur du Ministre dans la mesure où le demandeur n’a établi ni l’existence d‘une question sérieuse ni d’un préjudice irréparable. Dans Morris c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-301-97, 24 janvier 1997 le juge Lutfy dit :

N'ayant trouvé aucune question sérieuse ni de préjudice irréparable, je n'ai aucune difficulté à conclure que la balance des inconvénients favorise l'exécution de l'ordonnance de renvoi par le ministère selon son obligation en vertu de l'article 48 de la Loi.

et dans Akyol, ci-dessus :

[5]        En supposant, sans trancher la question, qu'il existe une question sérieuse à examiner en l'espèce, la Cour refuse néanmoins le sursis à l'exécution de la mesure de renvoi du Canada demandé par les demandeurs, au motif qu'il n'a pas été établi qu'ils subiraient un préjudice irréparable.

[…]

[12]      En conclusion, je conclus que l'expulsion des demandeurs n'a pas d'autres conséquences que des conséquences normales (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39, au paragraphe 21). Dans ces circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur vu qu'il est dans l'intérêt public que la mesure de renvoi soit exécutée dans les meilleurs délais possible (Celis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1679, 2002 CFPI 1231, au paragraphe 4). (La Cour souligne.)

 

[68]           Le paragraphe 48(2) de la LIPR impose au défendeur l’obligation d’exécuter la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent.

 

[69]           De nombreuses décisions de cette Cour ont décidé que lors de l’étude de la balance des inconvénients, la notion de l'intérêt public doit être prise en considération :

[17]      [...] Pour se prononcer sur une suspension de l'action de ceux qui exercent une fonction publique légale, la Cour doit prendre cet intérêt public en considération (Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, le juge Beetz, pages 129-146).

[18]      En l'espèce, l'intérêt public que représente l'application d'un processus légal, laquelle n'a pas encore été jugée irrégulière, l'emporte sur les considérations de préjudice possible pour le requérant. Bien qu'il ne s'agisse pas là d'un facteur de ma conclusion, la Cour a conscience de l'effet possible d'une ordonnance de suspension dans un cas qui ne présente aucune circonstance exceptionnelle, savoir la possibilité, en attendant l'instruction d'une demande d'autorisation de recours en contrôle judiciaire portant sur ce qui constitue généralement l'avant-dernière étape dans les instances de ce genre, d'ajouter au processus normal de renvoi sous le régime de la Loi sur l'immigration, un délai auquel n'a pas acquiescé le Ministre qui est chargé d'appliquer la loi. [La Cour souligne.]

 

Dans Kerrutt, ci-dessus :

[10]      En ce qui concerne la question relative à la répartition des inconvénients, la Cour devrait prendre en considération l'intérêt public comme il se rapporte au préjudice personnel qui pourrait résulter dans ce cas particulier. Bien qu'il s'agissait d'extradition, je cite les paroles du juge Sopinka dans l'arrêt Chiarelli v. Minister of Employment and Immigration (1992), 135 N.R. 161, à la page 182:

Le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. En common law, les étrangers ne jouissent pas du droit d'entrer au pays ou d'y demeurer.

(La Cour souligne.)

(Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994) 90 F.T.R. 54, [1994] A.C.F. no 1990 QL) (juge Rouleau)

 

[70]           La juge Barbara Reed, dans l'affaire Membreno-Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 306, [1992] A.C.F. no 535 (QL), a développé à fond la question de la balance des inconvénients en matière de sursis et de l'intérêt public qui doit être pris en considération :

[18]      Cependant, d'après la prépondérance des inconvénients, il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout à fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeurer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé.

 

[71]           En l’espèce, le fait que le demandeur ait pu bénéficier de plusieurs recours qui lui sont tous défavorables depuis son arrivée au Canada peut être pris en considération dans l’appréciation de la balance des inconvénients.

[21]      L'avocate des appelants dit que, puisque les appelants n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu'ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu'à l'issue de leur appel.

[22]      Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

 

(Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, [2004] A.C.F. no 1200 (QL).)

 

[72]           Le juge Max M. Teitelbaum, dans l'affaire Sedarous c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 655 (QL), déclarait que lorsque la validité d'une mesure de renvoi n'est pas attaquée (comme c’est le cas en l’espèce), la balance des inconvénients penche alors en faveur de l'intérêt public à ce que le processus d'immigration prévu par la Loi suive son cours :

[12]      [...]. Si la validité de la mesure d'expulsion n'était pas contestée comme elle l'est présentement, je suis convaincu - et je suis la décision du juge Muldoon et celle des autres juges qui ont suivi la décision du juge Muldoon - qu'il est dans l'intérêt public d'exécuter les mesures d'expulsion le plus tôt possible, et cela relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

[73]           Par conséquent, la balance des inconvénients penche en faveur de l'intérêt public à ce que le processus d'immigration prévu par la Loi suive son cours.

CONCLUSION

[74]           Pour l’ensemble de ces motifs, la requête en sursis du demandeur est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que cette demande de sursis soit rejetée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-287-07

 

INTITULÉ :                                       SEYDOU KANTE c.

Ministre de la Sécurité publique

                                                            et de la Protection civile 

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 29 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 2 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sangaré Salif

 

POUR LAPARTIE DEMANDERESSE

Me Christine Bernard

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SANGARÉ SALIF

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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