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Date : 20070223

Dossier : IMM‑590‑06

Référence : 2007 CF 197

Ottawa (Ontario), le 23 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

TAWAKALIT ODUNOLA HAMMED

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Tawakalit Odunola Hammed, de nationalité nigériane, a sollicité l’asile parce qu’elle dit craindre son oncle, qui aurait commis sur elle des violences sexuelles durant plusieurs années. Elle prétend que son oncle a menacé de la tuer et qu’il a tenu des propos calomnieux contre elle devant la police, de telle sorte qu’elle serait maintenant recherchée par la police nigériane. Par la décision en date du 17 janvier 2006, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile. La décision de la Commission était fondée sur trois conclusions distinctes :

 

  • la demanderesse n’avait pas établi son identité comme l’y obligeait l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

  • la Commission n’a pas cru la demanderesse lorsqu’elle a dit qu’elle avait été abusée par son oncle ou qu’elle était recherchée par la police au Nigeria; et

 

  • la demanderesse pouvait se prévaloir, à Lagos, d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

[2]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, et elle soulève les questions suivantes :

 

  1. La Commission a‑t‑elle manqué aux principes de l’audition équitable en rendant sa décision avant d’avoir reçu les conclusions complémentaires de la demanderesse?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte des pièces d’identité produites par la demanderesse?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas cru la demanderesse, en se fondant sur des présomptions qui n’étaient pas justifiées par la preuve et sur des contradictions qui n’existaient pas?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la décision de la Commission devrait être infirmée.

 

Analyse

[4]               Je signale d’abord que chacune des trois conclusions de la Commission est à elle seule décisive. Le demandeur d’asile doit être en mesure d’établir, à la satisfaction de la Commission, qu’il est celui qu’il prétend être. À défaut, la demande d’asile n’est pas recevable et la Commission n’est pas tenue alors d’évaluer le bien‑fondé de la demande (voir par exemple la décision Najam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 425, 129 A.C.W.S. (3d) 1189). De même, la demande d’asile peut être rejetée au motif que la Commission juge non crédible le récit du demandeur d’asile, selon la prépondérance de la preuve. Enfin, même si l’identité du demandeur d’asile est établie et que son récit est jugé crédible, la demande d’asile n’est pas recevable si l’on peut raisonnablement penser que le demandeur d’asile disposait d’une PRI. S’il dispose d’une PRI, il n’est pas un réfugié ni une personne à protéger (Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353, au paragraphe 7, 137 A.C.W.S. (3d) 1196). Ainsi, l’erreur entachant une ou deux de ces conclusions ne signifie pas que la demande de contrôle judiciaire est accueillie; la demanderesse doit plutôt me convaincre que les trois conclusions tirées par la Commission étaient erronées.

 

[5]               Naturellement, si elle est établie, l’allégation de manquement à l’équité procédurale peut jeter le doute sur l’intégralité de la décision.

 

L’audition équitable

[6]               Dans son affidavit établi sous serment, la demanderesse dit que la Commission lui avait donné jusqu’au 7 février 2006 pour produire un rapport psychologique et le témoignage de son compagnon. En rendant sa décision le 17 janvier 2006, la Commission a manqué aux règles de l’équité.

 

[7]               La difficulté que posent à cet égard les arguments de la demanderesse est qu’ils ne sont pas étayés par le dossier certifié du Tribunal. La transcription de l’audience ne fait nulle part état d’un ajournement destiné à permettre la présentation d’autres arguments. L’audience du 10 janvier 2006 n’a pris fin qu’avec une déclaration du commissaire selon laquelle sa décision était mise en délibéré. Si le commissaire avait donné son accord, il en aurait logiquement été fait mention au cours de l’audience. Par ailleurs, la fiche de renseignements sur l’audience, qui est produite par les fonctionnaires de la Commission après une audience, précise seulement que la décision est mise en délibéré et elle ne fait pas état d’autres arguments. Enfin, si la demande d’ajournement a été faite par écrit, avant ou après l’audience, on s’attendrait à trouver la demande dans le dossier certifié du Tribunal. Je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, que la Commission n’a pas consenti à autoriser la production d’autres arguments.

 

[8]               L’avocat de la demanderesse m’a donné à entendre que l’accord avait été conclu officieusement au cours de l’audience où il représentait la demanderesse. Loin de moi l’idée de mettre en doute la crédibilité de l’avocat, mais cette « preuve » me cause des difficultés. D’abord, l’avocat – et non la demanderesse – aurait dû sur ce point produire son témoignage sous serment. Par ailleurs, vu l’absence totale de mention de l’accord en question, sans doute l’avocat de la demanderesse a‑t‑il mal interprété ce que la Commission avait convenu de faire.

 

[9]               Par conséquent, la demanderesse n’a pas prouvé que l’audience tenue devant la Commission n’a pas été équitable.

 

L’identité

[10]           Comme je l’ai dit, la Commission est fondée à rejeter la demande d’asile si le demandeur d’asile ne produit pas des preuves tangibles de son identité. En l’espèce, la Commission a passé en revue les quelques documents produits et elle a conclu que la demanderesse n’était pas originaire récemment du Nigeria. D’après la preuve que la Commission avait devant elle, cette conclusion n’était pas déraisonnable et, comme je l’ai dit, elle aurait pu être décisive quant à la demande d’asile.

 

Les conclusions touchant la crédibilité de la demanderesse

[11]           La demanderesse dit que les conclusions tirées par la Commission sur sa crédibilité étaient abusives. J’admets que les observations de la Commission quant à savoir si la demanderesse était ou non tombée enceinte ne sont que des conjectures non étayées par la preuve. Par ailleurs, l’observation selon laquelle il est déraisonnable de croire que sa tante n’avait pas connaissance des agressions sexuelles est, selon moi, manifestement fondée sur des présomptions déraisonnables. Cette portion de la décision de la Commission ne saurait être défendue. Sans les conclusions de la Commission relatives à la question de l’identité et à celle de la PRI, j’inclinerais à accueillir la demande de contrôle judiciaire au motif que les deux conclusions susmentionnées étaient abusives et non étayées par la preuve dont la Commission disposait. Je dirais aussi que ces deux conclusions vont à l’encontre des Directives de la Commission concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’elles reflètent un mépris flagrant pour le sort d’une femme qui a été depuis son jeune âge l’objet de sévices répétés. Malgré les doutes que suscitent dans mon esprit les observations de la Commission sur la question des sévices, la Commission a tiré d’autres conclusions qui peuvent être étayées par la preuve et qui étaient pertinentes quant à l’examen global de la demande d’asile.

 

[12]           La Commission a peut‑être fait erreur dans sa manière d’évaluer le récit de la demanderesse, qui disait avoir subi les agressions répétées de son oncle, mais je ne suis pas convaincue que la Commission a fait erreur quand elle a dit que la demanderesse n’était pas recherchée par la police au Nigeria. La conclusion de la Commission était fondée sur les contradictions du témoignage de la demanderesse, sur l’absence de preuves tendant à le confirmer et sur le caractère imprécis du témoignage de la demanderesse durant l’audience. La conclusion de la Commission sur cette question est une conclusion de fait qui est étayée par la preuve.

 

La PRI

[13]           Le demandeur d’asile est tenu de prouver qu’il serait exposé à un risque n’importe où dans son pays d’origine, avant de pouvoir solliciter une protection en dehors de ce pays. Si le demandeur d’asile qui a subi des actes de persécution dans une région du pays est à même de se réinstaller dans une autre région où il ne serait probablement pas en butte à la persécution et n’aurait pas besoin de protection, alors l’asile lui est refusé au Canada puisqu’il dispose d’une PRI.

 

[14]           En l’espèce, la Commission a estimé, subsidiairement à sa conclusion relative à la crédibilité, que la demanderesse disposait d’une PRI à Lagos. Aux fins de son analyse sur cette question, la Commission a présumé que le récit des violences dont la demanderesse se disait victime était véridique. La Commission a soulevé durant l’audience la question de l’existence d’une PRI. La demanderesse a été autorisée à expliquer les raisons pour lesquelles Lagos ne constituerait pas pour elle une PRI. La Commission a estimé que « il y a très peu de chances que son oncle, qui vit dans une autre ville, en vienne à découvrir ses allées et venues ». La Commission a aussi relevé que le compagnon de la demanderesse vivait à Lagos et que « les études de la demandeure d’asile lui seront très utiles à Lagos et, avec l’aide de son copain, elle peut raisonnablement s’attendre à trouver un emploi et un logement dans la plus grande ville du Nigéria ».

 

[15]           L’unique aspect de cette demande d’asile qui aurait pu influer sur la conclusion relative à la PRI est l’existence d’un mandat d’arrêt délivré contre la demanderesse. Si la demanderesse avait été recherchée par la police, il est possible que la police (et son oncle) eussent été en mesure de la trouver à Lagos. Cependant, la Commission a rejeté l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle était recherchée par la police, et je suis d’avis que cette conclusion n’était pas manifestement déraisonnable. Par conséquent, la Commission pouvait conclure comme elle l’a fait à propos de la PRI. Pour ce seul motif, la décision de la Commission ne doit pas être infirmée.

 

Dépens

[16]           Le défendeur dit que des dépens devraient être adjugés dans la présente affaire en raison des faux renseignements contenus dans l’affidavit. L’affidavit ne me satisfait pas, mais je ne suis pas disposée à dire que des dépens sont justifiés dans la présente affaire.

 

Dispositif

[17]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée. Je conviens que les points soulevés dans la présente affaire ne sont pas de portée générale, et je ne certifierai pas de question.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

 

  1. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑590‑06

 

 

INTITULÉ :                                       TAWAKALIT ODUNOLA HAMMED c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adetayo G. Akinyemi                                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

Amy Lambiris                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Adetayo G. Akinyemi                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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