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Date : 20070227

Dossier : IMM-6780-05

Référence : 2007 CF 211

Ottawa (Ontario), le 27 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

ARIF HAXHIAJ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Lorsqu’un tribunal de première instance conclut qu’une demande n’est pas crédible relativement aux principales questions qu’elle soulève en raison des contradictions internes inconciliables que comportent le témoignage et les documents personnels du demandeur, la Cour fédérale n’a d’autre choix que de rejeter la demande de contrôle judiciaire connexe.

 

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et sur la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), à l’égard d’une décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) a rendue le 19 octobre 2005 et dans laquelle elle a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[3]               Le demandeur, M. Arif Haxhiaj, est âgé de 31 ans. Il est né dans le village de Rakosh, situé dans la région d’Istog, au Kosovo, et est d’origine albanaise. Il a une épouse et un fils qui se trouvent toujours au Kosovo.

 

[4]               M. Haxhiaj demande l’asile en raison de ses opinions politiques, notamment son affiliation avec la Ligue démocratique du Kosovo (LDK).

 

[5]               En mars 1996, le demandeur a refusé de répondre à un avis de conscription de l’armée yougoslave.

 

[6]               Au printemps de 1998, il s’est porté volontaire pour aider des résidents locaux d’origine albanaise et a aidé ceux qui avaient perdu leur maison au cours d’escarmouches entre les autorités serbes et l’Armée de libération du Kosovo (ALK) en 1998.

[7]               En janvier 1999, le demandeur a refusé de joindre les rangs de l’ALK et est demeuré caché afin de ne pas être enrôlé de force par celle-ci. Pendant l’absence du demandeur, l’ALK a confisqué la voiture de celui-ci en guise de pénalité.

 

[8]               En mars 1999, le demandeur s’est enfui en Albanie et y est resté jusqu’en juin 1999, lorsque les forces des Nations Unies ont occupé le Kosovo.

 

[9]               Au milieu de l’année 2000, les Albanais étaient profondément divisés sur le plan politique. Le demandeur a toujours appuyé la LDK. À l’été 2000, un dirigeant de la LDK a tenté de l’encourager à devenir membre du parti et à diriger le forum des jeunes dans sa région. Le demandeur avait presque décidé de devenir membre du LDK lorsqu’un candidat en vue de ce parti a été kidnappé et assassiné par le Parti démocratique du Kosovo (PDK).

 

[10]           Après cet incident, le demandeur a décidé de ne pas devenir officiellement membre de la LDK; cependant, il a décidé d’utiliser sa popularité pour promouvoir ce parti, notamment en distribuant des dépliants, en conduisant des gens à des réunions de la LDK et en prononçant des discours durant des rassemblements communautaires. En raison de ses activités, il a été menacé durant les campagnes électorales de 2000 et 2001.

 

[11]           En 2001, il a été attaqué par des extrémistes et a alors été blessé à la tête et au dos.

 

[12]           Après les élections de 2002, il s’est fait dire que sa femme serait tuée s’il ne quittait pas le Kosovo. M. Haxhiaj craignait de communiquer avec la police, qui entretenait d’étroites relations avec le PDK.

 

[13]           En mai 2003, la rue a été barricadée en face de son domicile. En août 2003, le demandeur a trouvé sur sa porte d’entrée un drap blanc sur lequel était inscrit un message lui ordonnant de quitter le Kosovo. Après cet incident, M. Haxhiaj est parti se cacher.

 

[14]           En septembre 2003, des assaillants ont dérobé 1 200 euros au frère du demandeur, l’ayant confondu avec celui-ci.

 

[15]           En janvier 2004, M. Haxhiaj a fui le Kosovo et, muni de faux documents, est arrivé au Canada, où il a immédiatement présenté une demande d’asile.

 

LA DÉCISION SOUS EXAMEN

[16]           La Commission a décidé que l’exposé circonstancié du demandeur comportait des renseignements contradictoires et peu probables et a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de M. Haxhiaj en ce qui a trait au témoignage et à la preuve qu’il a présentés. En raison de cette conclusion quant à l’absence de crédibilité, la Commission a décidé que le demandeur n’avait pas prouvé son affiliation à la LDK ni les mauvais traitements qu’il aurait subis en raison de ses liens avec celle-ci. De plus, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi, à l’aide d’éléments de preuve crédibles, que la protection offerte par l’État était inadéquate au Kosovo. En bout de ligne, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR ou de personne à protéger selon le paragraphe 97(1) de celle‑ci.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]           1) La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable?

2) La Commission a-t-elle limité son pouvoir discrétionnaire pendant l’examen qu’elle a fait du témoignage du demandeur?

 

LE RÉGIME LÉGISLATIF

[18]           L’article 96 de la LIPR est ainsi libellé :

96.      A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96.      A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[19]           Le paragraphe 97 (1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[20]           La norme de contrôle à appliquer relativement à une question de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. La Commission est un tribunal spécialisé et a pleine compétence pour apprécier la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur un témoignage invraisemblable et sur les contradictions et incohérences que comporte la preuve. Lorsque les inférences de la Commission ne sont pas déraisonnables au point d’attirer l’intervention de la Cour, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire, que la Cour soit d’accord ou non avec les inférences en question (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425 (QL), au paragraphe 14; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 732 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 4).

 

[21]           La norme de contrôle applicable aux allégations de manquement à l’équité procédurale est la décision correcte. Dans ce contexte, la Cour doit examiner les circonstances particulières de l’affaire afin de savoir si le décideur a respecté les principes d’équité procédurale. Si la Cour est d’avis qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, elle devra renvoyer l’affaire au décideur de première instance pour qu’il rende une nouvelle décision (Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, [2005] A.C.F. n° 693 (QL), au paragraphe 9; Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111, [2005] A.C.F. n° 544 (QL); Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] A.C.F. n° 8 (QL), au paragraphe 15; Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, [2005] A.C.F. n° 1560 (QL), au paragraphe 5; Trujillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 414, [2006] A.C.F. n° 595 (QL), au paragraphe 11, et Bankole c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1581, [2005] A.C.F. n° 1942 (QL), au paragraphe 7).

 

ANALYSE

[22]           M. Haxhiaj soutient que la Commission a commis des erreurs sur deux aspects :

(1) La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable?

(2) La Commission a-t-elle limité son pouvoir discrétionnaire pendant l’examen qu’elle a fait du témoignage du demandeur?

 

            1) La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable?

[23]           Bien que l’avocat du demandeur, M. Gregory Lyndon, ait donné une description passionnante, éloquente et précise des événements survenus dans l’ex-Yougoslavie et des répercussions de ces événements, la Commission n’a pas rendu une décision manifestement déraisonnable, parce qu’il appert de la preuve dont elle était saisie qu’il était raisonnable de conclure que le témoignage de M. Haxhiaj était truffé de contradictions internes.

 

[24]           Dans la décision Aguebor, précitée, la Cour d’appel fédérale précise que la Cour a reconnu qu’elle a des limites à respecter en ce qui a trait aux conclusions de la Commission concernant la crédibilité. De plus, dans Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, au paragraphe 5, la Cour a décidé que le témoignage sous serment du demandeur est réputé être vrai, à moins qu’il n’y ait une raison valable de douter de la véracité de ce témoignage. Dans la présente affaire, la Commission avait des préoccupations liées à la crédibilité relativement aux contradictions et incohérences entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire qu’il a présentés. Elle a également conclu que certaines déclarations que M. Haxhiaj avait faites pendant son témoignage étaient invraisemblables, ce qui suffisait à réfuter la présomption. De plus, le demandeur n’avait pas expliqué de façon satisfaisante les contradictions, incohérences et invraisemblances soulevées par la Commission. Contrairement à ce que le demandeur a soutenu, la Commission a entendu les explications que celui‑ci a données au sujet des nombreuses incohérences que comporte la preuve qu’il a présentée, mais il n’a pas réussi à la convaincre en bout de ligne. Les conclusions tirées par la Commission font état des différentes contradictions, incohérences et invraisemblances que comportent la preuve documentaire et le témoignage du demandeur :

(1)  le demandeur a fondé sa demande sur son appartenance à un groupe social et sur ses opinions politiques et a allégué qu’il craignait avec raison d’être persécuté du fait qu’il avait refusé de répondre à un avis de conscription de l’armée de l’ex-Yougoslavie en 1996 (selon son FRP) et en 1999 (selon son témoignage) et qu’il était très actif au sein de la LDK; cependant, selon l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur n’a été menacé et attaqué qu’après 1999, lorsqu’il a [traduction] « refusé de devenir membre de l’ALK » et [traduction] « décidé d’utiliser sa popularité pour promouvoir la LDK » (décision de la Commission, à la page 3, exposé circonstancié du FRP, à la page 2, transcription de l’audience, à la page 12);

(2)  afin de corroborer ses déclarations, M. Haxhiaj a soumis un certificat de l’aile de la LDK à Istog. Il appert de ce certificat que le demandeur était membre actif de la LDK depuis 1994, mais M. Haxhiaj n’a jamais fait mention de ses activités au sein de la LDK avant 2000 dans l’exposé circonstancié de son FRP. Lorsqu’on lui a fait remarquer cette incohérence, le demandeur a répliqué que, en 1994, il avait aménagé une résidence privée pour des étudiants albanais. La Commission a estimé que cette explication n’était pas satisfaisante, parce que le demandeur avait déclaré dans son FRP qu’il s’était [traduction] « porté volontaire pour organiser des programmes de travaux publics destinés aux jeunes adultes et [avait] contribué à l’établissement ‘d’écoles privées’ chargées d’instruire les enfants », sans faire mention de son affiliation à la LDK en 1994 ni de sa contribution aux travaux bénévoles de la LDK visant à aider les jeunes. Le demandeur n’a fourni aucun autre élément de preuve attestant son affiliation à la LDK (décision de la Commission, à la page 5, exposé circonstancié du FRP, aux pages 1‑2, transcription de l’audience, aux pages 24‑26 et 44‑46);

(3)  il est mentionné dans le certificat de la LDK que le demandeur était membre de celle‑ci depuis 1994, alors que M. Haxhiaj avait précisé dans l’exposé circonstancié de son FRP qu’il avait [traduction] « décidé de ne pas adhérer officiellement à la LDK » en 2000. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de cette incohérence, le demandeur a expliqué qu’il n’avait jamais adhéré à la LDK et que, selon lui, il n’était pas nécessaire d’être membre de ce parti pour exécuter les fonctions d’un membre. Cette explication a été jugée insatisfaisante (décision de la Commission, à la page 5, exposé circonstancié du FRP, à la page 2, transcription de l’audience, à la page 44);

(4)  la Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité des allégations du demandeur concernant son affiliation politique ainsi que de la fiabilité du certificat de la LDK, étant donné, surtout, que M. Haxhiaj a modifié l’exposé circonstancié de son FRP le 11 septembre 2005 en ajoutant ce qui suit : [traduction] « je n’ai jamais demandé ni reçu une carte de membre. J’étais considéré par toutes les parties concernées comme un membre de la LDK » (décision de la Commission, à la page 6, modification de l’exposé circonstancié du FRP, à la page 2);

(5)  il appert du certificat de la LDK que le demandeur a été [traduction] « choisi en tant que membre du conseil de direction du forum des jeunes de la LDK pour les deux derniers mandats : le premier mandat s’échelonnant de 1997 à 2002 et le second mandat, de 2002 à ce jour »; cependant, le demandeur n’a pas fait mention de sa participation au forum des jeunes dans l’exposé circonstancié de son FRP, sauf à une occasion, soit à l’été 2000. Prié d’expliquer cette incohérence, M. Haxhiaj a répondu qu’il représentait le forum des jeunes au sein de la LDK. Cette explication n’a pas été jugée satisfaisante (décision de la Commission, aux pages 7‑8, transcription de l’audience, à la page 24);

(6)  de l’avis de la Commission, il n’était pas vraisemblable que M. Haxhiaj ait rempli un deuxième mandat à titre de membre du conseil de direction du forum des jeunes de la LDK à partir de 2002 jusqu’à ce jour, s’il n’a plus assisté aux réunions du parti ni participé aux activités de celui‑ci à partir de 2003 (décision de la Commission, à la page 8);

(7)  la Commission a relevé une incohérence découlant du fait que, même si le demandeur a soutenu avoir été menacé et agressé, aucun de ces événements n’est mentionné dans le certificat de la LDK. Interrogé à propos de cette incohérence, M. Haxhiaj a répondu qu’il s’était plaint au dirigeant de la LDK de son village, mais qu’il ne savait pas si ce dirigeant avait signalé les événements à l’aile de la LDK à Istog. La Commission n’a pas jugé cette explication satisfaisante (décision de la Commission, aux pages 8‑9, transcription de l’audience, aux pages 42‑43);

(8) Dans l’exposé circonstancié de son FRP, M. Haxhiaj a déclaré qu’il n’avait pas demandé l’aide de la police, parce que celle-ci entretenait des liens étroits avec le PDK; cependant, le Kosovo était alors sous l’administration de la MINUK. Comme l’a dit le demandeur au cours de son témoignage, la LDK a remporté les élections locales et nationales sous l’égide de la MINUK, et la LDK était le parti au pouvoir au Kosovo. La Commission a estimé que l’allégation selon laquelle la police du Kosovo entretenait d’étroites relations avec le PDK n’était pas crédible.

 

[25]           La Commission n’a pas commis d’erreur en faisant ressortir les incohérences de la preuve portée à son attention et en tirant une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur. Effectivement, dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Dan-Ash, [1988] A.C.F. n° 571 (C.A.F.) (QL), le juge James Hugessen, de la Cour d’appel fédérale, s’exprime comme suit :

[...] à moins que l’on ne soit prêt à considérer comme possible (et à accepter) que la Commission a fait preuve d’une crédulité sans bornes, il doit exister une limite au‑delà de laquelle les contradictions d’un témoin amèneront le juge des faits le plus généreux à rejeter son témoignage.

 

 

[26]           En conséquence, la conclusion de la Commission était raisonnable, et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

2)   La Commission a-t-elle limité son pouvoir discrétionnaire pendant l’examen qu’elle a fait du témoignage du demandeur?

 

[27]           Dans la présente affaire, M. Haxhiaj n’a pas réussi à établir que la Commission avait commis un manquement aux principes d’équité procédurale en appliquant les Directives n° 7 – Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés.

 

[28]           La Cour fédérale a examiné à maintes reprises la question de savoir si l’application des Directives n° 7 était incompatible avec l’équité procédurale. Dans la décision Thamotharem, précitée, aux paragraphes 45‑53 et 91‑92, le juge Edmond Blanchard a conclu que le devoir d’équité n’exige pas que le demandeur soit interrogé par son procureur avant tout autre participant dans le contexte de l’examen des demandes d’asile.

 

[29]           De plus, dans cette même décision, au paragraphe 135, le juge Blanchard a conclu, sur la foi de la preuve dont il était saisi, que les Directives n° 7 entravaient le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Compte tenu de cette conclusion, le juge Blanchard a décidé qu’il y avait eu atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur, parce que l’indépendance du décideur était compromise en raison de l’application des Directives n° 7, de sorte que la décision rendue par la Commission était illégale. Étant donné qu’il en était arrivé à cette conclusion, il n’était pas nécessaire qu’il examine le bien-fondé de la décision que la Commission avait rendue dans cette affaire.

 

[30]           Il convient de souligner que la conclusion tirée dans Thamotharem est fondée sur le libellé des Directives et sur la preuve extrinsèque concernant la façon dont les commissaires devraient interpréter et appliquer celles-ci. Elle n’était nullement fondée sur les faits propres à l’affaire. Il convient également de préciser que la décision Thamotharem est actuellement portée devant la Cour d’appel fédérale.

 

[31]           Cela étant dit, dans Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. n° 631 (QL), le juge Richard Mosley a établi une distinction d’avec la décision Thamotharem et conclu que, d’après la preuve portée à son attention, il n’avait pas été démontré que l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires en vue d’établir la procédure à suivre dans les instances relatives aux demandes d’asile dont ils étaient saisis avait été entravé par l’application des Directives n° 7 :

[171]    Je suis saisi d’une preuve beaucoup plus abondante sur la manière dont les Directives n° 7 sont réellement appliquées par les commissaires de la SPR que celle dont était saisi mon collègue dans l’affaire Thamotharem. D’après la preuve en l’espèce, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont démontré que l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR en vue d’établir la procédure à suivre dans les instances relatives aux demandes d’asile dont ils sont saisis a été entravé par l’application des Directives n° 7.

 

[32]           Il n’y a aucun élément de preuve montrant que la Commission a limité indûment son pouvoir discrétionnaire. D’abord, le demandeur ne s’est pas opposé à ce que l’agent de la protection des réfugiés (APR) lui pose des questions avant que son avocat l’interroge. En deuxième lieu, une lecture des motifs de la décision de la Commission et de la transcription de l’audience montre que l’exposé circonstancié de M. Haxhiaj a été parfaitement bien compris. En troisième lieu, l’avocat de M. Haxhiaj a eu une possibilité réelle de corriger la façon dont l’APR a interprété la preuve en posant des questions à son client, en faisant valoir que l’APR avait mal décrit et mal résumé la preuve et en formulant des arguments réfutant ceux de la Commission.

 

CONCLUSION

[33]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

Remarque incidente

 

            En raison des incohérences internes de la demande d’asile elle‑même, le tribunal de première instance n’a pas commenté la documentation provenant du dossier sur la situation en cours dans le pays; cependant, compte tenu de cette documentation, il se pourrait que le demandeur soit exposé à un grave danger, s’il devait retourner dans son pays d’origine, mais il appartiendra à l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de trancher cette question en bout de ligne après avoir tenu une audience de vive voix à ce sujet, s’il estime que cette audience est nécessaire.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                               IMM-6780-05

 

INTITULÉ :                                             ARIF HAXHIAJ

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 15 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                   LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 27 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gregory J. Lyndon

 

POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gregory J. Lyndon

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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