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Date : 20070227

Dossier : IMM-1984-06

Référence : 2007 CF 212

Ottawa (Ontario), le 27 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeurs

et

 

GREGORY GEORGE ISHMAEL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               Selon l’article 71 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR), pour que la Section d’appel de l’immigration (la SAI) ait compétence pour rouvrir un appel, il doit y avoir eu manquement à un principe de justice naturelle dont elle est elle-même responsable. Le manquement doit avoir été commis par la SAI elle-même et ne doit pas découler du choix délibéré (ou du choix réputé être un choix délibéré) de l’intéressé.

 

[2]               Si un manquement à un principe de justice naturelle a eu lieu en raison du choix délibéré (ou du choix réputé être un choix délibéré) du défendeur de ne pas se présenter à l’audience, accueillir la demande de réouverture sur la base de ce choix délibéré équivaudrait à faire fi du fondement du droit de réouverture.

 

INTRODUCTION

[3]               Le demandeur soutient que sa demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la SAI de rouvrir l’appel du défendeur doit être accueillie, compte tenu des erreurs de droit que le tribunal a commises en ce qui a trait :

·        à la question de savoir s’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle;

·        à la compétence qu’il possède lors de l’évaluation d’une requête en réouverture en vertu de l’article 71 de la LIPR;

·        à la conclusion qu’il a tirée, laquelle comporte des conséquences absurdes;

·        à l’application de la jurisprudence pertinente quant à sa décision.

 

LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[4]               Le défendeur, M. Gregory George Ishmael, est entré au Canada en qualité de résident permanent le 23 janvier 1991. Il est marié et a huit enfants au Canada, qui sont tous des citoyens canadiens. Il réside à Scarborough avec son épouse et quatre enfants.

 

[5]               M. Ishmael a été déclaré interdit de territoire en vertu de trois dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. Il a interjeté appel de la mesure d’expulsion devant la SAI et a alors sollicité un sursis de quatre ans à l’exécution de la mesure, eu égard à l’ensemble des circonstances de son cas. En juin 2001, la SAI a accordé à M. Ishmael un sursis de quatre ans à l’exécution de la mesure de renvoi et a assorti ce sursis d’environ huit conditions (affidavit de Caracciolo, pièce « A », pages 1‑2 et 14‑16; dossier de la demande du demandeur, pages 15‑16 et 28‑30).

 

[6]               Le 19 mai 2005, la SAI a informé les parties qu’elle avait l’intention de réexaminer en cabinet le sursis accordé à M. Ishmael. Le 3 juin 2005, le demandeur a invité M. Ishmael à soumettre des renseignements concernant la mesure dans laquelle il respectait les conditions dont son sursis était assorti. Cette invitation a été envoyée au domicile de M. Ishmael, au 59 McKnight Drive, à Scarborough (Ontario) (affidavit de Caracciolo, pièces « B » et « C »; dossier de la demande du demandeur, pages 31‑32).

 

[7]               Le 9 juin 2005, le demandeur a demandé à la SAI de procéder à un examen de vive voix du sursis accordé à M. Ishmael. Une copie de cette demande a été acheminée à M. Ishmael, au domicile de celui-ci situé au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario) (affidavit de Caracciolo, pièce « D »; dossier de la demande du demandeur, pages 33‑44).

 

[8]               Le 14 juin 2005, le demandeur a écrit à la SAI pour l’informer de sa position au sujet du bris par M. Ishmael des conditions dont était assorti le sursis accordé à ce dernier. La preuve présentée par le demandeur découlait d’une rencontre avec M. Ishmael, laquelle a été tenue par suite de l’avis de convocation du 3 juin 2005 envoyé au domicile de celui-ci, au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario). M. Ishmael a effectivement reçu la lettre du 3 juin 2005 lorsque celle-ci a été envoyée au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario) (affidavit de Caracciolo, pièce « E »; dossier de la demande du demandeur, pages 45‑51).

 

[9]               M. Ishmael a été informé par téléphone que l’audition de son appel aurait lieu le 30 novembre 2005. Il a également reçu un avis de comparution, lequel a été envoyé le 27 juin 2005 au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario) et qui l’informait de l’audience du 30 novembre 2005. L’audience concernant le sursis de M. Ishmael a eu lieu le 30 novembre 2005; cependant, M. Ishmael n’était pas présent à l’audience. La SAI a prononcé le désistement de l’appel de M. Ishmael en raison de ce défaut de comparution (affidavit de Caracciolo, pièces « F » et « G »; dossier de la demande du demandeur, pages 52‑55).

 

[10]           Le 3 février 2006, M. Ishmael a déposé une requête en réouverture de son appel, soutenant que la SAI avait fait parvenir l’avis de comparution concernant l’audience du 30 novembre 2005 au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario), la mauvaise adresse, plutôt qu’au 59 McKnight Drive, Toronto (Ontario), la bonne adresse. M. Ishmael a également reconnu qu’il avait reçu dans le passé des lettres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) et de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui lui avaient été envoyées à l’adresse de Scarborough. M. Ishmael n’a jamais déclaré qu’il n’avait pas reçu l’avis de comparution du 27 juin. Il a toutefois soutenu qu’il y avait lieu de rouvrir l’appel, parce que le tribunal a commis un manquement aux principes de justice naturelle en omettant de lui remettre un avis suffisant de la date d’audience (affidavit de Caracciolo, pièce « H », pages 4‑5 et 16‑22; dossier de la demande du demandeur, pages 56‑77).

 

[11]           Le demandeur s’est fondé sur les éléments de preuve suivants pour contester la requête :

·        le fait que le défendeur a reçu une lettre qui lui avait été envoyée au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario);

·        certains renseignements tirés du site web de Postes Canada qui montrent que la bonne adresse postale du défendeur était le 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario);

·        une copie du feuillet T4 du défendeur montrant qu’il résidait au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario);

·        une copie d’un formulaire de déclaration de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) que le défendeur a rempli en décembre 2004 et sur lequel il a mentionné qu’il résidait au 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario);

·        une copie d’une déclaration de signification de la CISR montrant que l’avis de comparution du 27 juin 2005 a été envoyée au défendeur à l’adresse domiciliaire de celui-ci, soit le 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario).

(Affidavit de Caracciolo, pièce « I »; pièces « A », « B », « C », « D » et « E » de l’affidavit de Foreman; dossier de la demande du demandeur, pages 90‑92‑94‑96‑99 et 100).

 

Le demandeur a fait valoir que l’appel de M. Ishmael ne pouvait être rouvert, parce qu’il n’y avait aucun élément de preuve montrant qu’il n’avait pas reçu l’avis de comparution du 27 juin 2005. Selon le demandeur, M. Ishmael n’a pas prouvé qu’il y avait eu un manquement aux principes de justice naturelle justifiant la réouverture de l’appel (affidavit de Caracciolo, pièce « I »; dossier de la demande du demandeur, pages 80‑85).

 

[12]           La SAI a accueilli la requête en réouverture. Elle a conclu qu’il n’était pas crédible que M. Ishmael n’ait pas reçu l’avis de comparution du 27 juin 2005, que M. Ishmael savait, dès le 22 juin 2005, qu’une audience concernant son sursis aurait lieu le 30 novembre 2005 et qu’il était probable que M. Ishmael avait reçu l’avis de comparution. Le tribunal a conclu que la CISR s’était conformée à son obligation d’informer M. Ishmael du lieu, de la date et de l’heure de l’audience de celui-ci et que c’était le défendeur qui était responsable de son défaut de comparaître à cette audience; cependant, le tribunal a accueilli la requête en réouverture au motif qu’il ne serait pas équitable de rejeter la cause de M. Ishmael sans lui donner la possibilité d’expliquer pourquoi il n’a pas assisté à l’audience et pourquoi le désistement de son appel ne devrait pas être prononcé (motifs de la décision, pages 3‑6; dossier de la demande, pages 7‑10).

 

[13]           Au paragraphe 3 de son affidavit, M. Ishmael fait valoir qu’il n’a jamais reçu d’avis de comparution au sujet de l’audience du 30 novembre 2005; cependant, cette allégation va nettement à l’encontre de la constatation faite par le tribunal, soit que M. Ishmael savait, en juin 2005, qu’une audience concernant son appel aurait lieu le 30 novembre 2005 et que la véritable question est de savoir si M. Ishmael a reçu un avis suffisant de l’audience en question. M. Ishmael admet qu’il était au courant en juin 2005 de l’audience du 30 novembre 2005, lorsque la Commission l’a informé qu’une audience aurait lieu à cette date. En conséquence, même si M. Ishmael n’a pas reçu d’avis de comparution à l’égard de l’audience en question, contrairement à ce que le tribunal a conclu, cela ne signifie pas qu’il n’a pas reçu un avis suffisant de l’audience afin d’y assister et de présenter sa position (dossier de la demande du demandeur, page 8, paragraphe 12; affidavit du défendeur, paragraphes 3 et 5 (dossier de la demande du défendeur, page 1)).

 

LA QUESTION EN LITIGE

[14]           Le tribunal a-t-il commis une erreur en ordonnant la réouverture de l’appel?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[15]           La norme de contrôle applicable aux questions de droit est la décision correcte, et la Cour peut intervenir lorsqu’il est établi qu’une erreur de droit a été commise (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c  Ontario (Ministre du Travail), [2003] R.C.S. 539).

 

ANALYSE

Le tribunal a-t-il commis une erreur en ordonnant la réouverture de l’appel?

[16]           L’article 71 de la LIPR permet à la SAI de rouvrir un appel uniquement lorsqu’elle a commis un manquement à un principe de justice naturelle.

71.      The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

71.      L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

 

[17]           M. Ishmael a fondé sa requête en réouverture sur le fait qu’il n’a pas reçu l’avis de demande se rapportant à l’audience du 30 novembre 2005. Il a soutenu que l’absence d’avis l’a privé du droit de se faire entendre (affidavit de Caracciolo, pièce « H », pages 15‑20; dossier de la demande du demandeur, pages 70‑75).

 

[18]           L’obligation de remettre un avis suffisant vise à assurer le respect des garanties de base liées à la justice naturelle, c’est-à-dire à faire en sorte que l’intéressé sache qu’une audience sera tenue et lui assurer la possibilité d’assister à l’audience et de présenter des arguments.

 

[19]           Le tribunal a conclu que M. Ishmael était au courant de l’audience du 30 novembre :

[12] Il est vrai que le demandeur ne dit jamais directement dans sa déclaration solennelle qu’il ne savait pas que l’audience aurait lieu le 30 novembre 2005, mais déclare plutôt qu’il n’a pas reçu d’avis de convocation pour son réexamen oral. Le demandeur laisse cependant clairement sous-entendre, estime le tribunal, que, puisqu’il n’avait pas reçu l’avis de convocation, il ne savait pas qu’il avait une audience le 30 novembre 2005. Or on a la preuve qu’en juin, au moins, il savait qu’une audience avait été prévue pour le 30 novembre 2005. Au vu de l’information portée à sa connaissance, le tribunal est prêt à conclure, selon la prépondérance des  probabilités, que l’appelant était au courant de son audience en juin 2005 et qu’il a reçu l’avis de convocation, car celui-ci a été envoyé à une adresse qui a été utilisée comme adresse domiciliaire du demandeur avec succès.

 

[...]

 

[15]      La question que le tribunal doit trancher, en fin de compte, dans une demande de réouverture présentée en vertu de l’article 71 de la LIPR, est celle de savoir s’il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle. Le tribunal est convaincu que la SAI a rempli son obligation initiale d’aviser en bonne et due forme le demandeur de l’heure et du lieu de son audience devant la SAI le 30 novembre 2005. La SAI a envoyé un avis écrit à une adresse que le tribunal considère comme une version raisonnable et effectivement fiable de son adresse domiciliaire, et elle a communiqué les mêmes informations de vive voix au demandeur. Le tribunal est convaincu que le demandeur était au courant de l’heure et du lieu de l’audience prévue pour lui. Le fait que le demandeur ne se soit pas présenté n’est guère la faute de la SAI; le demandeur est responsable du fait qu’il ne s’est pas présenté le 30 novembre 2005 comme il était tenu de le faire. Le tribunal estime qu’il est probable que, pour une raison ou une autre, il a oublié de se présenter par mégarde et non pas délibérément pour éviter de comparaître devant la SAI. (Non mis en évidence dans l’original)

 

 

[20]           Lorsqu’il en est arrivé à la conclusion que M. Ishmael avait reçu un avis de l’audience du 30 novembre, le tribunal a effectivement conclu que le principe de justice naturelle concernant la remise d’un avis suffisant au défendeur avait été respecté, c’est-à-dire que celui-ci savait qu’une audience concernant ses intérêts serait tenue et qu’il a eu la possibilité d’assister à cette audience et de présenter des observations au sujet de sa cause.

 

[21]           Pour ordonner une réouverture, la SAI devait être convaincue qu’elle avait commis un manquement à un principe de justice naturelle. Dans la présente affaire, d’après l’allégation formulée par M. Ishmael quant au manquement à un principe de justice naturelle, la décision du tribunal sous-entend qu’aucun manquement de cette nature n’a pu être commis. En conséquence, il n’était pas loisible au tribunal de conclure à l’existence d’un manquement à un principe de justice naturelle (quant au droit de M. Ishmael d’assister à l’audience et de présenter sa cause), lequel manquement aurait justifié la réouverture de l’appel.

 

[22]           La décision de rouvrir l’appel a tout simplement pour effet d’écarter l’appréciation de la preuve faite par le tribunal lui-même et n’est donc pas du ressort de celui-ci. (Si le tribunal a fait abstraction des erreurs que la SAI a commises dans ce dossier, la situation est différente et, en pareil cas, il se peut qu’il y ait eu manquement à un principe de justice naturelle. Cependant, le tribunal ne peut miser sur les deux tableaux à la fois : rouvrir l’appel, s’il n’a commis aucun manquement aux principes de justice naturelle, et refuser de rouvrir l’appel, s’il a commis un manquement de cette nature.)

 

[23]           M. Ishmael fait valoir que le tribunal a eu raison de rouvrir l’appel en se fondant sur un manquement aux principes de justice naturelle, étant donné (selon l’arrêt Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416) qu’en vertu de ces principes il avait le droit de recevoir un avis de l’audience et une possibilité suffisante d’exposer sa cause; cependant, il y a au moins trois raisons pour lesquelles cet argument ne peut être retenu selon le raisonnement invoqué par le tribunal :

a)   l’arrêt Beals est une décision concernant les règles relatives aux conflits de lois et porte sur l’exclusion du manquement aux principes de justice naturelle lors de l’exécution des jugements étrangers. Il est douteux que l’extrait cité par M. Ishmael comporte une conclusion sur les normes d’équité procédurale minimales que la SAI doit respecter. Dans ce contexte, cela ne touche pas la possibilité de présenter des arguments;

b)   même si l’arrêt Beals comportait effectivement des éclaircissements sur les exigences découlant des principes de justice naturelle dans le contexte du droit administratif, ces exigences ont été respectées dans le cas de M. Ishmael. Au cours de la procédure dans le cadre de laquelle le désistement a été prononcé, le défendeur a reçu un avis suffisant de son audience et une possibilité suffisante d’exposer sa cause; en effet, il a été informé de la date d’audience en juin 2005 et il a eu la possibilité d’exposer sa cause au sujet de la décision définitive concernant son appel à l’audience du 30 novembre 2005. M. Ishmael n’avait qu’à se présenter à l’audience et à soumettre des observations. Par conséquent, même selon la règle énoncée dans l’arrêt Beals, M. Ishmael a obtenu ce que les principes de justice naturelle exigeaient;

c)   M. Ishmael soutient que le principe de justice naturelle concernant la remise d’un avis suffisant n’est respecté que lorsque l’intéressé assiste effectivement à l’audience et présente des observations. En plus d’élargir indûment l’exigence relative à la remise d’un avis suffisant, cette conséquence aurait pour effet de paralyser le processus de prise de décisions administratives, car elle signifierait qu’aucune décision ne pourrait être prise avant que l’intéressé décide d’assister à l’audience et de plaider sa cause. De plus, elle aurait pour effet de nier l’effet de l’article 71 de la LIPR, qui permet au tribunal de prononcer le désistement d’un appel lorsque l’intéressé a décidé de ne pas assister à son audience.

 

RÉOUVERTURE DE L’APPEL FONDÉE SUR UN MANQUEMENT ALLÉGUÉ AUX PRINCIPES DE JUSTICE NATURELLE

 

[24]           Selon l’article 71 de la LIPR, le tribunal a compétence pour rouvrir un appel uniquement lorsqu’un manquement à un principe de justice naturelle dont la SAI elle‑même est responsable a été commis. Le manquement doit découler de la faute de la SAI, et non du choix délibéré (ou du choix réputé être un choix délibéré) de l’intéressé.

 

[25]           Si le choix délibéré (ou le choix réputé être un choix délibéré) de M. Ishmael de ne pas assister à l’audience a donné lieu à un manquement à un principe de justice naturelle, accueillir la demande de réouverture en raison de ce choix équivaudrait à faire abstraction de l’objet qui sous‑tend l’existence du droit de réouverture.

 

COMPRÉHENSION ERRONÉE DE CE QU’EST UN MANQUEMENT AUX PRINCIPES DE JUSTICE NATURELLE

 

[26]           Le tribunal a accueilli la requête en réouverture pour les motifs suivants :

[16]      Le tribunal estime que, pour déterminer s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, il y a lieu en l’espèce de prendre en considération des questions d’équité procédurale plus larges, c’est-à-dire de ne pas se limiter à la question de savoir si la SAI a signifié au demandeur un avis de convocation à son réexamen oral en bonne et due forme. Le demandeur, qui s’est présenté devant la SAI comme il était tenu de le faire en 2001 pour l’audition de son appel, qui a montré qu’il respectait la grande majorité de ses conditions du sursis, qui a coopéré avec l’ASFC, qui à la fin de son sursis de quatre ans est bien placé pour qu’il soit fait droit à son appel et qui a présenté rapidement sa demande de réouverture, devrait-il être renvoyé du Canada parce qu’il a omis de se présenter à un réexamen oral prévu, sans avoir eu l’occasion d’expliquer pourquoi il ne s’était pas présenté et de justifier le maintien de son appel? Le tribunal estime qu’il est du ressort de la SAI de rouvrir l’appel du demandeur au motif que, compte tenu des faits particuliers de l’espèce, refuser de rouvrir son appel constituerait un manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle.

 

[27]           En tirant cette conclusion, le tribunal a mal compris le rôle qu’il doit jouer au moment de décider s’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle. La justice naturelle est un concept général qui garantit l’application d’une procédure ayant pour effet d’assurer le respect des exigences minimales en matière d’équité à l’endroit d’une personne. Ce concept nécessite une évaluation précise du traitement équitable qui est garanti dans les circonstances, c’est-à-dire une détermination des droits procéduraux (droit de recevoir un avis, droit de se faire assister par un avocat, droit de confronter la preuve défavorable, etc.) qui doivent être respectés dans un contexte donné. L’évaluation des exigences liées à l’équité procédurale consiste à établir les paramètres d’une procédure équitable, tandis que l’application des principes de justice naturelle est une lecture globale visant à savoir si les exigences minimales en matière d’équité ont été respectées à l’endroit de l’intéressé. Cette différence peut être illustrée à l’aide de la situation examinée en l’espèce. La garantie en matière d’équité procédurale, intégrée dans le concept de la justice naturelle, consiste à s’assurer que les droits fondamentaux et procéduraux de M. Ishmael ont été respectés.

 

[28]           Pour trancher la requête en réouverture, le tribunal devait décider si la SAI a donné à M. Ishmael un avis suffisant de l’audience fixée au 30 novembre 2005 afin de lui permettre d’y assister et de présenter des arguments au sujet de sa cause.

 

LE FONDEMENT DE LA DÉCISION MÈNE À DES ABSURDITÉS

[29]           Le fondement de la décision du tribunal de rouvrir l’appel mène aux absurdités suivantes : il rend le paragraphe 168(1) de la LIPR inutile et permettrait à un appelant de ne pas tenir compte d’une assignation sans subir de conséquence jusqu’à ce qu’il soit avantageux pour lui de comparaître.

 

[30]           Le paragraphe 168(1) de la LIPR permet à chacune des sections de la CISR de prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution; cependant, si la décision de la SAI est bien fondée et que l’intéressé qui porte sa cause devant elle doit avoir la possibilité d’exposer les raisons pour lesquelles le désistement ne devrait pas être prononcé, il ne serait pas possible pour une section de prononcer le désistement dans une affaire en raison du défaut de comparution de l’intéressé. En plus d’être incompatible avec l’objet que vise le législateur au paragraphe 168(1) de la Loi, l’interprétation du tribunal soulève la difficulté exposée dans Ye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 964, [2004] A.C.F. n° 1185 (QL).

 

[31]           Dans Ye, le juge Michael Kelen a expliqué que la nouvelle règle de l’article 71 permet la réouverture par suite d’un manquement à la justice naturelle, afin d’empêcher l’utilisation abusive des procédures de la SAI :

[18]      [...] Si le droit de la SAI de rouvrir un appel n'était pas limité, le processus d'immigration de la SAI finirait par tourner en rond. À mon avis, le législateur a limité le droit de la SAI de rouvrir un appel aux seules affaires comportant un manquement aux règles de justice naturelle. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

[32]           Une situation similaire pourrait se produire en l’espèce. L’appelant pourrait continuellement ne pas tenir compte des avis de comparution sans être exposé à la moindre conséquence jusqu’à ce qu’il assiste à une audience visant à décider s’il y a lieu de prononcer le désistement de l’appel. Cette situation ne ferait qu’accroître le risque que les procédures de la Section d’appel soient utilisées de façon abusive et permettrait pour ainsi dire à l’appelant de diriger l’appel.

 

[33]           Les éléments qui, selon M. Ishmael, permettent de distinguer la décision Ye d’avec la présente affaire ne sont pas pertinents, pour les raisons qui suivent :

·        la question en litige dans Ye est pertinente en l’espèce en ce qui a trait à la portée du pouvoir de la Section d’appel de rouvrir un appel en vertu de l’article 71 de la LIPR. Il n’y a pas lieu d’invoquer les différences factuelles entre la présente affaire et Ye pour faire valoir que cette dernière décision ne s’applique pas parce que ces différences n’atténuent d’aucune façon l’applicabilité des principes énoncés dans Ye;

·        la conclusion du tribunal selon laquelle l’intéressé doit être autorisé à expliquer pourquoi il n’y a pas lieu de prononcer le désistement en raison du défaut de sa part de comparaître à l’audience mènerait à des absurdités. Les arguments que M. Ishmael invoque pour distinguer la présente affaire d’avec la décision Ye ne changent rien au fait que la décision du tribunal mène à des absurdités;

·        le fait que Mme Ye a sollicité le contrôle judiciaire de la décision portant rejet de l’appel initial n’empêche pas l’application de cette décision à la présente affaire. Ayant obtenu (en partie) le redressement qu’il avait demandé à la Section d’appel (soit un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui), M. Ishmael n’était pas tenu de solliciter le contrôle judiciaire d’une décision défavorable, comme l’était Mme Ye;

·        M. Ishmael souligne que Mme Ye a bénéficié d’une audience complète devant la Section d’appel; cependant, il a eu la même possibilité en 2001, lorsque son appel a donné lieu au sursis de la mesure de renvoi prise contre lui, ainsi que le 30 novembre 2005, date à laquelle il aurait pu assister à l’audience afin de présenter des arguments à ce sujet;

·        il y a également lieu de tenir compte du résultat obtenu en bout de ligne dans Ye. Mme Ye avait sollicité une réouverture en raison de l’incompétence de son avocat, argument que la Section a rejeté. La Cour fédérale a accepté implicitement cette conclusion en concluant que la décision de ne pas rouvrir l’affaire ne comportait aucune erreur susceptible de révision. La décision rendue dans Ye, où la Cour fédérale a clarifié l’application de la norme prévue à l’article 71 et appliqué cette norme, doit être considérée comme une décision formelle concernant le critère relatif à la réouverture selon l’article 71, et non simplement comme une décision à ce sujet dont la portée se limite aux faits précis alors sous étude;

·        En dernier lieu, la Cour fédérale a constamment reconnu la décision Ye comme une décision formelle sur la façon dont l’article 71 de la LIPR devrait s’appliquer. Contrairement à ce que M. Ishmael laisse entendre, il ne peut s’agir d’une décision d’une portée limitée (Griffiths c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 971, [2005] A.C.F. n° 1194 (QL); Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1694, [2005] A.C.F. n° 2097 (QL); Baldeo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 79, [2006] A.C.F. n° 100 (QL)).

 

INTERPRÉTATION ERRONÉE DE LA JURISPRUDENCE

[34]           Avant de trancher la requête en réouverture, le tribunal a examiné les décisions rendues dans Hung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 966, [2004] A.C.F. n° 1237 (QL), et Dubrézil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 142, [2006] A.C.F. n° 154 (QL); cependant, le tribunal a mal interprété la décision Hung et n’a pas compris l’applicabilité de la décision Dubrézil.

 

Interprétation erronée de la décision rendue dans Hung

[35]           Le tribunal a interprété la décision rendue dans Hung, précitée, comme une décision portant que les principes de justice naturelle exigent que l’appelant ait la possibilité d’exposer à la SAI sa position au sujet du prononcé du désistement d’un appel avant ce prononcé.

 

[36]           Dans Hung, l’appelant a accepté que son avocat le représente à la conférence de mise au rôle. À la date de cette conférence, l’avocat n’a pu être présent en raison d’un problème médical. La Section d’appel a rejeté l’appel au motif que l’appelant n’avait pas assisté à la conférence de mise au rôle.

 

[37]           La décision rendue dans Hung ne devrait pas s’appliquer à la requête en réouverture présentée en l’espèce. D’abord, il existe des distinctions factuelles importantes. Dans l’affaire Hung, l’audience était une conférence de mise au rôle, tandis que l’audience à laquelle M. Ishmael n’a pas assisté était une audience concernant le bien-fondé de l’appel; de plus, M. Hung avait une raison valide de ne pas assister à l’audience : son avocat avait dit qu’il le représenterait à l’audience, mais il n’a pu le faire, pour cause de maladie. En revanche, dans la présente affaire, le tribunal a conclu que M. Ishmael était au courant de la date d’audience, mais qu’il ne s’est pas présenté à celle‑ci (motifs, page 5, paragraphe 15; dossier de la demande, page 9). La raison de l’absence de l’appelant dans Hung (problème médical) n’est pas intentionnelle et ne découle pas de la conduite de l’intéressé lui-même. L’absence était imputable à un problème médical par suite duquel l’appelant n’a pas été représenté; c’est cette absence de représentation qui a donné lieu au manquement à la justice naturelle, et non le défaut de comparution en soi. En conséquence, compte tenu des différences factuelles, le tribunal n’aurait dû appliquer la décision Hung à la situation de M. Ishmael.

 

[38]           La SAI a commis une erreur en déterminant la conclusion de droit à tirer de la décision Hung. Le juge François Lemieux a infirmé la décision portant rejet de la requête en réouverture, en donnant les explications suivantes :

[10]      J'estime que le Tribunal a commis une erreur fondamentale en concluant qu'il n'y avait pas manquement à un principe de justice naturelle lorsque le 13 décembre 2004 la Commissaire a prononcé le désistement.

[...]

[12]      À mon avis, en prononçant le désistement sans que le demandeur ou son procureur aient l'opportunité d'expliquer pourquoi ils étaient absents, la Commissaire a agi, dans les circonstances de cette cause, contrairement au principe de la justice naturelle.

 

[39]           Le juge Lemieux n’a pas conclu, comme principe général, que la Section d’appel doit inviter une partie appelante à expliquer les raisons pour lesquelles le désistement ne devrait pas être prononcé en ce qui la concerne dans tous les cas où elle a fait défaut de comparaître à une audience. Il a plutôt conclu que les principes de justice naturelle exigeaient qu’une possibilité soit donnée à Hung en raison de la situation unique dans laquelle il se trouvait, soit la maladie de son avocat, qui a eu pour effet de nier à l’intéressé le droit d’assister à l’audience et le droit de se faire représenter au cours de celle-ci. Le tribunal n’aurait pu interpréter la décision rendue dans Hung comme une décision exigeant que M. Ishmael ait automatiquement la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement de son appel ne devrait pas être prononcé et, par conséquent, il n’aurait pu conclure que la SAI a commis un manquement aux principes de justice naturelle à l’endroit de M. Ishmael parce que cette possibilité n’a pas été offerte à celui-ci.

 

[40]           En dernier lieu, l’interprétation large que le tribunal a donnée en l’espèce à la décision rendue dans Hung pourrait mener à des résultats illogiques. Elle aurait pour effet d’ignorer l’intention claire du juge Lemieux de limiter ses conclusions concernant la justice naturelle aux circonstances précises et uniques de l’affaire dont il était saisi. Le résultat, soit l’impossibilité, dans chaque cas, qu’une décision prononçant le désistement soit rendue tant que l’avocat ou l’intéressé n’aurait pas eu l’occasion d’expliquer son absence, donnerait lieu à un processus qui « tourne en rond ».

 

[41]           Le tribunal a commis une erreur quant à la façon dont il a conclu que la décision rendue dans Hung (i) régissait la situation examinée en l’espèce et (ii) énonçait la règle à appliquer dans chaque cas pour trancher une requête en réouverture.

 

Répercussions de la décision rendue dans Dubrézil

[42]           Le tribunal a souligné que la situation factuelle examinée dans Dubrézil était semblable à celle de la présente affaire, mais il a choisi de ne pas appliquer cette décision, commettant de ce fait un manquement au principe du stare decisis.

 

[43]           Selon le principe du stare decisis, les organismes judiciaires inférieurs doivent suivre les décisions des organismes judiciaires supérieurs dans les affaires portant sur des questions de droit semblables et sur des faits suffisamment similaires. En conséquence, la SAI doit suivre la décision de la Cour fédérale dans une requête en réouverture portant sur des faits similaires.

 

[44]           Dubrézil a reçu un avis le sommant de comparaître à une audience de la SAI; cependant, étant donné qu’il n’avait pas informé la Commission d’un changement d’adresse, il n’a pas reçu l’avis d’audience et ne s’est pas présenté à celle-ci. La SAI a prononcé le désistement de l’appel conformément au paragraphe 168(1) de la LIPR. Dubrézil a présenté une requête en réouverture, au motif qu’il n’avait pas reçu l’avis. La requête en réouverture a été rejetée, et la Cour fédérale a refusé la demande de contrôle judiciaire relative à cette décision, concluant qu’il ne pouvait y avoir aucun motif justifiant la réouverture de l’appel pour des raisons liées à la justice naturelle, parce que le fait que Dubrézil n’avait pas reçu l’avis n’était pas la faute de la CISR, mais sa propre faute, puisqu’il n’avait pas communiqué sa nouvelle adresse à la Commission.

 

[45]           La décision rendue dans Dubrézil s’applique à la présente affaire. Comme c’était le cas dans Dubrézil, M. Ishmael a fait savoir à la Commission que son adresse était le 59 McKnight Drive, Scarborough (Ontario). Si M. Ishmael n’a pas reçu l’avis de comparution du 27 juin 2005, c’est sa faute et non celle de la Commission. Par conséquent, dans la présente affaire, à moins de pouvoir démontrer un élément distinctif, le tribunal aurait dû suivre la décision rendue dans Dubrézil et conclure qu’il n’y avait eu en l’espèce aucun manquement aux principes de justice naturelle qui justifierait la réouverture de l’appel. Le tribunal a commis une erreur de droit en ne comprenant pas qu’il était lié par la décision rendue dans Dubrézil et en omettant d’expliquer pourquoi il n’a pas n’appliqué cette décision.

 

[46]           De plus, dans Dubrézil, la Cour a décidé que la décision rendue dans Hung ne s’appliquait pas à des affaires semblables à la situation examinée en l’espèce :

[7]        [...] Dans cette affaire, il faut insister sur le fait que le demandeur ne s'était pas présenté à la conférence de mise au rôle sur les conseils de son avocat, et non en raison de son propre manque de diligence. Aussi, son procureur était tombé malade la veille de la conférence de mise au rôle et c'est la raison pour laquelle il n'avait pu se présenter à son audition.

 

[8]        En l'espèce, les faits sont différents. La SAI a entendu le demandeur sur les motifs justifiant son défaut de se présenter, mais n'a pas considéré le demandeur crédible. Elle a considéré l'ensemble des faits pertinents, notamment le fait que le demandeur a été dûment informé par l'avis qui lui a été remis le 31 octobre 2003 qu'il devait tenir la SAI au courant de ses changements d'adresse, ce qu'il n'a jamais fait. [...]

 

[...]

 

[10]      Par ailleurs, donner dans tous les cas l'opportunité de se faire entendre à une personne qui fait défaut de comparaître l'opportunité d'expliquer les raisons de son défaut reviendrait à vider de son sens le para. 168(1) LIPR. [...]

 

[...]

 

[12]      S'il fallait suivre le raisonnement du demandeur, cela impliquerait qu'à chaque fois qu'une personne omettrait de se présenter, manquerait de diligence ou aurait un comportement pouvant clairement laisser croire à un désistement d'appel, la SAI serait tenue de faire enquête pour retrouver cette personne, de lui rappeler ses obligations et de la convoquer pour tenir une nouvelle audience avant de prononcer le désistement. Je ne peux retenir pareille interprétation, d'autant plus qu'en l'espèce, le demandeur n'a pas communiqué ses changements d'adresse à la SAI, de sorte que celle-ci n'aurait de toute façon pas pu le joindre pour convoquer une nouvelle audience si elle avait eu pareille obligation. La SAI n'était pas tenue d'agir comme conseiller juridique pour le demandeur, ni de lui rappeler le sérieux des procédures auxquelles il est partie, ni de s'assurer que celui-ci avait bien compris qu'il devait se présenter à sa conférence de mise au rôle ou encore qu'il était tenu d'aviser la SAI de ses changements d'adresse. Le demandeur a eu l'occasion de faire valoir ses motifs au cours d'une audience en bonne et due forme devant la SAI, mais ces motifs n'ont pas été jugés suffisants par la SAI pour justifier la réouverture d'appel.

 

 

[47]           Le tribunal n’a pas compris cette décision ou l’a écartée, présumant plutôt que la décision rendue dans Hung s’appliquait. Il était peut-être loisible au tribunal de conclure que cette dernière décision s’appliquait, mais il devait tenir compte des commentaires formulés au sujet de l’applicabilité de celle-ci et expliquer pourquoi les circonstances justifiaient un écart par rapport à l’évaluation que la Cour fédérale a faite de la décision Hung dans Dubrézil, et cela d’autant plus qu’il a rejeté dans la présente affaire, tout comme le tribunal l’avait fait dans Dubrézil, l’explication que le défendeur a donnée quant aux raisons pour lesquelles il ne s’était pas présenté à son audience. En décidant de ne pas tenir compte de l’évaluation de la décision Hung faite dans Dubrézil et en choisissant ainsi d’appliquer Hung,, le tribunal a commis une erreur susceptible de révision.

 

LES FAILLES QUE COMPORTE LA DÉCISION RELATIVE AU PRONONCÉ DU DÉSISTEMENT NE SONT PAS PERTINENTES

 

[48]           M. Ishmael a relevé des erreurs que comporteraient les documents de la CISR au sujet de la décision dans laquelle le désistement a été prononcé. Le défendeur devrait faire part de ses préoccupations devant la SAI à titre de motifs de réouverture lorsque la requête en réouverture sera renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision (dossier de la demande du défendeur, page 2, paragraphe 14).

 

[49]           M. Ishmael fait également valoir que la Section d’appel n’avait pas compétence pour prononcer le désistement de l’appel, parce que cette décision a été prise en application de l’ancienne Loi, qui avait alors été abrogée. Cependant, l’allégation de M. Ishmael est erronée, pour les raisons suivantes : (i) le prononcé du désistement est une décision qui a été prise en application du régime pertinent et (ii) permettre que la décision postérieure soit confirmée pour cette raison, sans autre explication, mène à des conséquences illogiques :

·        La décision a été prise en application du régime pertinent : il y a deux avis de décision énonçant le désistement de la demande. L’avis du 12 décembre 2005 est établi conformément au paragraphe 168(1) de la LIPR. Bien que le nom du défendeur qui figure sur cet avis ne soit peut-être pas le bon, le numéro de dossier de la SAI est exact, de même que le numéro du SSOBL correspondant. Le nom, le numéro de dossier et le numéro du SSOBL du défendeur qui figurent sur l’avis de désistement visé à l’article 76 de l’ancienne Loi sont exacts; cependant, l’avis du 21 décembre a été délivré en réponse aux renseignements du défendeur selon lesquels le nom figurant sur l’avis précédent est erroné. Le 12 décembre 2005, le tribunal qui a entendu l’affaire a prononcé le désistement de l’appel en vertu des dispositions pertinentes de la LIPR, même si elle a peut-être inscrit le mauvais nom sur l’avis de comparution. En conséquence, la SAI a prononcé le désistement en application du régime législatif pertinent et n’a commis aucune erreur susceptible de révision;

·        Conséquences illogiques : à la lumière des erreurs commises lors de l’examen de la requête en réouverture, permettre que la décision relative à celle-ci soit confirmée en raison d’erreurs que comporte la décision précédente dans laquelle le désistement a été prononcé mènerait à des conséquences illogiques : (i) ce résultat serait contraire au principe selon lequel les décisions administratives ne devraient pas faire l’objet d’attaques indirectes une fois que les intéressés les ont acceptées; (ii) ce résultat ne tiendrait pas compte du fondement de la présente demande d’autorisation, soit les erreurs de droit et de compétence que le tribunal a commises au cours de l’examen de la requête en réouverture, et n’offre aucune réparation à l’égard des erreurs en question; (iii) ce résultat donnerait à entendre qu’une erreur postérieure peut corriger une erreur antérieure, ce qui ne peut être le cas lorsqu’il s’agit d’erreurs de compétence, car de deux choses l’une : soit la décision relève de la compétence du décideur, soit elle est hors de son ressort, et cette déduction implicite est inacceptable; (iv) la bonne façon de donner suite aux arguments du défendeur au sujet de la compétence relative au prononcé du désistement de l’appel serait de demander au tribunal saisi de la requête en réouverture d’évaluer ces préoccupations.

 

EXAMEN DE VIVE VOIX

[50]           M. Ishmael soutient que la décision de rouvrir l’appel est correcte parce qu’elle lui permettrait de bénéficier d’un examen de vive voix du bien-fondé de la poursuite de son appel. Le droit à cet examen de vive voix, que le tribunal a décrit dans ses motifs comme un droit exigé par les principes de justice naturelle dans les circonstances, a été accordé à M. Ishmael à l’audience du 30 novembre 2005, mais le défendeur a été réputé avoir choisi de ne pas assister à cette audience, malgré le fait qu’il avait eu un préavis de cinq mois de celle-ci. L’examen ne pourrait avoir lieu que si M. Ishmael désire toujours poursuivre l’appel. En omettant de comparaître à l’audience, M. Ishmael a semblé montrer qu’il n’était pas intéressé à poursuivre son appel. De plus, cet argument est affaibli par les mêmes erreurs qui ont été relevées dans la décision rendue dans Dubrézil : l’examen en question rendrait le paragraphe 168(1) de la LIPR inopérant et placerait la Section d’appel dans une position semblable à celle de l’avocat de l’intéressé. En tout état de cause, l’évaluation du bien-fondé en raison des erreurs qui auraient été commises devrait être réservée au tribunal qui examinera le maintien du sursis, si l’appel est rouvert, c’est-à-dire si celui-ci conclut que la décision de prononcer le désistement de l’appel est viciée par un manquement aux principes de justice naturelle commis par la SAI elle-même.

 

CONCLUSION

[51]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un autre tribunal de la Section d’appel de l’immigration.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un autre tribunal de la Section d’appel de l’immigration.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

Remarque incidente

            Le jugement est fondé en grande partie sur l’interprétation des dispositions législatives concernées et, par conséquent, sur les principes généraux qui en découlent et qui s’appliquent à celles‑ci.

            Cela étant dit, dans la présente affaire, qui est un cas d’espèce, non seulement le tribunal a‑t‑il mal interprété les dispositions législatives actuellement en vigueur, mais il a également mal compris les distinctions établies à l’égard des dispositions législatives précédentes.

            De plus, il est important de veiller à ce que les erreurs de fait que le tribunal a commises relativement à la situation propre du défendeur ne soient pas répétées.

            Il incombe donc au nouveau tribunal qui sera désigné d’assurer un réexamen complet de l’affaire.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                               IMM-1984-06

 

INTITULÉ :                                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                  ET DE L’IMMIGRATION ET

                                                                  LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                                  ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                  c.

                                                                  GREGORY GEORGE ISHMAEL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 14 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                   LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 27 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Anderson

 

POUR LES DEMANDEURS

Mary Lam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Mary Lam

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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