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Date : 20070301

Dossier : T-485-06

Référence : 2007 CF 233

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2007

EN PRÉSENCE DE Madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

GAIL L. YACUCHA

demanderesse

et

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Une plainte de Gail Yacucha pour congédiement injuste a été rejetée par un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, qui a conclu qu’elle avait volontairement quitté son emploi auprès de la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada.

 

[2]               Mme Yacucha demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, affirmant que l’arbitre a commis une erreur en ne prenant pas dûment en considération les conséquences de divers faits qui sont survenus immédiatement avant son départ de la compagnie, notamment une réunion entre Mme Yacucha et son surveillant, Larry Stevenson.

 

[3]               Mme Yacucha soutient également que l’arbitre a commis une erreur en n’accordant pas un poids suffisant aux éléments de preuve médicaux indiquant qu’elle était dans un état de vulnérabilité psychologique au moment où elle a quitté son emploi au CN.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je n’ai pas été persuadée que l’arbitre a commis une erreur, comme l’allègue Mme Yacucha. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les antécédents

[5]               Mme Yacucha a commencé à travailler au CN à Winnipeg en 1969. Elle a occupé une série d’emplois, pour atteindre finalement le poste d’agente de développement des comptes en 1997. Mme Yacucha a travaillé à Winnipeg pendant l’essentiel de sa carrière au CN, à l’exception d’une période allant de 1992 à 1994 pendant laquelle elle a travaillé à Calgary.

 

[6]               Il semble que Mme Yacucha aimait vivre à Calgary et qu’au moment où son poste y a fait double emploi avec un autre en 1994, elle a dû choisir entre quitter le CN ou revenir à Winnipeg. À contre-cœur, elle a décidé de revenir à Winnipeg, où elle a poursuivi sa carrière au CN jusqu’à son départ en 1998.

 

[7]               À la fin des années 1990, le CN était engagé dans un processus de réduction d’effectifs depuis un certain nombre d’années. Dans ce contexte, l’entreprise offrait des forfaits de départ aux membres du personnel qui consentaient volontairement à quitter leur emploi.

 

[8]               Si un employé souhaitait quitter l’entreprise mais travaillait dans une unité non visée par une réduction d’effectifs, il était théoriquement réaffecté à un poste dans une unité en réduction qui était occupé par une personne qui souhaitait demeurer dans l’entreprise. Le numéro d'emploi de la personne qui quittait était alors attribué à la personne qui souhaitait demeurer au CN et celle-ci continuait de travailler pour l’entreprise. Cette pratique portait le nom d’« échange » (swap).

 

[9]               La volonté de réduction des effectifs touchait un certain nombre d’unités au CN et, en 1998, il était notoire que le groupe du développement des comptes, s’il n’atteignait pas ses cibles en matière de recettes, pourrait être éliminé. La situation créait une pression considérable sur les membres du groupe, dont Mme Yacucha.

 

[10]           La situation au CN créait de manière générale une pression sur les membres du groupe de développement des comptes, mais l’arbitre a conclu que dans les faits aucun élément de preuve ne donnait à penser que quelqu’un dans la direction du CN souhaitait la cessation d’emploi de Mme Yacucha.

 

[11]           Il semble également que la relation entre Mme Yacucha et M. Stevenson se détériorait et que Mme Yacucha avait le sentiment de ne pas être correctement traitée par M. Stevenson, encore que l’arbitre n’ait pas reconnu que c’était réellement le cas.

 

[12]           En mai 1998, Mme Yacucha a pris un congé de maladie pour cause de stress, qui s’est prolongé jusqu’au 28 juillet 1998. Elle était nettement malheureuse de sa situation professionnelle et, le 4 juin 1998, elle a dit à son médecin de famille, le Dr Giesbrecht, qu’elle envisageait de quitter son emploi dans les six à 24 mois suivants. Trois semaines plus tard, Mme Yacucha a dit au Dr Giesbrecht qu’elle voulait être transférée en Alberta. À ce sujet, il semble que Mme Yacucha était intéressée à poursuivre une relation avec un homme qu’elle avait rencontré récemment et qui vivait à Calgary.

 

[13]           Dans un délai de un à deux jours de son retour au travail, Mme Yacucha a dit à M. Stevenson qu’elle serait intéressée d’envisager un forfait de départ. L’arbitre a établi le fait que c’était Mme Yacucha qui avait entrepris les démarches à ce sujet auprès de M. Stevenson et non l’inverse.

 

[14]           M. Stevenson a ensuite effectué des recherches pour le compte de Mme Yacucha et établi qu’elle pouvait effectivement avoir droit à un forfait de départ. Le 30 juillet 1998, Mme Yacucha a reçu un document d’une page de M. Stevenson qui lui indiquait qu’elle aurait droit à un paiement à titre gracieux de 73 705,01 $, soit 77,83 semaines de salaire.

 

[15]           Les éléments de preuve sur la suite des événements sont contradictoires. Mme Yacucha dit qu’elle a consenti seulement à prendre en considération le forfait de départ alors que M. Stevenson dit qu’elle a convenu d’accepter le forfait. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’arbitre a accepté la version de M. Stevenson et conclu dans les faits que Mme Yacucha avait confirmé son acceptation des détails du forfait de départ et indiqué son intention de quitter volontairement son emploi au CN.

 

[16]           Personne ne conteste le fait qu’en août, Mme Yacucha a demandé des conseils financiers sur le forfait de départ à des représentants de Merrill Lynch et de KPMG. Merrill Lynch était le conseiller financier personnel de Mme Yacucha et les services de KPMG lui ont été fournis aux frais du CN dans le cadre des mesures afférentes au forfait de départ.

 

[17]           Dans le cours de ces échanges, Mme Yacucha a examiné divers scénarios de retraite fondés sur les renseignements de retraite qui lui avaient été communiqués.

 

[18]           Le 27 août 1998, Mme Yacucha a reçu une lettre de M. Stevenson datée du 26 août 1998, qui déclarait : [traduction] « La présente lettre vous confirme que votre emploi au CN prendra fin le 31 août 1998. » Étaient joints à la lettre des renseignements sur les droits de Mme Yacucha en matière de prestations de départ et d’options de retraite. Mme Yacucha n’a fait part d’aucune préoccupation sur la teneur de la lettre à M. Stevenson ou à quelqu’un d’autre au CN à l’époque.

 

[19]           Le lendemain, Mme Yacucha a assisté à une réunion de l’unité au cours de laquelle on a fait circuler un nouvel organigramme, qui indiquait le nom d’une personne, que nous identifierons dans les présents motifs comme « AD », au poste occupé par Mme Yacucha. Mme Yacucha déclare que cette information l’a tellement bouleversée qu’elle n’a formulé aucune opposition au fait que son poste semblait avoir été attribué à une autre personne.

 

[20]           Le 31 août 1998, Mme Yacucha a rencontré Terrence Wasylak, conseiller en replacement auprès de Main Stream Access Corporation. Le CN avait retenu Main Stream pour fournir des conseils en replacement et des services connexes au personnel du CN touché par une cessation d’emploi, volontaire ou forcée.

 

[21]           Mme Yacucha a naturellement fait part à M. Wasylak de ses regrets et du fait qu’elle ne souhaitait pas quitter son emploi au CN. M. Wasylak lui a suggéré de retourner au CN pour discuter de la question avec M. Stevenson.

 

[22]           Il est bien établi que le jour même, Mme Yacucha a rencontré M. Stevenson pour lui dire qu’elle avait changé d’idée au sujet de son départ du CN et qu’elle refusait de signer les documents de départ.

 

[23]           Le récit des faits qui ont suivi diffère quelque peu selon les versions de M. Stevenson et de Mme Yacucha. Cependant, personne ne conteste que M. Stevenson s’est fâché et a dit à Mme Yacucha qu’elle ne pouvait changer d’idée, car des mesures avaient déjà été prises pour mettre en œuvre sa décision antérieure de quitter l’entreprise, notamment l’« échange » entre elle et AD.

 

[24]           Personne ne conteste non plus que M. Stevenson a dit à Mme Yacucha de rentrer chez elle et de réfléchir à ses intentions. Il est incontesté aussi que M. Stevenson a dit également à Mme Yacucha que si, au terme de sa réflexion, elle souhaitait toujours demeurer au CN, M. Stevenson s’enquerrait de ce qu’il pouvait faire pour elle, bien qu’il ne puisse rien lui promettre là-dessus.

 

[25]           Le lendemain, Mme Yacucha a rencontré M. Wasylak et signé toute la documentation nécessaire pour l’attribution du forfait de départ, notamment une décharge en faveur du CN. M. Wasylak a témoigné qu’il n’aurait pas accepté de servir de témoin à la signature des documents s’il avait eu le moindre doute sur le fait que Mme Yacucha comprenait et acceptait ce qu’elle signait.

 

[26]           Le même jour, Mme Yacucha a appelé M. Stevenson et a laissé un message sur sa boîte vocale portant qu’elle avait signé la décharge. M. Stevenson a témoigné que Mme Yacucha avait dit également qu’elle avait eu peur de quitter le CN, mais que sa décision de quitter le CN avait été la bonne et qu’elle en était satisfaite. Mme Yacucha a reconnu en contre-interrogatoire qu’elle avait effectivement pu dire à M. Stevenson qu’elle était satisfaite de sa décision de quitter l’entreprise.

 

[27]           Immédiatement après son départ du CN, Mme Yacucha a mis en vente sa maison à Winnipeg et pris diverses autres mesures en vue de déménager à Calgary. Il semble que ses tentatives pour obtenir un nouvel emploi à Calgary n’ont pas été immédiatement fructueuses et que la relation qu’elle souhaitait entretenir avec l’homme de Calgary ne s’est pas matérialisée.

 

[28]           Selon les notes du Dr Giesbrecht lors des visites de Mme Yacucha en octobre et novembre 1998, Mme Yacucha a dit à son médecin qu’elle avait quitté son emploi au CN, mais qu’elle regrettait maintenant sa décision.

 

[29]           Le 27 novembre 1998, Mme Yacucha a déposé une plainte auprès de Ressources humaines et Développement Canada en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail dans laquelle elle allègue avoir été congédiée injustement de son emploi au CN.

 

[30]           Au terme d’une longue audience, l’arbitre nommé pour instruire l’affaire a conclu que Mme Yacucha avait volontairement quitté son emploi au CN et n’avait pas été injustement congédiée de son poste. C’est la décision dont Mme Yacucha demande maintenant le contrôle judiciaire.

 

Les questions soulevées

[31]           Mme Yacucha soulève deux questions dans la présente demande. Son principal argument est que l’arbitre a commis une erreur en concluant qu’elle avait volontairement quitté son emploi au CN, à la lumière des événements survenus au cours des derniers jours d’août 1998 et, en particulier, de ce qui avait transpiré au cours de la dernière réunion de Mme Yacucha avec M. Stevenson.

 

[32]           Bien que cette question n’ait pas été poursuivie à l’audience, Mme Yacucha dit également que l’arbitre a commis une erreur en ne prenant pas dûment en considération sa vulnérabilité psychologique lorsqu’il a conclu qu’elle avait volontairement décidé de quitter son emploi.

 

La norme de contrôle

[33]           Selon Mme Yacucha, la question de savoir si une personne a été congédiée ou a volontairement quitté son emploi concerne la compétence de l’arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail. Par conséquent, une conclusion de démission volontaire doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[34]           À l’appui de cet argument, Mme Yacucha renvoie à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Baldrey c. H. & R. Transport (2005), 334 N.R. 340, 2005 CAF 151.

 

[35]           Un examen de l’arrêt Baldrey indique que la conclusion effective de la Cour d’appel fédérale a été que la décision de l’arbitre sur la nature des principes juridiques applicables à la qualité d’employé d’une personne doit être contrôlée selon la norme du caractère correct. Toutefois, l’application de ces principes aux faits d’une affaire en particulier doit être contrôlée selon la norme du caractère raisonnable.

 

[36]           Pour en venir à cette conclusion, la Cour d’appel fédérale a adopté l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par la juge Sharlow dans l’arrêt Dynamex Canada Inc. c. Mamona (2003), 242 F.T.R. 159, (2003), 305 N.R. 295, 2003 CAF 248. Dans l’arrêt Dynamex, la juge Sharlow a conclu, quoique sur le fondement d’une autre disposition du Code canadien du travail, que la question de savoir si un employé avait été congédié est également une question mixte de fait et de droit, qui appelait un contrôle selon la norme du caractère raisonnable.

 

[37]           En l’espèce, l’arbitre s’est livré à un examen long et détaillé des principes juridiques régissant ce type d’affaire, faisant observer qu’il devait en premier lieu établir si Mme Yacucha avait subjectivement l’intention de quitter volontairement son emploi, et en second lieu si elle avait pris des mesures pour quitter son emploi. L’arbitre a en outre reconnu que la signature d’une décharge par Mme Yacucha en faveur du CN n’était pas un facteur déterminant et que cette décharge pourrait être rendue inopérante si elle avait été obtenue par coercition ou par violence.

 

[38]           Mme Yacucha n’a signalé aucune erreur de la part de l’arbitre au sujet de l’identification des principes juridiques régissant la démission volontaire et le congédiement forcé et il est clair, d’après ses observations, qu’elle conteste en fait l’application de ces principes par l’arbitre aux faits de l’espèce. J’estime qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[39]           Dans l’arrêt Canada (Directeur des Enquêtes et Recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, la Cour suprême a conclu qu’est déraisonnable la décision qui « dans l’ensemble » n’est étayée par aucun motif capable de résister à « un examen assez poussé ». Il s’ensuit que, dans le contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, la Cour doit établir si les motifs avancés par le décideur appuient sa décision.

 

[40]           Une décision est jugée déraisonnable si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le décideur, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Une décision peut être raisonnable « si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision ». Voir l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, au paragraphe 55.

 

[41]           En ce qui concerne la deuxième question soulevée par Mme Yacucha, celle-ci ne dit pas que son état psychologique la rendait inapte ou incapable de choisir volontairement de quitter son emploi. Elle affirme plutôt qu’ayant admis qu’elle se trouvait dans un état de stress important et qu’elle croyait en toute sincérité que son employeur ne la traitait pas correctement, l’arbitre a commis une erreur en ne concluant pas qu’elle ne « fonctionnait pas à pleine capacité » au moment où elle a signé la décharge qui rendait définitif son départ du CN.

 

[42]           Je n’ai pas besoin de décider si cette question, qui comporte manifestement une composante factuelle importante, doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme du caractère raisonnable ou manifestement déraisonnable, car je suis persuadée qu’elle résiste à l’examen selon la norme la plus exigeante du caractère raisonnable.

 

L’analyse

[43]           Avant d’entreprendre mon analyse, je dois signaler qu’une question a été soulevée dans le mémoire des faits et du droit du CN au sujet de l’admissibilité d’un affidavit souscrit par Mme Yacucha à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, du fait que l’affidavit, selon l’allégation du CN, contenait des éléments de preuve extrinsèques dont l’arbitre n’était pas saisi au moment où il a rendu sa décision. La question n’a pas été reprise à l’audience et je n’ai pas à la traiter car, ayant lu l’affidavit, j’estime que rien de ce qu’il contient n’influe sur ma décision.

 

[44]           Je commencerai mon analyse par l’examen de la seconde question que soulève Mme Yacucha, soit le défaut allégué de l’arbitre de prendre dûment en considération son état de vulnérabilité psychologique pour apprécier si elle avait démissionné volontairement de son poste au CN ou si elle avait été congédiée.

 

[45]           À cet égard, il faut faire remarquer que la position de Mme Yacucha au sujet de l’intégration d’éléments de preuve médicaux s’est transformée quelque peu depuis l’audience tenue devant l’arbitre. Devant l’arbitre, Mme Yacucha a adopté la position que sa santé mentale en août 1998 était telle qu’elle n’avait pas la capacité requise pour prendre des décisions au sujet de sa situation d’emploi au CN.

 

[46]           L’argumentation que tient Mme Yacucha devant la Cour est un peu différente : elle fait valoir que l’arbitre n’a pas dûment pris en considération sa vulnérabilité psychologique dans l’évaluation des circonstances qui ont mené à son départ du CN.

 

[47]           Je commencerai par faire observer que l’arbitre a parcouru l’analyse soignée et détaillée de la preuve médicale dont il était saisi sur l’état psychologique de Mme Yacucha avant de conclure que les éléments de preuve n’appuyaient pas la conclusion qu’elle n’avait pas la capacité requise pour prendre une décision au sujet de son emploi au CN en août 1998. Je ne vois aucune erreur dans son analyse et je suis persuadée que la conclusion de l’arbitre à ce sujet était éminemment raisonnable au vu du dossier dont il était saisi.

 

[48]           S’agissant du défaut allégué de l’arbitre d’avoir dûment pris en considération les effets de sa vulnérabilité psychologique dans l’appréciation des faits survenus en août 1998, je ne suis pas convaincue que l’arbitre ait commis l’erreur qu’allègue Mme Yacucha.

 

[49]           En rendant sa décision, l’arbitre était parfaitement conscient du stress que vivait Mme Yacucha au cours de l’été de 1998. En fait, un examen de la décision de l’arbitre indique qu’en arrivant à la conclusion que Mme Yacucha avait volontairement donné sa démission du CN, l’arbitre a attentivement considéré les éléments de preuve dont il était saisi au sujet des sources de stress à la fois dans l’emploi et dans la vie personnelle de Mme Yacucha.

 

[50]           En d’autres termes, en appréciant si Mme Yacucha avait subjectivement l’intention nécessaire de quitter son emploi, l’arbitre a expressément pris en compte le fait qu’elle trouvait manifestement son emploi au CN très stressant et qu’elle espérait retourner à Calgary pour des raisons personnelles.

 

[51]           L’arbitre a également fait observer que Mme Yacucha devait être très consciente qu’elle n’avait aucune garantie d’emploi continu à long terme au CN à Winnipeg et que le forfait de départ que lui offrait le CN constituait une incitation financière importante.

 

[52]           Considérant tous ces facteurs, l’arbitre a spécifiquement conclu qu’il ne pouvait pas accréditer l’affirmation de Mme Yacucha sur le caractère irrationnel de sa décision de quitter son emploi.

[53]           De plus, l’arbitre était nettement au courant, conscient et soucieux du stress qui affectait Mme Yacucha au moment où elle a quitté le CN. Après avoir soigneusement pesé les éléments de preuve sur ce point, l’arbitre a conclu que ces sources de stress étaient en réalité une grande partie des motifs pour lesquels elle souhaitait quitter le CN et retourner à Calgary.

 

[54]           Je suis donc persuadée que l’arbitre comprenait et a pris en considération les éléments de preuve relatifs à l’état psychologique de Mme Yacucha en août 1998 et que les conclusions auxquelles il est arrivé à ce sujet étaient celles qu’il lui était raisonnablement loisible d’adopter. Par conséquent, je ne suis pas persuadée qu’il existe un fondement quelconque me justifiant de modifier cet aspect de la décision faisant l’objet du contrôle.

 

[55]           S’agissant maintenant de l’argument principal de Mme Yacucha, elle dit que l’arbitre a commis une erreur en ne prenant pas dûment en considération l’effet cumulatif de la lettre envoyée à Mme Yacucha le 27 août 1998, indiquant que la cessation de son emploi au CN prendrait effet le 31 août 1998, de la substitution du nom d’AD à celui de Mme Yacucha sur l’organigramme de l’unité et des propos tenus par M. Stevenson à Mme Yacucha à la réunion du 31 août 1998.

 

[56]           Selon Mme Yacucha, ces événements ont transformé ce qui aurait pu être au départ une démission volontaire en une cessation d’emploi forcée de sorte que Mme Yacucha ne devrait pas être liée par la décharge qu’elle a signée.

 

[57]           Selon ce que je crois comprendre de l’argumentation de Mme Yacucha, elle avait peut-être envisagé la possibilité de donner sa démission du CN mais elle n’avait pas, au 27 août 1998, pris une décision définitive à ce sujet. Néanmoins, le CN lui a envoyé une lettre l’informant de la cessation de son emploi à la fin du mois. De plus, le CN a agi unilatéralement en faisant circuler un organigramme qui indiquait qu’il n’y avait plus de poste pour elle dans l’entreprise.

 

[58]           Enfin, ce qui est le plus flagrant selon elle, quand elle a rencontré M. Stevenson le 31 août 1998 et tenté de lui dire qu’elle s'était ravisée et ne souhaitait pas quitter le CN, il lui a dit qu’il n’y avait plus d’emploi pour elle.

 

[59]           Mme Yacucha soutient que, jusqu’au moment où elle a signé la décharge, elle était toujours une employée du CN et avait droit à son emploi. En lui disant qu’elle n’avait plus d’emploi dans son unité, M. Stevenson l’a privée de tout choix sur la question et l’a effectivement congédiée. Le fait qu’elle ait par la suite accepté le forfait de départ et signé la décharge n’est pas pertinent, prétend‑elle, car le comportement de M. Stevenson l’y a forcée.

 

[60]           Je ne puis accepter les arguments de Mme Yacucha. L’arbitre a tiré la conclusion de fait que personne, y compris M. Stevenson, ne souhaitait voir Mme Yacucha quitter le CN et que ce n’est qu’après que Mme Yacucha ait approché le CN pour savoir si elle bénéficierait d’un forfait de départ en cas de cessation d’emploi que les discussions ont commencé au sujet de son départ.

 

[61]           En outre, l’arbitre a conclu expressément que, peu avant le 27 août 1998, Mme Yacucha avait informé M. Stevenson qu’elle voulait accepter le forfait de départ et quitter volontairement son emploi au CN.

 

[62]           On s’est alors efforcé de donner effet à la cessation d’emploi. À cette fin, il a fallu identifier une personne qui pouvait faire l’échange de postes avec Mme Yacucha. Mme Yacucha comprenait la nature du processus et savait qu’AD occuperait son poste. Un nouvel organigramme a alors été élaboré, qui reflétait ce changement. La distribution de l’organigramme à la réunion du personnel du 28 août 1998 n’est pas particulièrement troublante, étant donné qu’il était de notoriété publique dans l’unité que Mme Yacucha quitterait le CN pour retourner à Calgary. Les collègues de Mme Yacucha en étaient même rendus à l’organisation d’une fête de départ à son intention.

 

[63]           Je ne puis accepter non plus l’observation de Mme Yacucha selon laquelle la formulation de la lettre du CN du 26 août 1998 avait quelque chose de coercitif. La lettre traduisait simplement ce que les deux parties, semble-t-il, comprenaient à cette étape, soit que Mme Yacucha quitterait l’entreprise et que son emploi prendrait fin le 31 août 1998.

 

[64]           À ce sujet, l’arbitre a fait observer que Mme Yacucha n’a pas remis en question le contenu de la lettre au moment où M. Stevenson la lui a remise et qu’elle ne s’est pas montrée préoccupée de la teneur de cette lettre auprès de personne d’autre au CN. Elle a plutôt cherché à obtenir des conseils financiers au sujet des conséquences fiscales du forfait de départ et elle a pris ce que l’arbitre a jugé être des décisions réfléchies et intelligentes pour réduire ses charges fiscales.

[65]           Il ne reste que la rencontre de Mme Yacucha avec M. Stevenson le 31 août 1998. Les parties s’entendent qu’au cours de cette réunion Mme Yacucha a dit à M. Stevenson qu’elle reconsidérait son départ du CN et que M. Stevenson lui a dit qu’il n’avait plus de poste pour elle.

 

[66]           Étant donné que Mme Yacucha avait précédemment indiqué qu’elle acceptait le forfait de départ et que l’échange avait déjà été convenu avec AD, expressément en vue de procurer à Mme Yacucha le forfait de départ qu’elle avait demandé, l’irritation manifeste de M. Stevenson à l’égard de ce revirement de dernière minute est peut-être compréhensible, bien que regrettable.

 

[67]           Néanmoins, personne ne conteste que M. Stevenson a prestement retrouvé son calme et suggéré que Mme Yacucha se retire pour réfléchir et que, dans l’hypothèse où elle voulait toujours demeurer au CN, il vérifierait ce qu’il pouvait faire pour elle.

 

[68]           Contrairement à ce qu’a fait observer Mme Yacucha, l’arbitre comprenait clairement et a admis explicitement que Mme Yacucha avait le droit de changer d’idée à cette étape, du fait qu’elle était toujours une employée du CN. Toutefois, l’arbitre s’est alors penché sur la suite des événements pour décider si le départ du CN de Mme Yacucha était réellement volontaire.

 

[69]           L’arbitre a en effet pris en considération le fait que Mme Yacucha ne soit pas revenue sur l’offre que M. Stevenson lui avait faite et ne l’ait pas rappelé pour lui demander de vérifier ce qui pouvait être fait pour elle, et le fait qu’elle n’ait contacté personne d’autre au CN à ce sujet. Au contraire, elle a continué de réfléchir, a consulté de nouveau les conseillers en replacement et signé les documents de cessation d’emploi, dont la décharge.

 

[70]           Mme Yacucha a ensuite laissé à M. Stevenson un message téléphonique dans sa boîte vocale, lui disant qu’elle avait eu un moment d'angoisse et qu’ayant réfléchi plus longuement à la question, elle souhaitait mettre en œuvre son intention de quitter le CN. De plus, elle a dit à M. Stevenson qu’elle était certaine de sa décision.

 

[71]           L’arbitre s’est ensuite penché sur le récit des événements survenus au CN que Mme Yacucha elle-même a fait à son médecin de famille peu après son départ. Sur ce point, il s’impose de répéter que Mme Yacucha a dit à son médecin de famille qu’elle avait démissionné de son emploi au CN et qu’elle avait commencé à regretter cette décision. Dans les notes du Dr Giesbrecht, rien ne suggère que Mme Yacucha a dit avoir eu le sentiment d’avoir été forcée de quitter le CN, soit par M. Stevenson, soit par quelqu’un d’autre au CN. Rien non plus dans les notes du Dr Giesbrecht datant de cette période n’indique que Mme Yacucha croyait que son départ était d’autre nature que volontaire.

 

[72]           Il était donc tout à fait raisonnable pour l’arbitre de conclure que, si Mme Yacucha croyait réellement avoir été forcée de quelque façon de quitter son emploi au CN, elle n’aurait pas fait ces affirmations au Dr Giesbrecht. En outre, il était tout à fait raisonnable pour l’arbitre de conclure que Mme Yacucha avait quitté volontairement son emploi au CN et qu’elle n’avait pas été congédiée.

 

Conclusion

[73]           Pour ces motifs, je suis persuadée que l’arbitre n’a pas mal interprété le droit relatif à la démission et au congédiement forcé. De plus, la conclusion de l’arbitre sur le fait que Mme Yacucha a volontairement quitté son emploi au CN est largement étayée par le dossier et elle peut résister à un examen assez poussé.

 

[74]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Yacucha est rejetée, avec dépens.

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-485-06

 

INTITULÉ :                                       GAIL L. YACUCHA

                                                            c.

                                                            LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 1ER MARS 2007   

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sidney G. Soronow                                                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Fausto Franceschi                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Liffmann Soronow                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg (Manitoba)

 

Fraser Milner Casgrain LLP                                               POUR LA DÉFENDERESSE

Edmonton (Alberta)

                                                           

 

 

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