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Date : 20070306

Dossier :  T-742-06

Référence :  2007 CF 251

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2007

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

AURÉLIEN MAINVILLE et

CLAUDE PAULIN

Demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

Défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

1.         Introduction

[1]                Il s’agit d’un demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du Ministre des pêches et des océans (le Ministre), datée le 30 mars 2006, relative à la répartition du total autorisé de captures (TAC) de crabe des neiges dans le sud du Golfe du Saint-Laurent, soit dans les zones de pêches 12, 18, 25 et 26 (le « plan de pêche »).

 

2.         Contexte factuel

[2]                Les demandeurs sont deux pêcheurs de la région de Caraquet au Nouveau-Brunswick. Ils sont détenteurs de permis de poisson de fond avec engin mobile et contingents compétitifs, et le Ministre leur reconnaît la qualité de spécialiste de poisson de fond pour l’Est du Nouveau-Brunswick. Ils sont victimes d’un moratoire sur cette pêche depuis 1993, et sont aussi identifiés par le Ministre comme étant des pêcheurs qui ont une forte dépendance sur le poisson de fond.

 

[3]                Le Ministre a annoncé le plan de pêche du crabe des neiges pour les zones en question le 30 mars 2006. Ce plan est la décision du Ministre qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[4]                Le plan de pêche accorde 7,129% du TAC ou 1 772,91 t. à la flottille non-traditionnelle du Nouveau-Brunswick : 10% de ce quota est accordé à l’Association des pêcheurs de poisson de fonds acadiens (APPFA) et 90% à l’Union des Pêcheurs des Maritimes (UPM), laquelle compte environ 1 200 membres.

 

[5]                Cette décision est à l’effet d’exclure les demandeurs de la répartition prévue par le Plan de gestion de la pêche du crabe des neiges, puisqu’ils ne font pas partie de l’APPFA ni de l’UPM.  Or, les demandeurs auraient fait parvenir une lettre au Ministre afin de lui fournir les renseignements nécessaires pour qu’il prenne en compte leur situation particulière en 2006 dans le plan de pêche.

 

[6]                Les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas réussi à savoir pourquoi ils ont été exclus du partage. Ils précisent toutefois qu’ils sont les seuls, avec deux de leurs collègues du Nouveau-Brunswick parmi la centaine de pêcheurs actifs, à n’avoir reçu aucun bénéfice de cette pêche. Ils ajoutent en plus que leur situation se distingue de celle de leurs collègues du Nouveau-Brunswick, en ce sens que ces derniers sont membres de l’UPM, laquelle a reçu un important contingent. Les demandeurs se comparent  aux pêcheurs membres de l’APPFA.

 

3.         Questions en Litige

[7]                La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.     Le Ministre a-t-il agi conformément à ses obligations dans l’attribution des contingents de crabe des neiges en 2006?

B.     Le Ministre avait-il une obligation fiduciaire envers les demandeurs et si oui, a-t’il manqué à cette obligation fiduciaire envers les demandeurs?

 

4.         Norme de Contrôle

[8]                Avant toute chose, il convient de déterminer quelles sont les normes de contrôle applicable en l’espèce. La norme de contrôle applicable à une décision du ministre, prise en vertu de l’article 7 de la Loi, est celle de la décision manifestement déraisonnable, comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tucker c. Canada (Ministre Des Pêches et des Océans), 2001 CAF 384. Cette conclusion a d’ailleurs été réitérée récemment par la Cour d’appel dans l’affaire Recherches Marines Inc. /Marine Research Inc. c. Procureur général du Canada, 2006 CAF  425.

 

[9]                En ce qui a trait aux questions relatives à l’équité procédurale ou aux principes de justice naturelle, il n’est pas nécessaire de discuter de la norme de contrôle applicable : si ces principes sont violés, la décision sera cassée et retournée au Ministre pour reconsidération.

 

5.         Contexte historique

[10]            Compte tenu de questions soulevées en l’instance, j’estime nécessaire de procéder à un rappel du contexte historique dans lequel s’inscrit la décision du Ministre.

 

[11]            En 1990, il y avait plus de 100 permis de poisson de fond avec engins mobiles, ce qui inclut les permis détenus par les demandeurs. À l’époque, les détenteurs de ce type de permis ont eu l’opportunité de devenir détenteurs de contingents individuels transférables (QIT). Les QITs ont été établis en fonction des prises historiques (1986-1989).

 

[12]            Les pêcheurs, qui ont opté pour le régime des QITs, ont perdu leur statut de pêcheur côtier (bonifié) et étaient assujettis à des règles différentes. Par exemple, ils pouvaient uniquement obtenir des permis par voie de demande de réassignation de permis; l’accès à des permis riverains (i.e. éperlan, huître, etc.…) n’était plus possible; et ils perdaient l’accès à la pêche à la morue dans le Détroit de Northumberland. Chaque pêcheur QIT détenait une part fixe, exprimée en pourcentage des contingents de poisson de fond. Le pêcheur décidait à son rythme de ses activités pendant la saison de pêche.

 

[13]            Au Nouveau-Brunswick, il y a toujours 87 détenteurs de permis de pêche de poisson de fond avec engin mobile compétitifs. Les demandeurs ont choisi de demeurer dans ce groupe de pêcheurs. En faisant ce choix, ils ont accepté de continuer à pêcher sur une base compétitive (« race for the fish ») des contingents de poisson de fond. De plus, ils ont conservé la possibilité de pêcher dans le Détroit de Northumberland. Mis à part les demandeurs, tous ces pêcheurs sont représentés pas l’UPM. Il y aussi 13 détenteurs de permis QIT, lesquels sont majoritairement représentés par l’APPFA.

 

[14]            À la suite de l’annonce du moratoire sur la pêche à la morue (1993-1997 inclusivement) et du lancement de divers programmes d’aide financière, le Ministre a identifié les pêcheurs ayant une forte dépendance à la pêche au poisson de fond. Au fil des années, cette liste de pêcheurs a été modifiée pour tenir compte des changements à la situation des pêcheurs et aux critères d’éligibilité. Au Nouveau-Brunswick, 19 pêcheurs figurent sur cette liste : les demandeurs; quatre pêcheurs détenteurs de permis de pêche de poisson de fond avec engin mobile compétitifs faisant partie du groupe noyau de l’UPM et; treize pêcheurs représentés pas l’APPFA généralement détenteurs de permis QIT.

 

[15]            En 2003, le Ministre a décidé de stabiliser les allocations de crabe des neiges à long terme dans la zone 12. Entre autres, il a octroyé 90 % de la part du nouvel accès réservé au Nouveau-Brunswick aux pêcheurs côtiers du noyau par l’entremise de l’UPM, ce qui inclut les pêcheurs dépendant de la pêche compétitive du poisson de fond, et 10 % était destiné aux pêcheurs dépendant de la pêche du poisson de fond exploitant des bateaux de moins de 65 pieds de longueur assujettis aux QIT représentés par l’APPFA.

 

[16]            En 2005, le Ministre a approuvé le « Plan de transition et de développement du section côtier », présenté par l’UPM. Ce plan de transition visait principalement la rationalisation de la flottille de la pêche côtière du homard (retrait de permis), mais comprenait également celle des pêcheurs dépendant du poisson de fond.

 

[17]            Selon le plan de transition, les demandeurs, ainsi que quatre autres pêcheurs du Nouveau-Brunswick dépendant de la pêche compétitive, n’avaient plus automatiquement accès à une allocation de crabe des neiges, mais en retour, ils bénéficiaient d’une augmentation substantielle de leurs allocations de morue par rapport à l’année 2004. Cette approche semblait satisfaire ce groupe de six pêcheurs lorsque leurs allocations de morue ont été confirmées en 2005. Cependant, certains pêcheurs ont affirmé, après la saison de pêche, que la morue avait été plus difficile à capturer et qu’il y avait pas ou peu de marché pour la morue.

 

[18]            En 2006, le Ministre a réitéré son accord avec le « Plan de transition et de développement du secteur côtier » présenté par l’UPM.

 

[19]            Le Ministre a participé à des rencontres avec les pêcheurs dépendant de poisson de fond avec contingents compétitifs, à quelques reprises au courant de l’année 2005 et de l’hiver 2006, pour discuter de leur situation. Lors de ces rencontres, ces pêcheurs ont informé le Ministre qu’ils désiraient une allocation « permanente » de crabe des neiges dans les zones 12 et la Zone 12E, ainsi que des plus gros contingents de morue. Les représentants du Ministre ont affirmé être disposés à travailler avec eux pour leur donner une plus grande stabilité et une plus grande prévisibilité d’accès.

 

[20]            En février 2006, ces pêcheurs compétitifs ont présenté au Ministre leur propre plan de rationalisation. Le Ministre n’a pas approuvé ce plan, parce que les quantités demandées étaient substantielles et qu’il n’avait pas de garantie qu’il y aurait effectivement une rationalisation. De plus, cette proposition allait à l’encontre du plan de transition annoncé par le Ministre en 2005 et réitéré le 23 mars 2006.

 

[21]            Le plan de pêche du crabe des neiges annoncé le 30 mars 2006 continue d’accorder une allocation de crabe des neiges de la zone 12 à l’UPM selon son « Plan de transition et de rationalisation ». Le partage 90/10 du quota entre l’UPM et l’APPFA a également été maintenu.

 

[22]            Ce plan comprend aussi la mise en place d’un fond de fiducie pour la rationalisation de la flottille des pêcheurs compétitifs dépendant de poisson de fond (quatre pêcheurs avec engin mobile dont les deux demandeurs et deux pêcheurs avec engin fixe). Ce groupe de six pêcheurs de poisson de fond avec contingent compétitif, incluant les deux demandeurs, reçoit une allocation totale de 46.25 de tonnes métriques (t. métr.) de crabe des neiges de la zone 12E pour 2006, dans le cadre du plan de pêche annoncé pour cette zone le 11 avril 2006. De plus, les quatre pêcheurs dépendant du poisson de fond avec engin mobile compétitif, dont les deux demandeurs, ont accès en 2006 à plus de 128 t. métr. de morue, soit le même montant qu’en 2005.

 

[23]            Parmi le groupe de pêcheurs figurant sur la liste de pêcheurs ayant une forte dépendance à la pêche au poisson de fond, sept pêcheurs détenteurs de permis QIT, représenté par l’APPFA et; quatre pêcheurs détenteurs de permis de pêche de poisson de fond avec engin mobile compétitifs, faisant partie du groupe noyau de l’UPM, ont reçu des allocations de crabe des neiges de la zone 12.

 

6.         Analyse

A.                 Le Ministre a-t-il agi conformément à ses obligations dans l’attribution des contingents de crabe des neiges en 2006?

 

[24]            La discrétion du Ministre d’octroyer des permis de pêche est prévue au paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches, L.R., c. F-14 :

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

 

 

[25]            Cette discrétion n’est limitée que par les principes de justice naturelle, comme la Cour suprême l’a énoncé au paragraphe 36 dans la décision Comeau's Sea Foods Ltd. v. Canada (Minister of Fisheries and Oceans), [1997] 1 S.C.R. 12:

Je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au Ministre par l’art. 7, est, à l’instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l’exigence de justice naturelle, étant donné qu’il n’y a actuellement aucun règlement applicable.  Le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l’arbitraire et agir de bonne foi.  Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre: voir Thomson c. Ministre des Pêches et Océans, C.F. 1re inst., no T‑113‑84, 29 février 1984. (Je souligne).

 

 

[26]            Ainsi, le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la délivrance de permis conféré au Ministre par l’art. 7 de la Loi est uniquement restreint par l’exigence de justice naturelle, ce qui implique que le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l’arbitraire et agir de bonne foi.

 

[27]            Les demandeurs réfèrent, dans leur argumentation, à la décision 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919 pour démontrer l’obligation du Ministre d’agir équitablement dans l’exercice de son pouvoir d’autoriser la délivrance de permis de pêche. Dans cette décision, la Cour suprême a déterminé que la Régie des permis d’alcool du Québec ne respectait pas les garanties d’impartialité au niveau institutionnelle. Dans le cade de son analyse, elle a rappelé que la règle nemo debet esse judex in propria sua causa (la règle nemo judex), laquelle porte sur le droit à droit à une audition publique et impartiale, s’appliquait à la Régie en vertu de l’obligation d’agir équitablement.

 

[28]            À mon avis cet arrêt a peu d’application en l’espèce, puisque les demandeurs ne soulèvent aucun problème relatif à l’indépendance et à l’impartialité du Ministre. Nonobstant cette conclusion, je suis d’accord avec les demandeurs sur le fait que le Ministre était tenu d’agir équitablement ou en conformité avec les principes de justice naturelle, tel qu’établi dans l’arrêt Comeau. Par souci de cohérence, j’utiliserai, à l’instar de la Cour suprême dans l’arrêt Comeau, l’expression « principes de justice naturelle » plutôt que « devoir d’agir équitablement » dans la suite des présents motifs. Ce choix terminologique n’affecte pas négativement les demandeurs, puisque la Cour suprême a déterminé, dans Martineau c. Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, au paragraphe 47, qu’ « il est erroné de considérer la justice naturelle et l'équité comme des normes distinctes et séparée» et a précisé que l' « équité ne comporte le respect que de certains principes de justice naturelle. »

 

[29]            Ainsi, les demandeurs soutiennent essentiellement devant cette Cour que le Ministre se devait, pour exercer son pouvoir discrétionnaire de façon non arbitraire et de bonne foi, de les  traiter de la même façon que les autres pêcheurs dépendants des poissons de fond, étant donné l’absence de motif justifiant de leur accorder un traitement différent. Par ailleurs, il ressort de l’ensemble du dossier et de différents points soulevés par les demandeurs que ces derniers reprochent également au Ministre de ne pas leur avoir accordé de façon spécifiques une allocation de crabe des neiges dans les zones en question. Cette prétention, que je qualifierais d’implicite, repose sur la connaissance du Ministre des problèmes entre les demandeurs et l’UPM; sur le fait que le Ministre aurait été informé dès le 3 février 2006 que les demandeurs n’étaient plus représentés par l’UPM; et sur le fait que l’UPM était sensée accorder une allocation de crabe de la zone 12 aux demandeurs.

 

[30]            Le défendeur soutient, quant à lui, que rien dans la preuve n’établit que le Ministre a agi de façon arbitraire. En outre, il constate que, bien que les demandeurs prétendent qu’ils auraient dû être l’objet du même traitement que les pêcheurs de l’APPFA, la preuve démontre que leur situation n’est pas identique, puisqu’ils ont choisi de demeurer dans le groupe des pêcheurs compétitifs. Le défendeur prétend qu’il n’y a pas de preuve que le Ministre a agi de mauvaise foi. Il soutient au contraire que le Ministre a augmenté de façon substantielle l’allocation de morue des demandeurs et qu’il leur a accordé un quota de crabe dans la zone 12E.

 

[31]            La question qui se pose en l’espèce est celle à savoir si le Ministre a respecté les principes de justice naturelle dans l’exercice de sa discrétion d’autoriser la délivrance de permis.

 

[32]            L’obligation du Ministre d’agir conformément aux principes de justice naturelle n’implique aucune obligation de traiter tous les pêcheurs de la même façon. La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale a effectivement reconnu l’aspect inéquitable des décisions du Ministre des pêches sur ce genre de question. Plus précisément, le juge Robert Décary, dans l’arrêt Carpenter Fishing Corp. c. Canada (C.A.), [1998] 2 C.F. 548, au paragraphe 39 de ses motifs, a écrit :

Les quotas comportent immanquablement une part d'arbitraire ou d'injustice. Certains pêcheurs peuvent gagner, d'autres peuvent perdre, certains peuvent gagner ou perdre plus que d'autres, et la plupart sinon tous se retrouveront avec moins de prises qu'avant. C'est, au mieux, de ce point de vue, et non du point de vue juridique, qu'on peut parler de discrimination dans des cas comme celui qui nous occupe. S'il s'agissait vraiment de discrimination, alors il s'agirait d'une discrimination autorisée par la loi.

 

Ainsi, le fait que deux pêcheurs de poissons de fond reçoivent une différente allocation est acceptable, dans la mesure où la différence de traitement reposent sur des considérations pertinentes, n’est pas arbitraire et a été établie de bonne foi. 

 

[33]            Or, je considère que la preuve qui m’a été présenté n’établit pas que la décision du Ministre est fondée sur des considérations non pertinentes, qu’elle est arbitraire, ou qu’elle a été prise de mauvaise foi. Cette preuve établit plutôt que la situation des demandeurs est différente de celle des autres pêcheurs détenteurs QIT auxquels ils se comparent. Ces derniers ont effectivement choisi de demeurer dans le groupe des pêcheurs compétitifs et ils ont, en conséquence, joui de certains bénéfices propres à ce groupe, notamment un accès à une allocation de morue importante et à un quota de crabe des neiges de la zone 12E.

 

[34]            Compte tenu de leur décision de demeurer dans le groupe de pêcheurs compétitifs, les demandeurs ne peuvent se plaindre d’être l’objet d’un traitement inéquitable. Les pêcheurs QIT, auxquels se comparent les demandeurs, sont nécessairement traités différemment selon le régime qu’ils ont choisi, régime qui est tout autre que celui pour lequel les demandeurs ont opté. Cette différence de traitement n’est donc pas arbitraire.

 

[35]            Même en considérant que le Ministre a eu connaissance des problèmes entre les demandeurs et l’UPM avant l’annonce du plan de pêche, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que ce dernier avait une obligation de prévoir une allocation spécifique de crabe des neiges pour eux. Dans la mesure où l’élaboration d’un plan de pêche s’échelonne sur une longue période; où le principe suivant lequel les allocations sont réparties est fonction des associations de pêcheur; et où lors de l’annonce du plan de pêche les demandeurs étaient toujours officiellement partie de l’UPM, cette Cour ne peut conclure que le Ministre a failli à ses obligations. Le Ministre tout en étant conscient du conflit entre l’UPM et les demandeurs lors de l’annonce du plan de pêche, n’avait pas l’obligation de s’assurer qu’une partie du quota remis à l’UPM serait effectivement accordée aux demandeurs.

 

[36]            Pour ces motifs, je conclus donc que le Ministre a agi conformément à ses obligations dans l’attribution des contingents de crabe des neiges en 2006 prévue dans le plan de pêche.

 

B.         Le Ministre avait-il une obligation fiduciaire envers les demandeurs et si oui, a-t’il manqué à cette obligation fiduciaire envers les demandeurs?

 

[37]            Les demandeurs soutiennent qu’il existe une obligation fiduciaire entre eux et le Ministre. Ils s’appuient sur l’arrêt Lac minerals ltd. c. International corona resources ltd., [1989] 2 R.C.S. 574. Au paragraphe 32 de cette décision, la Cour suprême identifie ainsi les trois caractéristiques d’une obligation fiduciaire:

1.      le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire;

2.      le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire; et

3.      le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.

 

[38]            De prime abord, les demandeurs soutiennent qu’il est établi que le Ministre exerce un certain pouvoir discrétionnaire dans l’octroi des permis de pêche. Ils prétendent qu’il peut donc, comme en l’espèce, décider de ne pas octroyer de permis aux demandeurs et à d’autres pêcheurs. Ensuite, ils soulèvent que l’exercice du pouvoir discrétionnaire à un effet juridique direct sur eux et également un effet sur leurs intérêts pratiques, en ce sens qu’ils n’ont pas le droit de pêcher le crabe. Finalement, les demandeurs prétendent qu’il est évident qu’ils sont à la merci du Ministre en ce qui a trait au droit de pêcher le crabe ou toute autre espèce. Au soutien de cette idée, ils soulèvent qu’ils ont été identifiés par le Ministre comme faisant partie des pêcheurs les plus dépendants de poisson de fond.

 

[39]            Le défendeur cite les propos suivants de la Cour suprême :

Il nous faut remarquer que, de façon générale, il n'existe d’obligations fiduciaires que dans le cas d'obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l'acquittement nécessite l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Guérin c. Canada, [1984] 2 R.C.S. 335 au paragraphe 105.

 

 

[40]            Dans cette décision, le juge Dickson a déterminé que l’obligation fiduciaire de la Couronne envers la bande indienne Musqueam était de la nature d’un droit privé, et non pas de la nature d’une obligation de droit public. Le défendeur prétend que la gestion des pêches au nom de tous les canadiens n’est aucunement comparable à la situation décrite dans l’affaire Guérin, et ne peut pas donner lieu à une obligation fiduciaire semblable.

 

[41]            La juge Eleanor Dawson a résumé les principes tirés des décisions relatives aux obligations fiduciaires, dans l’arrêt Harris c. Canada, [2002] 2 C.F. 484, au paragraphe 178, lequel se lit comme suit :

1.         La Couronne peut dans certains cas avoir une obligation fiduciaire ou une obligation similaire.

 

2.         Dans un cas particulier, il faut examiner minutieusement les circonstances de l'affaire afin de déterminer si l'obligation imposée à la Couronne, ou assumée par celle-ci, est de la nature d'une obligation de droit privé. Ainsi, on peut se demander si la Couronne exerce un pouvoir discrétionnaire pour le compte du bénéficiaire de la présumée obligation fiduciaire. Par exemple, dans l'affaire Guérin, le simple fait que des bandes indiennes avaient un droit sur des terres ne créait pas en soi un rapport fiduciaire avec la Couronne. L'existence de ce rapport dépendait en outre du fait que les droits que possédaient les Indiens sur leurs terres ne pouvaient pas être aliénés si ce n'est à la suite d'une cession en faveur de la Couronne, celle-ci agissant alors pour le compte de la bande. Cette obligation ne devait son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif et il ne s'agissait donc pas d'une obligation de droit public. L'obligation d'équité découlant de la cession était à l'origine de l'obligation fiduciaire qui existait envers les Indiens. Elle était donc de la nature d'une obligation de droit privé.

 

3.         Lorsque la Couronne a des obligations envers un certain nombre d'intéressés, il est fort probable qu'il n'existe aucun rapport fiduciaire, la Couronne exerçant plutôt un pouvoir public qui est régi par l'interprétation qu'il convient de donner à la loi pertinente.

 

4.         Il est peu probable qu'il existe un rapport fiduciaire si la Couronne était placée dans une situation de conflit entre la responsabilité qui lui incombe d'agir dans l'intérêt public et l'obligation de loyauté que le fiduciaire a envers le bénéficiaire.

 

[42]            Lorsqu’il gère les pêches, le Ministre a des obligations envers un certain nombre d’intéressés, puisqu’il le fait au nom de tous les canadiens dans l’intérêt public. Ce principe a d’ailleurs été rappelé par la Cour suprême dans la décision Comeau. La Cour s’est effectivement exprimée ainsi:

En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). 

 

 

[43]            Eu égard à ce principe et à ceux identifiés par la juge Dawson, je suis d’avis qu’il est fort peu probable qu’il existe un rapport fiduciaire entre le Ministre et les demandeurs. Par ailleurs, si j’acceptais l’argument des demandeurs selon lequel le Ministre a une obligation fiduciaire à leur endroit, la Couronne serait placée dans une situation de conflit entre la responsabilité qui lui incombe d'agir dans l'intérêt public et l'obligation de loyauté que le fiduciaire a envers le bénéficiaire.

 

[44]            Tout bien considéré, je considère qu’il n’existe pas, en l’espèce, d’obligation fiduciaire entre le Ministre et les demandeurs.

 

6.         Conclusion

[45]            Le Ministre doit fonder ses décisions sur des considérations pertinentes, éviter l’arbitraire et agir de bonne foi. Je suis satisfait qu’il n’y a pas de preuve que le Ministre ait fondé sa décision sur des considérations non pertinentes ni qu’il ait agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi.

 

[46]            Le Ministre n’avait pas l’obligation de traiter tous les pêcheurs dépendants de poisson de fond de façon identique. Ainsi, je suis d’avis que le Ministre a respecté les principes de justice naturelle.

 

[47]            En outre, le Ministre n’a pas d’obligation fiduciaire envers les demandeurs. La Couronne exerce plutôt un pouvoir public, qui est régi par l’interprétation qu’il convient de donner à la loi pertinente.

 

[48]            Étant donné mes conclusions par rapport aux questions en litige, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de réviser la décision du Ministre.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du Ministre des pêches et des océans datée le 30 mars 2006 est rejetée.

 

2.         Les dépens sont accordés aux défendeurs.

 

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-742-06

 

INTITULÉ :                                       Aurelien Mainville & Claude Paulin c. Le Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton, Nouveau-Brunswick

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 janvier 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :              le juge Blanchard

 

DATE :                                               le 6 mars 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-Marc Gauvin                                                  POUR LES DEMANDEURS

 

Me Guy Lambe                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Godin , Lizotte, Robichaud, Guignard                POUR LES DEMANDEURS

Shippagan, NB

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Halifax, NS

 

 

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