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Date : 20070312

Dossier : T‑1170‑06

Référence : 2007 CF 280

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

WAYNE KARL BABCOCK

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le demandeur, Karl Wayne Babcock, se représente lui‑même. Il a demandé la citoyenneté canadienne en vertu de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi). Cette demande a été reçue par le défendeur le 14 septembre 2004, mais le demandeur a plus tard appris qu’elle n’avait pas été traitée parce que les dispositions transitoires de l’alinéa 5(2)b) de la Loi avaient expiré le 14 août 2004 (la date d’expiration).

 

[2]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de ne pas traiter sa demande (la décision), alléguant que le défendeur a manqué à son obligation d’équité procédurale envers lui parce qu’il ne lui a pas donné avis de la date d’expiration.

 

LES FAITS

 

[3]               Le demandeur est né le 2 novembre 1970 à Dearborn, au Michigan. Il soutient qu’il a indirectement droit à la citoyenneté canadienne, puisque sa mère avait qualité de citoyenne canadienne, étant née au Canada le 15 août 1949.

 

[4]               L’alinéa 5(2)b) de la Loi accordait aux personnes qui sont nées à l’étranger entre le 1er janvier 1947 et le 14 février 1977, d’une mère qui avait qualité de citoyenne canadienne, le droit de demander la citoyenneté canadienne.

 

[5]               Cependant, les demandes au titre de l’alinéa 5(2)b) devaient être présentées avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur autorisé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre). Après 1979, le ministre a accordé une série de prorogations du délai.

 

[6]               L’affidavit du défendeur à l’égard de la présente demande de contrôle judiciaire a été établi sous serment par Margaret Dritsas le 24 août 2006. Celle-ci y écrit que, en 1999, le ministre avait décidé que l’alinéa 5(2)b) ne serait pas prorogé indéfiniment. Par la suite, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) avait publié une brochure, sur support papier, où l’on pouvait lire que le droit de demander la citoyenneté en vertu de l’alinéa 5(2)b) expirerait « tôt ou tard ». La brochure invitait les candidats potentiels à la citoyenneté canadienne à en faire la demande « dans les plus brefs délais ». Il est possible que la brochure ait aussi été affichée sur l’Internet de 2000 à 2004. Cependant, un exemplaire de la brochure n’était pas annexé à l’affidavit du défendeur. Il avait plutôt été versé au dossier du défendeur. Cet exemplaire indique que la brochure a été publiée pour la première fois en janvier 2000, puis révisée le 1er juin 2004. La version révisée comportait un ajout précisant que « Les dispositions transitoires expirent le 14 août 2004 ».

 

[7]               L’affidavit du défendeur indiquait que des brochures et des affiches annonçant la date d’expiration avaient été placées dans les missions canadiennes à l’étranger et que des organes médiatiques avaient été mis à contribution. Le dossier du défendeur (mais non son affidavit) renferme un article du quotidien le Toronto Star du 29 mai 2004 qui fait état de la date d’expiration, ainsi qu’un avis publié sur l’Internet le 1er juin 2004 qui indique également la date d’expiration.

 

[8]               En l’espèce, la difficulté tient au fait que l’avis de la date d’expiration n’est pas parvenu au demandeur. Il en est ainsi parce que le demandeur a vécu au Michigan jusqu’à la fin de juillet 2004 et qu’il n’a pas eu l’occasion d’accéder à l’Internet, de visiter une mission du Canada ou de lire le Toronto Star.

 

[9]               Toutefois, lorsqu’il est arrivé à Windsor, en Ontario, par autobus, le 31 juillet 2004, le demandeur a immédiatement communiqué avec CIC par téléphone afin de se renseigner sur la procédure à suivre pour présenter une demande de citoyenneté en vertu de l’alinéa 5(2)b). Cependant, au lieu de lui envoyer des documents relatifs à la citoyenneté, on lui a fait parvenir des formulaires de demande d’asile. Après un second appel téléphonique, on lui a de nouveau envoyé des formulaires de demande d’asile, et c’est alors qu’il s’est rendu en personne au bureau de CIC, à Windsor.

 

[10]           La preuve varie légèrement quant à la date exacte de cette visite, mais le défendeur admet que celle-ci a effectivement eu lieu avant le 14 août 2004. Dans les bureaux de CIC, le demandeur a été servi par une femme (la représentante de CIC) qui lui a remis une brochure sur support papier intitulée « Services en ligne et Télécentre ». Cette brochure précisait que le demandeur devait se procurer la trousse de demande CIT 0303E (la trousse) et expliquait comment télécharger la trousse depuis le site Web de CIC. Cependant, la brochure ne faisait pas mention de la date d’expiration. Selon la preuve non contestée de l’ami du demandeur, Don Rivard, dans son affidavit établi sous serment le 23 juin 2006, la représentante de CIC n’a pas averti le demandeur que la date d’expiration était imminente, et ce, alors même qu’un document de CIC intitulé « Bulletin opérationnel » renfermait les précisions suivantes au sujet de l’alinéa 5(2)b) et de la date d’expiration :

Tout le personnel doit inciter les personnes qui croient être visées par ces dispositions à soumettre leur demande au plus tard le 14 août 2004. En raison de l’expiration de ces dispositions, il est très important d’accepter ces demandes et de les transmettre au CTD‑Sydney.

 

Veuillez informer les clients faisant partie de ces catégories de la date d’expiration.

 

[11]           Le demandeur a téléchargé la trousse, qui comprenait un formulaire de demande, et le défendeur reconnaît que celui-ci a dû prendre cette mesure avant la date d’expiration, parce que la trousse n’aurait pas été accessible après cette date. La trousse ne faisait pas mention de la date d’expiration.

 

[12]           Le Centre de traitement des cas de CIC a reçu le formulaire de demande dûment rempli le 14 septembre 2004.

 

[13]           Quinze mois plus tard, par lettre datée du 30 janvier 2006, CIC informait le demandeur que sa demande ne pouvait pas être traitée parce qu’elle avait été reçue un mois après la date d’expiration.

 

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

 

[14]           Le défendeur soutient que le principe des attentes légitimes et le principe de l’équité procédurale ne s’appliquent pas dans le contexte des modifications législatives édictées par le législateur. Sur ce point, le défendeur invoque l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Procureur général du Canada c. Joseph Patrick Authorson et al., [2003] 2 R.C.S. 40. Cet arrêt mettait en cause un texte législatif fédéral édicté en 1990 qui éteignait le droit aux intérêts payables à un groupe d’anciens combattants. En 1999, un recours collectif fut certifié, dans lequel les anciens combattants affirmaient avoir droit à un avis et à une audience avant que prenne effet une loi les privant de sommes qui leur revenaient.

 

[15]           La Cour suprême a jugé que le processus législatif n’est pas soumis à une obligation d’équité et, de l’avis du défendeur, cette décision signifie que, en l’espèce, CIC n’avait aucune obligation d’équité envers le demandeur.

 

[16]           Je ne suis pas de cet avis. La présente affaire n’a aucun rapport avec le processus législatif. Le demandeur ne prétend nullement qu’il avait droit à un préavis de la décision du ministre de fixer la date d’expiration. La présente affaire concerne plutôt la manière dont CIC a traité une demande de citoyenneté qui risquait d’être invalidée en raison de la date d’expiration.

 

[17]           Le défendeur soutient également, à titre subsidiaire, que, s’il avait une obligation d’équité envers le demandeur, cette obligation devrait alors être évaluée dans un contexte où le demandeur a les options suivantes :

1.                  Le demandeur peut présenter, depuis le Canada, une demande de résidence permanente en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et, si sa demande est acceptée, il pourra plus tard présenter une demande de citoyenneté.

2.                  Le demandeur peut retourner aux États‑Unis et présenter depuis ce pays une demande de résidence permanente; si sa demande est acceptée, il pourra ensuite demander la citoyenneté.

3.                  Le demandeur peut demander la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi, qui permet au ministre d’accorder la citoyenneté dans une situation particulière et inhabituelle de détresse.

 

[18]           Cependant, le défendeur reconnaît que toutes ces options requièrent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire alors que, si le demandeur peut prouver qu’il remplit les conditions de l’alinéa 5(2)b), il a le droit à la citoyenneté. Dans ces circonstances, je ne suis pas persuadée que les options mentionnées par le défendeur soient à propos.

 

[19]           En dernier lieu, le défendeur reproche au demandeur de ne pas avoir été diligent, affirmant que celui-ci aurait pu demander la citoyenneté n’importe quand depuis que l’alinéa 5(2)b) a été ajouté en 1977, mais qu’il a plutôt attendu de le faire juste avant la date d’expiration. Cependant, le demandeur n’avait pas connaissance de la date d’expiration et, d’ailleurs, selon moi, la question de la diligence n’intervient qu’une fois qu’un demandeur a décidé de présenter une demande. En l’espèce, il est clair que le demandeur, après son arrivée au Canada, s’est affairé à préparer sa demande avec la plus grande diligence.

 

CONCLUSION

 

[20]           Je suis d’avis que le défendeur a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur parce que, contrairement à ce que recommandait le Bulletin opérationnel de CIC, il a négligé de l’informer de la date d’expiration lorsque le demandeur a téléchargé la trousse ou qu’il s’est présenté au bureau de CIC à Windsor.

 

JUGEMENT

            Le défendeur devra examiner la demande présentée par le demandeur en vertu de l’alinéa 5(2)b), comme si elle avait été reçue avant la date d’expiration.

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1170‑06

 

INTITULÉ :                                       WAYNE KARL BABCOCK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wayne Karl Babcock

 

POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wayne Karl Babcock

Kingsville (Ontario)

Pour son propre compte

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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