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Date : 20070316

Dossier : IMM-2655-06

Référence : 2007 CF 283

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

RAHIMA JIBRIL ALI

et FARTUN GULED ALI

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision en date du 20 mars 2007 par laquelle l’agent des visas (le défendeur) a estimé qu’il n’était pas possible d’ajouter le nom de la demanderesse Fartun Guled Ali (la demanderesse Fartun) comme véritable personne à charge de Rahima Jibril Ali (la demanderesse principale), qui demande l’asile au Canada.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               La demanderesse soulève trois questions :

a)   Le défendeur a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

b)   Le défendeur a-t-il commis une erreur en ne motivant pas suffisamment ses conclusions défavorables?

c)   Le défendeur a-t-il agi de façon à susciter une crainte raisonnable de partialité?

 

[3]               La Cour répond par la négative à chacune de ces questions. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Les demanderesses sont des citoyennes de la Somalie. Après l’acceptation de sa demande d’asile, le 14 juin 2002, la demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente dans laquelle elle a ajouté le nom de ses trois jeunes enfants et d’une belle-fille (la demanderesse Fartun) pour qu’ils la rejoignent au Canada. Toutefois, au cours du traitement de la demande des enfants, le défendeur a rencontré un problème inhabituel au sujet de l’identité de la demanderesse Fartun : il y avait en effet deux adolescentes qui prétendaient être Fartun Guled Ali. Le défendeur a choisi d’écarter celle de ces deux personnes que la demanderesse principale affirme être une belle-fille à sa charge plutôt que l’autre, qui est en fait la sœur de son défunt mari.

 

[5]               Pour résoudre ce dilemme, le défendeur a exigé que la demanderesse Fartun, ainsi que l’aîné des trois membres de sa demi‑fratrie, se soumette à une analyse de l’ADN pour vérifier s’ils étaient liés par le sang. Les trousses d’analyse de l’ADN ont été remises aux intéressés le 16 janvier 2005, mais la demanderesse principale a changé d’avis parce qu’elle s’inquiétait des délais et des frais exorbitants entraînés par l’analyse de l’ADN. Elle a prié le défendeur de supprimer le nom de la demanderesse Fartun de la demande de résidence permanente. L’analyse de l’ADN n’a donc jamais eu lieu; le nom de la demanderesse Fartun a été retranché de la demande en février 2005, et seuls les trois membres de sa demi‑fratrie ont rejoint la demanderesse principale au Canada en avril 2006.

 

[6]               La demanderesse principale a toutefois été prise de remords lorsqu’elle a appris en janvier 2006 que la demanderesse Fartun, alors âgée de dix-neuf ans, était enceinte. La demanderesse principale a entrepris sur-le-champ des démarches pour faire rajouter le nom de la demanderesse Fartun sur sa demande de résidence permanente, notamment en faisant des représentations en personne auprès de l’agent des visas à l’ambassade du Canada, au Caire. Sans l’analyse de l’ADN, même le document d’adoption produit par la demanderesse principale le 31 janvier 2006 ne pouvait dissiper l’incertitude qui continuait à planer au sujet de l’identité de la demanderesse Fartun. Dans ces conditions, le défendeur a refusé de revenir sur sa décision de supprimer ce nom de la demande, et c’est cette décision qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[7]               La décision est brève. Il convient de la reproduire intégralement :

[traduction]

Madame,

 

La présente concerne la demande tendant à obtenir des visas de résidents permanents au Canada pour vos enfants, en tant que personne à charge d’une demanderesse d’asile au Canada. Elle fait notamment suite à votre entrevue du 31 janvier 2006.

 

Après avoir examiné tous les renseignements, j’en arrive à la conclusion qu’il n’est pas possible d’ajouter dans votre demande le nom de Fartun Guled Ali en tant que personne à charge. Je ne suis pas convaincu que Fartun est une véritable demanderesse. La décision de supprimer le nom de  Fartun Ali du dossier est par conséquent maintenue.

 

Je regrette de ne pouvoir donner une suite favorable à votre demande.

 

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes sentiments distingués.

 

E. Audet

Deuxième secrétaire

(Immigration)

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[8]               Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas est celle de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] R.C.S. 817; Yaghoubian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 615, [2003] A.C.F. no 806 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[9]               Pour obtenir gain de cause, les demanderesses doivent convaincre la Cour qu’il n’était raisonnablement loisible au défendeur de rendre la décision qu’il a rendue. Les demanderesses doivent démontrer que le défendeur a commis une erreur en omettant de tenir compte de certains renseignements pertinents qui lui avaient été soumis ou qu’il a pris en considération des éléments de preuve extrinsèques dont les demanderesses ne disposaient pas.

 

Le défendeur a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

 

[10]           L’avocat des demanderesses soutient qu’il ressort des notes versées au STIDI que le défendeur n’a pas tenu compte des éléments de preuve contenus dans le document d’adoption que la demanderesse principale avait transmis directement à l’ambassade du Canada le 31 janvier 2006 et qui indiquaient qu’elle avait adopté la demanderesse Fartun. De plus, les deux demanderesses se sont présentées en personne et ont déclaré que l’une était la belle-fille de l’autre. Malgré cela, le défendeur ne mentionne ni ce témoignage personnel ni ces éléments de preuve documentaires dans ses motifs. L’avocat des demanderesses affirme qu’il incombait au défendeur d’aborder à tout le moins ces éléments de preuve avant de conclure que la demanderesse ne pouvait démontrer qu’elle est une personne à charge véritable.

 

[11]           Les demanderesses appellent l’attention de la Cour sur la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL), dans laquelle le juge John M. Evans (maintenant juge à la Cour d’appel) déclare ce qui suit, au paragraphe 17 :

17     […] [P]lus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[12]           Le défendeur affirme que la thèse de la demanderesse est contraire à la présomption générale suivant laquelle les décideurs tiennent compte de tous les éléments de preuve pertinents portés à leur connaissance. Le défaut pour l’agent des visas de citer explicitement certains éléments de preuve n’est pas suffisant pour conclure que l’agent des visas a oublié ces éléments de preuve. Qui plus est, comme le document d’adoption et l’attestation personnelle des demanderesses étaient les seuls nouveaux éléments de preuve dont l’agent des visas disposait le 31 janvier 2007, il est davantage probable que ces deux nouveaux éléments de preuve n’aient pas été oubliés. Par ailleurs, les notes versées au STIDI n’appuient pas l’argument des demanderesses, car l’avocat de la demanderesse principale avait informé le défendeur que Fartun n’avait pas été adoptée. Voici un extrait des notes versées au STIDI du 13 octobre 2003 :

[traduction]

TÉLÉCOPIE REÇUE DES SERVICES JURIDIQUES DU QUARTIER ATTESTANT QUE Fartun N’EST PAS UN ENFANT ADOPTIF MAIS L’ENFANT BIOLOGIQUE DU PÈRE DÉFUNT.

 

 

[13]           Enfin, le défendeur soutient que les éléments de preuve soumis par les demanderesses étaient insatisfaisants et qu’après avoir rencontré les deux demanderesses le 31 janvier 2006, l’agent des visas n’était pas convaincu que Fartun était une demanderesse d’asile authentique.

 

[14]           Je suis porté à être d’accord avec le défendeur compte tenu de la correspondance échangée entre les demanderesses et le défendeur au sujet des sérieuses réserves quant à l’identité de l’adolescente. Je trouve convaincant l’affidavit de l’agent des visas, qui déclare ce qui suit :

[traduction]

7.         Pour décider de confirmer la suppression du nom de Fartun de la demande, j’ai bien sûr examiné la lettre d’adoption soumise par Mme Ali. Toutefois, deux personnes prétendaient être la « vraie » Fartun, c’est-à-dire l’enfant du défunt mari de Mme Ali. À cause de ces prétentions contradictoires, la principale question était celle des liens du sang entre les filles de Mme Ali et leur présumée demi‑sœur. Une lettre d’adoption n’aborde pas la question de l’identité de la « véritable » Fartun.

 

8.         Une analyse de l’ADN aurait permis d’établir laquelle des deux Fartun était la demi‑sœur des enfants de Mme Ali, mais cette dernière n’était pas prête à soumettre Fartun à cette analyse. Autant que je me souvienne, le dossier soumis par Mme Ali ne renferme aucun renseignement permettant de penser que le refus de se soumettre à l’analyse de l’ADN était motivé par les coûts et les délais associés au traitement de la demande ou par la non‑disponibilité de Fartun. Les notes versées au STIDI en date du 16 mars 2005 indiquent que Mme Ali était encore prête à soumettre l’un ou l’autre de ses trois autres enfants à une analyse de l’ADN.

 

[15]           Les demanderesses n’ont pas démontré qu’il n’était pas raisonnablement loisible à l’agent des visas d’en arriver à cette décision ou que l’agent des visas n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents, notamment du document d’adoption et des propos des demanderesses. La lettre contestée du 20 mars 2006 porte :

[traduction]

« Après avoir examiné tous les renseignements […] »

 

 

[16]           Je suis convaincu que le défendeur n’a pas écarté les éléments de preuve en question. À l’instar des demanderesses, je me fonde sur le jugement Cepeda-Gutierrez, dans lequel le juge Evans déclare, au paragraphe 16 :

[. . .] (L)es motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

Questions d’équité procédurale

[17]           Les demanderesses soulèvent deux questions d’équité procédurale : l’insuffisance des motifs et la crainte de partialité.

 

Norme de contrôle

[18]           Il est de jurisprudence constante que, lorsque des questions d’équité procédurale sont en jeu, comme c’est le cas en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable. La Cour n’intervient que lorsque le demandeur peut démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195 (C.A.F.); Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

Le défendeur a-t-il commis une erreur en ne motivant pas suffisamment ses conclusions défavorables?

[19]           Les demanderesses allèguent que le défendeur n’a pas motivé sa décision, se contentant de reprendre les conclusions de l’agent des visas. L’agent des visas avait l’obligation de motiver suffisamment sa décision en raison des conséquences graves de celle-ci pour les demanderesses. Le défaut de motiver suffisamment sa décision constitue un manquement à l’obligation d’équité, et les demanderesses affirment que, pour cette seule raison, la décision devrait être infirmée.

 

[20]           Pour sa part, le défendeur nie toutes ces allégations et affirme que l’agent des visas a suffisamment motivé sa décision. Premièrement, la lettre expose clairement les motifs du refus :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que Fartun est une véritable demanderesse. La décision de supprimer le nom de Fartun Ali du dossier est par conséquent maintenue.

 

[21]           Le défendeur fait valoir, en deuxième lieu, que la lettre a été écrite dans le contexte des réserves relatives à l’authenticité qui avaient déjà été communiquées à la demanderesse et à son avocat. Il n’était donc pas nécessaire de répéter les préoccupations à cet égard dans la lettre de refus. Troisièmement, les demanderesses étaient également au courant que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) partageait les préoccupations de l’agent des visas sur la question de savoir laquelle des deux jeunes femmes était la belle-fille de la demanderesse principale. Enfin, compte tenu de cette incertitude en ce qui concerne l’identité de la belle-fille de la demanderesse principale, la demanderesse Fartun a été priée de subir une analyse de l’ADN dès octobre 2003, et l’invitation lui a été lancée de nouveau dans une lettre adressée aux demanderesses le 9 janvier 2005, dont voici le texte :

[traduction]

Après avoir examiné les renseignements que vous avez fournis à l’appui de votre demande de résidence permanente au Canada, nous avons des doutes sérieux quant aux liens de parenté entre vous (Fartun Ali) et votre belle-mère (Mme Rahima Ali). Le bureau des visas du Canada au Caire a reçu des renseignements contradictoires au sujet de l’identité de Fartun Ali, et nous exigeons donc qu’il soit procédé à une analyse de l’ADN pour déterminer vos liens biologiques avec les autres membres de la famille.

 

Vous avez déclaré que votre mère biologique est absente et que votre père biologique est décédé, que vous habitez avec les membres de votre demi‑fratrie paternelle, qui sont les enfants de Rahima Ali. Pour établir que vous avez effectivement des liens de parenté avec les membres de la demi‑fratrie en question (ce qui démontrerait, par voie de conséquence, que Mme Rahima Ali est votre belle-mère), vous et l’un des membres de votre demi‑fratrie devrez faire l’objet d’une analyse de l’ADN. Aux fins de cette analyse, le bureau des visas exige que l’aîné des membres de votre demi‑fratrie, Ilhan Guled Ali, se soumette à une analyse de l’ADN, tout comme vous.

 

Ainsi, avant que nous procédions à l’examen de votre demande, vous et Ilhan devez vous soumettre à une analyse de votre ADN. Si ces analyses, en supposant qu’elles soient effectuées dans les règles, donnent lieu à des résultats positifs démontrant que vous avez effectivement des liens de parenté avec le membre en question de votre demi‑fratrie (c.‑à‑d. que vous avez le même père), les résultats des analyses seront acceptés en preuve et serviront à établir le lien de parenté. [...]

 

[22]           Il semblerait que l’avocat des demanderesses confonde brièveté des motifs avec insuffisance des motifs. Les motifs portent directement sur la question des doutes sérieux soulevés au sujet de l’authenticité du statut de la demanderesse Fartun en tant que personne à charge de la demanderesse principale. La décision est fondée sur la conclusion de l’agent suivant laquelle la relation entre les demanderesses n’a pas été établie à la satisfaction du défendeur.

 

[23]           De plus, les demanderesses se fondent sur le jugement de notre Cour dans l’affaire Saha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1325, [2003] A.C.F. no 1673 (C.F. 1re inst.) (QL), dans laquelle le juge Konrad von Finckenstein a fait droit à la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi parce qu’aucun motif acceptable n’était cité dans la décision pour justifier les conclusions défavorables. Il y a toutefois lieu d’établir une distinction entre les faits de l’affaire Saha et ceux de la présente espèce. Dans l’affaire Saha, l’agent des visas avait cité des motifs qui contredisaient les notes versées au STIDI, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Les motifs exposés par le second secrétaire, M. Éric Audet, et par l’agent des visas en l’espèce ne contredisent pas les motifs qui ont été donnés. D’ailleurs, une lecture attentive des notes versées au STIDI et de l’affidavit de l’agent des visas montre que ses motifs, bien que brefs, reposaient sur l’ensemble des renseignements dont il disposait. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas d’accord pour dire que les motifs exposés sont insuffisants, car les demanderesses étaient elles aussi au courant de ces faits et de ces détails. La procédure suivie était transparente, et la brièveté des motifs ne contredit pas l’ensemble de la preuve.

 

Le défendeur a-t-il agi de façon à susciter une crainte raisonnable de partialité?

[24]           L’avocat des demanderesses affirme que le défendeur a, par ses agissements, suscité une crainte raisonnable de partialité envers les demanderesses, qu’il s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques fournis au HCR et par celui‑ci et que ces éléments de preuve ont influencé son analyse de la demande.

 

[25]           Je suis toutefois convaincu que l’affidavit souscrit par l’agent des visas démontre qu’il est habituel, lorsqu’on a affaire à des demandeurs d’asile en provenance d’Égypte, comme c’était le cas de la demanderesse Fartun et de sa demi‑fratrie, de citer des avis et des rapports émanant du HCR. De plus, une lecture plus attentive des documents certifiés soumis à l’agent des visas montre que le problème inusité soulevé par les deux personnes prénommées Fartun découlait précisément de l’échange de renseignements entre l’ambassade canadienne et le HCR, au Caire.

 

[26]           Dans son affidavit, l’agent des visas déclare ce qui suit :

[traduction]

9.         Pour décider de confirmer la suppression du nom de Fartun de la demande, j’ai tenu compte de l’avis du HCR pour les réfugiés au sujet de la « vraie » Fartun. En Égypte, il est d’usage chez les demandeurs d’asile et les réfugiés de s’inscrire dès leur arrivée auprès du HCR, en raison des nombreux avantages que comporte l’enregistrement, tels que le non‑refoulement et la possibilité de recevoir de l’aide financière et médicale. Les membres du personnel du HCR sont des experts lorsqu’il s’agit d’interroger les demandeurs d’asile et ils possèdent des connaissances spécialisées et des connaissances particulières au sujet des liens familiaux entre les réfugiés. Seul un faible pourcentage des demandeurs d’asile se voient reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention et sont dirigés vers des ambassades étrangères en vue de leur réétablissement. J’estime peu probable que la Fartun qui s’est enregistrée auprès du HCR ait planifié un stratagème en vue d’usurper l’identité de la véritable belle-fille pour pouvoir immigrer au Canada.

 

 

[27]           Les notes versées au STIDI révèlent la confusion :

[traduction]

Il y a deux adolescentes qui prétendent être Fartun : Fartun A (plus grande, au teint plus clair, enregistrée en 2001 auprès du HCR; et Fartun B (plus petite, plus foncée, à l’air plus jeune), qui figure sur notre formule IMM8 soumise le 9 mars 2003. D’après le HCR, Fartun A est selon toute vraisemblance la vraie Fartun. RNB m’informe que Fartun A s’est présentée à l’ambassade le 15 février 2005 (voir la photo soumise par le HCR).

 

En réponse à notre demande d’analyse de l’ADN en vue d’établir les liens de parenté entre Fartun B et les membres de sa présumée demi‑fratrie dont les noms figurent au dossier, HOF au Canada nous a demandé de supprimer le nom de Fartun du dossier, ce qui me fait croire qu’en fait Fartun B n’est pas la vraie Fartun et qu’elle est en fait un imposteur.

 

 

[28]           Les demanderesses soutiennent également que la conduite des autorités de l’immigration était répréhensible et qu’elle suscite également une crainte raisonnable de partialité.

 

[29]           Le défendeur nie que les autorités canadiennes aient nourri un avis défavorable à l’égard des demanderesses, ce qui démontrerait qu’il existait une crainte raisonnable de partialité. Le défendeur renvoie la Cour au critère de la crainte raisonnable de partialité énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. […] »

 

 

[30]           Je suis convaincu qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que l’agent des visas a suscité une crainte de partialité. Il a rendu une décision équitable à la lumière des éléments de preuve dont il disposait. Lorsque l’agent des visas ne reçoit pas les documents pertinents qu’il réclame (l’analyse de l’ADN en l’espèce), il peut refuser la demande de résidence permanente (Kaur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 756 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 5).

 

[31]           Aucune des parties n’a soumis de question à certifier.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2655-06

 

INTITULÉ :                                                   RAHIMA JIBRIL ALI et

                                                                        FARTUN GULED ALI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                       

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthey Jeffery                                                 POUR LES DEMANDERESSES

 

David Cranton                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthey Jeffery                                                 POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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