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Date : 20070319

Dossier : IMM-1537-06

Référence : 2007 CF 291

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

ROBERTO AUGUSTO ARMAS CORNEJO,

MILENA FABIOLA ALARCON CUADROS,

XIMENA DANIELA ARMAS ALARCON

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs, Roberto Augusto Armas Cornejo, Milena Fabiola Alarcon Cuadros et Ximena Daniela Armas Alarcon (les demandeurs d'asile), contestent une décision défavorable rendue le 24 février 2006 par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Pour les motifs qui suivent, je fais droit à leur demande et j'ordonne que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour être réexaminée sur le fond. Devant la Commission, le ministre défendeur a soutenu que M. Armas était interdit de territoire, mais cet argument a été rejeté et il n'est pas en litige dans la présente instance.

 

Genèse de l'instance

[2]               M. Armas fondait sa demande d'asile sur les allégations voulant qu’il ait été la cible de certains ex‑membres du service de renseignement péruvien (le SIN) pour lequel lui et son frère, Daniel, avaient travaillé comme chauffeurs à la fin des années quatre-vingt-dix durant le tristement célèbre régime Fujimori. Le gouvernement Fujimori est tombé en 2000 après avoir fait l'objet d'allégations généralisées de violations des droits de la personne, y compris des allégations d'assassinats, de torture, d'intimidation et de corruption – des actes dans lesquels le SIN était directement impliqué et dont le défendeur semble avoir admis l'existence dans la thèse qu'il a défendue devant la Commission lorsqu'il soutenait que M. Armas était interdit de territoire.

 

[3]               M. Armas affirme que, comme lui et son frère connaissaient l'identité des auteurs de ces actes, ils ont commencé à recevoir des menaces visant à s'assurer qu'ils gardent le silence. On a fini par leur conseiller de quitter le Pérou, et ils sont tous les deux partis pour la Floride. Daniel a quitté le Pérou en août 2000, tandis que M. Armas l'a suivi en octobre de la même année. M. Armas a expliqué que bon nombre des agents du SIN avec lesquels il avait travaillé faisaient toujours partie soit de la police nationale soit des forces armées péruviennes. Ce témoignage est corroboré par les éléments de preuve documentaires soumis par M. Armas. Ces individus auraient craint que leurs violations systématiques des droits de la personne ne soient étalées sur la place publique, ce qui aurait motivé les menaces proférées à l'encontre de M. Armas et de sa famille. M. Armas a également témoigné qu'il ne craignait pas le gouvernement actuellement au pouvoir au Pérou, mais uniquement les membres de la police nationale qui ont travaillé pour le SIN.

 

Décision de la Commission

[4]                La Commission a rejeté les prétentions des demandeurs d'asile, mais elle a reconnu que M. Armas et son frère avaient travaillé pour une « organisation parallèle » qui poursuivait des activités de surveillance en tant qu'unité clandestine du service du renseignement péruvien. La Commission a estimé que « [la] conduite [de M. Armas] comport[ait] tout simplement un trop grand nombre d’incohérences inexpliquées pour qu’elle soit crédible ». Elle a également écarté son témoignage au sujet de l'absence de protection de l'État, retenant plutôt les éléments de preuve documentaires selon lesquels le ministre de la Justice actuel a enquêté sur de nombreux « méfaits » commis par l'ancien régime et a détenu un certain nombre d’anciens hauts fonctionnaires. La Commission a également conclu que les demandeurs d'asile n'avaient pas fait des efforts raisonnables pour se prévaloir de la protection de l’État avant de quitter le Pérou.

 

[5]               La Commission n'a pas cru à l'authenticité de la crainte de M. Armas de retourner au Pérou, soulignant qu'il avait attendu avant de partir et faisant remarquer que les « demandeurs d'asile » n'avaient pas demandé l'asile dès leur arrivée en Floride. Elle a également relevé des incohérences dans la preuve entre le fait que la femme et l'enfant de M. Armas se cachaient au Pérou, mais qu'ils risquaient néanmoins d'être découverts en présentant une demande de passeport. Sur la foi de cette présumée incohérence, la Commission a estimé qu'il était peu probable que les membres de cette famille se soient cachés à quelque moment que ce soit.

 

[6]               Enfin, la Commission a accordé de l’importance au présumé retour du frère de M. Armas au Pérou et a estimé que la décision du frère de M. Armas de se prévaloir à nouveau de la protection de son pays d'origine « de son propre chef » affaiblissait les demandes de M. Armas et des membres de sa famille, compte tenu du fait qu’ils se trouvaient dans une situation semblable.

 

Questions en litige

[7]               a)         Quelle est la norme de contrôle appropriée dans le cas des questions soulevées par les demandeurs d'asile?

 

            b)         La Commission a-t-elle commis des erreurs justifiant le contrôle de sa décision dans la façon dont elle a analysé les éléments de preuve dont elle disposait?

 

Analyse

[8]               Comme les questions déterminantes sont, dans le cas qui nous occupe, toutes axées sur la preuve, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, comme j'ai conclu que la norme la plus élevée a été respectée en l'espèce, il n'est pas nécessaire que je me lance dans une analyse fouillée de la question.

 

[9]               La façon dont la Commission a analysé la preuve comporte de nombreux problèmes dont l'effet cumulatif est de rendre sa décision manifestement déraisonnable. D'ailleurs, certaines de ces erreurs sont suffisamment graves pour justifier à elles seules l'annulation de la décision. Parmi ces erreurs, mentionnons le défaut de tenir compte d'éléments de preuve importants, de grossières erreurs de qualification de certains éléments de preuve et le défaut de reconnaître certaines importantes distinctions relatives à la preuve en ce qui concerne les trois demandeurs d'asile.

 

[10]           Une des principales conclusions sur lesquelles la Commission s'est fondée pour rejeter les demandes d'asile était le fait que le frère de M. Armas était retourné au Pérou pour y rejoindre sa famille. Voici comment la Commission a expliqué l'importance qu'elle accordait à la conduite du frère par rapport à la demande du demandeur d'asile :

Il est difficile de trouver une personne placée dans une situation plus semblable à celle du demandeur d’asile principal que le propre frère de celui-ci. Après tout, ils faisaient le même travail, ont reçu les mêmes menaces et ont apparemment quitté le pays pour des raisons semblables.

 

En conséquence, la Commission conclut qu’il n’est pas raisonnable de croire que les demandeurs d’asile sont exposés à un plus grand risque au Pérou que le frère qui a décidé de son propre chef de se prévaloir à nouveau de la protection de son pays d’origine.

 

[11]           Le problème que pose cette conclusion sur le présumé retour au pays est que M. Armas avait déclaré que son frère n'était retourné que brièvement au Pérou (pour environ trois jours) avant de quitter pour le Chili pour y retrouver sa famille. Selon M. Armas, l'épouse et les enfants de son frère n'avaient pas réussi à obtenir des visas pour entrer au Canada, et son mariage battait de l'aile après plusieurs années de séparation. Vers la fin de l'audience, la Commission a demandé à M. Armas de chercher à obtenir des éléments de preuve pour corroborer son témoignage selon lequel son frère se trouvait au Chili. Malgré le fait que ces éléments de preuve ont effectivement été fournis après l'audience, la Commission n'en fait mention nulle part dans sa décision. Elle a plutôt conclu, à défaut d'éléments de preuve, que le frère était demeuré au Pérou.

 

[12]           Il semble assez évident que la Commission a totalement ignoré une quantité considérable d'éléments de preuve importants, y compris les observations détaillées communiquées par l'avocat du demandeur d'asile le 14 novembre 2005, après l'audience. La Commission avait pourtant convenu d'accepter ces éléments. Ce document renfermait des observations et des rapports fouillés qui contredisaient les conclusions finales de la Commission au sujet de la possibilité de se réclamer de la protection de l'État. On trouve un bon résumé de ces éléments de preuve contraires dans l'extrait qui suit des observations de l'avocat communiquées à la Commission après l'audience :

[traduction]

En août 2004, le Département d'État des États‑Unis signalait (page 1.3.8) que le gouvernement du Pérou « est en train de préparer sa réponse aux recommandations du CVR [le TRC] selon lesquelles les auteurs de violations des droits de la personne devraient être poursuivis […].

 

Le Rapport sur la situation des droits de la personne en 2004 publié par le Département d'État des États‑Unis (février 2005) signale qu'au cours de l'année le gouvernement « a porté des accusations dans 47 affaires mettant en cause 150 personnes soupçonnées par le TRC de violations de droits de la personne, mais la plupart des affaires n'en sont toujours qu'à l'étape de l'enquête criminelle; seulement 16 personnes ont été officiellement accusées ». (page 2.2.16)

 

D’après le World Report 2005 de Human Rights Watch : « Les mesures prises par le Pérou pour donner suite aux recommandations de sa commission de la vérité […] progressent à pas de tortue. Les tribunaux militaires entravent les démarches entreprises en vue de traduire en justice les représentants de l'État responsables des pires violations des droits de la personne. Les poursuites au civil n'ont avancé de façon significative que dans un nombre peu élevé de cas ». (page 2.3.1) Le cabinet du procureur spécial chargé d'enquêter sur 159 cas de disparition et sur les 43 autres cas qui lui ont été déférés par le TRC n'a déposé des accusations que dans cinq cas. Aucun des accusés n'est détenu. Qui plus est, une quarantaine des anciens membres du groupe Colina sont présentement détenus en attendant leur procès. (page 2.3.2)

 

En ce qui concerne la corruption qui existait sous le régime Fujimori (par opposition aux violations des droits de la personne), le procureur enquêteur a précisé, en janvier 2002, que l'enquête à grande échelle « durera plus de cinq ans ». (page 2.4.7)

 

Enfin, très récemment, le Pérou a demandé que Fujimori lui-même, qui se trouve au Chili, soit extradé. (Voir les nouveaux éléments de preuve contenus dans la télécopie ci-jointe : Washington Post, 7 novembre 2005.)

 

Le demandeur d'asile a témoigné que les agents du SIN pour lesquels il avait travaillé comme chauffeur faisaient partie de la police et de l'armée. Il ressort des éléments de preuve susmentionnés que l'enquête et la poursuite des agents du SIN pour violations des droits de la personne est un processus qui se poursuit, malgré sa longueur et les délais qu'il comporte. Il ressort également de la preuve que de nombreux suspects éventuels font présentement partie de la police ou ne sont pas détenus même s'ils font l'objet d'une enquête ou d'accusations (ils sont en liberté ou sont assignés à résidence). Suivant un éditorial du 30 janvier 2005 (C-6, point 2, à la page 5), les tribunaux ont remis en liberté certains des membres de l'escadron de la mort du groupe Colina pour cause de « détention excessive » avant le procès. Il ressort également de la preuve que Montesinos exerce lui-même un pouvoir considérable sur la presse et sur la « mafia » depuis la prison où il est incarcéré. (Voir C-5, dossier B, point 5, page 8; Fiche sur le Pérou, 2005, pages 2.2.12, 2.4.7.) Tout en admettant les accusations de corruption portées contre lui, Montesinos ne s'est pas reconnu coupable des violations des droits de la personne. (Voir C-5, dossier B, page 11, 20 avril 2004.)

 

En d'autres termes, nous soutenons que les agents qui ont demandé au demandeur d'asile de servir de chauffeur et les « hauts fonctionnaires du service de renseignement national » que le TRC tient « criminellement responsables des assassinats, disparitions forcées et massacres commis par l'escadron de la mort Colina » (fiche sur le Pérou, page 2.1.15) ont toutes les raisons de croire que les autorités en viendront à enquêter sur eux ou, si elles ont déjà fait enquête, que les mêmes autorités ne disposent pas d'éléments de preuve directs permettant d'identifier les auteurs des actes en question, éléments de preuve que le demandeur d'asile et son frère Daniel pourraient fournir. Ils ont donc toutes les raisons de s'assurer que le demandeur d'asile et son frère Daniel ne sont pas disponibles pour fournir ces éléments de preuve. Cela est encore plus vrai si l'on réussit à extrader Fujimori au Pérou pour l'obliger à répondre aux accusations portées contre lui.

 

Par ailleurs, il est évident que les personnes qui menacent le demandeur d'asile et son frère depuis août 2000 sont libres (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas détenus) et qu'ils ont toute latitude pour donner suite à leurs menaces en vue de les réduire au silence ou, comme dans le cas de Montesinos, qu'ils sont en mesure de réduire le demandeur d'asile au silence depuis la prison. Il est douteux que les autorités soient en mesure d'assurer une protection suffisante, même si elles étaient disposées à le faire. Il ressort à l'évidence des pièces versées au dossier que le gouvernement actuel cherche à reconstruire les institutions démocratiques de l'État, mais que ces institutions sont fragiles. De plus, le retour de Fujimori jouit d'un appui massif de la population. Le rapport du Département d'État montre bien qu'il existe de graves problèmes d'impunité au sein de la police, qui se livre encore à la torture, et que des témoins font l'objet de menaces et d'intimidations en vue de les dissuader de porter des accusations contre les auteurs de violations des droits de la personne au sein des forces de sécurité (police et militaires). La confiance envers le système de justice est faible. À la page 2.2.7 du rapport du Département d'État, on trouve ce qui suit :

 

Le PNP était considéré à court de personnel, avait des problèmes en ce qui concerne le professionnalisme et était souvent inefficace pour lutter contre les activités criminelles courantes, et il est parfois incapable de s'acquitter des fonctions qui lui sont confiées, comme la protection des témoins.

La corruption et l'impunité font partie des problèmes signalés.

 

Bien que « la réforme judiciaire demeure une priorité pour le gouvernement, sa mise en œuvre n’est pas soutenue ». (page 2.2.9) De plus, ainsi que nous l'avons déjà signalé, bon nombre d'anciens agents du SIN continuent de faire partie du PNP.

 

Il y a des exemples d'assassinats et de ciblage de témoins. Voir C-7, point 3, 25 juin 2005, pour le cas de l'assassinat d'une personne ayant témoigné contre une organisation se livrant au trafic de drogues. Montesinos et le SIN étaient impliqués dans le trafic de drogues. Un article de journal du 2 février 2005 (C-6, page 8) fait état de l'agression dont ont été victimes deux personnes ayant témoigné contre un réseau international de trafiquants de drogues. Une d'entre elles a été tuée. Un autre article de journal (C-7, point 4, sans date) signale qu'un agent du PNP, le major Gavidia, affirme avoir fait l'objet de menaces de la part de Felix Murazzo, ancien ministre des Affaires internes (chargé du PNP) au sein du régime Fujimori, et d'un ancien agent du SIN qui lui ont intimé l'ordre de garder le silence au sujet des liens de Murazzo avec Montesinos. Le major Gavidia déclare : « […] il a essayé de me faire taire en me menaçant. C'est la raison pour laquelle je tiens Murazzo responsable de tout ce qui pourrait arriver à moi ou à ma famille ». Même un officier supérieur de la police ne se sent pas en sécurité.

 

 

[13]           La Commission a tout simplement ignoré ces éléments de preuve dans sa décision. Parmi les autres éléments de preuve qui faisaient partie des observations soumises le 14 novembre 2005 à la Commission, mais dont il n'est nulle part fait mention dans sa décision, il y a lieu de signaler des rapports médicaux portant sur la demanderesse d'asile mineure ainsi que les lettres des parents de M. Armas, au Pérou, qui corroborent les dires de ce dernier. 

 

[14]           Sur ce point, il vaut la peine de signaler que, à la note infrapaginale 2 de sa décision, le seul document de l'avocat des demandeurs d'asile que la Commission déclare avoir examiné sont les observations datées du 4 novembre 2005 portant sur l'admission de M. Armas au Canada. Il n'est nulle part fait mention des observations du 14 novembre 2005, et la seule inférence que l'on peut raisonnablement en tirer est la Commission a ignoré ces éléments de preuve importants ainsi que les arguments connexes de l'avocat. Pareille omission de prendre acte d'éléments de preuve clés a fréquemment été considérée comme une erreur justifiant le contrôle judiciaire. Sur ce point, je me reporte à la décision récente de la juge Judith Snider dans l'affaire Jones c. Canada (MCI), [2006] A.C.F. no 591, 2006 CF 405, au paragraphe 37 :

[37]      En règle générale, la Commission a le droit de préférer certaines preuves documentaires à d’autres (Maximenko c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 606, 2004 CF 504, au par. 18). Il est également bien établi que la Commission n’a pas à mentionner tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (ibid.). Cependant, lorsque la Commission omet d’analyser des éléments de preuve importants et contradictoires, la Cour peut alors en conclure que la Commission n’a pas tenu compte de faits essentiels, ou les a mal compris, et a prononcé une décision erronée (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.), au par. 17). Il s’agit donc de savoir si, dans l’ensemble, cette preuve est « si importante et cruciale que l’omission d’en faire état peut constituer une erreur susceptible de contrôle » (Johal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1760, au par. 10 (1re inst.)). À mon avis, les preuves que j’ai mentionnées ci‑dessus font partie de cette catégorie. L’omission de la part de la Commission de tenir compte de ces preuves et de les apprécier constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[15]           La Commission a également commis une erreur en examinant comme un tout les trois demandes d'asile. Elle semble avoir conclu que les demandes de Mme Alarcon Cuadros et de l'enfant mineur dépendaient entièrement de celle de M. Armas. Bien qu'il existât un certain chevauchement entre ces demandes et bien que M. Armas fût à l'origine de toutes ces demandes, la Commission était tenue d'examiner les éléments de preuve portant sur les risques personnels pour chacun d’entre eux. En fait, il y avait un grand nombre d'éléments de preuve portant sur les menaces proférées directement à l'endroit de l'enfant et de Mme Alarcon Cuadros après l'arrivée de M. Armas au Canada. En plus de rejeter globalement « l’allégation des demandeurs d’asile selon laquelle ils craignent avec raison de retourner au Pérou », la Commission a totalement ignoré ces éléments de preuve. Ce regroupement injustifié des présentes demandes d'asile est par ailleurs aggravé par le traitement bâclé de la question des délais dont la Commission s'est rendue coupable. Malgré le fait que M. Armas a séjourné quelques semaines aux États‑Unis avant de demander l'asile au Canada, ce n'était pas le cas de son épouse et de son enfant. Ces derniers sont arrivés plus tard au Canada et ils ont immédiatement demandé l'asile. Malgré ces éléments de preuve, la Commission attribue à tort ce délai à tous les demandeurs d'asile dans les passages suivants de sa décision :

Les demandeurs d’asile ont quitté le Pérou le 4 octobre 2000 et se sont rendus aux États‑Unis d’Amérique, où ils sont restés plus d’un mois avant d’arriver au Canada le 17 novembre 2000. Bien que les États‑Unis soient signataires du Protocole de 1967, les demandeurs d’asile n’ont fait aucun effort pour se prévaloir de la protection de ce pays. À mon avis, il s’agit-là d’une conduite qui ne cadre pas avec une crainte fondée de persécution et la Cour fédérale a déterminé que cette conduite a des répercussions défavorables sur une demande d’asile.

[…]

 

L’omission des demandeurs de demander l’asile aux États‑Unis affaiblit grandement la crainte qu’ils disent ressentir devant la perspective de retourner au Pérou. Quel que soit le statut temporaire dont les demandeurs d’asile ont bénéficié pendant leur séjour aux États‑Unis, ce statut aurait expiré et aurait entraîné leur retour au Pérou.

 

[16]           Il y a une autre erreur flagrante dans la décision, lorsque la Commission confond M. Armas avec son frère et répète l'erreur relative à la date du départ de son épouse et de leur enfant du Pérou :

Le demandeur d’asile principal précise qu’il a quitté le Pérou le 23 août 2000 pour se rendre à Miami, où son épouse et la demandeure d’asile mineure ainsi que Roberto, son frère, [M. Armas] l’ont rejoint le 4 octobre 2000.

 

[17]           Il s'agit, dans chaque cas, d'erreurs graves qui indiquent nettement non seulement que la Commission a ignoré des éléments de preuve, mais aussi qu'elle confondait les éléments de preuve sur lesquels elle se fondait.

 

[18]           La conclusion défavorable au sujet de la vraisemblance que la Commission a tirée en raison de la présumée contradiction entre la demande de passeport de Mme Alarcon Cuadros et ses tentatives de se cacher des autorités péruviennes est quelque peu forcée. Certes, Mme Alarcon Cuadros cherchait vraisemblablement à se faire discrète au Pérou, mais son témoignage démontre qu'on avait découvert où elle se trouvait et qu'elle avait fait l'objet de menaces répétées qui mettait en danger sa sécurité et celle sa fille. De plus, les présumés agents de persécution étaient des membres de la police nationale, qui ne faisaient donc pas partie de l'Administration. Selon toute vraisemblance, le seul moyen réaliste et légal de sortir du Pérou était d'obtenir un passeport. Devant l'alternative de demeurer au Pérou pour y faire l'objet de menaces continuelles ou de chercher à obtenir un passeport pour s'enfuir du pays, on ne saurait qualifier d'improbable ou de peu plausible cette dernière option. D'ailleurs, demander un passeport dans le contexte des éléments de preuve effectivement soumis à la Commission n'aurait pas exposé Mme Alarcon Cuadros à un risque plus élevé que celui auquel elle et son enfant devaient déjà faire face.

 

[19]           La décision de la Commission est, dans presque tous ses aspects, manifestement déraisonnable et elle ne saurait être confirmée. La présente demande est par conséquent accueillie et l'affaire sera renvoyée à la Commission pour être examinée sur le fond par un tribunal différemment constitué.

 

[20]           Bien que je n'aie décelé aucune question grave de portée générale dans cette décision, j'accorde quand même aux parties la possibilité d'aborder la question. Le défendeur aura donc sept (7) jours pour proposer le cas échéant une question à certifier, avec droit de réplique dans les trois (3) jours suivants.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie et l'affaire renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué l’examine sur le fond à nouveau.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                   IMM-1537-06

 

INTITULÉ :                                                  ROBERTO AUGUSTO ARMAS CORNEJO, MILENA FABIOLA ALARCON CUADROS et XIMENA DANIELA ARMAS ALARCON

                                                                       c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATON

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                          LE 26 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 19 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

Modupe Oluyomi                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neil Cohen

Avocat

Toronto (Ontario)                                            POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

 

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