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Date : 20070315

Dossier : IMM-4741-06

Référence : 2007 CF 289

Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

DANIEL HERNANDO CAICEDO MOLINA

BEATRIZ EUGENIA CARMONA DELGADO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision rendue le 9 août 2006 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que les demandeurs, M. Daniel Hernando Caicedo Molina et Mme Beatriz Eugenia Carmona Delgado, n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi ni qualité de personnes à protéger au titre de l’article 97 de la Loi.

 

I.   Le contexte

[2]               Les demandeurs sont tous les deux des citoyens de la Colombie qui affirment craindre avec raison d’être persécutés du fait des opinions politiques qui leur sont imputées. M. Molina et Mme Delgado ont fui la Colombie et ont demandé l’asile au Canada à cause de leur relation avec le conjoint de fait de la sœur de M. Molina, un certain M. Traslavina, qui est haut placé dans l’organisation des Autodéfenses unies de Colombie (Autodefensas Unidas de Colombia − AUC). 

 

[3]               Comme M. Traslavina ne possédait pas de véhicule, M. Molina le conduisait souvent à bord de sa voiture dans les rues de Bogota pour qu’il fasse ses courses. Au milieu de 2003, lors d’un trajet en voiture, M. Molina, la sœur de M. Molina et M. Traslavina ont aperçu, à un carrefour, des hommes qui semblaient les attendre dans le but de leur tendre une embuscade. M. Traslavina, qui était au volant, a dit à la sœur de M. Molina de « sortir » un fusil, ce qu’elle a fait. M. Molina a, de son côté, fait comme s’il tendait le bras sous le siège pour en retirer une arme. Les prétendus agresseurs ont pris la fuite. M. Traslavina a alors informé M. Molina qu’il croyait qu’il s’agissait de guérilleros qui cherchaient à s’en prendre à lui en raison de ses activités politiques. Les demandeurs n’ont pas signalé l’incident à la police car ils ne croyaient pas que la police ouvrirait une enquête.

 

[4]               À la suite de cet incident, les demandeurs ont remarqué la présence de véhicules suspects devant leur domicile, source d’angoisse et de stress psychologique pour eux. De plus, les demandeurs croyaient être suivis lorsqu’ils circulaient en voiture, peut-être par des personnes qui cherchaient à savoir quel trajet ils empruntaient en vue de leur tendre une autre embuscade. Les demandeurs ont cependant attendu jusqu’au 6 juin 2005 avant de partir pour le Canada, soit environ deux ans après la tentative d’embuscade.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent qu’ils ne peuvent retourner en Colombie en raison de leurs liens avec M. Traslavina, qui habite toujours en Colombie avec la sœur de M. Molina. Les demandeurs ont gardé contact avec M. Traslavina, qui n’a pas été agressé physiquement mais qui change fréquemment de domicile pour assurer sa sécurité.

 

II.   La décision de la Commission

[6]               La Commission a estimé que les deux demandeurs s’étaient « montrés francs et dignes de foi en livrant leurs témoignages écrits et oraux ». La Commission a également reconnu que M. Traslavina était une figure politique importante qui avait fait les manchettes lors de son arrestation pour enlèvement, à la suite de laquelle il avait été acquitté. Les journaux qualifiaient M. Traslavina de « chef paramilitaire » et la Commission a accepté que les rapports entre les demandeurs et M. Traslavina correspondaient à ce qu’ils avaient déclaré dans leur témoignage.

 

[7]               La Commission a cependant objecté que les demandeurs étaient demeurés en Colombie pendant deux ans après l’incident en voiture. Les demandeurs avaient également témoigné que la découverte que Mme Delgado était enceinte était l’événement qui les avait incités à immigrer au Canada, parce qu’ils devaient maintenant assurer la protection de leur enfant, en plus de la leur. La Commission a accordé beaucoup d’importance au fait que les demandeurs n’avaient jamais été menacés directement, exception faite de l’incident survenu au milieu de 2003, et que, même s’ils avaient été « ébranlés », tous s’en étaient tirés indemnes.

 

[8]               La Commission a conclu que la présomption de la protection de l’État n’avait pas été réfutée en l’espèce, étant donné que les demandeurs n’avaient pas démontré, à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants, que la Colombie était incapable de leur assurer une protection adéquate. La Commission s’est appuyée sur divers éléments de preuve documentaire qui démontraient que le gouvernement colombien déployait des efforts importants pour assurer la protection de l’État contre les agents de persécution habituels. La Commission a effectivement reconnu que ces efforts ne suffisaient pas encore à garantir une protection complète et que « de graves problèmes persistent » en ce qui concerne la capacité du gouvernement de réduire efficacement les actes de violence des groupes de guérilleros.

 

[9]               La Commission a estimé que, même si le système n’était pas parfait, les demandeurs avaient l’obligation d’essayer à tout le moins de solliciter la protection de l’État, compte tenu surtout des mesures récentes prises par le gouvernement colombien pour lutter contre les guérilleros. La Commission a toutefois effectivement conclu : « [...] il est incertain que la police aurait donné suite au signalement d’une menace éventuelle de la part de personnes à bord d’un véhicule à l’arrêt, qui semblaient vouloir attaquer ».

 

[10]           De plus, en ce qui concerne les « véhicules suspects » observés par la suite, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient jamais entrepris de démarches pour communiquer avec les autorités et pour porter plainte ou demander l’ouverture d’une enquête. En fait, il semble que les demandeurs n’aient rien fait d’utile au sujet des « véhicules suspects » et ce, même si, d’après le Formulaire de renseignements personnels du demandeur, la police avait été contactée.

 

[11]           La Commission a avancé l’idée qu’il existait une possibilité de refuge intérieur à Cali, en Colombie. M. Molina avait déjà vécu dans cette ville, qui se trouve à huit heures de route de Bogota. La Commission a rejeté l’argument selon lequel les groupes de guérilleros reconnaîtraient les demandeurs s’ils s’installaient à Cali, car M. Traslavina, qui est certes plus à risque que les demandeurs, demeure en Colombie, où il n’est pas maltraité.

 

[12]           La Commission a conclu que la crainte des demandeurs d’être persécutés n’était pas fondée et qu’ils n’avaient pas qualité de personnes à protéger, ou que leur renvoi en Colombie ne les exposerait pas personnellement à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

III.   Le cadre législatif

[13]           Les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont ainsi libellés :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

IV.   Les questions en litige

[14]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.    La Commission a-t-elle commis une erreur en déclarant que les demandeurs avaient l’obligation d’entreprendre des démarches auprès de l’État pour obtenir sa protection?

2.    La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant mal les faits relatifs à la crainte objective des demandeurs?

3.    La Commission a-t-elle commis une erreur en laissant entendre que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur?

4.    La Commission a-t-elle commis une erreur lorsque, après avoir reçu une lettre de l’avocate du défendeur, elle a conclu qu’elle avait commis une erreur dans sa décision à cause d’une « erreur typographique »?

 

V.   Analyse

A.   Première question

(1)        Norme de contrôle en matière de protection de l’État

[15]           La décision Fernandez  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1132, est utile lorsqu’il s’agit de déterminer le degré de retenue judiciaire requis à l’égard d’une conclusion concernant la protection offerte par l’État. Voici ce que la Cour a dit, aux paragraphes 11 et 12 de la décision Fernandez :

Pour tirer des conclusions quant au caractère adéquat de la protection de l’État, la Commission est tenue de tirer certaines conclusions de fait. Celles-ci ne peuvent être annulées par la Cour que si la Commission les a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Voir : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 38.

 

Lorsque ces conclusions de fait sont tirées, elles doivent être évaluées au regard du critère juridique formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724 : les faits confirment-ils « de façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » et réfutent-ils la présomption que l’État assure la protection des personnes? Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait. Vu l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232, je conviens que la norme de contrôle de la décision concernant le caractère adéquat de la protection de l’État applicable est la décision raisonnable simpliciter.

 

 (2)       Décision sur la protection offerte par l’État

[16]           Il est de jurisprudence constante qu’en l’absence d’éléments de preuve « clairs et convaincants » démontrant son incapacité d’assurer la protection de ses ressortissants, l’État est présumé être en mesure de les protéger (voir l’arrêt Ward, précité). Les demandeurs soutiennent qu’il n’y a pas lieu de demander une protection qui ne sera pas accordée, compte tenu de la corruption qui existe au sein du gouvernement. Les demandeurs soulignent en particulier que la Commission a elle-même reconnu, dans ses motifs, qu’il était « incertain que la police aurait donné suite au signalement » et ils font observer que la Commission a également déclaré : « aucune preuve claire et convaincante ne démontre que l’État est en mesure de les protéger ». Les demandeurs soutiennent par conséquent que les conclusions que la Commission a tirées sur cette question ne sont pas logiques. Bien que je convienne que la Commission a effectivement tenu ces propos, je ne suis pas d’accord pour affirmer qu’ils appuient la thèse des demandeurs concernant ces faits.

 

[17]           Tout d’abord, je conviens avec le défendeur que la Commission, en écrivant dans ses motifs : « aucune preuve claire et convaincante ne démontre que l’État est en mesure de les protéger », voulait manifestement dire, eu égard au contexte de ce passage : « aucune preuve claire et convaincante ne démontre que l’État n’est pas en mesure de les protéger ». Il est un principe élémentaire de droit qu’une simple erreur typographique ne constitue pas une erreur susceptible de révision.  [Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Dans la décision Petrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 251 F.T.R. 43, 2004 CF 506, le juge Russell a traité des conséquences d’une erreur typographique contenue dans les motifs de la décision que la Cour était appelée à examiner. Au paragraphe 51 de la décision Petrova, le juge Russell a écrit ce qui suit : « Lorsqu’une erreur est de nature typographique, la Cour ne doit pas modifier la décision, surtout si l’erreur ne semble pas être le résultat d’une incompréhension de la preuve ». Le juge Noël a récemment souscrit à cette conclusion dans la décision Lu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 159.

 

[19]           Je conviens avec les demandeurs que la Commission a estimé qu’il aurait été inutile de signaler à la police l’incident survenu au milieu de 2003. J’en arrive toutefois à cette conclusion pour des raisons différentes. Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pas cherché à obtenir l’aide de la police parce que la police est corrompue et qu’on ne peut lui faire confiance. J’estime toutefois que la Commission n’a pas cru que la police donnerait suite au signalement, car il s’agissait d’une menace provenant de personnes « qui semblaient vouloir attaquer » − mais qui ne l’ont pas fait − après que la sœur de M. Molina eut braqué une arme à feu en direction des éventuels agresseurs, de sorte que la police ne serait pas intéressée à entendre parler d’un incident dont tous s’étaient tirés indemnes. La Commission n’a pas dit que la police colombienne était corrompue et qu’elle refuserait systématiquement d’assurer la protection de l’État.

 

[20]           Par ailleurs, la Commission s’est dite préoccupée par le fait qu’au cours des deux années où ils étaient demeurés en Colombie et s’étaient fait suivre par des véhicules suspects, les demandeurs n’avaient jamais signalé ces faits à la police. À la page 6 de sa décision, la Commission fait observer que les demandeurs « n’ont jamais porté plainte à la police au sujet de ces incidents ». C’est sur ce point que j’oppose une objection aux conclusions de la Commission.

 

[21]           Dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP), les demandeurs affirment clairement ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Nous appelions la police pour signaler la présence d’individus suspects se trouvant à l’extérieur de l’immeuble à appartements. Parfois, lorsque la police arrivait, les individus en question avaient déjà quitté; d’autres fois, la police les soumettait à un contrôle et les laissait partir; d’autres fois encore, la police ne le soumettait pas à un contrôle; les policiers se contentaient de parler au chauffeur et le laissaient ensuite partir.

 

 

[22]           Par conséquent, la Commission s’est manifestement méprise en concluant que les demandeurs n’avaient pas contacté la police au sujet des « véhicules suspects » et en accordant de l’importance à cette conclusion. Étant donné qu’elle a jugé les demandeurs crédibles, la Commission doit par analogie accepter qu’ils ont effectivement contacté la police. Bien qu’aucune des avocates n’ait parlé de ce passage du FRP dans son argumentation écrite, je ne suis pas disposé à spéculer sur la conclusion à laquelle la Commission aurait pu parvenir si elle avait dûment examiné la preuve. La Commission aurait fort bien pu conclure que les demandeurs avaient réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen des éléments de preuve documentaire combinés au témoignage donné dans le FRP. La conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État ne résiste donc pas à une analyse assez poussée.

 

[23]           Les demandeurs reprochent également à la Commission de ne pas avoir dûment examiné les éléments de preuve documentaire concernant la protection de l’État en Colombie. Je refuse d’examiner ces arguments car, pour les motifs que je viens d’exposer, les conclusions tirées par la Commission au sujet de la protection de l’État ne tiennent pas compte des éléments de preuve contenus dans le FRP et sont manifestement déraisonnables.

 

B.   Deuxième question

(1) Norme de contrôle applicable à la constatation des faits appuyant une crainte objective

[24]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions de fait de la Commission sont susceptibles de révision selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. La Cour suprême a d’ailleurs bien précisé, dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52 :

[...] dès qu’un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée. La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-964, le juge Cory; Centre communautaire juridique de l’Estrie c. Sherbrooke (Ville), [1996] 3 R.C.S. 84, par. 9-12, le juge Gonthier). Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir. 

 

 

 

            (2)        Décision sur le bien-fondé de la crainte

[25]           Il est évident que, pour être considérée comme bien fondée, une crainte doit être à la fois subjective et objective (voir l’arrêt Ward, précité, au paragraphe 64). La Commission a reconnu que les demandeurs avaient une crainte subjective de persécution en Colombie. Le débat porte donc sur la conclusion de la Commission suivant laquelle les demandeurs n’avaient pas de crainte objective.

 

[26]           Les demandeurs soutiennent que l’enfant à naître n’était qu’un des facteurs qui avaient motivé leur départ de la Colombie. À leur avis, la Commission a accordé beaucoup trop d’importance à ce facteur. Les demandeurs font valoir en outre que la Commission aurait dû accorder plus de poids aux éléments de preuve documentaire et à leur témoignage sur le fait qu’ils ont dû modifier leurs habitudes de vie pour éviter d’être repérés par les guérilleros pendant qu’ils vivaient en Colombie. À mon avis, les conclusions de la Commission sur ces questions sont raisonnables et les demandeurs invitent simplement la Cour à réévaluer la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[27]           Toutefois, tout comme dans le cas de la première question, la Commission a ignoré les éléments de preuve démontrant que les demandeurs avaient cherché à obtenir la protection de la police. Si la Commission avait tenu compte de ces éléments, ceux-ci auraient servi à appuyer l’élément objectif de la crainte. Là encore, comme les demandeurs ont été jugés crédibles, il est possible que ce facteur aurait infléchi la Commission en leur faveur. En conclusion, j’estime que la Commission a agi de façon manifestement déraisonnable en tirant ses conclusions de fait sur cette question. En conséquence, les conclusions qu’elle en a tirées sont manifestement déraisonnables.

 

C.   Troisième question

            (1)        Décision sur la possibilité de refuge intérieur

[28]           Dans l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a bien précisé que, s’il lui est possible de chercher refuge dans son pays d’origine, le demandeur d’asile ne peut être considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur d’asile qui dispose d’une possibilité de refuge intérieur ne saurait, par définition, craindre avec raison d’être persécuté (voir Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1996), 194 N.R. 46, 36 Imm. L.R. (2d) 180 (C.A.)).

 

[29]           La Commission a conclu que M. Traslavina et la soeur de M. Molina continuent à résider en Colombie et n’ont pas été physiquement malmenés. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la Commission ne semble pas avoir saisi pleinement les témoignages au sujet des précautions que M. Traslavina a prises pour continuer à vivre en Colombie. Il semble effectivement, à mes yeux du moins, que M. Traslavina et la sœur de M. Molina vivent jusqu’à un certain point dans la clandestinité. La Commission n’a pas abordé la question de savoir si la possibilité de refuge intérieur est raisonnable dans ces circonstances, ce qu’elle est tenue de faire selon l’arrêt Rasaratnam, précité, et l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.). Par ailleurs, l’analyse que la Commission a faite de la possibilité de refuge intérieur ne tient pas compte des éléments de preuve portant sur le signalement à la police dont nous avons déjà fait état et qui aurait pu entrer en ligne de compte pour déterminer si la possibilité de refuge intérieur était raisonnable ou non, eu égard à la situation des demandeurs.

 

[30]           Bien que je ne sois pas disposé à spéculer sur la conclusion qui pourrait plus tard être tirée sur la possibilité de refuge intérieur lors d’un examen ultérieur, la décision de la Commission, selon son libellé actuel, ne permet pas de conclure à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur.

 

D.   Quatrième question

[31]           Comme j’ai accueilli la demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire que j’aborde la question de la lettre adressée par le défendeur à la Commission au sujet de l’erreur typographique.

 

[32]           Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission aux fins d’une nouvelle audience. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification et aucune ne sera donc certifiée.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4741-06

 

INTITULÉ :                                       DANIEL HERNANDO CAICEDO MOLINA et al.

                                                            c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 mars 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 mars 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Naomi Minwalla

 

POUR LES DEMANDEURS

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Naomi Minwalla

Avocate

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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