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Date : 20070320

Dossier : IMM-2553-06

Référence : 2007 CF 298

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

CHIPO PAULINE MUTANGADURA,

MARGARET TAMBUDZAI CHANYOWEDZA

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les demandes d’asile et de protection des demanderesses, sur les questions du bien-fondé de la crainte et de la crédibilité. La demanderesse principale (la demanderesse) est une citoyenne du Zimbabwe et sa fille, la demanderesse mineure, est une citoyenne des États-Unis. Les questions fondamentales de ce contrôle judiciaire sont les suivantes : a) La Commission a-t-elle appliqué le critère juridique approprié, établi à l’article 96, lorsqu’elle a dit, en ces termes, qu’elle « dout[ait] grandement » que la demanderesse ait craint avec raison d’être persécutée? b) Les motifs opportunistes pour lesquels la demanderesse avait joint un groupe ont-ils justifié le rejet de la demande de protection qu’elle a présentée en application de l’article 97?

 

II.         CONTEXTE

[2]               Après avoir été attaqué par des anciens combattants zimbabwéens, le père de la demanderesse a décidé d’envoyer la sœur de la demanderesse et la demanderesse aux États-Unis où cette dernière a fréquenté le collège en 1999.

 

[3]               La demanderesse a eu un enfant durant son séjour aux États-Unis. Elle a aussi affirmé s’être jointe à un groupe de protestation zimbabwéen, le Mouvement pour le changement démocratique (le MDC), mais elle a ajouté n’avoir participé à aucune des réunions, parce qu’elle craignait que des agents de son gouvernement la dénoncent.

 

[4]               Elle n’a pas demandé l’asile car, étant donné qu’elle avait attendu deux ans pour le faire, elle a compris qu’il ne valait pas la peine de présenter une telle demande puisque les lois américaines empêchent, de façon générale, une personne d’obtenir l’asile après une période d’un an.

 

[5]               La demanderesse est arrivée au Canada en septembre 2005 et a fait une demande d’asile en grande partie fondée sur la « persécution » subie par son père au Zimbabwe. Elle soutient qu’elle a joint la section du MDC à Niagara Falls, au Canada, mais qu’elle n’a joué aucun rôle dans la création de cette section.

 

[6]               Il est clair que la Commission avait des doutes quant à la crédibilité de la demanderesse en général sur plusieurs points. La Commission a conclu qu’elle « dout[ait] grandement » que la demanderesse ait craint avec raison d’être persécutée. La Commission a aussi conclu que « dans l’ensemble, la demanderesse d’asile principale n’a pas réussi à établir qu’elle serait exposée à un risque de préjudice si elle retournait au Zimbabwe ».

 

[7]               La Commission n’a pas cru que la demanderesse avait joint le MDC aux États-Unis et a jugé que, même si celle-ci craignait que des agents la dénoncent, ses craintes étaient hypothétiques. En ce qui concerne sa participation aux activités de la section canadienne du MDC, son rôle était négligeable. Après avoir cité le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le livre de James C. Hathaway intitulé The Law of Refugee Status (la loi du statut de réfugié), la Commission a poursuivi en déclarant qu’elle avait le droit de tenir compte des motifs opportunistes pour lesquels la demanderesse avait joint le MDC canadien et a conclu que la demanderesse avait renforcé sa demande en inventant les circonstances de sa prétendue crainte.

 

III.       ANALYSE

A.        L’article 96

[8]               La demanderesse soutient que l’emploi par la Commission des mots « doute grandement » lorsqu’elle a évalué sa crainte de persécution constitue soit a) une mauvaise application du critère juridique établi à l’article 96, soit b) une déclaration portant à confusion qui n’exprime pas le bon critère juridique. D’après la demanderesse, la présente affaire s’inscrit dans le raisonnement du juge O’Keefe dans la décision Tariq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 822 (QL).

 

[9]               Avec le plus grand respect pour l’habile argument présenté par l’avocat, je ne saurais être d’accord. Une personne ne peut s’arrêter sur ces mots ou se poser des questions de sémantique sans tenir compte de la décision entière et du contexte dans lequel ces mots sont employés (Voir : Sivagurunathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.F. 432).

 

[10]           En lisant ces mots, je conclus que ceux-ci se rapportent à la question de savoir si la demanderesse a rempli le critère juridique prévu à l’article 96 et non à la définition du critère juridique qui doit être appliqué en vertu de cet article. Cette conclusion est appuyée par le fait que la Commission fait référence au critère juridique prévu à l’article 96 plus tard dans son jugement.

 

[11]           L’examen de la preuve présentée devant la Commission, notamment le fait que personne n’a prêté attention à la demanderesse, à sa sœur ou même à son frère qui vivait au Zimbabwe, établit qu’il existait un fondement factuel à l’appui de la conclusion de la Commission.

 

[12]           Par conséquent, pour ce qui est de la norme de contrôle, la Commission a appliqué le bon critère juridique et est arrivée à une conclusion raisonnable en appliquant le droit aux faits.

 

[13]           Il n’existe pas de conclusions de fait manifestement déraisonnables qui mineraient cette décision.

 

B.         L’article 97

[14]           La demanderesse a eu raison d’affirmer qu’il n’est pas suffisant d’examiner la composante purement subjective de la présente demande. Même l’existence d’un motif opportuniste, quoique pertinent quant à la légitimité d’obtenir la qualité de personne à protéger, ne nous permet pas de faire abstraction du risque objectif. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de déterminer à quel point les demandes opportunistes et douteuses peuvent être renforcées pour créer un risque objectif.

 

[15]           Dans l’affaire qui nous occupe, la Commission a examiné de façon approfondie la composante objective de l’adhésion de la demanderesse au MDC aux États-Unis. Elle a conclu que ses activités au sein du MDC (le cas échéant) n’étaient pas susceptibles d’être portées à l’attention de quiconque et que la demanderesse avait démontré peu d’intérêt dans le mouvement.

 

[16]           La Commission élabore ensuite sur cette expérience aux États-Unis, sur les liens de la demanderesse avec le MDC canadien et sur sa faible participation au sein de l’organisation. La Commission fait référence au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et au livre du professeur Hathaway en parlant de l’obligation d’examiner le fondement objectif d’une demande, malgré des doutes quant aux craintes et aux prétentions subjectives qui reposent sur des motifs mal fondés.

 

[17]           Comme il n’y avait pas de différence importante entre son profil et le risque auquel elle s’exposait dans le contexte de ses activités aux États-Unis et de celles exercées au Canada, il n’est pas nécessaire de répéter les conclusions dans le cas de chaque pays.

 

[18]           La Commission avait l’obligation d’examiner la preuve objective de son profil et de garder le risque clairement à l’esprit. Il n’y a rien dans les conclusions de la Commission qui permette de conclure qu’elle ne s’est pas acquittée de cette obligation.

 

[19]           Les commentaires du juge Hugessen dans la décision Asfaw c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1157 (QL) s’appliquent à la présente affaire :

L’examen par la Commission du mobile du demandeur ne portait donc pas sur un aspect non pertinent et la conclusion à laquelle elle est arrivée sur ce point n’est pas contraire aux éléments de preuve présentés. Je reconnais que la Commission aurait commis une erreur si elle avait arrêté là son examen et n’avait pas tenté de déterminer si la crainte invoquée par le demandeur reposait également sur une base objective, mais elle n’a pas commis cette erreur.

 

[20]           La conclusion de la Commission, selon laquelle la demanderesse n’était pas membre du MDC aux États-Unis, n’était pas manifestement déraisonnable, puisqu’elle correspondait à la déclaration de la demanderesse faite au point d’entrée canadien. L’analyse de la Commission quant au risque objectif auquel s’exposait la demanderesse constituait une évaluation subsidiaire fondée sur l’hypothèse voulant qu’elle ait été membre du MDC aux États-Unis. La Commission a reconnu que la demanderesse était inscrite en tant que membre du MDC canadien, ce qui indique que son évaluation de la crainte objective s’appliquait aux deux pays.

 

[21]           En rejetant les explications de la demanderesse pour justifier le fait qu’elle n’ait pas présenté une demande d’asile, la Commission a tenu compte du fait qu’elle était âgée de 18 ans à son arrivée aux États-Unis. La Commission a reconnu que l’âge de la demanderesse était un facteur atténuant, tel que l’indique la transcription. Toutefois, ce facteur atténuant n’était pas suffisant pour faire comme poids tous les autres éléments de preuve selon lesquels il n’existait pas de crainte réelle. Cette conclusion n’a rien de manifestement déraisonnable.

 

IV.       CONCLUSION

[22]           Pour ces motifs, je ne vois aucune raison d’annuler la décision de la Commission. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                        IMM-2553-06

 

INTITULÉ :                                                                      CHIPO PAULINE

                                                                                           MUTANGADURA,

                                                            MARGARET TAMBUDZAI CHANYOWEDZA

 

                                                                                           c.

 

                                                                                           LE MINISTRE DE LA

                                                                                           CITOYENNETÉ ET DE

                                                                                           L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                              LE 8 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                                     LE 20 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LES DEMANDERESSES

Anshumala Juyal

 

        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

         POUR LE DÉFENDEUR

 

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