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Date : 20070326

Dossier : IMM-3966-06

Référence : 2007 CF 314

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

RUI FU LIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision rendue le 5 juin 2006 par Mme Judyanna Ng, agente d'immigration désignée à Hong Kong (l'agente des visas), par laquelle celle‑ci a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue de l'immigration de sa fille au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire (CH). La demande a été appréciée au regard du paragraphe 25(1) de la Loi et de l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Même si le demandeur soulève trois questions, la Cour n'analysera que la question suivante :

            a)         La décision de l'agente des visas était‑elle déraisonnable?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est affirmative. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

L'HISTORIQUE

[4]               En juillet 2001, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente au Canada au bureau de Hong Kong et il n'a pas inscrit, dans sa demande, au titre des personnes à charge, le nom de sa fille aînée, Xin Miao Lin, laquelle est née hors des liens du mariage le 5 janvier 1995.

 

[5]               Le 6 août 2003, le demandeur a obtenu le droit d'établissement à titre de membre de la catégorie des immigrants indépendants et, une fois de plus, n'a pas mentionné le nom de sa fille au titre des personnes à charge. Au lieu de cela, le demandeur a mentionné, au titre des personnes à charge, le nom de Lin Shun Xiang, la mère de Xin Miao Lin et l'épouse actuelle du demandeur, ainsi que le nom d'une fille, Lin Yun Lei, que le demandeur et son épouse ont eue comme deuxième enfant le 7 mars 2003.

 

[6]               À son arrivée au Canada, le demandeur a présenté une demande en vue de parrainer sa fille Xin Miao Lin, dont il n'a pas fait mention au titre des personnes à charge, afin que celle‑ci puisse rejoindre la famille au Canada. Sa demande a toutefois été rejetée parce qu'on a estimé que sa fille n'appartenait pas à la catégorie du regroupement familial car le demandeur avait omis de mentionner son nom dans sa demande de résidence permanente et qu'elle n'a donc pas fait l'objet d'un contrôle au sens de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. Le demandeur a malgré tout poursuivi la demande de résidence permanente au Canada, mais cette demande a également été refusée le 4 novembre 2004, et ce, pour les mêmes raisons. Une demande d'appel de cette décision a été refusée le 5 mars 2006.

 

[7]               Le 6 juin 2006, le demandeur a déposé une deuxième demande de parrainage mais, cette fois‑là, il a demandé que l'affaire soit également examinée au regard des considérations humanitaires. Il a encore été conclu que la fille de M. Lin était toujours exclue en vertu des dispositions du Règlement et le dossier a été transmis au bureau de Hong Kong où l'agente des visas a évalué la demande CH. Cette décision fut également défavorable et est à l'origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[8]               La décision est claire et affirme essentiellement que, après examen du dossier et compte tenu des entrevues avec la fille de M. Lin et sa tutrice, sa grand‑mère maternelle, à Hong Kong, la fille ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi (les paragraphes 11(1) et 12(1)) parce qu'elle était visée par l'alinéa 117(9)d) du Règlement. L'agente des visas a ensuite évaluée la demande au regard du paragraphe 25(1)). L'agente des visas a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

 

[…] J'ai également tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant dans ma décision. La conclusion est que je ne suis pas convaincue que vous satisfassiez aux exigences de la Loi ni qu'il existe des considérations d'ordre humanitaire suffisantes pour compenser le fait que vous ne satisfaites pas aux normes de sélection.

 

 

[9]               Les notes versées au Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (les notes du STIDI) sont jointes à la décision, y compris les remarques de l'enfant prises en note lors de son entrevue avec l'agente des visas. L’agente des visas semblait comprendre les motifs d'ordre culturel qui avaient pu pousser le demandeur à ne pas révéler l'existence de sa fille aux autorités canadiennes aux moments pertinents, mais elle n'était pas convaincue qu'il existait des motifs d'ordre humanitaires suffisants pour accueillir la demande.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]           Les passages pertinents de la Loi et du Règlement sont reproduits ci‑dessous :

La Loi

Visa et documents

 11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

 

Regroupement familial

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

 

Les Règlements

117. Restrictions

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[. . .]

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

The Act

Application before entering Canada

 11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

Family reunification

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

 

 

Humanitarian and compassionate considerations

 25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

The Regulations

117. Excluded relationships

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

[. . .]

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

L'analyse

La norme de contrôle

 

[11]           La présente affaire porte sur des questions mixtes de faits et de droit. Comme l'a établi mon collègue le juge James Russell dans Ly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 527, [2003] 4 C.F. 658, au paragraphe 20, la norme de contrôle applicable aux questions mixte de faits et de droit est la norme de la décision raisonnable simpliciter :

 

La question dont la Cour est saisie consiste à savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour entendre un appel du retrait du neveu de la demanderesse de la demande d’établissement de sa grand-mère. Comme il s’agit d’une question mixte de faits et de droit, la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter.

 

(Voir également Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Chalaby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 66 (QL), au paragraphe 4.)

 

[12]           Dans Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, le juge Iacobucci a expliqué le critère susmentionné. Je m'en rapporte aux directives qu'il a données au paragraphe 55 :

La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56) [. . .]

 

[13]           Par conséquent, la Cour ne modifiera la décision de l'agente des visas que si ses motifs ne peuvent pas être étayés par la preuve qui lui a été soumise.

 

La décision de l'agente des visas était‑elle déraisonnable?

 

[14]           J'ai examiné attentivement les arguments de la demanderesse, la décision de l'agente des visas, le paragraphe 25(1) de la Loi, les notes du STIDI ainsi que tous les autres documents sur lesquels la décision est fondée. Je les ai mis en balance avec les arguments du défendeur. Je conclus que la décision de l'agente des visas était déraisonnable.

 

[15]           Pour en arriver à ma décision, j'ai examiné attentivement l'affidavit de l'agente des visas qui souligne qu'elle s'est fondée sur de nombreux facteurs. Premièrement, l'enfant et sa tutrice désiraient demeurer ensemble. Deuxièmement, le demandeur et la mère de l'enfant ne sont pas retournés rendre visite à l'enfant, comme ils l'avaient promis, depuis leur arrivée au Canada en 2003, quoique la famille communique régulièrement par téléphone. L'agente des visas a également tenu compte du fait que ni le demandeur ni son épouse ne se sont déplacés afin d'assister à l'audience en personne. L'enfant était âgée de 11 ans à l'époque. L'agente des visas a estimé qu'elle était sincère et honnête quant à son désir de demeurer avec sa grand‑mère qui s'est occupée d'elle depuis sa plus tendre enfance. Les faits particuliers mentionnés par l'enfant dans son témoignage ont été corroborés par la grand‑mère lors d'une entrevue subséquente.

 

[16]           L'agente des visas a également tenu compte du fait que le demandeur désirait être réuni avec l'enfant au Canada afin de lui permettre de poursuivre ses études au Canada. L'âge de la tutrice de l'enfant a également été pris en compte. Toutefois, lorsque l'agente des visas a pesé dans la balance les divers éléments de preuve qui lui ont été soumis, elle a été amenée à conclure qu'il n'y avait pas de motifs suffisants pour qu'elle se serve de son pouvoir discrétionnaire de faire une exception fondée sur le paragraphe 25(1), à savoir accueillir la demande de M. Lin pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[17]           La décision a été rendue en juin 2006 après qu'une entrevue avec l'enfant et la grand-mère (la tutrice) eut été tenue en mai 2006. À la page 37 du dossier du tribunal, une déclaration qu'a faite la grand‑mère le 21 février 2006, et qu'elle a signée devant un notaire public en Chine, révèle ce qui suit :

[Traduction]

 

Je, soussignée :

 

Lin Jinmei, personne de sexe féminin, née le 22 août 1951, domiciliée au 29, Tiantoudian, village de Qinlin, ville de Gaiwei, comté de Xianyou, province de Fujian.

 

Je suis la grand-mère de Lin Xinmiao et la belle‑mère de Lin Ruifu. Je m'occupe de Lin Xinmiao depuis que ses parents ont immigré au Canada et je désire faire la déclaration suivante :

 

1. Cela fait deux ans et six mois depuis que les parents de Lin Xinmiao ont quitté pour le Canada le 6 août 2003. Lin Xinmiao grandit et je peux affirmer qu'elle n'est pas heureuse, même si je fais de mon mieux pour m'occuper d'elle. Je remarque de grands changements dans sa personnalité et dans son tempérament. Autrefois, elle était très optimiste et très active. Aujourd'hui elle est solitaire et triste et elle ne sourit que très rarement. Il ne fait aucun doute que le fait de vivre loin de ses parents lui cause beaucoup de chagrin et je crains qu'elle ne comprenne pas pourquoi ses parents ne l'ont pas emmenée avec eux. Une fois qu'elle était malade, elle a pleuré toute la nuit malgré que je la consolais beaucoup.

 

2. Au fur et à mesure qu'elle vieillit, Lin Xinmiao doit poursuivre ses études. Elle est actuellement en sixième année à l'école primaire et, après la saison estivale, elle commencera son cours secondaire de premier cycle. Je n'ai pas fait d'études et je ne peux plus l'aider dans ses études.

 

3. Ma santé se détériore de plus en plus avec les ans, notamment en ce qui a trait à ma néphropathie, et je ne suis plus capable de m'occuper adéquatement d'une jeune enfant. Quant à mes enfants, les oncles de Lin Xinmiao, ils doivent s'occuper de leurs propres familles et ils ont du mal à les faire vivre dans le village. Ils ne sont pas capables d'élever un autre enfant comme Lin Xinmiao dans leurs foyers.

 

Vu que j'espère que Lin Xinmiao pourra retourner vivre avec ses parents et avec ses frères et soeurs.

 

Je déclare que les renseignements susmentionnés sont véridiques. Dans le cas contraire, je consens à assumer toute responsabilité juridique.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[18]           Cette déclaration ainsi que celle faite par les grands‑parents paternels, laquelle figure à la page 42, contredisent les notes du STIDI en ce qui a trait à l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

[19]           La décision et les notes du STIDI sont tout à fait silencieuses quant à ces deux documents importants. La grand‑mère maternelle n'a pas été confrontée à sa déclaration du 21 février 2006 et, par conséquent, la Cour est d'avis qu'elle n'est pas justifiée d'intervenir.

 

[20]           Le demandeur soumet la question suivante aux fins de certification :

[Traduction]

 

Doit‑on donner effet au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant et de la protection de la vie familiale alors qu'on renvoie de façon clair à l'article 25 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et qu'il s'agit du seul recours disponible?

 

 

[21]      Le défendeur s'oppose à cette question. J'accueille son opposition car la question n'est pas pertinente en l'espèce.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie. L'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision. Aucune question n'est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          IMM-3966-06

 

INTITULÉ :                                                         RUI FU LIN

c.                                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 21 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 26 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy                                                     POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

Sylviane Roy                                                                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                                     POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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