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Date: 20070326

Dossier: T-731-06

Référence: 2007 CF 313

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2007

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

 

BANQUE TORONTO DOMINION

Défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une action simplifiée aux termes des articles 292 à 299 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106.  Le Procureur général du Canada (le demandeur) réclame de la Banque Toronto Dominion (la défenderesse), un montant de 7 784.70$.  Cette réclamation se fonde sur les dispositions relatives à la fiducie présumée, édictée au bénéfice de Sa Majesté la Reine, aux paragraphes 227(4) et (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (la LIR) et aux paragraphes 86(2) et (2.1) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23 (la LAE).  Le demandeur demande également le paiement de l’intérêt au taux prescrit par la LIR à partir du 8 avril 2003 jusqu’à parfait paiement, conformément aux paragraphes 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7.

 

I.  Admission

 

[2]               Le matin de l’audience, la défenderesse a admis devoir le montant de 7 784.70$ au demandeur, mais elle a demandé que l’intérêt à être payé soit calculé à partir du 1er mars 2005, soit la date de la première demande de paiement, plutôt qu’à partir du 8 avril 2003, soit la date de l’encaissement du certificat de dépôt par la défenderesse. 

 

II.  Les faits

 

[3]               Le 28 août 2001, 9093-0470 Québec Inc. (9093), une compagnie opérant dans le domaine de l’ameublement, signe une hypothèque mobilière en faveur de la défenderesse, une banque constituée en vertu de la Loi sur les Banques, L.C. 1991, c. 46.  Au terme de cette hypothèque, 9093 signe un document intitulé «Power of Attorney to Transfer Bonds or Shares» en faveur de la défenderesse. 

 

[4]               L’hypothèque mobilière en question porte sur un certificat de dépôt portant le numéro 8066224, au montant original de 41 500.00$, lequel venait à échéance le 28 août 2002.  Celui-ci fut renouvelé par la suite jusqu’à la date de son encaissement par la défenderesse, le 8 avril 2003, au montant de 43 040.89$. 

 

 

 

[5]               De janvier à avril 2002, 9093 déduit à la source, sur les paies de ses employés, des montants pour fins d’impôt et d’assurance-emploi.  Les détails relatifs à ces montants apparaissent au paragraphe 11 des présents motifs. Or, ces déductions ne furent pas remises à Sa Majesté : 9093 est donc en défaut de remettre ces déductions au demandeur, et le demandeur est créancier de 9093.     

 

[6]               Le 28 janvier 2002, les représentants légaux de la défenderesse envoient une mise en demeure à 9093 indiquant que des montants étaient dus et qu’en conséquence, la défenderesse envisageait l’encaissement du certificat de dépôt détenu en garantie. 

 

[7]               Le 14 mars 2003, 9093 fait cession de ses biens au syndic KPMG Inc.

 

[8]               Le 8 avril 2003, la défenderesse encaisse le certificat de dépôt au montant de 43 040.89$ (avec intérêts) en l’appliquant sur la ligne de crédit octroyée au nom de 9093.  Le solde de la ligne de crédit est alors passé de 64 020.97$ à 20 980.08$. 

 

[9]               Le 1 mars 2005, Marie-France Langlois, une agente de recouvrement auprès de l’Agence du revenu du Canada, fait parvenir à la défenderesse une lettre au sujet de la réclamation de Sa Majesté au montant de 17 142.18$ (la demande de paiement). 

 

[10]           Le 19 avril 2005, les représentants de la défenderesse répondent à la lettre de Mme Langlois.  Ils confirment que la défenderesse avait bel et bien appliqué en compensation le certificat de dépôt qu’elle détenait en garantie. 

 

[11]           Le 23 février 2006, le demandeur fait parvenir à la défenderesse une mise en demeure de payer la somme de 7 784.70$.  Cette mise en demeure est basée sur le défaut de 9093 d’avoir remis à Sa Majesté la somme de 7 784.70$, représentant le montant qu’elle a déduit à la source sur les paies de ses employés.  Plus précisément, 9093 a fait défaut de remettre à Sa Majesté: (a) la somme de 6 487.23$ qu’elle a déduite en vertu de la LIR, à titre d’impôt payable par ses employés pour les mois de janvier à avril 2002; et (b) la somme de 1 297.47$ qu’elle a retenue à titre des cotisations ouvrières payables par ses employés en vertu de la LAE, pour les mois de janvier à avril 2002.

 

[12]           Selon le demandeur, la défenderesse était tenue de payer en priorité Sa Majesté lorsqu’elle a encaissé le certificat de dépôt, en vertu des paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR et des paragraphes 86(2) et (2.1) de la LAE.  

 

II.  Les dispositions législatives pertinentes

 

[13]           Pour les fins de la présente, les dispositions pertinentes sont prévues aux paragraphes 86(2) et (2.1) de la LAE et aux paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR.  Compte tenu de la grande similarité de ces dispositions, il est suffisant de ne reproduire que les dispositions de la LIR :

 

 

227.  (4) Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.

(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce montant sont réputés:

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;

b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.

[Je souligne]

227.  (4) Every person who deducts or withholds an amount under this Act is deemed, notwithstanding any security interest (as defined in subsection 224(1.3)) in the amount so deducted or withheld, to hold the amount separate and apart from the property of the person and from property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for the security interest would be property of the person, in trust for Her Majesty and for payment to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act.

(4.1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Bankruptcy and Insolvency Act (except sections 81.1 and 81.2 of that Act), any other enactment of Canada, any enactment of a province or any other law, where at any time an amount deemed by subsection 227(4) to be held by a person in trust for Her Majesty is not paid to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act, property of the person and property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for a security interest (as defined in subsection 224(1.3)) would be property of the person, equal in value to the amount so deemed to be held in trust is deemed

(a) to be held, from the time the amount was deducted or withheld by the person, separate and apart from the property of the person, in trust for Her Majesty whether or not the property is subject to such a security interest, and

(b) to form no part of the estate or property of the person from the time the amount was so deducted or withheld, whether or not the property has in fact been kept separate and apart from the estate or property of the person and whether or not the property is subject to such a security interest

and is property beneficially owned by Her Majesty notwithstanding any security interest in such property and in the proceeds thereof, and the proceeds of such property shall be paid to the Receiver General in priority to all such security interests.

[Emphasis added]

 

 

III.  L’analyse

 

[14]           Tel que mentionné précédemment, le montant en litige a fait l’objet d’une admission par la défenderesse lors de l’audience.  Mon mandat se limite donc à déterminer la date à laquelle les intérêts sur cette somme commencent à courir.  S’agit-il de la date de la demande de paiement, soit le 1er mars 2005, ou la date de la compensation par l’encaissement du certificat de dépôt, soit le 8 avril 2003? 

 

[15]           Je tiens à préciser que, compte tenu de la similarité entre les libellés des paragraphes 86(2) et (2.1) de la LAE et des paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR, le même résultat s’applique aux déductions pour fins de l’assurance-emploi et d’impôt.

 

[16]           La Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Iacobucci, a traité des retenus à la source dans l’arrêt First Vancouver Finance c. M.R.N., [2002] 2 R.C.S. 720 aux paragraphes 22-23, 28.  Pour faciliter la compréhension des présents motifs, je reproduis les paragraphes suivants:

 

22    Les tribunaux ont reconnu que les retenues à la source sont « au cœur » de la procédure de perception de l’impôt sur le revenu au Canada : voir Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd., (1991), 85 D.L.R. (4th) 29 (C.A. Man.), p. 51, le juge Lyon (dissident), cité favorablement par le juge Gonthier (dissident quant à une autre question) dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, par. 36.  Étant donné l’importance de la perception des retenues à la source, la loi dote le ministre du mécanisme de la fiducie réputée pour lui permettre de recouvrer l’impôt que l’employeur déduit du salaire de l’employé, mais omet de lui verser.

 

 

 

 

 

 

 

 

23    Les tribunaux ont également signalé que, contrairement à la banque du débiteur fiscal, qui a la chance de se familiariser avec les affaires et la situation financière de ce dernier, le ministre ne connaît pas aussi bien le débiteur fiscal ni ses créanciers et ne peut organiser ses affaires en conséquence.  À titre de « créancier involontaire », le ministre doit donc s’en remettre aux moyens que lui donne la LIR de percevoir les retenues à la source : Pembina on the Red Development, précité, p. 33-34, le juge en chef Scott, approuvé par le juge Cory dans Alberta (Treasury Branches), précité, par. 16-18.  C’est pourquoi la LIR accorde au ministre la priorité de rang sur les autres créanciers pour la perception des versements d’impôt et de taxes en souffrance.

 

[(…)]  

 

28    Ces modifications démontrent que le législateur a voulu que les par. 227(4) et (4.1) accordent la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont par ailleurs grevés d’une garantie, que celle-ci ait pris effet avant ou après les retenues à la source ou l’application de la fiducie réputée.  C’est ce qui ressort clairement de l’expression « malgré toute autre garantie » employée aux par. 227(4) et (4.1).  [(…)]

 

[Je souligne]

 

[17]           Je résume ainsi les enseignements de la Cour suprême:

-                les déductions à la source sont au cœur de la procédure de perception de l’impôt sur le revenu;

-                la banque du débiteur fiscal se trouve dans une meilleure position pour se familiariser avec les affaires et la situation financière de ce dernier que le Ministre;

-                les déductions à la source ont priorité sur les autres créanciers en ce qui a trait à la perception des versements d’impôts et de taxes en souffrance;

-                la priorité de rang accordée à la fiducie réputée prévaut sur les biens donnés en garantie, et ce, même si ladite garantie a pris effet avant ou après l’actualisation des déductions pour fins d’impôt ou d’assurance-emploi;

 

[18]           De janvier à avril 2002, les déductions pour fins d’impôt ou d’assurance-emploi par 9093 ne furent pas versées au demandeur ce qui a créé une fiducie réputée.  Dès lors, ces déductions ne faisaient plus partie du patrimoine de 9093.  Ainsi, lors de l’encaissement du certificat de dépôt au montant de 43 040.89$, soit le 8 avril 2003, la défenderesse s’est attribué une partie du montant qui ne faisait plus partie du patrimoine de 9093 : ledit montant appartenant au demandeur par fiducie réputée et priorité de rang.

 

[19]           Le 1er mars 2005, le demandeur envoie une lettre à la défenderesse demandant le paiement des montants de déductions à la source et des cotisations pour fin de l’assurance-emploi.  Cette date constitue un élément à prendre en considération pour déterminer le moment à partir duquel les intérêts courent.    

 

[20]           Toutefois, lors de la compensation par l’encaissement du certificat de dépôt, le 8 avril 2003, la défenderesse s’est accaparée, sans droit, de la somme de 7 784.70$.  En effet, les paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR et 86(2) et (2.1) de la LAE précisent que, dès qu’un employeur fait défaut de transférer les déductions à la source pour fins d’impôt et des cotisations à l’assurance-emploi, une fiducie réputée naît.  Cette fiducie a priorité sur toutes les garanties accordées avant ou après sa naissance.

                          

 

 

[21]           Dans notre cas, le défaut de transférer les déductions à la source et les cotisations a eu lieu vers la première moitié de l’année 2002, ce qui implique que la fiducie réputée existe depuis cette période.  À partir de ce moment, le patrimoine de 9093 n’incluait plus le montant de 7 784.70$.  Donc, lors de l’encaissement du certificat de dépôt le 8 avril 2003, la défenderesse s’est attribuée un montant auquel elle n’avait pas droit.

 

[22]           Il se pourrait également que la date de demande de paiement, ou encore la date de la prise de connaissance qu’un montant est dû en priorité, soient déterminantes.  Toutefois, dans notre cas, il me semble que le fait que la défenderesse se soit accaparée un montant sur lequel elle n’avait aucun droit m’apparaît être l’élément décisif.  Ainsi, je retiens la date du 8 avril 2003 pour fin de calcul de l’intérêt. 

 

IV.  Les frais

 

[23]           Étant donné l’admission de la défenderesse à l’effet que le montant réclamé est dû, j’adjuge les dépens à la partie demanderesse.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

-                     Accueille l’action du demandeur;

-                     Condamne la défenderesse à payer au demandeur la somme de 7 784.70$ avec intérêts au taux prescrit par la Loi de l’impôt sur le revenu à compter du 8 avril 2003 jusqu’à parfait paiement, conformément aux paragraphes 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales;

-                     Le tout avec dépens en faveur de la partie demanderesse.

 

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-731-06

 

INTITULÉ :                                       Procureur général du Canada c. Banque Toronto Dominion

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               20 mars 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  L’Honorable Juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 mars 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marie-Claude Landry

Me Louis Sébastien

POUR LE DEMANDEUR

Me Mélissa Rivest

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

LAPOINTE ROSENSTEIN

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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