Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20070419

Dossier : IMM-2456-06

Référence : 2007 CF 349

Toronto (Ontario), le 19 avril 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

 

ENTRE :

 

ALEJANDRO FABIAN AGRI

ADRIANA RUIZ

KEVIN AGRI-RUIZ

GIULIANA AGRI-RUIZ

 

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Les demandeurs sollicitent un traitement particulier parce qu’ils n’étaient pas représentés par un avocat lorsqu’ils ont demandé l’examen des risques avant renvoi (ERAR). Ils soutiennent que l’agent d’ERAR était tenu de leur expliquer toutes les étapes du processus et que la ligne directrice publiée par Citoyenneté et Immigration Canada était incomplète et trompeuse. Je ne souscris pas à ces affirmations.

 

[2]               Les demandeurs sont originaires d’Argentine. Ils ont prétendu avoir la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger parce que le demandeur principal, M. Agri, un homme d’affaires de la province de Mendoza, a été témoin du meurtre d’un autre homme d’affaires. La police aurait participé au meurtre. La demande d’asile a été rejetée. Les demandeurs avaient toutefois droit à un ERAR avant de retourner en Argentine. Ils se sont prévalus de cette possibilité. Les éléments de preuve qu’ils ont déposés comprenaient quatre documents que l’agent n’a pas examinés pour le motif qu’ils ne constituaient pas des éléments de preuve nouveaux. L’agent a souligné à juste titre que les documents concernaient des incidents antérieurs au rejet de la demande d’asile par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

 

[3]               L’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27, prévoit :

113.  Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows :

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

[4]               Il a été allégué qu’étant donné en particulier que les demandeurs n’étaient pas représentés par un avocat pendant l’ERAR, on aurait dû leur expliquer ce que sont de nouveaux éléments de preuve et ce qui constitue d’anciens éléments de preuve et, en outre, leur indiquer qu’il leur incombait d’expliquer pourquoi les « anciens » éléments de preuve n’ont pas été soumis à la Commission. De plus, la ligne directrice intitulée « Demande d’examen des risques avant renvoi – demandeurs d’asile déboutés » était trompeuse en ce sens qu’elle était incomplète. La ligne directrice mentionnait effectivement que les nouveaux éléments de preuve comprennent des preuves qui n’étaient pas normalement accessibles ou qu’il n’était pas normalement raisonnablement de s’attendre à ce qu’ils aient été présentés à la Commission, et qu’il était important d’identifier clairement ces nouveaux éléments de preuve cependant, elle ne précisait pas qu’il fallait expliquer pourquoi ces nouveaux éléments de preuve n’avaient pas été disponibles et présentés plus tôt. En l’espèce, les demandeurs ont préparé leur formulaire avec l’aide d’un organisme communautaire qui était en mesure de s’occuper de la traduction de l’anglais vers l’espagnol mais dont les conseillers n’avaient pas de formation juridique.

 

[5]               Même si les demandeurs ne savaient pas qu’une ligne directrice ne constitue pas la loi, s'ils avaient pris la peine de lire le formulaire en entier, ils auraient vu cet avertissement clair : « Ceci n’est pas un document juridique. Pour obtenir des renseignements juridiques, veuillez consulter la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2001 ainsi que le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002 ».

 

QUESTION EN LITIGE

[6]               La question en litige est celle de savoir si l’agent d’ERAR avait l’obligation d’expliquer aux demandeurs qu’étant donné que les éléments de preuve qu’ils avaient présentés n’étaient pas survenus après le rejet de leur demande d’asile, ils étaient tenus d’expliquer pourquoi ces éléments n’étaient pas normalement accessibles ou pourquoi il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’ils aient été présentés à la Commission. Si la réponse est affirmative, les demandeurs n’ont pas eu une audience équitable et ils ont droit à une nouvelle audience. Il n’appartient pas à la Cour de présumer quelle aurait pu être l’issue de la demande d’asile si l’agent avait tenu compte de ces éléments de preuve (Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643).

 

[7]               La norme de contrôle judiciaire qu’exige l’approche pragmatique et fonctionnelle énoncée par la Cour suprême n’est pas en litige. Les questions de justice naturelle ne sont pas visées par cette approche. La Cour n’est pas tenue de faire preuve de retenue à l'égard de la décision de l’agent. Une autre façon d’exprimer ce principe est de dire que la norme de contrôle est celle de la décision correcte (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, et Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404).

 

ANALYSE

[8]               Il incombait aux demandeurs d’établir le bien-fondé de leur demande. Même s’ils avaient produit des documents dont ne disposait pas la Commission, ils ne pouvaient pas légitimement s’attendre à ce l’agent considère ces documents comme de « nouveaux » éléments de preuve. Il ne s’agit pas non plus d’un cas qui soulevait des questions complexes et où les demandeurs auraient dû avoir la possibilité de répondre utilement aux arguments à réfuter. Voir, par exemple, Khwaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 522, [2006] A.C.F. no 703 (QL), et Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2006 CF 626, [2006] A.C.F. no 795 (QL). Une décision plus pertinente pour la présente espèce est celle que le juge Teitelbaum a rendue dans l’affaire Ngyuen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1001, [2005] A.C.F. no 1244 au paragraphe 17, dans laquelle il a déclaré ce qui suit au sujet de la Commission :

La Commission n’a pas l’obligation de tenir lieu de procureur pour un demandeur d’asile qui refuse de s’adresser à un avocat. Elle n’est pas tenue de dire au demandeur d’asile qu’il peut demander l’ajournement de l'audience et elle n’est pas tenu d’« instruire » le demandeur d’asile de tel ou tel point de droit soulevé par sa demande.

 

 

[9]               Même si on accepte que les demandeurs ignoraient qu’ils étaient tenus de fournir une explication, ainsi que l’a déclaré lord Atkin dans Evans c. Bartlam, [1937] A.C. 473, à la page 479 :

[traduction] Le fait est qu’il n’y a pas, et qu’il n’y a jamais eu, de présomption selon laquelle tout le monde connaît la loi. Il existe une règle selon laquelle l’ignorance de la loi n’est pas une excuse, une maxime ayant une portée et une application fort différentes.

 

 

[10]           Pour ces motifs, la demande doit être rejetée. À l’audience, il a été convenu que la partie qui n’obtiendrait pas gain de cause aurait la possibilité de proposer une question de portée générale aux fins de sa certification par la Cour d’appel. Les demandeurs auront jusqu’au mardi 10 avril 2007 pour soumettre une question de portée générale par l’intermédiaire du greffe de Toronto. L’intimé aura jusqu’au lundi 16 avril 2007 pour y répondre.

 

[11]           Après le prononcé des motifs originaux le 2 avril 2007, l’avocat de M. Agri a proposé que la question suivante soit certifiée :

[traduction] L’obligation pour un agent d’immigration d’agir équitablement a‑t‑elle une portée plus large à l’égard d’un demandeur non représenté par un avocat, de sorte qu’il doit lui donner la possibilité de produire tous les éléments de preuve pour satisfaire à une exigence particulière de la loi?

 

[12]           La décision du juge O’Reilly dans l’affaire Nemeth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590, [2003] A.C.F. no 776 (QL), a été invoquée. Les faits de cette affaire étaient très différents. M. Nemeth était représenté par un avocat; ce dernier n’était toutefois pas en mesure d’assister à l’audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et a demandé un ajournement. M. Nemeth a néanmoins comparu devant la Commission et a déclaré qu’il n’avait pas besoin d’un avocat. À l’audience, il est devenu évident que M. Nemeth ne comprenait pas ce qu’il devait faire et il était trop tard pour corriger les lacunes. La demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que, même si M. Nemeth n’avait pas été abandonné par son avocat et avait renoncé au droit d’être représenté par un avocat, il n’a pas eu une audience équitable car la Commission savait qu’il avait été représenté par un avocat jusqu’à la dernière minute et aurait dû être consciente de la possibilité qu’il soit mal préparé pour se représenter lui‑même. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Les Agri ont été représentés dès le début.

 

[13]           Il ressort très clairement des documents que publie la Commission qu’une partie a le droit, si elle le désire, d’être représentée par un avocat. La partie qui décide de ne pas retenir les services d’un avocat n’a pas le droit de s’attendre à ce que la Commission agisse à la fois comme décideur et comme représentante à la fois.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y aucune question à certifier.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2456-06

 

INTITULÉ :                                       Alejandro Fabian Agri

                                                            Adriana Ruiz

                                                            Kevin Agri-Ruiz

                                                            Giuliana Agri-Ruiz

                                                            c.

                                                            Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 27 mars 2007

 

MOTIFS MODIFIÉS DE

L’ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                             LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      le 19 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LES DEMANDEURS

David Tyndale

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.