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Date : 20070416

Dossier : IMM-1989-06

Référence : 2007 CF 391

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

AO JING PEI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, Ao Jing Pei, qui conteste la décision de l’agent des visas par laquelle celui-ci a refusé de lui délivrer un visa d’étudiant. M. Pei est un étudiant chinois, âgé de 23 ans, qui espérait venir au Canada pour étudier l’anglais, les affaires et les sciences appliquées. Cependant, ses deux demandes de visa d’étudiant ont été rejetées dans des décisions rendues par un agent des visas du Consulat du Canada à Hong Kong (le Ministère).

 


CONTEXTE

[2]               La décision initiale par laquelle le Ministère a rejeté la demande de visa a été rendue par lettre le 12 septembre 2005. Cette décision était fondée sur l’omission de M. Pei de documenter suffisamment toutes les ressources financières nécessaires, ainsi que leurs sources, en vue de financer les études qu’il envisageait de faire au Canada.

 

[3]               Le dossier indique que le 21 novembre 2005, le consul canadien à Hong Kong en matière d’immigration, John Burroughs, a écrit à l’avocate de M. Pei à Winnipeg, en réponse à une lettre de demande de renseignements datée du 7 novembre 2005. Bien que la lettre rédigée par l’avocate de M. Pei ne faisait pas partie du dossier de ce dernier, il semble que M. Burroughs était en train de répondre à une demande de réexamen de la décision initiale par laquelle la demande de visa avait été rejetée. Dans sa lettre, M. Burroughs a rejeté la demande de réexamen, mais a donné des conseils sur ce qui était requis de fournir comme preuve de financement dans le cadre d’une nouvelle demande. Il a avisé qu’il était nécessaire de [traduction] « fournir toute la preuve et la documentation pertinentes » pour établir l’admissibilité et que l’omission de fournir des renseignements complets pouvait entraîner une décision défavorable. Dans sa lettre, il a aussi mentionné qu’une décision définitive [traduction] « sera[it] très probablement prise sans autre communication avec vous ». M. Burroughs a ensuite donné des exemples de documents importants figurant dans la liste de contrôle affichée sur le site Web du Ministère, entre autres, les certificats de dépôt originaux, les carnets de banque ou les relevés de compte bancaire et d’explications écrites et les calculs indiquant les sources, la propriété et le total des ressources nécessaires. Il a terminé sa lettre en suggérant à M. Pei qu’il [traduction] « devrait s’assurer que tous les documents requis sont fournis conformément à notre trousse de demande ».

 

[4]               Le 23 janvier 2006, la deuxième demande de visa de M. Pei a été reçue à Hong Kong. En plus de la demande formelle, M. Pei a déposé des dossiers bancaires qui établissaient supposément que ses parents étaient des personnes bien nanties et en mesure de payer les coûts de ses études au Canada. Ces dossiers contenaient des certificats de dépôt, des permis d’exploitation de commerce, des inscriptions de carnets de banque et une attestation de vérification d’un comptable. Il était mentionné dans cette attestation que celle-ci était fondée sur des documents personnels fournis par le père de M. Pei et on y confirmait qu’en date du 14 octobre 2005, les fonds déposés étaient de l’ordre de 1 499 569,65 ¥.

 

[5]               Malgré la divulgation accrue de renseignements financiers de la part de M. Pei, sa deuxième demande de visa a été rejetée par lettre datée du 16 février 2006. Cette lettre indiquait que la décision était fondée sur le caractère insuffisant de la divulgation de renseignements financiers. Les notes électroniques du Ministère (les notes STIDI), où les préoccupations de l’agent des visas sont expliquées de façon détaillée, indiquent que celui-ci n’était pas convaincu que M. Pei avait suffisamment vérifié les sources d’épargnes de ses parents. L’agent des visas se posait aussi des questions au sujet de la logique du plan d’études canadien de M. Pei et a souligné le fait que la sœur de celui-ci avait récemment été admise comme résidente permanente au Canada. Ce dernier facteur a été décrit comme une très bonne raison pour M. Pei de demeurer au Canada et a mené l’agent à conclure qu’il n’était [traduction] « pas convaincu que [M. Pei] est un véritable étudiant ». M. Pei sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[6]               (a)        Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par la présente

demande?

 

(b)                    L’agent des visas a-t-il commis des erreurs susceptibles de contrôle judiciaire dans sa décision de rejeter la demande de visa d’étudiant de M. Pei?

 

ANALYSE

[7]               Une analyse utile de la question de la norme de contrôle applicable aux décisions relatives aux visas se trouve dans la décision Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1597, 2006 C.F. 1283. Cependant, à la lumière des conclusions que j’ai tirées en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle. La décision par laquelle M. Pei s’est vu refuser un visa d’étudiant, fondée sur le caractère insuffisant de sa divulgation de nature financière, était raisonnable à la lumière du dossier. Le fait que l’agent des visas aurait pu manquer à une obligation d’agir avec équité n’est pas pertinent à l’issue de l’affaire, car le résultat n’aurait pas été différent après réexamen.

 

[8]               M. Pei conteste la décision par laquelle sa demande de visa a été rejetée pour les motifs qui suivent :

(a)                L’agent des visas a manqué à son obligation d’agir avec équité en omettant de faire part de ses préoccupations à M. Pei en ce qui a trait au caractère suffisant des renseignements financiers déposés.

(b)                La décision était abusive, arbitraire et incompatible avec les documents financiers fournis, lesquels étaient suffisants pour répondre à toute préoccupation raisonnable.

(c)                La conclusion de l’agent des visas selon laquelle le plan d’études de M. Pei n’était pas logique était soit hypothétique, soit fondée sur des renseignements extrinsèques et, à ce titre, l’équité exigeait que ce dernier ait l’occasion d’expliquer son plan.

(d)                La conclusion de l’agent des visas fondée sur sa préoccupation selon laquelle M. Pei aurait été encouragé par sa famille à demeurer au Canada était susceptible de contrôle judiciaire pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point (c) ci-dessus.

 

[9]               L’avocate de M. Pei a reconnu que le Ministère n’a en règle générale aucune obligation envers le demandeur de visa de relever les lacunes de sa demande avant de rendre une décision. Ce point a été bien établi par la jurisprudence : voir, par exemple, Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1144, 2001 C.F.P.I. 791, au paragraphe 21.  Néanmoins, l’avocate allègue qu’une telle obligation de diligence peut survenir lorsque le Ministère a créé une attente raisonnable selon laquelle ses préoccupations ou besoins sont limités, mais que celui-ci fonde ensuite sa décision sur d’autres motifs. En l’espèce, M. Pei affirme qu’il a été induit en erreur par la lettre de M. Burroughs et qu’il croyait que tout ce qui était exigé était une certaine preuve des fonds laissés en dépôt par ses parents.

 

[10]           Bien que je sois prêt à accepter le bien-fondé de l’argument de l’avocate selon lequel le principe des attentes raisonnables peut découler des observations faites par le Ministère, je ne suis pas convaincu que la lettre de M. Burroughs pouvait raisonnablement créer une telle attente. Cette lettre indiquait à M. Pei et à son avocate, de manière assez explicite, que la nouvelle demande devait être documentée de façon complète, conformément aux exigences énoncées par le Ministère. Il n’était pas raisonnable pour M. Pei de traiter la deuxième demande comme étant une prolongation de la première. De plus, il était présomptueux de s’attendre à ce que l’agent des visas réexamine le dossier de la première demande de visa en ayant à l’esprit de combler les lacunes de la divulgation à l’appui de la deuxième demande. Ce motif de contrôle est donc rejeté. 

 

[11]           Il a aussi été allégué au nom de M. Pei que sa divulgation de renseignements financiers était suffisante pour dissiper toute crainte raisonnable concernant le financement de ses études au Canada. Il a été soutenu que la décision contraire était abusive et incompatible avec la preuve. 

 

[12]           Cependant, l’avocate du défendeur relève plusieurs problèmes importants quant à la divulgation de nature financière de M. Pei et appuie de façon convaincante la décision rendue par l’agent des visas. J’accepte l’argument de celle-ci selon lequel les préoccupations de l’agent des visas allaient au-delà de la divulgation de la preuve des fonds accumulés. Il est souligné dans les notes STIDI du Ministère que l’agent avait une plus grande préoccupation, notamment la question concernant la source des ressources parentales et celle de savoir si les « épargnes » prétendument détenues étaient sûres et disponibles. 

 

[13]           Les réserves de l’agent des visas quant aux renseignements d’ordre financier n’étaient pas déraisonnables compte tenu de l’omission de M. Pei de répondre adéquatement aux questions posées dans la demande de visa. Par exemple, lorsqu’on lui a demandé de nommer les immobilisations que la famille avait en sa possession, y compris le pourcentage de participation, le montant investi et la valeur comptable actuelle, M. Pei a seulement donné le nom de l’entreprise : Taishan No. 7 Building and Construction Company (Taishan). La seule preuve documentaire fournie qui portait sur Taishan était un permis d’exploitation sur lequel les parents de M. Pei n’étaient nullement mentionnés en tant que propriétaires. Les notes STIDI de l’agent des visas font expressément référence à l’absence de vérification de cette revendication de propriété et aussi à d’autres éléments de preuve selon lesquels les parents de M. Pei étaient des employés de Taishan. Bien qu’un autre permis d’exploitation ait été fourni pour confirmer que le père de M. Pei était propriétaire d’une deuxième entreprise, aucune référence n’a été faite quant à cette entreprise ailleurs dans la demande de visa et aucun indice n’a été offert quant à sa valeur ou sa rentabilité. Même si les dossiers bancaires font état de dépôts importants et, dans certains cas, de larges retraits, aucune explication suffisante n’est offerte quant à la source de ces fonds. Aucune explication n’est donnée pour savoir s’il s’agissait de salaires, de dividendes ou de revenus de participation aux bénéfices. Les notes STIDI font aussi état de préoccupations supplémentaires concernant l’absence de références d’emploi pour les parents de M. Pei combinées avec l’omission de préciser le revenu annuel de ceux-ci. Compte tenu du fait que cela ne devrait pas être une tâche difficile pour une famille censée être bien nantie de consigner de façon complète et convaincante sa situation et ses antécédents financiers, toutes les imprécisions et les contradictions relevées dans les dossiers présentés au Ministère ont donné lieu à des préoccupations raisonnables et il était compréhensible que l’agent des visas ne soit toujours pas convaincu par la demande de M. Pei.

 

[14]           En bout de ligne, on demande à la Cour d’examiner à nouveau la preuve déposée relativement à la demande de M. Pei. Cependant, ce n’est pas le rôle de la Cour qui effectue le contrôle judiciaire d’examiner à nouveau la preuve ou de substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui qui appartient, à juste titre, à l’agent des visas. De plus, même si je possédais ce pouvoir, je ne serais pas arrivé à une conclusion différente à la lumière du dossier. Par conséquent, et nonobstant les arguments solides de Mme Adachi, ce motif de contrôle est rejeté.

 

[15]           Il a aussi été allégué au nom de M. Pei que les observations négatives de l’agent des visas quant au plan d’études de celui-ci étaient fondées sur des hypothèses selon lesquelles, plus précisément, le programme d’études canadien envisagé correspondait de façon générale au programme qu’il suivait en Chine. Une contestation semblable a été formulée en ce qui a trait aux préoccupations de l’agent des visas concernant le prétendu encouragement pour que M. Pei demeure au Canada, à savoir, la présence anticipée de sa sœur au pays. À la lumière du dossier, je reconnais que ces observations étaient très hypothétiques et nécessitaient peut-être que l’agent des visas informe M. Pei de ses préoccupations et lui permette d’y répondre d’une quelconque façon : voir la décision Hassani, précitée. Cependant, ces questions pourraient être pertinentes pour l’agent des visas aux fins de déterminer si l’intention d’étudier au Canada alléguée par M. Pei était véritable. Il a été confirmé par la Cour d’appel fédérale, dans la décision Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 246 N.R. 377, [1999] A.C.F. no 1049 (C.A.) que de telles questions peuvent être pertinentes dans une telle décision. La Cour a souligné au paragraphe 13 :

13.  Nous sommes fermement convaincus que l'agent des visas a compétence, même dès la première demande d'un tel visa, pour examiner l'ensemble des circonstances, y compris l'objectif à long terme du demandeur. Un tel objectif est un élément pertinent, bien que non concluant, qu'il faut soupeser avec tous les autres faits et facteurs3 pour déterminer si le demandeur est un visiteur au sens de la Loi.  

 

Note en bas de page 3.  Notamment : les liens avec le pays d'origine, la plausibilité des motifs présentés pour étudier au Canada, l'âge du demandeur, l'admission préalable accordée par une institution d'enseignement au Canada, ainsi que la probabilité de retour au pays d'origine.

 

 

[16]           Bien que l’agent des visas ait exprimé une préoccupation quant à la bonne foi de M. Pei, il ressort assez clairement de sa décision que le facteur dominant dont il a tenu compte a été l’omission de M. Pei d’examiner l’étendue de sa capacité financière. Je suis d’accord avec l’avocate du défendeur pour dire que le problème fondamental serait toujours présent même si la demande de visa de M. Pei était renvoyée à Hong Kong pour qu’il soit statué à nouveau sur elle. À la lumière du présent dossier, la demande de M. Pei est inévitablement encore vouée à l’échec. Dans ces circonstances, même s’il y a eu un manquement à l’obligation d’équité procédurale, une décision ne devrait pas être renvoyée pour qu’il soit statué à nouveau sur elle si elle est vouée à l’échec : voir la décision Thaneswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 253, 2007 C.F. 189 au paragraphe 25.

 

[17]           À mon avis, M. Pei aurait davantage intérêt à présenter une nouvelle demande de visa d’étudiant qui indiquerait de façon complète les ressources financières dont dispose sa famille en vue de payer ses études. S’il décide de procéder de la sorte, le Ministère devrait éviter le genre d’hypothèses fâcheuses qui ont été avancées dans les notes STIDI au sujet du bien-fondé du plan d’études du demandeur ou de l’encouragement qu’il aurait reçu de sa famille à demeurer au Canada. Même si ces facteurs peuvent être pris en compte, ils doivent être appuyés par la preuve et il se peut aussi qu’on exige de l’agent des visas qu’il fasse part de ses préoccupations à M. Pei avant de rendre sa décision. 

 

[18]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[19]           Les parties n’ont pas proposé une question aux fins de certification et aucune question de portée générale n’a été soulevée.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, trad.


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                              IMM-1989-06

 

INTITULÉ :                                                                            AO JING PEI

                                                                                                 c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                      WINNIPEG

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                    LE 10 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                   LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 16 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Midori Adachi

 

POUR LE DEMANDEUR

Dayna Anderson

 

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Midori Adachi

Booth Dennehy LLP

387 Broadway

Winnipeg (Manitoba) R3C 0V5

 

                               POUR LE DEMANDEUR

Dayna Anderson

Ministère de la Justice

Région des Prairies

301 – 310 Broadway

Winnipeg (Manitoba) R3C 0S6

                              POUR LE DÉFENDEUR

 

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