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Date : 20070420

Dossier : DES‑4‑02

Référence : 2007 CF 416

 

ENTRE :

MOHAMED HARKAT

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE NOËL

[1]               Le 23 mai 2006, la Cour a rendu une ordonnance portant que M. Harkat avait le droit d’être mis en liberté, à la condition qu’il respecte toutes les conditions énoncées dans celle‑ci. La Cour a par la suite révisé et modifié ces conditions de façon à ce qu’elles soient adaptées à la situation très particulière de M. Harkat. Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, notamment aux paragraphes 108 à 124, la Cour suprême du Canada s’est expressément penchée sur les questions de la détention et des solutions de rechange à la détention. Élément particulièrement pertinent en regard de la présente requête, la Cour suprême s’est dite d’avis que les conditions de mise en liberté devaient « être révisées régulièrement ». Aux termes de ce processus de révision, il est nécessaire, si la preuve montre clairement que la demande en est opportune, d’affirmer les conditions de mise en liberté. Par la présente demande, M. Harkat demande à la Cour de modifier les conditions de sa mise en liberté.

 

[2]               Dans l’arrêt Charkaoui, précité, au nom de la Cour suprême, la juge en chef McLachlin a conclu que la procédure applicable aux certificats prévue à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), contrevenait à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 1 (R.‑U.) (la Charte). Il faut, pour assurer la constitutionnalité de cette procédure, trouver une méthode assurant la protection des droits de la personne faisant l’objet du certificat de sécurité lors d’audiences publiques, privées ou à huis clos. La juge en chef a accordé un an au législateur pour modifier la loi et rendre la procédure applicable aux certificats conforme à la Constitution.

 

[3]               Pour l’instant, M. Harkat est toujours soumis à des conditions de mise en liberté. La Cour suprême du Canada a jugé valides les périodes prolongées de détention pour les personnes visées par des certificats de sécurité, dans la mesure où elles peuvent faire réviser régulièrement cette détention. La juge en chef a également reconnu que la libération conditionnelle peut constituer une solution de rechange à la détention lorsque le juge estime, lors de la procédure de contrôle de la détention, qu’elle constituerait une réponse proportionnée au danger posé par la personne visée par un certificat. Cela dit, les conditions de la mise en liberté doivent régulièrement faire l’objet d’une révision qui tienne compte de différents facteurs. Tel est le cadre que la Cour doit respecter lorsqu’elle est saisie d’une demande de modification de conditions de mise en liberté.

 

[4]               Avant d’énumérer les modifications demandées par M. Harkat, il sera utile, pour bien les comprendre, de donner un aperçu de la situation juridique de ce dernier. Le 22 mars 2005, la juge Dawson de notre Cour a jugé être raisonnable le certificat signé par le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration après avoir conclu que M. Harkat, un étranger, était interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité aux termes du paragraphe 77(1) de la LIPR (Re Harkat, 2005 CF 393, paragraphes 143 et 144).

 

[5]               Dans un autre jugement daté du 23 novembre 2006, la Cour, saisie par M. Harkat d’une demande de mise en liberté, a accueilli cette demande, en l’assortissant de conditions (Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 628 (ordonnance de mai 2006)). Dans l’ordonnance de mai 2006, la juge Dawson a statué qu’il était essentiel d’imposer des conditions de mise en liberté afin de s’assurer que M. Harkat ne constituait pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui (paragraphe 68) :

 

[…] je suis convaincue que la mise en liberté de M. Harkat sans que des conditions soient imposées constituerait un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. S’il n’était pas surveillé, par exemple, M. Harkat serait en mesure de reprendre contact avec des membres du réseau islamiste extrémiste.

 

 

[6]               Aux fins d’établir les conditions de mise en liberté de M. Harkat, la juge Dawson a passé en revue les propositions des parties puis elle a elle‑même établi un ensemble de conditions pouvant neutraliser le danger auquel donnerait lieu la mise en liberté de M. Harkat. La juge a alors mis en balance le danger posé et l’imposition, par elle, de conditions de mise en liberté :

En examinant s’il existe des conditions pouvant neutraliser ou contrecarrer le danger posé, j’ai gardé à l’esprit la nécessité que les conditions soient adaptées particulièrement à la situation de M. Harkat. Elles doivent être conçues de manière à empêcher la participation de M. Harkat à toute activité consistant à commettre, à encourager ou à faciliter des actes de terrorisme, à être l’instigateur de tels actes, ou sa participation à toute activité semblable. Les conditions doivent être proportionnelles au risque que pose M. Harkat.

 

(Ordonnance de mai 2006, paragraphe 83)

 

[7]               Mme Sophie Harkat a souscrit un affidavit détaillé à l’appui de la demande de modification des conditions de mise en liberté de M. Harkat. Elle a également fait une longue déposition à l’audience. Deux autres affidavits, de MM. Benoit Renaud et Matthew Behrens, ont été déposés relativement à leur demande de visite de M. Harkat à sa résidence. Pour sa part, le demandeur n’a ni témoigné ni déposé d’affidavit.

 

[8]               On demande maintenant à la Cour de modifier les conditions de mise en liberté de M. Harkat même si aucune preuve n’a été produite quant au danger posé par cette mise en liberté, hormis l’écoulement du temps depuis qu’a été rendue la dernière ordonnance.

 

[9]               Il sera utile, à l’égard non seulement de M. Harkat, mais aussi en vue de toute audience future de révision de libération conditionnelle visant à établir s’il convient d’approuver les modifications proposées aux conditions existantes, d’énumérer les lignes directrices générales découlant de l’arrêt Charkaoui, précité, rendu par la Cour suprême du Canada. Ces lignes directrices contribueront à rendre plus rationnel le processus de révision des demandes de modifications dans les affaires de certificat de sécurité. Il faut comprendre que cette liste de lignes directrices n’est pas exhaustive, et il faudra s’en servir en fonction du contexte lors d’un tel processus de révision. La Cour devra alors prendre en compte les facteurs énoncés ci‑après à l’égard de chacune des modifications proposées. Comme toutefois les audiences de révision sont fortement tributaires des faits et que chaque cas est un cas d’espèce, chacun des facteurs énumérés ne s’appliquera pas de manière égale pour chacune des modifications demandées et, dans certains cas, un facteur donné pourra s’avérer plus pertinent que les autres. Ces lignes directrices sont les suivantes :

a)      La modification demandée changera‑t‑elle de manière fondamentale les conditions imposées à l’origine? Peut‑on plus exactement qualifier la modification demandée d’affinement des conditions originales?

b)      La modification demandée constitue‑t‑elle une mesure proportionnée à la nature du danger posé par l’intéressé, et continuera‑t‑elle à neutraliser cette menace?

c)      Y a‑t‑il un motif pour lequel la modification n’a pas été demandée à l’origine?

d)      Lors de la mise en liberté initiale, existait‑il des faits inconnus non rapportés à la Cour qui auraient pu modifier les conditions originales de mise en liberté?

e)      A‑t‑il été produit une preuve à l’appui de la modification demandée?

f)        Y a‑t‑il des faits nouveaux qui n’existaient pas lorsqu’on a établi les conditions originales?

g)      La modification demandée constitue‑t‑elle une solution de rechange raisonnable à la condition passée en revue?

h)      Demande‑t‑on la modification en raison d’interprétations divergentes données à la formulation des conditions originales?

i)        L’écoulement du temps doit être pris en compte de concert avec les autres facteurs.

 

[10]           Je vais résumer maintenant comme suit les modifications demandées par M. Harkat en l’espèce :

1.                  Que toutes les personnes préautorisées par l’ASFC comme visiteurs au 12, Walton Court soient autorisées à rendre visite à M. Harkat à sa nouvelle résidence. Les parties sont d’accord sur ce point.

2.                  Que M. Harkat soit autorisé à recevoir à sa résidence la visite de MM. Benoit Renaud et Matthew Behrens; cela avait été auparavant refusé par l’ASFC en raison de leur casier judiciaire.

3.                  Que des réparations d’urgence puissent être effectuées à la résidence de M. Harkat, au besoin, pourvu que la période prévue des travaux et le nom de l’entreprise devant les effectuer soient communiqués à l’avance à l’ASFC. M. Harkat demande qu’il ne soit pas exigé de communiquer le nom et la date de naissance des personnes faisant les travaux.

4.                  Que soit prolongée de 21 h à 23 h la période pendant laquelle M. Harkat peut se trouver dans la cour de sa résidence. Les parties sont d’accord sur ce point.

5.                  Que M. Harkat soit autorisé à demeurer seul, sans la présence d’une caution de surveillance, dans sa résidence ou sur sa propriété.

6.                  Que l’on fasse passer de trois à cinq le nombre des sorties hebdomadaires possibles de M. Harkat.

7.                  Que toute personne préautorisée comme visiteur à la résidence de M. Harkat ne soit pas tenue de demander d’autorisation pour rencontrer M. Harkat hors de sa résidence lorsqu’il effectue une sortie préalablement autorisée.

8.                  Qu’il soit permis à M. Harkat de rencontrer des députés et les membres de comités parlementaires relativement à des questions liées à la sécurité nationale, à la sécurité publique et à l’immigration sans avoir à demander pour chaque rencontre l’autorisation préalable de l’ASFC.

9.                  Que M. Harkat puisse présenter à l’ASFC pour approbation une liste d’entités médiatiques avec le personnel desquelles il soit autorisé à communiquer sans autorisation préalable individuelle de l’ASFC, pourvu que tout pareil membre du personnel soit muni de l’identification officielle de l’entité autorisée concernée.

10.              Qu’il soit permis à M. Harkat de prendre part à des conférences et des rassemblements ayant trait à des questions liées aux certificats de sécurité, y compris à des manifestations organisées ou parrainées par le Comité Justice pour Mohamed Harkat.

11.              Que les visites de M. Harkat au cabinet de ses avocats pour rencontrer ces derniers et ses comparutions en cour pour les affaires auxquelles il est partie ne soient pas comptées au titre de l’une de ses visites hebdomadaires autorisées.

12.              Que M. Harkat soit préautorisé à comparaître devant la Cour suprême du Canada et à prendre part à toute conférence de presse connexe le jour où la Cour suprême tranchera son appel. Cette demande est maintenant sans intérêt pratique depuis que la Cour suprême a rendu l’arrêt Charkaoui, précité. J’ai néanmoins inclus cette demande dans la liste à des fins d’exhaustivité et de référence future.

13.              Que la Cour précise qu’on ne doit pas interpréter l’obligation d’obtenir au préalable des autorisations pour les rencontres lors de sorties préautorisées, prévue au point 10(iii)b) de l’ordonnance de mai 2006, comme visant les employés de magasins et les autres personnes qui dispensent généralement des services au public.

14.              Que M. Harkat puisse se déplacer dans les zones commerciales préautorisées aux fins d’une sortie particulière sans avoir à préciser les magasins précis dans lesquels lui et la caution de surveillance vont entrer.

15.              Qu’un délai d’un jour ouvrable soit considéré suffisant pour l’autorisation d’une visite particulière. Que la Cour accède ou non à cette demande, que les délais de préavis soient calculés à compter du moment où ils sont transmis par courriel ou par téléphone et non à compter du moment où ils sont effectivement reçus par l’ASFC.

16.              Que la région géographique où M. Harkat peut se trouver soit élargie de manière à comprendre la ville de Gatineau.

17.              Qu’il soit permis à M. Harkat et à la caution de surveillance d’utiliser les voies de contournement Blackburn Hamlet et Innes Road et l’autoroute 417 pour aller de Walkley Road jusqu’au centre‑ville d’Ottawa ou à Orléans, et qu’il leur soit permis d’utiliser le côté sud de Innes Road. Les parties sont d’accord sur ce point.

18.              Qu’il soit permis à M. Harkat de se promener deux heures par jour avec l’une des cautions de surveillance dans les environs immédiats de sa résidence sans avoir à y être autorisé au préalable. On propose que M. Harkat téléphone à l’ASFC avant de partir en promenade, puis immédiatement après son retour, et que M. Harkat et l’ASFC s’entendent à l’avance sur le trajet qui sera parcouru.

19.              Lorsque M. Harkat a besoin des soins médicaux, des soins dentaires ou des soins professionnels semblables, qu’il ne soit pas tenu de fournir à l’ASFC des renseignements personnels sur les prestataires de services.

20.              Que lors de rendez‑vous chez le médecin, le dentiste ou un autre professionnel de la santé semblable, que M. Harkat soit autorisé à recevoir des soins médicaux sans la présence de la caution de surveillance, qui l’attendrait hors de la salle de traitement. Qu’à l’inverse, lorsque la caution de surveillance reçoit des soins médicaux, M. Harkat soit lui aussi autorisé à l’attendre dans la salle d’attente.

21.              Que lorsque la caution de surveillance qui l’accompagne en public est une femme, que M. Harkat soit autorisé à utiliser une toilette publique sans la présence de cette caution, qui l’attendrait à l’extérieur de la toilette. Qu’à l’inverse M. Harkat puisse attendre seul à l’extérieur de la toilette lorsque cette femme doit utiliser une toilette publique.

22.              Que passe de quatre à six heures la durée permise des sorties préautorisées. Subsidiairement, si la Cour n’accède pas à cette demande, que la durée d’une sortie puisse être de six heures lorsqu’il s’agit d’un rendez‑vous médical.

 

[11]           À la fin de l’audience, après avoir entendu la preuve de chacune des parties, j’ai proposé aux avocats des parties qu’ils tentent de s’entendre sur certaines des demandes formulées. Je leur ai laissé jusqu’au 26 mars 2007 pour qu’ils en arrivent à une entente. Au terme de ces discussions, ils n’ont pu s’entendre que sur trois demandes :

-                     Les personnes préautorisées comme visiteurs au 12, Walton Court sont autorisés à rendre visite au demandeur à sa nouvelle résidence (demande 10(1));

-                     On doit interpréter la mention de la région géographique au point 10 de l’ordonnance de mai 2006 comme comprenant l’utilisation des voies de contournement Blackburn Hamlet et Innes Road, de l’autoroute 417 entre Walkley Road et l’autoroute 174 pour se rendre au centre‑ville d’Ottawa ou à Orléans et le côté sud de la Innes Road de façon à permettre l’accès aux magasins de détail qui donnent sur celle‑ci (demande 10(17));

-                     Le demandeur est autorisé à se trouver dans la cour de sa résidence jusqu’à 23 h (demande 10(4)).

[12]           Pour clarifier les choses, j’ai réparti en trois catégories les modifications demandées :

A.     les questions liées à la résidence de M. Harkat (points 10(1) à 10(6));

B.     les questions liées aux activités de M. Harkat lors de sorties autorisées (points 10(7) à 10(18));

C.     les questions liées à des besoins personnels (points 10(19) à 10(22)).

 

A.                 Les questions liées à la résidence de M. Harkat (points 10(1) à 10(6))

 

[13]           En ayant présentes à l’esprit les lignes directrices énumérées au paragraphe 9 ci‑dessus, je vais maintenant examiner chacune des demandes formulées.

 

[14]           Comme je l’ai dit, les parties se sont entendues sur le fait que les visiteurs que l’ASFC avait autorisés à se rendre à l’ancienne résidence de M. Harkat sont autorisés à rendre visite à ce dernier à sa résidence actuelle sans avoir à se soumettre à un nouveau processus d’enquête. L’ASFC, toutefois, disposera toujours du pouvoir de rayer quiconque, pour des motifs valables, de la liste des visiteurs autorisés.

 

[15]           Par ailleurs, la Cour va accéder à la demande de modification visant à permettre à M. Benoit Renaud et M. Mathew Behrens de se rendre à la résidence de M. Harkat, bien que chacun d’eux ait un casier judiciaire. En principe, l’existence d’un casier judiciaire constitue en soi un critère clair et la Cour ne se penchera pas, dans ce cas, sur les faits ayant donné lieu aux déclarations de culpabilité. Comme je l’ai déjà mentionné, en outre, la Cour ne modifiera pas en l’absence d’une preuve claire les conditions de mise en liberté qu’elle avait précédemment fixées, parmi lesquelles celle portant que M. Harkat « ne devra pas, à quelque moment ou de quelque manière que ce soit, s’associer ou communiquer directement avec […] (ii) toute personne qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, a un casier judiciaire (point 11 de l’ordonnance de mai 2006). Cela dit, j’estime qu’en ce qui concerne MM. Renaud et Behrens, je conviens que des preuves ont été produites justifiant une exception au point 11(ii) de l’ordonnance de mai 2006. Plus précisément, je conclus que les infractions commises par eux étaient de caractère relativement mineur (M. Renaud a été déclaré coupable d’attroupement illégal et M. Behrens, dans les années 1980, de méfait et de tapage) – au bas de l’échelle parmi les infractions pénales – et qu’il existe par ailleurs des raisons valables et bien fondées de permettre à ces personnes de rencontrer M. Harkat, vu le rôle qu’elles jouent dans la défense de la cause politique de ce dernier. Toute autre personne ayant un casier judiciaire devra toutefois demander l’autorisation de la Cour avant de pouvoir entrer en contact avec M. Harkat.

 

[16]           Les réparations d’urgence dans la résidence sont autorisées, sans que les ouvriers aient à être nommément préautorisés, pourvu que l’on fasse connaître à l’ASFC la durée prévue des travaux ainsi que le nom de l’entreprise concernée. M. Harkat ne pourra pas communiquer avec les ouvriers, de quelque manière ou à quelque moment que ce soit, pendant la durée des travaux. S’il devait y avoir un nombre élevé d’ouvriers sur les lieux, ou si des questions de logistique le rendait nécessaire, l’ASFC pourra exiger que M. Harkat se rende dans la cour plutôt que de demeurer dans la résidence ou, s’il fait mauvais temps, qu’il s’installe dans une automobile en marche avec une caution de surveillance.

 

[17]           Comme je l’ai dit, une fois encore, les parties ont convenu que M. Harkat soit autorisé à se trouver jusqu’à 23 h dans la cour de sa résidence, sous la surveillance d’une caution. La Cour estime que c’est là une modification raisonnable à apporter aux conditions de mise en liberté de M. Harkat, puisqu’on prévoit une heure fixe plutôt que de proposer comme on l’avait fait précédemment – une question déjà examinée dans Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1105, au paragraphe 14 (l’ordonnance de septembre 2006) – une expression telle que « tombée de la nuit », qui peut donner lieu à des violations par inadvertance. Je signale qu’il ne s’agit pas là d’une modification fondamentale mais plutôt d’une simple précision apportée aux conditions actuelles.

 

[18]           Pour ce qui est maintenant d’autoriser M. Harkat à demeurer dans sa résidence sans que soit présente une caution de surveillance, je ne suis pas convaincu qu’il existe la moindre raison de s’écarter de ce que la Cour a précédemment décidé à ce sujet. La juge Dawson s’est exprimée en ces termes à cet égard dans les motifs de son ordonnance de mai 2006 (paragraphe 76) :

Je demeure convaincue que, tout au long de la présente instance, le témoignage de M. Harkat devant la Cour était mensonger sur diverses questions d’importance. Dès lors, on ne peut assortir la mise en liberté de M. Harkat de conditions en prenant pour acquis la bonne foi ou l’honnêteté de ce dernier. À mon avis, cela milite à l’encontre de conditions telles que celles proposées qui lui permettraient d’être seul dans son domicile […]

 

Je ne suis pas convaincu pour ma part que le témoignage rendu à l’audience ou que le dossier de la demande qu’on lui a présenté permettent à la Cour d’envisager s’écarter aussi radicalement de l’ordonnance de mai 2006. Le témoignage rendu pour le compte de M. Harkat par son épouse mettait plutôt l’accent, bien au contraire, sur le fardeau qui incombait à celle‑ci en tant que caution de surveillance. Une telle preuve ne suffit pas pour qu’on apporte une modification aussi fondamentale aux conditions de mise en liberté de M. Harkat.

 

[19]           Dans l’ordonnance de mai 2006, la juge Dawson a déclaré sans ambages : « [e]n examinant s’il existe des conditions pouvant neutraliser ou contrecarrer le danger posé, j’ai gardé à l’esprit la nécessité que les conditions soient adaptées particulièrement à la situation de M. Harkat ». Dans les paragraphes qui suivent, la juge Dawson a déclaré à nouveau que les conditions de mise en liberté de M. Harkat ont été adaptées avec soin en se fondant, dans une grande mesure, sur le rôle que joueraient les cautions de surveillance pour s’assurer que soit réduit au minimum le danger posé par M. Harkat. Cela a été confirmé dans l’ordonnance de septembre 2006 lorsque la Cour, au paragraphe 23, a expressément rejeté l’argument selon lequel, puisque l’ASFC surveillait M. Harkat, il n’était pas nécessaire que ce dernier soit accompagné de cautions de surveillance lorsqu’il effectuait des sorties autorisées.

 

[20]           Dans l’arrêt Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 259, paragraphe 12, la Cour d’appel fédérale a fait état de la conclusion de la juge Dawson selon laquelle M. Harkat avait menti à la Cour et déclaré ne pas remettre en question cette conclusion.

 

[21]           La Cour d’appel fédérale a reconnu en outre, aux paragraphes 40 à 42 de la décision, que la juge Dawson n’était pas convaincue que les cautions pouvaient par elles‑mêmes « exercer une influence suffisamment forte » sur M. Harkat, et qu’elle avait donc imaginé des conditions « adaptées particulièrement à la situation » de ce dernier. La Cour d’appel fédérale a statué à cet égard : « Nous sommes convaincus que le choix des cautions de la part de la juge désignée n’est pas vicié au point d’éclipser l’effet cumulatif de l’ensemble des conditions ».

 

[22]           Ces extraits militent contre la modification des conditions de mise en liberté de M. Harkat afin que ce dernier puisse être laissé sans surveillance, la juge Dawson et la Cour d’appel fédérale ayant clairement indiqué que la présence de cautions de surveillance constituait un élément essentiel de ces conditions pour neutraliser le danger posé par M. Harkat. La preuve produite ne m’a pas convaincu que cette condition n’est pas proportionnée à la nature de la menace que représente M. Harkat.

 

[23]           Ayant tiré cette conclusion, je signale que M. Harkat n’a pas témoigné lors du plus récent contrôle des conditions de sa mise en liberté et qu’il ne s’est ainsi pas soumis à un contre‑interrogatoire. Par conséquent, je ne dispose d’aucun élément me permettant de réviser les conclusions sur la fiabilité, ou plus précisément l’absence de fiabilité, tirées précédemment par la Cour. La teneur du témoignage de Mme Harkat était que le rôle de caution de surveillance était difficile à jouer, et que le fardeau assumé par elle et les restrictions qui ont marqué sa vie personnelle se sont avérés très onéreux. Le témoignage de Mme Harkat ne mettait pas l’accent sur la fiabilité de son époux. À mon avis, le seul écoulement du temps, si rien ne l’accompagne, ne rend guère M. Harkat plus fiable qu’il ne l’était auparavant aux yeux de la Cour. Il ne convient donc pas en l’espèce de permettre à M. Harkat de demeurer seul à son domicile pour l’instant. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a précisément pris en compte ce qu’a dit Mme Harkat dans son témoignage quant à sa préférence pour cette modification par rapport à toute autre demandée. Je dois dire à nouveau, toutefois, que la preuve qu’on m’a produite ne la justifie pas à l’heure actuelle.

 

[24]           Je rejette aussi pour le moment la demande de faire passer de trois à cinq le nombre de sorties hebdomadaires autorisées de M. Harkat. La Cour avait rejeté cette même demande dans l’ordonnance de septembre 2006 (paragraphe 13), au motif que trop peu de temps s’était alors écoulé pour qu’il soit justifié d’assouplir cette condition de la mise en liberté. Je reconnais qu’environ six mois se sont écoulés depuis que la juge Dawson a rendu sa décision. L’écoulement du temps n’est toutefois qu’un des facteurs parmi divers autres à prendre en compte à cet égard. Étant d’avis que la situation actuelle peut être gérée, et en l’absence d’argument convaincant quant à la suffisance de l’écoulement du temps comme motif d’augmentation du nombre des sorties hebdomadaires autorisées, je ne puis modifier cette condition. Aucune preuve n’a en outre été produite quant à l’existence de nouveaux faits faisant voir la nécessité d’augmenter le nombre de sorties autorisées, ou quant à la méconnaissance par la Cour de ces mêmes faits importants lorsqu’elle a imposé cette condition.

 

 

B.                 Les questions liées aux activités de M. Harkat lors de sorties autorisées (points 10(7) à 10(18))

 

 

[25]           Les personnes figurant sur la liste des personnes autorisées à l’avance à rendre visite à M. Harkat à sa résidence peuvent également rencontrer ce dernier lors de ses sorties autorisées. Ce n’est pas là une modification fondamentale des conditions de mise en liberté puisque l’ASFC a déjà autorisé l’entrée en contact de M. Harkat avec ces personnes. Par conséquent, M. Harkat n’aura pas à demander l’autorisation de l’ASFC avant de telles rencontres, du moment que la sortie en cause est autorisée. J’insiste toutefois sur le fait que c’est à M. Harkat et à sa caution de surveillance qu’il incombera de vérifier que l’intéressé est bel et bien autorisé à l’avance à visiter M. Harkat à son domicile. En outre, si une telle rencontre devait se produire, M. Harkat devra communiquer à l’ASFC, immédiatement après son retour à la maison, le nom de la ou des personnes rencontrées lors de sa sortie.

 

[26]           M. Harkat et sa caution de surveillance seront autorisés, lors d’une des sorties hebdomadaires autorisées, à se rendre sur invitation à la Colline du Parlement pour y rencontrer des députés et les membres de comités parlementaires, dans la mesure où l’ASFC en est dûment avisée, tout comme s’il s’agissait là de toute autre sortie. M. Harkat ne sera pas tenu de fournir la date de naissance et le nom de toutes les personnes présentes lors de rassemblements, sur la Colline du Parlement, du moment que le sergent d’armes y assure alors la sécurité. Lors de tels rassemblements, M. Harkat ne pourra parler qu’aux députés ou aux membres des comités concernés qui l’auront invité. Nul rassemblement de ce genre ne devra être considéré comme une réunion mondaine, et c’est à M. Harkat et à sa caution de surveillance qu’incombera alors l’obligation de s’assurer que M. Harkat ne parle qu’aux personnes autorisées. Le défaut de se conformer à cette condition pourra constituer une violation de l’ordonnance. Cette modification est indiquée dans les circonstances, la Cour s’étant vu présenter des faits auparavant inconnus, à savoir que M. Harkat n’avait pu dans le passé se rendre à la Colline du Parlement après y avoir été invité sans risquer d’enfreindre une condition de sa mise en liberté.

 

[27]           J’accepte, en me fondant sur la preuve produite, que M. Harkat doit être autorisé à présenter à l’ASFC pour autorisation préalable une liste d’entités médiatiques et de membres de leur personnel. Cela dit, M. Harkat devra informer l’ASFC s’il doit rencontrer un membre préautorisé d’une entité médiatique préautorisée lors d’une sortie autorisée. Un tel membre du personnel qui rencontrera M. Harkat devra être muni d’un document d’identité approprié délivré par une entité médiatique autorisée. À cet égard, c’est à M. Harkat et sa caution de surveillance qu’incombera l’obligation de s’assurer que sont ainsi autorisés les membres concernés du personnel et que ceux‑ci disposent d’un document d’identité valide. L’ASFC pourra également vérifier en tout temps la validité de la liste des entités médiatiques préautorisées. Les mêmes règles ne s’appliquent pas, toutefois, dans le cas des conférences de presse. Lors de conférences de presse en bonne et due forme, M. Harkat pourra répondre aux questions posées par les représentants d’entités médiatiques reconnues.

 

[28]           Pour le moment, par ailleurs, les conditions ne peuvent pas être modifiées de façon à permettre à M. Harkat de prendre part à des rassemblements politiques, notamment aux manifestations organisées par le Comité Justice pour Mohamed Harkat. La raison en est qu’on n’a pas présenté de preuve montrant que serait pleinement assurée la sécurité des agents de l’ASFC lors de tels événements, où le risque est si fort que soient soulevées des controverses politiques. Il faudra présenter des propositions plus précises quant aux mesures qui seraient prises pour assurer la sécurité des représentants du gouvernement avant qu’on puisse envisager de modifier à cet égard les conditions de la mise en liberté.

 

[29]           Je conviens que M. Harkat devrait être autorisé à se rendre au cabinet de ses avocats actuels sans que cela ne compte comme l’une de ses sorties hebdomadaires autorisées. Dans ces cas, M. Harkat devra se rendre directement au cabinet pour y rencontrer ses avocats, puis revenir directement chez lui après la rencontre. De telles rencontres ne pourront avoir lieu que de 9 h à 17 h. Si une rencontre devait s’imposer en dehors de ces heures, les avocats de M. Harkat pourront exercer le droit absolu dont ils disposent d’aller rendre visite à M. Harkat à son domicile. M. Harkat devra aviser l’ASFC 24 heures à l’avance lorsque sera prévue une rencontre au cabinet de ses avocats. M. Harkat devra en outre téléphoner à un représentant de l’ASFC avant son départ vers le cabinet, puis le faire à nouveau immédiatement après son retour à la maison. Il va sans dire, bien sûr, que de telles sorties ne devront strictement servir qu’à des rencontres de M. Harkat avec ses avocats, et non pas avec quelque autre personne que ce soit non plus qu’en vue d’autres activités récréatives.

 

[30]           Les comparutions de M. Harkat devant le tribunal pour les affaires auxquelles il est partie ne compteront pas au titre des sorties hebdomadaires. Lors de telles comparutions, M. Harkat devra se rendre directement au tribunal où se déroule l’instance, puis revenir immédiatement chez lui une fois l’audience terminée. M. Harkat devra informer l’ASFC 48 heures à l’avance de son intention de se présenter à une audience judiciaire pour une affaire à laquelle il est partie. M. Harkat, en outre, devra téléphoner à l’ASFC avant son départ pour une telle audience, puis immédiatement à son retour à la maison après la tenue de l’audience.

 

[31]           Comme je l’ai dit, la question de la présence de M. Harkat devant la Cour suprême du Canada au moment du prononcé de la décision sur son appel est désormais théorique.

 

[32]           Pour préciser le sens du point 10(iii)b) des conditions de l’ordonnance de mai 2006, M. Harkat n’est pas tenu, pour ses sorties autorisées, de demander d’autorisation préalable visant les employés (comme les caissiers et les serveurs) servant le grand public. Les communications accessoires avec ce genre d’employé ne compteront pas comme des rencontres et ne constitueront pas une violation de l’ordonnance. À titre de précision, cela n’autorise pas M. Harkat à communiquer avec de telles personnes d’une manière pouvant transformer la situation en un événement mondain ou en une véritable conversation. Cette modification vise simplement à faciliter les rapports avec les employés. C’est à M. Harkat et à sa caution de surveillance qu’il incombera de contrôler les échanges d’une manière conforme aux prescriptions de l’ordonnance.

 

[33]           Je ne suis pas disposé à éliminer la condition imposant à M. Harkat de communiquer à l’ASFC, à l’avance, le nom de tous les magasins et commerces où il se rendra lors d’une sortie autorisée. Il y aura une exception à cette condition, toutefois, pour ce qui est des galeries marchandes, des centres commerciaux et des autres zones commerciales déjà préautorisés par l’ASFC. Le maintien de cette condition est nécessaire, je le souligne, afin de permettre à l’ASFC, avant toute sortie, de surveiller adéquatement M. Harkat. Modifier cette condition constituerait un changement fondamental des conditions de mise en liberté de M. Harkat, d’une manière non proportionnelle au risque posé par ce dernier.

 

[34]           Je ne suis pas disposé à modifier le délai actuellement prévu pour donner avis d’une sortie, non plus que le point de départ pour le calcul de l’avis de 48 heures. Cette condition restera inchangée pour le moment. Une proposition plus claire sera exigée avant que la Cour n’envisage de modifier cette condition de mise en liberté.

 

[35]           Je ne suis pas d’avis que le périmètre imposé à M. Harkat devrait être modifié à l’heure actuelle de manière à couvrir la totalité de la ville de Gatineau. M. Harkat sera toutefois autorisé à se rendre dans cette ville s’il indique à l’ASFC l’adresse des personnes précises qui y résident et qu’il souhaite visiter, et communique à l’ASFC tout autre renseignement qu’elle pourra demander sur les personnes résidant à pareilles adresses. En outre, M. Harkat devra faire part à l’ASFC du trajet à l’aller et au retour que lui‑même et sa caution de surveillance suivront entre son domicile et ces adresses mentionnées dans la ville de Gatineau. Si l’ASFC donne son autorisation pour une adresse dans la ville de Gatineau, M. Harkat pourra recourir à une sortie préautorisée pour s’y rendre, dans la mesure où il suit le trajet préautorisé.

 

[36]           Comme je l’ai signalé, les parties sont d’accord pour que soit modifié le périmètre mentionné comme 10e condition de l’ordonnance de mai 2006, de manière à ce que M. Harkat puisse utiliser les voies de contournement Blackburn Hamlet et Innes Road ainsi que l’autoroute 417 entre Walkley Road et l’autoroute 174 pour se rendre au centre‑ville d’Ottawa ou à Orléans. Le côté sud de la Innes Road est également inclus dans la région géographique autorisée de façon à permettre l’accès aux magasins de détail qui donnent sur celle‑ci.

 

[37]           Je conclus, sur la foi de la preuve présentée quant aux effets nocifs sur la santé et en raison du temps qui a passé, que M. Harkat devra être autorisé à faire des promenades, d’une durée maximale d’une heure, en compagnie d’une caution de surveillance. Les promenades devront avoir lieu dans les environs du domicile de M. Harkat entre 10 h et 16 h. M. Harkat devra faire part à l’avance à l’ASFC, pour autorisation préalable, du trajet prévu des promenades. M. Harkat devra également aviser l’ASFC au moins six heures à l’avance de son intention de faire une promenade ainsi que du trajet choisi, si plus d’un trajet a été proposé aux fins d’une préautorisation. Le point de départ du calcul du délai de six heures est le moment de la réception de l’avis par l’ASFC et non de sa transmission par M. Harkat. Les promenades ne pourront avoir lieu que les jours où aucune autre sortie hebdomadaire préautorisée n’est prévue. M. Harkat pourra néanmoins faire une promenade le jour où une sortie était prévue mais où il annule celle‑ci, pourvu qu’il reste suffisamment de temps pour en donner avis. De plus, M. Harkat devra téléphoner à l’ASFC avant de partir pour une telle promenade, et de nouveau immédiatement après son retour à la maison.

 

 

C.        Les questions liées aux besoins personnels (points 10(19) à 10(22))

 

[38]           Afin de préciser le sens de l’ordonnance relativement aux visites préautorisées chez un médecin ou un dentiste, M. Harkat devra communiquer à l’avance à l’ASFC le nom du professionnel qui lui dispensera des soins. Il ne sera pas nécessaire de fournir à l’ASFC le nom des employés de soutien du cabinet du médecin ou du dentiste. Il se peut que M. Harkat ait certaines conversations avec de tels employés de soutien alors que les soins de santé lui sont assurés. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une réunion mondaine et M. Harkat ne doit pas dans ce cadre engager avec ces employés de soutien des conversations sans lien avec les soins de santé assurés.

 

[39]           Autre précision, lorsque M. Harkat reçoit des soins médicaux ou dentaires, la caution de surveillance n’a pas à se trouver dans la salle même où les soins sont prodigués. Cela constituera une exception bien circonscrite à l’obligation de surveillance en tout temps de M. Harkat, puisque le professionnel de la santé surveillera en fait M. Harkat pendant le traitement qui lui est dispensé. La caution de surveillance devra toutefois se trouver aussi près que possible de M. Harkat pendant le traitement. Aux fins de l’ordonnance, la salle d’attente du cabinet sera présumée se trouver à distance raisonnable. La caution ne devra cependant pas quitter le cabinet, ou l’étage où le traitement de M. Harkat est dispensé si le cabinet couvre plus d’un étage, pendant la durée du traitement.

 

[40]           Advenant le cas que ce soit plutôt Mme Harkat qui reçoive les soins médicaux ou dentaires, je ne suis pas disposé à ce qu’on s’écarte de manière fondamentale de l’ordonnance en permettant que M. Harkat demeure alors sans surveillance dans la salle d’attente. Dans une telle circonstance, une caution autre que Mme Harkat pourra surveiller M. Harkat. La Cour est bien au fait de l’aide restreinte que certaines cautions ont été en mesure d’apporter, et du fardeau qui en est résulté pour Mme Harkat. La solution consiste, cependant, non pas à rendre moins sévère l’obligation de surveillance constante de M. Harkat, mais à augmenter le nombre de cautions de surveillance autorisées.

 

[41]           Afin de préciser le sens de l’ordonnance, j’ajoute que, lors de sorties dans des lieux non dotés de toilettes familiales – qui permettraient à la caution de surveillance de demeurer continuellement en présence de M. Harkat –, la caution devra informer l’ASFC par téléphone ainsi que tout membre présent de l’ASFC, le cas échéant, de la nécessité d’utiliser les toilettes. Dans une telle situation, M. Harkat ou la caution de surveillance, selon le cas, pourra utiliser la toilette sans la présence de l’autre, du moment que la caution demeure aussi près qu’il est alors raisonnablement possible de M. Harkat. Afin d’éviter ce problème, la solution consiste à veiller à planifier les sorties dans des lieux où des toilettes familiales sont facilement disponibles.

 

[42]           M. Harkat invite la Cour à faire passer de quatre à six le nombre d’heures des sorties hebdomadaires; cette demande n’est pas acceptable pour le moment. On n’a produit aucune preuve démontrant que la situation actuelle est impossible à gérer et nul fait nouveau n’a été présenté quant à la nécessité d’une augmentation du nombre d’heures autorisé des sorties. La preuve produite avait trait, en grande partie, au peu de temps dont dispose Mme Harkat, qui est très prise, et au fait que la période de quatre heures prévue était restrictive et ne lui permettait que de faire peu de choses. Comme je l’ai déjà dit, la solution à ce problème consiste à ce qu’il y ait davantage de cautions autorisées, qui pourraient demeurer à la maison avec M. Harkat pendant que son épouse s’adonne à ses tâches quotidiennes.

 

[43]           En ce qui concerne des sorties pour soins médicaux ou dentaires, je modifierai également les conditions de mise en liberté : les sorties de ce genre pourront durer jusqu'à six heures, au lieu des quatre heures habituelles; en effet, la possibilité que les traitements médicaux soient de durée plus longue peut être qualifiée de fait nouveau, inconnu au moment où a été rendue l’ordonnance de mai 2006. Je désire toutefois souligner qu’en de telles occasions, on ne devra utiliser la période de six heures qu’aux fins de traitements médicaux ou dentaires, et non pas aux fins d’activités récréatives. À titre d’exemple, M. Harkat ne pourra se faire dispenser un traitement médical d’une heure, puis s’adonner pendant cinq heures à des activités récréatives. Advenant toutefois que le traitement médical prenne moins de quatre heures, M. Harkat pourra utiliser le temps qu’il lui reste (à concurrence de quatre heures) pour des activités récréatives, pourvu que l’ASFC en soit avisée conformément à la procédure habituellement suivie pour les autres sorties préautorisées.

 

[44]           Dans la décision Re Chakaoui, 2006 CF 555 la Cour a dit, au paragraphe 29, que « [l]e rôle de superviseur‑accompagnateur est une lourde tâche […] ». Après avoir entendu le témoignage de Mme Harkat et étudié avec soin son affidavit, je reformulerai cet énoncé aux fins de la présente affaire. J’éprouve véritablement de la sympathie pour Mme Harkat; le rôle de caution de surveillance n’est pas facile. Ce rôle, aussi ardu et coûteux en temps qu’il puisse être, c’est toutefois volontairement que Mme Harkat a choisi de le jouer afin de rendre possible la mise en liberté, à des conditions strictes, de son mari. Je signale d’ailleurs que c’est M. Harkat lui‑même qui a proposé à l’origine bon nombre des conditions contestées au moyen de la présente demande.

 

[45]           Si le fardeau qu’occasionne le rôle de caution de surveillance s’avère trop lourd à porter, ou autrement impossible à gérer, vu qu’elle est très prise par la défense de sa cause et de celle de son mari, il serait peut-être alors temps, pour l’alléger, que Mme Harkat songe à trouver des cautions de surveillance additionnelles.

 

[46]           Comme je l’ai dit, la Cour suprême a expliqué dans l’arrêt Charkaoui, précité, que les conditions de mise en liberté devaient être révisées régulièrement dans toute affaire concernant un certificat de sécurité. Et je le répète, ces révisions ont pour objet le simple affinement des conditions afin de régler des problèmes imprévus, sous réserve du respect des lignes directrices réitérées au paragraphe 9 de la présente ordonnance, et de la nécessité absolue d’apprécier si les modifications demandées sont proportionnées au risque posé par l’intéressé. On ne doit pas viser avec les révisions régulières des conditions de mise en liberté à modifier celles‑ci radicalement, et particulièrement pas les conditions qu’il est actuellement possible de gérer. Si une partie veut un changement fondamental d’une condition, elle devra produire une preuve en démontrant la nécessité. Le simple écoulement du temps ne réussira vraisemblablement pas, à lui seul, à faire modifier bon nombre des conditions d’une mise en liberté.

 

[47]           Lorsqu’on passe en revue les conditions de la mise en liberté en recourant à la liste non exhaustive des lignes directrices mentionnées au paragraphe 9 de la présente ordonnance, il est essentiel de se rappeler qu’il faut trancher au cas par cas. Comme l’a expliqué la Cour suprême dans Charkaoui, (précité, paragraphe 116), des « sévères conditions de mise en liberté […] ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger ». Autrement dit, si des conditions de mise en liberté particulières sont imposées à la personne faisant l’objet d’un certificat de sécurité, il ne sera pas nécessaire d’imposer des conditions similaires aux autres personnes visées par un certificat.

 

[48]           Il est demandé aux parties d’établir, un projet d’ordonnance modifiée intégrant ce qui est prévu aux présentes quant aux conditions de mise en liberté. Le projet devra être présenté au soussigné pour examen et signature. Un délai de dix jours est accordé pour la rédaction du projet d’ordonnance.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        DES‑4‑02

 

INTITULÉ :                                       Mohamed Harkat

                                                            c.

                                                            Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ET

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 28 février et 1er mars 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Copeland

Matthew Webber

 

POUR LE DEMANDEUR

Donald MacIntosh

David Tyndale

James Mathieson

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Copeland, Duncan

Toronto (Ontario)

 

Webber Schroeder

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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