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Date : 20040418

Dossier : T-917-06

Référence : 2007 CF 400

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

 

ENTRE :

DR NOEL AYANGMA

demandeur

et

 

LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA

défendeur

et

 

 

LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’un appel par voie de requête, conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales (les Règles) (DORS/98-106), de la décision d’une protonotaire responsable de la gestion de l’instance par laquelle celle-ci a accueilli, en partie seulement, la requête du demandeur en vue de faire modifier sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) (la Loi) qui a rejeté son grief et confirmé sa suspension, ainsi que son licenciement subséquent.

 

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES TOUCHANT LA PROCÉDURE

[2]               Le défendeur conteste l’affidavit du demandeur déposé à l’appui de son appel. Cet affidavit porte une date postérieure à celle de la décision de la protonotaire, et dans la mesure où le demandeur tente d’y présenter des éléments de preuve dont cette dernière ne disposait pas, l’affidavit ne peut pas être accepté. De plus, l’affidavit n’est pas conforme aux exigences de l’article 81 des Règles puisqu’il est tendancieux et répétitif, truffé d’arguments et expose des opinions bien arrêtées. Cependant, il faut ajouter que c’est le cas en ce qui concerne presque tous les autres documents présentés par le demandeur. Je ne vais tenir compte que des affidavits et autres documents dont disposait la protonotaire au moment où elle a examiné la décision faisant l’objet de l’appel et tiré une conclusion quant à celle-ci.

 

CONTEXTE

[3]               Le demandeur, qui vit à Charlottetown, était à l’emploi de Santé Canada. Il devait voyager  très souvent dans le cadre de son emploi et surtout dans les Maritimes. Étant donné que l’on avait des doutes quant à certaines des demandes de remboursement de frais de voyage du demandeur, une enquête a été menée et les conclusions ont entraîné la suspension et, plus tard, le licenciement de ce dernier. Le demandeur a déposé un grief qui a été entendu en temps opportun par un arbitre nommé en vertu de la Loi. À la suite d’une longue audience qui a duré plusieurs jours et qui s’est déroulée sur deux périodes de temps différentes, le grief a été rejeté et la suspension, ainsi que le licenciement, ont été confirmés. Le présent contrôle judiciaire s’en est suivi.

 

[4]               Le demandeur a demandé à l’arbitre, à bien des reprises, que des documents prétendument en la possession de son employeur lui soient communiqués, mais il semble que l’arbitre n’ait pas accepté toutes ces demandes avant que le demandeur ait à plaider sa cause. L’arbitre a offert d’ajourner l’audience pour que l’employeur ait le temps de répondre aux demandes, mais le demandeur a décidé de retirer ses demandes de communication de documents et de ne pas témoigner pour son propre compte.

 

[5]               Je reproduis ici le résumé des conclusions de l’arbitre quant aux questions de fait principales auxquelles il devait répondre :

 

253     Il ressort clairement de l'analyse qui précède des demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé que l'intéressé a présenté de nombreuses demandes frauduleuses. J'estime que la valeur totale de ces demandes frauduleuses s'élève à 19 586,26 $. Par ailleurs, je l'ai déjà dit, j'ai constaté que quelques‑unes des allégations de l'employeur n'avaient pas été prouvées. J'ai donc calculé un montant global nettement inférieur au total estimatif établi par l'employeur, mais la somme demeure substantielle.

254     Les circonstances atténuantes qui jouent en faveur du fonctionnaire s'estimant lésé sont ses quelque cinq années de service sans qu'il n'ait écopé de sanctions disciplinaires. En outre, il a reçu au moins une distinction pour son travail (un prix pour excellence d'équipe en juin 2002), et il a joué un rôle actif dans la défense des intérêts des minorités et de l'équité dans la fonction publique. Il n'a ni demandé, ni pris des congés tenant lieu de la rémunération d'heures supplémentaires. Pendant qu'il occupait un poste par intérim, son superviseur a témoigné qu'il lui faisait [traduction] « entièrement » confiance et n'avait aucune raison de douter de lui.

255     Cela dit, il faut tenir compte aussi des circonstances aggravantes, la plus importante étant le manque total de remords et l'absence de toute acceptation du fait qu'il s'est mal conduit de la part du fonctionnaire s'estimant lésé. Dans ses conversations avec M. Cuthbert, l'intéressé a reconnu être resté chez lui tout en réclamant des frais d'hébergement privé. À cette exception près, il n'a jamais admis que ses demandes de remboursement de frais de voyage étaient frauduleuses. En fait, lorsqu'on l'a confronté, il a réagi en commençant par refuser de coopérer en fournissant à sa superviseure l'information qu'elle lui demandait. Ensuite, il a demandé qu'une autre personne examine ses demandes de remboursement. Par la suite, quand on lui a présenté les résultats de la vérification de ses demandes, il s'est tout simplement mis très en colère, en tenant des propos intimidants à la réunion de décembre 2003. Pourtant, et c'est significatif, même agité, il n'a jamais nié les allégations de l'employeur.

256     Je souligne aussi qu'il ne s'agit pas ici d'un cas d'erreur de bonne foi, ni d'une demande de remboursement de dépenses « gonflées », ce qui constituerait déjà une inconduite assez grave. En l'espèce, le fonctionnaire s'estimant lésé a réclamé le remboursement de frais de voyage qui n'avaient jamais eu lieu et le remboursement de frais de voyage pour des déplacements personnels, par exemple lorsqu'il a pris des vacances avec sa famille, passé un week-end à Montréal ou comparu en cour pour une affaire personnelle. En signant la formule de demande, il certifiait que son voyage était en service commandé et il aurait dû savoir en signant son nom que ses demandes étaient frauduleuses. Force m'est donc de conclure à une préméditation évidente.

257     Plutôt que d'assumer la responsabilité de la présentation de ses demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage, le fonctionnaire s'estimant lésé a le sentiment manifeste d'être victime d'une conspiration ou d'une vendetta, ce qui a coloré virtuellement tous les aspects de ses griefs. Son allégation quant au début du complot - à savoir que sa nomination en 1999 avait été sabotée - revient à dire qu'il avait été embauché pour être congédié. Même en faisant abstraction de l'illogisme de cette position, il faut bien reconnaître qu'elle n'est pas étayée par la preuve. Les autres éléments de la théorie du complot dont le fonctionnaire s'estimant lésé prétend avoir été victime ne sont d'ailleurs pas plus étayés, particulièrement son allégation que les demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage auraient été fabriquées d'une façon ou d'une autre par la collusion de fonctionnaires d'Halifax et d'Ottawa. On ne m'a présenté aucune preuve de fabrication de ces documents. Par conséquent, je rejette la prétention du fonctionnaire s'estimant lésé que l'employeur a fabriqué des éléments de preuve pour arriver à un résultat prédéterminé, son licenciement.

258     Je dois aussi insister sur le fait que, dans les nombreuses escarmouches sur les questions de preuve et de procédure qui ont eu lieu pendant l'audience sur ses griefs, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que certains témoins de l'employeur [traduction] « mentaient sous serment ». Cette accusation n'est basée sur aucun fait. Elle est aussi incendiaire et extrêmement injuste pour les témoins. Même s'il est évident que le fonctionnaire s'estimant lésé est convaincu de la justice de sa cause, je me dois de conclure qu'elle ne repose sur aucune preuve.

 

[6]               Tel qu’il a été établi par ce qui précède, le demandeur prétend depuis le début que les représentants de l’employeur et les personnes qui ont témoigné contre lui ont fait partie d’un complot, ont fabriqué des éléments de preuve et se sont parjurés, ce qui nous mène directement à la décision de la protonotaire et aux contestations du demandeur fondées sur celle-ci.

 

L’APPEL

[7]               Tel qu’il a déjà été mentionné, la protonotaire a accueilli en partie la requête du demandeur en vue de faire modifier sa demande et de présenter de nouveaux éléments de preuve. Le présent appel est fondé principalement sur la décision de la protonotaire par laquelle celle-ci a refusé d’accorder une modification qui visait à présenter des allégations de parjure, de fraude et d’inconduite contre les représentants de l’employeur et d’autoriser la production de divers éléments de preuve à l’appui de ces allégations. L’argument du demandeur porte principalement sur le fait qu’à la suite du dépôt de sa demande de contrôle judiciaire, l’employeur a communiqué des éléments de preuve supplémentaires, notamment des bandes magnétiques, des transcriptions et des notes d’entrevues, permettant de prouver ses allégations de parjure.

 

[8]               Dans l’examen de cet argument, la protonotaire a dit ce qui suit :

[traduction]

 

Essentiellement, il est allégué que M. Cathcart, un enquêteur qui a interrogé le Dr Ayangma et qui a témoigné devant le tribunal dont la décision est contestée, s’est parjuré en faisant des déclarations qui ont ensuite été contredites par des documents communiqués seulement récemment au demandeur.

Les documents sur lesquels le demandeur s’appuie comprennent les notes écrites à la main que M. Cathcart a prises le premier jour de son entrevue avec le demandeur (pièce O) et la transcription du premier jour de cette entrevue (pièce R).

Selon l’affidavit supplémentaire proposé par le Dr Ayangma, contrairement aux « notes » prises par le demandeur, ou qui ont été prises lors de l’audience devant l’arbitre, M. Cathcart a menti au sujet de l’existence de la transcription et des notes écrites à la main (pièces O et R).

[…]

L’allégation de parjure repose entièrement sur ce que M. Cathcart a dit à l’audience selon le Dr Ayangma. Remarquablement, l’audience n’a pas été enregistrée et il n’existe aucune façon de vérifier la véracité de l’allégation exprimée par le demandeur. De plus, les allégations du Dr Ayangma sont contredites par la preuve contenue dans l’affidavit de M. Cathcart, laquelle la Couronne prévoit déposer dans l’éventualité où l’autorisation est accordée au demandeur.

Ni l’existence de ces nouveaux documents ni leur contenu n’appuie une demande fondée sur le parjure. Le Dr Ayangma ne conteste pas le contenu des notes de M. Cathcart et indique au paragraphe 63 de son affidavit que la transcription de l’entrevue (pièce R) rapporte fidèlement les renseignements que le Dr Ayangma, le demandeur, a fournis à M. Cathcart lors de l’enquête à son sujet.

À mon avis, l’allégation de parjure est non étayée et intéressée. À ce titre, la modification envisagée, au lieu d’être utile pour établir la véritable question en litige, ne la rendra qu’obscure, menant la Cour à examiner des éléments de preuve contradictoires et invérifiables portant sur une question accessoire. Il n’est pas non plus dans l’intérêt de la justice de permettre que la transcription de l’entrevue du demandeur soit présentée en preuve. Agir ainsi permettrait au Dr Ayangma, qui a choisi de ne pas témoigner à l’audience, d’exposer sa version des faits aux fins du dossier, ce qui constituerait essentiellement en un scindement de sa preuve, lui permettant de présenter des éléments de preuve de façon détournée alors qu’il a refusé de le faire directement.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[9]               Il est bien établi que, dans le cadre d’une décision découlant du pouvoir discrétionnaire d’un protonotaire, la Cour peut seulement intervenir si la décision contestée a une influence déterminante sur l’issue de l’action ou est manifestement erronée.

 

[10]           À mon avis, le demandeur n’a satisfait à ni l’un ni l’autre des volets du critère.

[11]           L’ « action » à laquelle fait référence le premier volet du critère doit représenter, à mon avis, du moins lorsque la décision porte sur le refus de modification ou de dépôt de nouveaux éléments de preuve, l’action telle qu’elle était immédiatement avant que la décision contestée soit rendue. Autrement, toute décision de cette nature pourrait automatiquement faire l’objet de contrôle en appel illimité sans égard aux principes de retenue qui sous-tendent le fondement véritable de cette règle.

 

[12]           Cependant, quoi qu’il en soit, et même si j’ai tort sur ce point, je ne suis pas convaincu que la décision est erronée ou encore moins manifestement erronée. Le fait que différents témoins peuvent donner différentes versions des faits ne signifie pas qu’un témoin ou que tous les témoins ont violé leur serment. La désignation par la protonotaire de questions considérées comme « accessoires » dans de tels témoignages est entièrement correcte, puisque les points examinés lors des entrevues en question ne faisaient pas partie des prétentions de l’employeur selon lesquelles le demandeur avait présenté des demandes de remboursement de frais de voyage frauduleuses. Établir simplement qu’un témoin s’est trompé lors de son témoignage sur un point quelconque qui n’est pas pertinent à l’égard des questions en litige ne prouve pas qu’il s’est parjuré. Le fait de présenter à l’excès des témoignages contradictoires qui portent sur des points entièrement accessoires aux questions principales ne mène pas au règlement juste, de la manière la plus rapide et la moins dispendieuse, des points réellement en litige. Si je devais statuer à nouveau sur l’affaire, j’arriverais aux mêmes conclusions que la protonotaire.

 

[13]           L’appel doit être rejeté.

 

DÉPENS

[14]           Le demandeur s’est senti libre de présenter des allégations de parjure et de comportements semblables. Il a exposé sans succès ces allégations à l’arbitre. Le demandeur a de nouveau tenté d’exposer ces allégations lors d’une requête précédente devant la Cour et devant la Cour d’appel. À la Cour d’appel, la juge Sharlow a indiqué ce qui suit :

 

 

[traduction]

 

Le défendeur réclame que lui soit adjugé les dépens liés à la présente requête sur une base avocat-client au motif que le Dr Ayangma a exposé des allégations scandaleuses et non étayées par la preuve selon lesquelles un enquêteur de la Couronne, l’avocat du défendeur et le déposant de la Couronne ont menti à la Cour. Ces allégations constituent des accusations de parjure. Bien qu’une partie ait le droit de s’opposer à la version des faits de l’affaire d’une autre partie, et qu’elle ait le droit d’alléguer qu’il existe des contradictions dans la preuve ou les observations de cette même partie, il y a abus de procédure lorsqu’il y a allégation non étayée de parjure. Un tel abus de procédure peut faire en sorte que l’adjudication de dépens sur une base avocat-client soit justifiée. Cependant, en l’espèce, étant donné les circonstances très émotionnelles, il semble plus adéquat de simplement fixer les dépens de la présente requête à un montant plus élevé que la norme, dans l’espoir que le DAyangma sera dissuadé d’exposer d’autres allégations de cette nature non étayées par la preuve. Les dépens de la présente requête sont fixés à 3 000 $, incluant les honoraires, les débours et la TPS, et sont payables sans délai au défendeur par le Dr Ayangma.

 

[15]           Malheureusement, l’espoir qu’avait la juge Sharlow ne s’est pas réalisé. Le demandeur a non seulement persisté dans son comportement abusif, mais la longueur et la complexité inutiles de ses documents justifient une adjudication des dépens encore plus élevée que je fixe à 5 000 $.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE :

L’appel est rejeté et les dépens, fixés au montant de 5 000 $ incluant les honoraires, les débours et la TPS, sont adjugés au défendeur et payables sans délai quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

                                                                                         « James K. Hugessen »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            T-917-06

 

INTITULÉ :                                                                           DR NOEL AYANGMA c.

                                                            LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA et LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

                                                           

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                           LE JUGE HUGESSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 18 AVRIL 2007

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Dr Noel Ayangma

 

                             POUR LE DEMANDEUR

 

Richard E. Fader

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

(LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                          POUR LE DÉFENDEUR

(LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA)

 

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