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Date : 20070427

Dossier : T-122-06

Référence : 2007 CF 451

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

ALVIN BANCARZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

I.          APERÇU

[1]               Le ministre des Transports a refusé d’accorder au demandeur le renouvellement de sa licence de technicien d’entretien d’aéronefs (licence de TEA). Le ministre a au départ refusé le renouvellement de la licence pour des motifs d’incompétence et des raisons d’intérêt public.

 

[2]               Un technicien d’entretien d’aéronefs est une personne formée et autorisée par licence à délivrer, après l’exécution de travaux d’entretien ou de réparation, une « fiche de maintenance » qui atteste que les travaux ont été exécutés correctement et conformément aux règlements applicables. Un tel technicien se porte garant à la fois des travaux effectués et de la navigabilité de l’aéronef. Aucun aéronef ne peut être utilisé si sa navigabilité n’est pas certifiée en conformité avec les règlements.

 

[3]               Saisi d’un appel de la décision du ministre, le Tribunal d’appel des transports du Canada (le Tribunal) s’est dit en désaccord avec la conclusion du ministre et a renvoyé l’affaire à celui-ci pour réexamen.

 

[4]               Le réexamen a été effectué par un comité de trois (3) fonctionnaires du même ministère, et la recommandation du comité, qui confirmait la décision initiale du ministre, a été adoptée par le représentant du ministre pour des raisons d’intérêt public.

 

[5]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre, prise en son nom par son représentant, qui confirme sa décision initiale de ne pas renouveler la licence de TEA.

 

II.         LES FAITS

[6]               Le demandeur a commencé à travailler dans l’industrie aéronautique en 1987, en se spécialisant dans les réparations d’aéronefs. Une licence de TEA lui a été délivrée le 18 décembre 1998.

 

[7]               Entre 1997 et 1998, la société pour qui il travaillait a commis des manquements aux règles de l’aéronautique, pour lesquels elle s’est vu imposer des sanctions en vertu du Règlement de l’aviation canadien (le Règlement).

 

[8]               Le demandeur a par la suite été accusé de plusieurs manquements. Une suspension de deux jours lui a été imposée parce qu’il n’avait pas bien calculé la masse et le centrage d’un aéronef à la suite de réparations et de nouvelles installations. La masse et le centrage de l’aéronef constituent le point de référence à partir duquel sont calculées les charges sécuritaires à transporter.

 

[9]               Entre 2002 et 2004, une autre société dans laquelle il détenait un intérêt, Altima Aero Industries, avait vu son agrément en tant que OMA (organisme de maintenance agréé) suspendu deux fois, puis finalement révoqué. Un OMA est un organisme agréé par Transports Canada pour l’entretien d’aéronefs et de pièces d’aéronefs. Un OMA est une entité parapluie où travaille souvent un technicien d’entretien d’aéronefs et qui comprend à la fois des techniciens d’entretien d’aéronefs et la direction de l’entreprise. En sa qualité d’organisme chargé de la maintenance d’aéronefs commerciaux et de l’exécution de travaux spécialisés, l’OMA détient sa propre licence.

 

[10]           Le 22 mai 2004, la licence de TEA du demandeur expirait. Il en a demandé le renouvellement le 20 août 2004, et le ministre le lui a refusé le 6 septembre 2004.

 

[11]           Dans sa décision initiale (la décision relative au renouvellement), le ministre a refusé de renouveler la licence de TEA parce que (1) le demandeur a été déclaré incompétent et (2) qu’il n’était pas dans l’intérêt public de renouveler cette licence.

 

[12]           S’agissant de l’incompétence du demandeur, le ministre a estimé que M. Bancarz avait montré à maintes reprises qu’il ne se souciait pas de se conformer au Règlement et aux pratiques de l’industrie. Les manquements, les dossiers trompeurs et le non-respect des normes minimales de sécurité lui étaient devenus habituels. Le ministre donnait plusieurs exemples de tels comportements, notamment mauvais soudages, absence de consignation des modifications concernant la masse et le centrage, documents incomplets ou inexacts et mauvais entretien.

 

[13]           S’agissant de l’intérêt public, le ministre évoquait dans son refus les mêmes incidents que ceux cités pour l’incompétence, ainsi que plusieurs autres incidents où le demandeur n’avait pas consigné des renseignements dans le livret technique. Étant donné que les dossiers d’entretien et les certifications (fiches de maintenance) des techniciens d’entretien d’aéronefs sont vraiment essentiels pour l’historique d’un aéronef et la confiance à accorder à sa navigabilité, l’habitude qu’avait prise M. Bancarz de signer des certifications alors que les normes n’avaient pas été respectées justifiait la conclusion selon laquelle il n’était pas dans l’intérêt public de renouveler sa licence de TEA, malgré ses compétences techniques.

 

[14]           M. Bancarz a fait appel de la décision du ministre devant le Tribunal, qui a tenu une audience à laquelle 12 personnes ont témoigné et M. Bancarz a présenté des observations.

 

[15]           Le Tribunal est un tribunal quasi judiciaire composé de membres à temps plein et à temps partiel, qui est habilité à juger les recours en révision et les appels relevant de la compétence fédérale qui portent sur les questions aériennes, ferroviaires ou maritimes intéressant généralement la sécurité ou les aspects techniques. Le Tribunal, de par les qualifications de ses membres qui les rendent admissibles à une nomination par le gouverneur en conseil, possède une spécialisation dans les affaires relevant de sa compétence.

 

[16]           La procédure du Tribunal est de nature contradictoire et s’apparente à la procédure judiciaire, mais le Tribunal n’est pas lié par les règles strictes de la preuve. Il est tenu de motiver ses décisions. En règle générale, le Tribunal peut soit rejeter un appel, soit renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen.

 

[17]           En l’espèce, la formation, composée d’un unique membre, à savoir le président du Tribunal, a estimé que le ministre n’avait pas prouvé que M. Bancarz était incompétent, et ce, parce que le ministre n’avait pu étayer tous les manquements reprochés. Le président a jugé aussi que, s’agissant de l’intérêt public, le ministre n’avait pas prouvé que les fiches de maintenance délivrées par M. Bancarz n’étaient pas fiables ou que M. Bancarz avait des antécédents ou une habitude de ne pas être fiable.

 

[18]           Le Tribunal a relevé en particulier que, dans d’autres affaires semblables où les arguments du ministre comportaient des affirmations non étayées, des explications insuffisantes et des généralisations hâtives, la conclusion d’incompétence tirée par le ministre avait été adoucie par l’imposition de conditions préalables au rétablissement de la licence. Dans le cas de M. Bancarz, il n’y avait pas de conditions préalables au rétablissement de sa licence, et cela lui laissait peu d’espoir d’obtenir à nouveau sa licence de TEA. Il en résultait que la décision du ministre équivalait à l’annulation, plutôt qu’à la suspension, de sa licence de TEA.

 

[19]           Le Tribunal a reconnu que les travaux exécutés par M. Bancarz n’étaient pas tous conformes aux normes de navigabilité; cependant, en raison des allégements et compromis qu’il était d’usage pour Transports Canada d’accepter, ce ministère n’avait fait connaître son point de vue sur la gravité des manquements qu’au moment de refuser de renouveler la licence de TEA. Le Tribunal a estimé que certaines preuves exonéraient M. Bancarz quant à certaines allégations et que d’autres preuves n’auraient pas dû bénéficier d’un poids tel que M. Bancarz soit à jamais empêché d’obtenir une licence de TEA. Le Tribunal concluait ainsi :

[...] je ne suis pas convaincu que le ministre a prouvé selon la prépondérance des probabilités que M. Bancarz, en raison de son incompétence ou parce que son dossier en lien avec l’aéronautique le justifie, doive se voir refuser le renouvellement de sa licence de TEA [...] L’affaire est renvoyée au ministre pour réexamen de la décision de refuser de délivrer la licence de TEA à M. Bancarz.

 

[20]           Il n’existe aucune procédure prévue par la loi pour un tel réexamen. Cependant, le ministre a établi une politique dans la Directive n° 34 de l’Aviation civile (la DAC n° 34). Conformément à la DAC n° 34, trois « experts » ont été nommés pour le réexamen du cas et ont présenté une recommandation au représentant du ministre. Les « experts » n’étaient pas des experts indépendants, mais des hauts fonctionnaires de la Direction générale de l’aéronautique de Transports Canada.

 

[21]           Le 23 décembre 2005, le représentant du ministre informait le demandeur que le comité de trois personnes s’était réuni pour revoir le dossier. Le représentant du ministre a aussi informé le demandeur que, après examen de la décision du Tribunal et après étude des délibérations et de la recommandation du comité de réexamen :

[traduction] ... je suis arrivé à la conclusion que la décision du ministre de refuser de délivrer une licence de technicien d’entretien d’aéronefs (TEA) devrait être confirmée en application de l’alinéa 6.71(1)c) de la Loi sur l’aéronautique (pour motifs d’intérêt public).

 

[22]           Le rapport du comité de réexamen était annexé à la lettre du 23 décembre 2005 adressée par le représentant du ministre. Le comité estimait que les six (6) exemples donnés par le Tribunal dans sa décision étaient les mêmes pour le motif d’« intérêt public » et le motif d’« incompétence ». Le comité concluait que, par souci de commodité, il ferait renvoi à ces six exemples sous la rubrique « Intérêt public ».

 

[23]           Selon le comité, le Tribunal était arrivé à la conclusion que, parce que Transports Canada avait accepté des pénalités réduites, cela montrait que le ministre ne jugeait pas importants les incidents ou les manquements. Le comité n’a pas suivi cette conclusion. S’agissant des autres divergences entre les conclusions du Tribunal et celles du comité, le comité a considéré qu’elles s’expliquaient par le fait que les preuves n’avaient pas été présentées lors de l’audience du Tribunal d’une manière aussi claire ou aussi concise qu’il l’aurait fallu.

 

[24]           Le comité a exprimé l’avis que son exercice de réexamen reposait sur des preuves plus complètes que celles qui avaient été présentées au Tribunal et que son analyse était plus détaillée. Le réexamen effectué par le comité ne comprenait pas, dans sa procédure, l’audition de témoignages et de contre-interrogatoires comme cela avait été le cas devant le Tribunal. Le comité a pris en considération davantage d’incidents que ceux qui avaient été soumis au Tribunal.

 

[25]           Selon le témoignage produit par le demandeur, le Tribunal l’avait informé que le réexamen effectué par le ministre serait essentiellement une simple formalité, étant donné les conclusions du Tribunal. Le demandeur avait témoigné aussi que, au début du processus, un fonctionnaire avait communiqué avec lui pour savoir s’il avait quelque chose à ajouter au processus. Il avait répondu simplement que, vu la conclusion du Tribunal, il n’avait rien à ajouter et que, en tout état de cause, il ne pouvait pas s’offrir les services d’un avocat. Quelles qu’aient pu être les raisons, le demandeur n’était pas intervenu dans le processus de réexamen.

 

III.       POINTS LITIGIEUX

[26]           Le demandeur a formulé dans l’ordre suivant les points litigieux :

·                    y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

·                    y a-t-il eu crainte raisonnable de partialité?

·                    la preuve produite autorisait-elle le ministre à conclure qu’il était dans l’intérêt public de ne pas renouveler la licence du demandeur?

·                    le demandeur a-t-il droit à un mandamus?

 

IV.       ANALYSE

A.        Norme de contrôle

[27]           Le défendeur dit que, après une analyse pragmatique et fonctionnelle de la décision du ministre, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il fonde sa conclusion sur ce qui suit :

·                    la loi applicable est silencieuse sur le réexamen de la décision, ce qui est un facteur neutre;

·                    le comité est composé d’experts chevronnés, ce qui commande une retenue considérable;

·                    l’objet de la loi applicable est la protection du public et la sécurité aéronautique, ce qui signale un surcroît de retenue;

·                    la question est de nature factuelle et discrétionnaire, ce qui encore une fois signale un surcroît de retenue.

 

[28]           De manière générale, la Cour souscrit à cette analyse; cependant, la norme de contrôle dépend de la question qui est posée. Pour l’équité procédurale et la crainte raisonnable de partialité, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Puisque certaines des questions factuelles sont tributaires d’une connaissance approfondie de l’industrie et de la réglementation applicable (par exemple quel est le niveau d’inspection requis pour une bosselure sur une aile?), ces aspects sont manifestement des aspects qui appellent une retenue considérable.

 

[29]           La présente affaire, quant aux faits et conclusions s’y rapportant, est compliquée par le fait qu’un organe doté d’une spécialisation, le Tribunal, dont le rôle est de revoir les décisions de Transports Canada, est arrivé à des conclusions autres à partir des mêmes faits (et serait fondé, s’agissant de ses conclusions factuelles, à l’application de la norme de la décision manifestement déraisonnable si la Cour était ici saisie de sa décision) et a jugé que la décision du ministre était erronée. La norme de contrôle applicable aux points de désaccord entre le comité et le Tribunal devrait être déterminée d’après la question de savoir si le comité a démontré que sa décision contraire à celle du Tribunal est raisonnable en l’occurrence.

 

[30]           Cette demande peut être jugée d’après le principe de l’équité procédurale et celui du droit d’être entendu.

 

B.         Équité procédurale

[31]           Le demandeur soutient que le Tribunal l’a induit en erreur en l’informant que le réexamen ministériel serait une simple formalité. D’abord, un réexamen n’équivaut pas à l’adoption automatique de la décision du Tribunal, même s’il est permis de croire qu’il faudrait des circonstances particulières pour que l’on s’écarte des conclusions d’un tribunal spécialisé indépendant. Deuxièmement, le Tribunal ne saurait parler au nom du ministre, à qui revient le pouvoir ultime de délivrer ou non le genre de licence en cause.

 

[32]           Le vice principal du processus de réexamen est que le demandeur n’a jamais eu une véritable occasion de s’exprimer sur les conclusions du comité de réexamen avant que le représentant du ministre accepte la recommandation du comité. Sur ce point, la présente affaire n’est pas sans rappeler la décision rendue par la Cour dans l’affaire Sierra Fox Inc. c. Canada (Ministre des Transports), 2007 CF 129.

 

[33]           Il ne suffit pas de dire, comme l’a prétendu le défendeur, que le demandeur a eu l’occasion de participer au processus de réexamen lorsque Transports Canada a communiqué avec lui pour savoir s’il avait quelque chose à ajouter. À l’époque, le demandeur avait obtenu gain de cause devant le Tribunal, et il n’est guère surprenant qu’il n’avait alors rien à ajouter.

 

[34]           Le comité de réexamen a alors poursuivi sa tâche, élargi la portée de son enquête, puis rejeté pour l’essentiel les conclusions du Tribunal, sans autre avis au demandeur. Le demandeur pouvait légitimement s’attendre à ce que le réexamen soit une révision des points soumis au Tribunal et non l’ouverture d’une nouvelle enquête.

 

[35]           Il ne suffit pas non plus de dire, en réponse à la position du demandeur, que, puisque les recommandations du comité constituent les motifs de la décision (vu qu’elles ont été acceptées par le ministre), alors le demandeur n’a pas le droit de s’exprimer sur les « motifs » avant qu’ils deviennent officiels. Les recommandations du comité deviennent des « motifs », faute d’autres motifs exprimés par le ministre, et laissent supposer que le ministre adopte le raisonnement qui y est exposé. Or, le demandeur avait le droit d’être entendu avant que les recommandations du comité soient transmises au ministre. Le ministre n’a pas de réponse à donner à la question de savoir comment le demandeur devait réagir aux recommandations du comité, y compris les nouveaux aspects qui n’avaient pas été soulevés devant le Tribunal ou qui n’étaient pas mentionnés dans la décision relative au renouvellement.

 

[36]           La tentative du comité de minimiser l’importance d’une licence de TEA et donc l’incidence de la décision sur le demandeur n’est pas de mise. Le comité donne à entendre que le demandeur peut encore travailler dans l’industrie aéronautique, mais simplement qu’il ne peut pas approuver des travaux. Dans ses conclusions orales, le défendeur a continué de mettre en doute l’incidence de la décision sur le demandeur. La position du défendeur ne concorde pas avec l’importance accordée à la sécurité, ni avec l’intérêt public sur lequel il se fonde pour appuyer la décision du ministre. Si la licence de TEA était effectivement un aspect mineur, alors on peut se demander pourquoi Transports Canada a consacré autant d’efforts à une différence aussi minime entre une personne apte à exécuter des travaux sur un aéronef et une autre apte à certifier de tels travaux.

 

[37]           La réalité est qu’une licence de TEA est importante tant pour le système aéronautique que pour le titulaire de la licence lui-même. Son importance atteste la nécessité d’une réglementation et de mesures d’exécution, ainsi que la nécessité d’un examen équitable et adéquat lorsque la licence doit être retirée, soit directement par la suspension ou l’annulation, soit par le non-renouvellement pour motifs graves, l’effet du retrait étant de priver en permanence son titulaire d’une autorisation qu’il détenait auparavant.

 

[38]           Le défendeur avait envers le demandeur une obligation élevée d’équité procédurale, obligation qu’il n’a pas respectée.

 

C.        Partialité

[39]           Le demandeur fait valoir qu’il y a partialité (réelle ou raisonnablement appréhendée) en raison de la composition du comité. Tous les membres sont des hauts fonctionnaires de l’aéronautique œuvrant au sein même de la direction générale du ministère qui a pris la décision de ne pas renouveler la licence.

 

[40]           Cependant, le réexamen ordonné doit être effectué par le ministre. Il est opportun que cette décision soit prise par un représentant au terme d’une enquête menée par d’autres experts. Il n’est pas nécessaire que ces experts viennent de l’extérieur du gouvernement.

 

[41]           Cependant, ayant adopté cette procédure, le comité et le ministre doivent, pour éviter l’apparence de partialité, accorder crédit et déférence aux conclusions du Tribunal. Il ne suffit pas pour un comité de réexamen de simplement être en désaccord avec les conclusions du Tribunal ou avec le poids que celui-ci a accordé à la preuve. Autoriser ce genre de conduite de la part d’un tel comité reviendrait à ne pas tenir compte de l’intention du législateur lorsqu’il a institué le Tribunal en tant qu’organe indépendant de contrôle des décisions administratives se rapportant aux licences délivrées dans le secteur des transports.

 

[42]           Le réexamen ne constitue pas une simple formalité d’approbation automatique de la décision initiale du ministre, ni un mécanisme par lequel il serait loisible au ministre ou à ses fonctionnaires de trouver d’autres motifs et circonstances propres à étayer la décision initiale. Il doit s’agir d’un réexamen des points sur lesquels le ministre a fondé sa décision initiale, ainsi que des preuves dont disposait le Tribunal et des conclusions tirées par celui-ci. Le réexamen n’autorise pas les fonctionnaires du ministre à étudier les antécédents du demandeur dans le but de justifier, après coup, la décision initiale.

 

[43]           Même s’il n’y a peut-être pas eu partialité, le processus de réexamen suivi par le ministre était sérieusement entaché d’imperfections sur le plan de l’équité, et il ne saurait être approuvé.

 

D.        Conclusion relative à l’intérêt public

[44]           L’intérêt public en cause dans la décision du ministre est l’intérêt public en matière de sécurité aéronautique. Le ministre soutient que deux incidents ont fait pencher la balance lorsqu’il a  conclu que le renouvellement de la licence de TEA n’était pas conforme à l’intérêt public. Le Tribunal a accordé peu d’importance à ces incidents, voire aucune.

 

[45]           Il convient de noter que, en fin de compte, la décision de non-renouvellement prise par le ministre ne pouvait pas s’appuyer sur l’argument de l’« incompétence », mais que les mêmes faits ont été invoqués au soutien de la conclusion relative à l’« intérêt public ».

 

[46]           Il n’appartient pas à la Cour de revoir la preuve et de se prononcer sur le bien-fondé de la conclusion du ministre. Pour arriver à sa conclusion, le ministre est fondé à considérer le dossier complet du titulaire de la licence. En l’espèce, le ministre avait devant lui quatre manquements établis, un qui se rapportait à un aéronef et pour lequel il n’y avait pas eu sanction, deux qui concernaient un autre aéronef et un qui visait un troisième aéronef. Toutes les sanctions imposées étaient relativement légères, vu les pouvoirs d’exécution dont est investi le ministre.

 

[47]           Comme l’a noté le Tribunal, il n’y a pas eu d’autres cas où le ministre a refusé le renouvellement d’une licence de TEA. Le Tribunal a ensuite examiné des cas où le ministre avait suspendu ou annulé une licence de TEA ou avait révoqué quelque autre document d’aviation, lesquels concernaient tous des comportements plus sérieux et plus répétitifs que ceux du demandeur.

 

[48]           Dans ces autres cas, le nombre de manquements était beaucoup plus élevé que ceux du demandeur; ainsi, dans la décision Jensen c. Canada (Ministre des Transports), [1997] D.T.A.C. n° 49, il y avait eu 65 contraventions sur une période de 30 ans; dans la décision Spur Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1997] D.T.A.C. n° 24 (société de Jensen), il y avait eu 100 incidents qui avaient conduit à une annulation. Dans la décision Marin c. Canada (Ministre des Transports), [1995] D.T.A.C. n° 14, le ministre avait suspendu la licence de TEA de M. Marin pour motifs d’incompétence, après 15 manquements majeurs. Bien qu’il fût déclaré incompétent, M. Marin avait obtenu la possibilité de remplir une nouvelle fois les conditions d’obtention d’une licence.

 

[49]           D’autres précédents, par exemple la décision Poole c. Canada (Ministre des Transports), [2000] D.T.A.C. n° 55, et la décision Lockhart c. Canada (Ministre des Transports), [1999] D.T.A.C. n° 29, montrent que, dans ce domaine d’activité réglementée, il doit y avoir soit de nombreux incidents, soit des incidents majeurs, assortis d’une preuve manifeste de méfaits, avant que soit justifiée une suspension ou une annulation.

 

[50]           La conclusion du comité de réexamen était que, considérés globalement, les incidents attestaient un historique de comportements inacceptables auxquels une série de mesures correctives n’avaient pu remédier. La décision n’explique pas, cependant, la dichotomie entre les affaires passées et la présente affaire, en ce qui concerne l’« intérêt public » ou la sanction.

 

[51]           Le ministre n’est pas lié par ces précédents, bien qu’ils aient une incidence sur le caractère manifestement déraisonnable ou le caractère raisonnable de sa conclusion. Les précédents intéressent toutefois la question du redressement et le fait que le ministre n’a pas exposé la raison de la sanction (laquelle ne prévoit pas de mesures correctives ni une procédure qui permettrait au demandeur de remplir à nouveau les conditions de délivrance d’une licence). Sur ce point, les motifs donnés par le ministre sont déficients.

 

V.        REDRESSEMENT

[52]           Le demandeur prie la Cour de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de renouveler sa licence de TEA. Il s’agit ici d’un cas où les quatre critères de la délivrance d’un mandamus mentionnés dans l’ouvrage de Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, (Toronto : Canvasback Publishing, 2000) ont été largement établis. Le demandeur a rempli les critères objectifs du renouvellement de la licence, il existe une obligation d’équité envers le demandeur, le pouvoir discrétionnaire du ministre pourrait être considéré comme étant épuisé en raison d’une décision irrégulière (voir la décision Burlock c. Dispensing Opticians of Nova Scotia, [1989] N.S.J. No. 45 (C.S. N.-É., 1re inst.)), enfin il y a eu demande et refus.

 

[53]           Toutefois, même si les quatre critères d’un mandamus sont remplis, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non ce redressement, et elle ne l’exercera pas ici. Le ministre assume une obligation primordiale, celle de la sécurité du public. Les intérêts personnels doivent céder la voie, dans une certaine mesure, à l’environnement réglementaire, surtout lorsqu’il s’agit de la sécurité. Même si la Cour craint que le renvoi de l’affaire pour un nouveau réexamen entraînera un résultat inévitable, celui de la confirmation de la décision initiale, elle croit qu’un réexamen effectué dans les formes conduira à une conclusion juste et dûment fondée, et à un redressement durable, conforme aux présents motifs.

 

VI.       CONCLUSION

[54]           Pour ces motifs, la requête en mandamus est rejetée. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision du ministre sera annulée et la question du renouvellement de la licence de TEA du demandeur sera renvoyée au ministre pour un nouveau réexamen par un autre comité (si telle procédure est retenue) et par un autre représentant (si le ministre choisit de déléguer la décision à prendre). Le demandeur aura droit à ses dépens dans cette procédure de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du ministre est annulée et la question du renouvellement de la licence de TEA du demandeur est renvoyée au ministre pour un nouveau réexamen par un autre comité (si telle procédure est retenue) et par un autre représentant (si le ministre choisit de déléguer la décision à prendre). Le demandeur a droit à ses dépens dans cette procédure de contrôle judiciaire.

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-122-06

 

INTITULÉ :                                       ALVIN BANCARZ

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DES TRANSPORTS

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Schmit

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christine Ashcroft

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chomicki Baril Mah LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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