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Date : 20070424

Dossier : T-82-06

Référence :  2007 CF 432

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

GILLES PIMPARÉ

demandeur

et

 

 PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l’encontre d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, Section d’appel (le Tribunal). Par cette décision, datée du 15 décembre 2005, le Tribunal a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision du 12 juillet 2005 de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) refusant la libération conditionnelle totale et la semi-liberté du demandeur.

 

I.          Question en litige

[2]               Est ce que la décision du Tribunal enfreint l'une des règles d'équité procédurale et soulève une crainte raisonnable de partialité puisque l’un des trois commissaires de la CNLC avait préalablement témoigné pour la Couronne lors du procès du demandeur en 1984?

 

[3]               Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est négative. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

II.        Contexte factuel

[4]               Détenu à l’Établissement la Macaza, le demandeur purge une sentence d’emprisonnement à perpétuité avec admissibilité à la libération conditionnelle après 25 ans pour un double meurtre survenu le 4 juillet 1979. La sentence a été imposée le 17 octobre 1984 à la suite d’un procès devant un juge et un jury.

 

[5]               Le demandeur a fait l’objet d’une audience devant la CNLC à l’expiration de ses 25 ans d’incarcération. Un panel de trois personnes a rendu la décision négative pour la CNLC.

 

[6]               Après l’audience, le demandeur a réalisé que l'une de ces trois personnes, le commissaire Roussel, avait témoigné pour la Couronne, lors de son procès le 6 septembre 1984 (affidavit du demandeur, pièce GP-4).

 

[7]               Le demandeur soumet qu'au moment du procès au criminel, le commissaire Roussel était directeur du Centre de détention Parthenais où le demandeur était incarcéré et c'est lui qui avait autorisé la sortie de son co-accusé afin qu'il soit interrogé par des enquêteurs.

 

[8]               C'est le rejet de l'appel du demandeur par le Tribunal qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

III.       Décision en question

[9]               En maintenant la décision de la CNLC, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de préjudice pour le demandeur, étant donné l’intervalle de 21 ans entre les deux événements. Voici ce que le Tribunal a écrit à ce sujet :

À 21 ans d’intervalle, la Section d’appel ne croit pas que le témoignage pour la Couronne de l’ancien directeur du Centre de détention Parthenais, où vous étiez détenu au moment du procès, puisse rendre l’audience « illégale » du seul fait que cet ancien directeur faisait partie de votre audience à titre de commissaire. Nous avons par le passé prononcé dans de rares cas l’annulation d’audiences où, par exemple, un des commissaires avait dans un passé récent, participé à des décisions administratives concernant un détenu alors qu’il agissait à titre de gestionnaire d’un établissement carcéral. Tel n’est pas le cas en instance et nous sommes d’avis, après avoir écouté l’audience, que vous avez bénéficié « d’une défense pleine et entière » contrairement à ce qu’allègue le motif d’appel.

 

[10]           Suite à la lecture du dossier ainsi qu'à l'écoute de l'enregistrement de l'audience devant la CNLC, le Tribunal s'est exprimé ainsi :

Enfin, nous avons analysé la décision de la Commission en regard aux informations au dossier et celles ressorties lors de l'audience. À l'issue de son étude, la Section d'appel en vient la conclusion que la décision qui fait l'objet de l'appel est justifiée. Elle est complète, bien articulée et motivée. Nous la jugeons juste et raisonnable et appuyée par de l’information pertinente, crédible et convaincante. Par ailleurs, nous jugeons que vos droits ont été respectés et que l'audience a été tenue à un accord avec les principes de justice fondamentale ou vous et votre procureur avait eu tout le loisir de présenter votre cas.

 

IV.       Dispositions législatives pertinentes

[11]           Le demandeur soumet que la présente demande relève du paragraphe 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.), constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), qui prévoit ce qui suit :

Affaires criminelles et pénales  11.  Tout inculpé a le droit :

[. . .]

d)  d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable; 

[. . .]

Proceedings in criminal and penal matters 

11.    Any person charged with an offence has the right

[. . .]

(d)  to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal; 

[. . .]

 

[12]           Le mandat de la CNLC et du Tribunal est établi par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, dont voici les passages pertinents :

Principes

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

[. . .]

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

Principles guiding parole boards

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 [. . .]

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

V.        Analyse

La norme de contrôle

 

[13]           Puisqu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle (Dr Q  c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S 226). La jurisprudence nous enseigne que la Cour doit intervenir s'il y a démonstration d'une brèche à ce principe (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2004] 3 R.C.F. 195 (C.A.F.); Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

[14]           Tout d'abord, la Cour est d'accord avec le défendeur que le paragraphe 11d) de la Charte n’est pas applicable ici. Le demandeur n'était pas considéré comme un inculpé devant la CNLC (Giroux c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1994] A.C.F. no 1750 (C.F. 1ère inst.) au paragraphe 20). D'ailleurs, lors de l'audition, le procureur du demandeur s'est dit d'accord que le paragraphe 11d) de la Charte ne s'appliquait pas.

 

[15]           Ensuite, le demandeur s'appuie sur la pièce GP-4 (transcription du témoignage de M. Roussel lors du procès en 1984) pour démontrer que M. Roussel aurait dû se récuser lors de l'audition devant la CNLC.

 

[16]           Cependant, suite à l'analyse de cette transcription, la Cour constate que le témoignage de M. Roussel n'avait rien à faire avec les délits reprochés au demandeur ainsi qu'à son co-accusé M. Guérin. En effet, le témoignage de M. Roussel concernait la signature d'un formulaire permettant la sortie temporaire d'un prévenu sous escorte policière. Le formulaire en question concernait le co-accusé M. Guérin.

[17]           Si la Cour était en possession de documents, de notes sténographiques ou autres preuves à l'effet que M. Roussel avait été un témoin à charge pour la Couronne dans le procès du demandeur, elle n'aurait aucune hésitation à rendre une décision favorable à ce dernier. Cependant, tel n'est pas le cas. La Cour n'a aucune preuve que le témoignage de M. Roussel a été préjudiciable au demandeur. Ce dernier a rendu témoignage sur une question technique et ceci n'a rien à voir avec l'audition devant la CNLC.

 

[18]           Il faut noter de plus qu'une période de 21 ans s'est écoulée entre le témoignage et l'audition devant la CNLC.

 

[19]           Le critère à appliquer ici est de savoir si une personne raisonnable peut penser qu'il y a un danger réel de partialité ou s'il peut exister une crainte raisonnable de partialité (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369). La Cour considère que M. Roussel ne s'est pas placé en conflit d'intérêts en faisant partie du panel qui a rendu la décision négative pour la CNLC. La raison invoquée par le demandeur n'est pas sérieuse. Il n'y a aucune justification pour que la Cour intervienne ici.

 

[20]           La jurisprudence soumise par le défendeur aux paragraphes 27 à 32 de son mémoire ainsi que la décision Assoc. canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc. [1991] 3 C.F. 626 (C.A.F.) pour appuyer ses prétentions sont tout à fait pertinentes. La démonstration d'une crainte raisonnable de partialité doit se faire par une preuve sérieuse et convaincante.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Utilisant son pouvoir discrétionnaire, la Cour fixe les frais à la somme de 300 $ que le demandeur devra payer au défendeur.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-82-06

 

INTITULÉ :                                       GILLES PIMPARÉ et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 3 avril 2007

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 avril 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Latour                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Marc Ribeiro                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudrault, Côté et Associés                             POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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