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Date : 20070427

Dossier : IMM-5689-06

Référence : 2007 CF 450

Montréal, (Québec), le 27 avril 2007

En présence de L’honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

Abdul Rahim IBUNU MAJEED

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]                Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire faite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR), d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), rendue le 27 septembre 2006 qui refuse au demandeur Abdul Rahim Ibunu Majeed le statut de réfugié et de personne à protéger, tel que défini aux articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]                Le demandeur demande à cette Cour de casser la décision de la Commission et de renvoyer le dossier à la Section de l’immigration et du statut de réfugié pour une nouvelle audience devant un tribunal autrement constitué.

 

CONTEXE FACTUEL

[3]                Le demandeur est un citoyen de l’Inde, d’origine tamoule et de religion musulmane, âgé de 36 ans.

 

[4]                Depuis 1997, il exploite un commerce de produits électroniques importés de Malaisie, Singapour et Hong Kong.

 

[5]                Un de ses clients, un dénommé Govindan, entretient des liens avec un membre du Parlement du nom de Harun. Lorsque le client refuse de payer des produits achetés du demandeur en 1999, celui-ci cesse de l’approvisionner.

 

[6]                À l’automne 1999, au retour d’un voyage à Singapour, le demandeur est arrêté par la sécurité de l’aéroport et accusé d’avoir soutenu des terroristes musulmans en Inde et un regroupement terroriste sri lankais connu sous le nom de « Liberation Tigers ».  Il serait demeuré emprisonné jusqu’à la fin de décembre 2000 en raison de l’influence de Harun.

 

[7]                En février 2003, le client en question est tué et ses supporteurs attribuent la responsabilité du décès au demandeur.

 

[8]                Au début de juin 2005, le demandeur est arrêté puis détenu par la police relativement au décès du client Govindan. Avant sa libération quelques jours plus tard, le demandeur est questionné et battu par la police. Le demandeur attribue cette détention à Harun.

 

[9]                Par la suite, des membres du gang Harun  menacent le demandeur et insistent pour qu’il ferme son commerce, ce qu’il refuse.

 

[10]            Fin janvier 2005, le demandeur est arrêté, détenu et battu par la police. Ceux-ci lui auraient réitéré de cesser son commerce, ce qu’il refuse à nouveau.

 

[11]            Suite à sa libération, son avocat l’informe que des membres du gang Harun le recherchent et, s’il ne ferme pas son commerce, ils entendent le tuer et monter un faux dossier contre lui pour démontrer qu’il finance des terroristes.

 

[12]            Vers la mi-février 2005, le demandeur tente de quitter l’Inde pour remplir certains engagements envers sa clientèle. La police l’arrête à ce moment et le détient pendant 5 jours.

 

[13]            Grâce à l’intervention de son avocat, le demandeur est relâché. Il quitte l’Inde le 1er mars 2005 pour le Canada et, en août 2005, il demande le statut de réfugié et de personne à protéger.

 

 

 

 

DÉCISION CONTESTÉE

[14]            La Commission décide le 27 septembre 2006 que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié, au sens de l’article 96 de la LIPR, ni la qualité de personne à protéger, au sens de l’article 97 de la LIPR. Cette décision repose essentiellement sur l’existence d’un refuge interne.

 

[15]            Cette décision détermine de plus que le demandeur n’a pas établi être persécuté du fait d’un des motifs prévus à l’article 96 de la Loi, soit sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques.  Elle conclut pour décider ainsi que les événements à l’origine de la crainte du demandeur résultent d’une concurrence commerciale avec le dénommé Harun. Dans cette optique, la Commission constate que la plainte formulée contre le demandeur, loin de reposer sur une accusation d’assister des regroupements terroristes, concernait plutôt une accusation d’avoir fait contrebande de lingots d’or.

 

[16]            Dans sa décision, la Commission attache crédibilité au  récit du demandeur quant à son conflit commercial avec le clan Harun, sous réserve toutefois de quelques contradictions qu’elle juge invraisemblables. La Commission détermine ainsi que le demandeur n’a pas établi que son arrestation de novembre 1999 résulte d’un coup monté par Harun. Elle note de plus que ce conflit est de nature locale tout en ne manquant pas de noter que le demandeur a pu entreprendre plusieurs voyages en Extrême-Orient pendant ce conflit, et que pour le moment il n’est  pas recherché par les autorités de son pays.

 

[17]            Pour conclure à l’existence d’un refuge interne, la Commission a déterminé que le demandeur ne l’a pas convaincue que le conflit commercial qui l’oppose au dénommé Harun continuerait  s’il devait déménager  dans une autre région de l’Inde, que ce soit à Mumbai, Calcutta ou dans tout endroit de ce vaste pays suffisamment éloigné de Chennai où le demandeur exerçait son commerce jusqu’ici. La Commission est de plus d’avis que les difficultés et inconvénients pour le demandeur d’une relocation interne dans son pays ne seraient pas indues au sens des arrêts Thirunavukkarasu c. M.C.I., [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) et Rasaratnam c. Canada, [1992] 1 C.F. 706 (C.A.).

 

QUESTIONS EN LITIGE

[18]            Il s’agit pour la Cour de décider si la Commission commet une erreur donnant droit à la révision judiciaire lorsqu’elle conclut à la possibilité d’un refuge interne et refuse pour ce motif au demandeur la protection du statut de réfugié au sens de la Convention.  

 

NORME DE CONTRÔLE

[19]            Lorsque la Cour est appelée à réviser une décision de la Commission sur la possibilité d’un refuge interne, la norme de contrôle applicable reconnue est celle de la décision manifestement déraisonnable quand, comme en l’espèce,  il s’agit d’appliquer le droit  reconnu à l’ensemble des faits mis en preuve (Gilgorri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Iimmigration), 2006 CF 559).

 

[20]            Par ailleurs, lorsque la révision faite par cette Cour d’une décision de la Commission  porte sur l’existence ou pas d’un lien entre la persécution alléguée et l'un des cinq motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » prévue à l'article 96 de la LIPR, la norme applicable devient celle de la décision raisonnable, tel que enseigné dans La Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 940 (QL).

 

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis  une erreur donnant lieu à la révision judiciaire lorsqu’elle a conclu à l’existence d’une possibilité de refuge interne (PRI) ?

 

[21]            Le demandeur soutient que pour conclure ainsi la Commission omet de tenir compte de la situation particulière du demandeur, ce qui constitue une erreur qui donne droit à la révision. Plus particulièrement, il insiste sur l’absence d’un réseau d’affaires à l’extérieur de Chennai, un problème de langue et un problème de religion. Il ajoute également que, même s’il déménage ailleurs en Inde, il continuera à faire face à la concurrence commerciale du dénommé Harun qu’il considère être un danger pour lui.

 

[22]            Le défendeur soutient, pour sa part, que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer l’inexistence d’un PRI.

 

[23]            Le demandeur se devait de démontrer : que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à l'endroit proposé comme PRI, et en décidant, compte tenu de toutes les circonstances propres au cas du demandeur, que la situation à l'endroit proposé est telle qu'il n'est pas déraisonnable pour lui d'y chercher refuge (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.)).

 

[24]            Le fardeau de démontrer qu’une décision devrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire incombe au demandeur.

 

[25]            Or, celui-ci a failli de démontrer en quoi la conclusion de la Commission à l’effet qu’il existe un refuge interne était manifestement déraisonnable. Il s’est plutôt contenté d’alléguer qu’il serait toujours menacé par le dénommé Harun même en cas de déménagement et qu’il continuerait à craindre la police.

 

[26]            La conclusion de la Commission, quant à l’existence d’un refuge interne, découle  de son analyse des faits qui lui permet de qualifier le conflit commercial entre le dénommé Harun et le demandeur d’un conflit à saveur purement locale, et ce, d’autant plus que la police ne recherche pas le demandeur.

 

[27]            L’étude du dossier démontre que les motifs donnés par la Commission, pour conclure comme elle le fait dans sa décision, sont supportés par la preuve qu’il lui appartenait d’apprécier quant au poids et à la crédibilité à accorder à chaque élément de celle-ci. 

 

[28]            Soulignons que rien dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur ni dans son témoignage n’indique clairement que la concurrence commerciale à la source de ses ennuis en Inde s’étendait à l’échelle nationale plutôt que d’être limitée localement. Retenons de plus que le demandeur admet dans son  témoignage qu’aucun mandat d’arrêt n’a été émis contre lui en Inde.

 

[29]            Quant au caractère déraisonnable du refuge interne, le demandeur se limite à invoquer l’absence de liens commerciaux internes ailleurs qu’à Chennai, un problème de langue et d’ethnie. Il est reconnu toutefois qu’il n’est pas déraisonnable d’identifier comme refuge interne celui dans lequel possiblement un demandeur ne pourrait pas obtenir l’emploi qui lui convient (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 .C.F. 589 (C.A.)).

 

[30]            Par ailleurs, le demandeur n’a pas établi ni devant cette Cour ni devant la Commission en quoi son ethnie et sa langue constitueraient des obstacles déraisonnables à son établissement dans un refuge interne alors que le fardeau de démontrer l’absence de PRI lui incombe (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.)).

 

[31]            Tout bien pesé, la Cour est d’avis que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant à l’existence d’un PRI et justifiant l’intervention de cette Cour.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de donner lieu à la révision de la décision en excluant le demandeur de la définition de réfugié au sens de la Convention?

 

[32]            Le demandeur prétend que la Commission a erré en déterminant que sa demande d’asile n’a aucun lien avec les cinq motifs de persécution prévus à la Convention, et que conséquemment il était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[33]            L’absence d’un PRI au sein du pays d’origine du revendicateur du statut de réfugié ou de personne à protéger fait partie de la définition de ces concepts tel qu’il appert des articles 96 et 97 de la LIPR. Il s’en suit que l’existence d’un PRI est fatale à toute demande d’asile.

 

[34]            Compte tenu de la conclusion de la Cour sur la première des questions en litige, et même s’il devait y avoir erreur sur la réponse donnée par la Commission à cette question, il n’est pas  nécessaire en l’espèce de décider du bien‑fondé du reproche fait à la Commission sur ce point.

 

[35]            Les parties ont été invitées à soumettre une question pour fins de certification mais n’en n’ont soumis aucune.

 

[36]            Pour tous ces motifs la Cour conclut qu’il n’y a pas dans l’ensemble matière à révision.

                                                 


                                                             ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

La demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5689-06

 

INTITULÉ :                                       Abdul Rahim Ibunu Majeed c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 avril 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       L’honorable Maurice E. Lagacé, juge suppléant

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 avril 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Éveline Fiset

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Éveline Fiset

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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