Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20070501

Dossier : IMM-5359-06

Référence : 2007 CF 465

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

ALEXANDR PETROV

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               Il est entendu que la règle de droit et la reconnaissance du droit international qui en émane ne sauraient constituer les ingrédients menant à l’autodestruction de la société au milieu du chaos instauré par la terreur. À circonstances exceptionnelles, réponses exceptionnelles. Le chaos, cependant, ne peut tenir en otage la règle de droit. Il convient dès lors d’y voir un antidote agissant sur le calibrage permanent du baromètre de l’équilibre de la société, ou à tout le moins, de la réhabiliter progressivement, sinon intégralement, à la première occasion en vue de sa restauration ultime « souhaitée ».

La façon dont est menée la guerre à la violence et les limites qu’elle s’impose, en notre temps, sont autant d’éléments de l’équation par laquelle la société mesure son comportement antérieur – chaque élément devant s’apprécier en continu.

Dans la lutte pour subjuguer la terreur issue de la violence, qu’en coûtera-t-il d’écarter le droit? Faut-il mettre en veilleuse, voire même abolir les valeurs les plus profondes servant d’assises à nos lois, confondre l’innocent et le coupable? Du fait de la menace de disparition au milieu de la tourmente, le jugement devient un « luxe » que d’aucunes estiment superflu.

La balance du droit et de la justice peut-elle être recalibrée ou peut-on même envisager cette opération dans le feu de l’action? Est-il possible que le droit devienne aussi, à l’instar de la vie, une victime irrémédiablement perdue devant le péril aveugle de l’anéantissement anticipé?  La règle de droit ne vaut-elle qu’en temps de sérénité, n’est-elle qu’un principe qu’on s’empresse d’oublier sur le champ de bataille du chaos?

En pareille situation, toute réponse ou une stratégie nuancée ou pondérée sera considérée par certaines autorités comme pure naïveté de la part de ceux qui sont loin des périls du champ de bataille, qui ne sont pas au coeur de l’action ou sur la ligne de feu.

Si tel était le cas, la règle de droit et la reconnaissance du droit international qui en émane n’auraient plus leur place dans la société. Or, lorsque règne le chaos, la règle de droit ne peut se limiter à un rôle de simple observateur; elle doit servir de témoin éventuel; ainsi peut-elle répondre à l’usage démesuré de la force, dont les unités comme celle à laquelle appartenait le demandeur offraient un exemple.

De plus, il faut reconnaître l’importance de se pencher sur l’environnement, le cadre et le contexte particuliers, en soi, du phénomène humain issu d’une situation précise avant de pouvoir la comparer avec toute autre situation analogue se déroulant ou s’étant déroulée ailleurs


INTRODUCTION

[2]               M. Alexandr Petrov tombe sous le coup de la section Fa) de l'article premier de la Convention. Il existe en effet de sérieuses raisons de penser qu’il s’est rendu complice de crimes contre l’humanité, en raison de ses activités au sein de la police russe en mission à Grozny, en Tchétchénie. Les atrocités et les violations de droits de la personne sont bien documentées.    

 

[3]               Les documents indiquent clairement que les membres de la police russe en Tchétchénie ont été directement et indirectement responsables, via le Service fédéral de sécurité (BFS), d’activités généralisées et systématiques qui constituent des crimes contre l’humanité. Les documents démontrent aussi que la police russe a violé de façon flagrante le droit humanitaire international.

 

[4]               Si l’on applique, aux faits de l’espèce, le raisonnement sous-tendant l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), [1992] A.C.F. no 109 (C.A.F.) (QL), M. Petrov tombe clairement dans les paramètres de la section Fa) de l’article premier de la Convention et il doit en conséquence être exclu de l’application de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

[5]               Pour déterminer si M. Petrov est complice de crimes contre l’humanité et non un spectateur innocent, il est très utile de prendre en compte les commentaires qui suivent du juge Joseph Robertson dans la décision Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, [1993] A.C.F. no 912 (QL) :

[46]           […]  Bien que je ne prétende pas que la tâche de la Commission consiste à en venir à une conclusion qui repose entièrement sur l'application des principes de droit criminel, j'estime utile de recourir aux propos du juge Dickson (tel était alors son titre), qui s'exprimait au nom de la majorité de la Cour dans l'arrêt Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881, où il a étudié l'infraction d'aide et d'encouragement : La simple présence sur les lieux d'un crime n'est pas suffisante pour conclure à la culpabilité. Il faut faire quelque chose de plus: encourager l'auteur initial; faciliter la perpétration de l'infraction, comme monter la garde ou attirer la victime, ou accomplir un acte qui tend à faire disparaître les obstacles à la perpétration de l'acte criminel, comme par exemple empêcher la victime de s'échapper ou encore se tenir prêt à aider l'auteur principal.

 

 

[6]               Si l’on applique ce raisonnement au dossier de M. Petrov, il est clair qu’il n’était pas simplement un spectateur, témoin détaché de la perpétration d’atrocités, mais qu’il était plutôt un intervenant à part entière et à l’appui du ministère russe des Affaires intérieures pendant la perpétration de ces violations flagrantes des droits de la personne. Les faits en l’espèce démontrent clairement que M. Petrov participait activement et consciemment à une organisation qui violait les droits fondamentaux des civils, d’une manière systématique et répandue. Il était un apparatchik membre du ministère de l’Intérieur russe et du BFS dont les objectifs étaient  souvent atteints par la commission de violations des droits de la personne et du droit international telles que l’exercice de la brutalité sur des civils et à des fins criminelles, le tabassage, la torture et le meurtre.

 

[7]               Même si nous concevons que M. Petrov n’était jamais personnellement celui qui infligeait la douleur ou qui participait réellement aux violations des droits de la personne, il a dû être au courant des atrocités commises par l’organisation dont il faisait partie intégrante. Il prenait part à l’opération, même s’il ne situait pas en son centre névralgique. À tout le moins, il a supporté les efforts du ministère de l’Intérieur, en aidant le BFS et en assumant des fonctions de soutien pendant sa participation aux activités de la police russe. Il est, en conséquence, complice de crimes contre l’humanité perpétrés par la police russe et le BFS.

 

[8]               La Cour renvoie à la décision Guitierrez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994) 84 F.T.R. 227, [1994] A.C.F. no 1494 (QL):

[22]      […] trois conditions préalables doivent donc être établies pour qu’il y ait complicité dans la perpétration d’une infraction internationale : (1) l’appartenance à une organisation où la perpétration des infractions internationales fait continuellement et régulièrement partie de l’opération, (2) la participation personnelle et consciente, et (3) l’omission de se dissocier de l’organisation dès qu’il est possible de le faire en toute sécurité.

 

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[9]               Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du  statut de réfugié (la Commission), en date du 6 août 2006, a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR au motif qu’il était exclu de la protection suivant l’article 98 de la LIPR, en application de la section Fa) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention), parce qu’il était complice de crimes contre l’humanité.

 

CONTEXTE

 

[10]           Le demandeur, M. Alexandr Petrov, est un citoyen russe. Le 1er  juin 1993, il s’est volontairement joint au Département des enquêtes criminelles du ministère de l’Intérieur de la République du Tatarstan, où il a agi à titre d’exécutant au sein de la police criminelle jusqu’en avril 1996.

 

[11]           En mars 1996, M. Petrov a été choisi pour aller à Grozny, en Tchétchénie pour rechercher le commandant militaire, Shamil Bassayev, et pour neutraliser les groupes terroristes. Il s’y serait opposé mais il a été avisé qu’il était de son devoir d’y aller, et qu’en cas de refus, il serait jugé et incarcéré.

 

[12]           Le 23 avril 1996, M. Petrov est arrivé à Grozny en tant que membre de l’unité « Vitayz », qui se composait de quarante-trois participants provenant des départements des enquêtes criminelles de quarante-trois villes de Russie. Bien que M.  Petrov ait été informé par les autorités de Moscou que sa mission spécifique était de localiser Shamil Bassayev, le contexte avait changé à Grozny. Une fois sur place, M. Petrov est devenu membre d’un bataillon dédié spécifiquement au ministère des Affaires Intérieures et il a effectivement participé à des opérations militaires dans la guerre de Tchétchénie.

 

[13]           Alors qu’ils étaient en Tchétchénie, M. Petrov et d’autres membres du « Vitayz » ont arrêté des rebelles tchétchènes et neutralisé plusieurs groupes terroristes. En juin 1996, à la fin de la mission, vingt-huit membres de l’unité avaient survécu et beaucoup d’entre eux, dont M. Petrov, ont été désignés comme ennemis déclarés par les rebelles tchétchènes. Pour ses états de services durant cette période, le Président de la Russie lui a décerné une croix soulignant son courage personnel.

 

[14]           M. Petrov fait valoir que ses problèmes ont commencé à son retour à Kazan le 20 juin 1996, lorsqu’un journaliste a publié, sans son consentement, un article dans un journal tatar en relation avec son engagement en Tchétchénie. 

 

[15]           En 1997, M. Petrov a reçu des appels téléphoniques de menace et il a été battu à maintes reprises. De plus, il a été rétrogradé de la position de chef de la section de recherche criminelle au sein de la Section des enquêtes criminelles à celle d’exécutant.

 

[16]           En novembre 1997, M. Petrov a été interrogé par le BFS sur ses activités en Tchétchénie. Il a été informé que les autorités disposaient d’informations concrètes sur ses agissements en Tchétchénie sur lesquelles elles faisaient enquête. M. Petrov a alors signé un document qui lui ordonnait de ne pas quitter Kazan et de se présenter sur demande.

 

[17]           En avril 1998, M. Petrov a démissionné des forces policières. En janvier 1999, il a été détenu et interrogé par la police sur ses agissements en Tchétchénie et sur son travail de police. En juillet 1999, M. Petrov a été battu par quatre hommes; un individu que M. Petrov avait vu dans les bureaux du BFS se trouvait parmi ces assaillants. À la suite de cet incident, M. Petrov a quitté Kazan pour se rendre à Moscou.

 

[18]           À l’automne de 2000, M. Petrov a appris qu’une campagne de répression avait été lancée à Moscou contre ceux qui avaient servi en Tchétchénie. Du fait de cette campagne, un des membres de  « Viatyz » a été battu plusieurs fois par des agents du ministère de la Prévention du terrorisme et accusé faussement d’activités criminelles. De plus, M. Petrov soutient que quatre membres du groupe « Vitayz » ont été liquidés dans des circonstances pour le moins étranges. Selon M. Petrov, les membres de « Vitayz » ont été assassinés parce qu’ils ont été témoins des événements survenus en Tchétchénie. Il fait également valoir que lui-même et ses collègues membres de « Vitayz »  étaient perçus comme dangereux pour l’État et devaient donc être éliminés.

 

[19]           En août 2002, M. Petrov est entré au Canada et a demandé l’asile peu de temps après.

 

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[20]           La Commission a examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés et elle a conclu que M. Petrov devait être exclu de la protection des réfugiés pour les raisons suivantes : (1) il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité alors qu’il participait aux opérations militaires en Tchétchénie en 1996; (2) il existe des raisons sérieuses de penser que M. Petrov a été complice des mauvais traitements infligés à des détenus pour les avoir remis entre les mains du BFS sachant très bien que cet organisme pratiquait la torture des détenus en Tchétchénie; et (3) il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a eu connaissance de violations des droits de la personne graves et généralisées qui ont été commises par des policiers et des agents des services pénitenciers en Russie alors qu’il œuvrait au sein du ministère de l’Intérieur de 1992 à 1998 et par les mêmes personnes en Tchétchénie alors qu’il y était en mission en 1996.  

 

QUESTION EN LITIGE

[21]           La Commission a-elle eu tort de conclure que M. Petrov devait être exclu de la protection des réfugiés en application de la section Fa) de l’article premier de la Convention?

 

CADRE LÉGISLATIF

[22]           Les articles 96, 97 et 98 de la LIPR énoncent :

96.      A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

(a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i)                  elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

98.      La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

96.      A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

98.      A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[23]           La section F de l’article premier de la Convention énonce :

 

1F.      Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

(a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

(b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

1F.      The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a)      He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

c) He has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

 NORME DE CONTRÔLE

[24]           La question de savoir si M. Petrov devrait être exclu de la protection des réfugiés en application de la section F a) de l’article premier de la Convention est une question mixte de fait et de droit, qu’il convient donc d’examiner selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. La Cour ne peut par conséquent intervenir que si la décision de la Commission est déraisonnable. (Shrestha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 887, [2002] A.C.F. no 1154 (QL).)

 

ANALYSE

[25]           Suivant l’article 98 de la LIPR, la définition de réfugié ne comprend pas une personne qui est visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies. Les sections E et F sont incorporées dans la Loi par voie d’annexe. Dans le cas de M. Petrov, la section Fa) de l’article premier est pertinente :

 

1F.      Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

(a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

1F.      The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

[26]           La section F de l’article premier de la Convention cherche à exclure de la protection du statut de réfugié les personnes dont on peut considérer que la conduite, tant à l’égard de civils ou, en qualité de représentants de l’État, qu’à l’égard d’autres États, a violé les normes internationales de comportement acceptable.

 

Charge de la preuve et norme de preuve

[27]           S’agissant d’exclusion dans le cadre législatif de l’immigration, le ministre a le fardeau de prouver qu’il existe « des raisons sérieuses de penser » que la personne visée a commis un acte qui l’exclut du champ d’application de la Convention.

 

[28]           La norme de preuve, à savoir les « raisons sérieuses de penser », ainsi que le sens de cette expression sont maintenant établis en droit canadien. Dans la décision Ramirez, précitée, la Cour fédérale a déclaré que l’expression « raisons sérieuses de penser » commande une norme de preuve inférieure à celle de la prépondérance des probabilités, la norme habituelle de preuve en matière civile, laquelle est, bien sûr, déjà inférieure à la norme de preuve en matière criminelle, soit la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

Cadre pour les crimes contre l’humanité

[29]           La Cour fédérale a statué ainsi dans la décision Shakarabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), (1998) 145 F.T.R. 297, [1998] A.C.F. no 444 (QL) :

20     Les tribunaux tiennent également souvent compte des déclarations des professeurs de droit, des auteurs de doctrine et des divers tribunaux judiciaires et administratifs nationaux et internationaux pour en arriver à une définition des crimes contre l'humanité. Ces déclarations aident à préciser les grandes définitions que l'on trouve dans des instruments internationaux comme le Statut du TMI. Dans ses décisions, la Cour fédérale interprète ces déclarations en conformité avec les instruments internationaux pour proposer une définition à tous les intéressés. Ainsi, la véritable question en litige est celle de savoir si les actes que la Commission a examinés constituent des crimes contre l'humanité au sens de la jurisprudence de notre Cour.

 

 

 

[30]           Le point de départ de la définition des crimes contre l’humanité est l’article 6 du Statut du Tribunal militaire international (Manuel de l’UNHCR, Jan./88, Annexe V, p. 88, qui inclut dans sa définition du terme :

c)         [...] l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles [...]

 

 

[31]           L’article 6 prévoit ensuite que :

c)         Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour permettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan.

 

 

[32]           L’article II de la Loi no 10 du Conseil de contrôle, Berlin, 20 décembre 1945, formule la définition suivante des crimes contre l’humanité :

[traduction] […] Les atrocités et les infractions, comprenant, sans y être limitées, le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, l’emprisonnement, la torture, le viol et tout autre acte inhumain commis à l’encontre d’une population civile, ou des persécutions, pour des raisons politiques, raciales ou religieuses, qu’elles aient constituées ou non une violation du droit interne du pays où elles ont été perpétrées.

 

[33]           Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé le 1er juillet 1998, constitue l’expression la plus exacte de l’état actuel du droit international en matière de crimes contre l’humanité. Il codifie et édicte effectivement le droit international en matière de crimes contre l’humanité, tel qu’il a été élaboré en 1945 (Statut de Nuremberg, Constitution du Tribunal militaire international). L’article 7 du Statut de Rome définit ainsi les crimes contre l’humanité :

[...] meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, torture, violence sexuelle, et autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

 

[34]           En 2000, le Parlement canadien a édicté la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, qui a réellement mis en œuvre le Statut de Rome. L’article 6 de cette loi traite des infractions commises à l’extérieur du Canada. Le paragraphe 6(3) définit « crime contre l’humanité » de la façon suivante :

Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its Commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its Commission.

 

 

[35]           Le professeur Hathaway déclare :

[traduction] […] Les crimes contre l’humanité sont des conduites fondamentalement inhumaines, qui souvent se greffent à des partis pris politiques, raciaux, religieux ou autres. Le génocide, l’esclavage, la torture et l’apartheid sont des exemples qui tombent dans cette catégorie.

 

(Hathaway, James C., The Law of Refugee Status (Toronto): Butterworths, 1991, p. 217.)

 

[36]           Dans la décision Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), la Cour fédérale a jugé que les crimes contre l’humanité doivent généralement être commis de façon généralisée et systématique, en temps de guerre comme en temps de paix.

 

[37]           Le principal argument soutenu par M. Petrov est que la Commission a commis une erreur en concluant à son exclusion du Canada en application de la section Fa) de l’article premier de la Convention parce qu’elle n’a pas appliqué le critère approprié pour décider s’il était complice de « crimes contre l’humanité ».

 

Crimes contre l’humanité

                        Définition de crimes contre l’humanité

[38]           Le paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre donne les définitions suivantes :

« crime contre l’humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

« crime de guerre » Fait — acte ou omission — commis au cours d’un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its Commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its Commission.

 

 

"war crime" means an act or omission committed during an armed conflict that, at the time and in the place of its Commission, constitutes a war crime according to customary international law or conventional international law applicable to armed conflicts, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its Commission

 

 

[39]           Le paragraphe 6(1.1) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre prévoit que la perpétration d’un crime comprend les infractions inchoatives :

6.      (1.1) Est coupable d’un acte criminel quiconque complote ou tente de commettre une des infractions visées au paragraphe (1), est complice après le fait à son égard ou conseille de la commettre.

 

6.      (1.1) Every person who conspires or attempts to commit, is an accessory after the fact in relation to, or counsels in relation to, an offence referred to in subsection (1) is guilty of an indictable offence.

 

 

 

[40]           Contrairement aux allégations de M. Pétrov, la Commission n’a pas omis de faire la distinction entre l’emploi qu’il exerçait sur une base volontaire au ministère de l’Intérieur entre 1993 et 1996, et son  engagement en Tchétchénie en 1996. La Commission a en effet subdivisé ses motifs en deux parties en déclarant :

[traduction] Dans un premier temps, l’analyse qui suit se penchera sur la situation générale prévalant en Russie et, par la suite, sur les hostilités en Tchétchénie.

 

 

[41]           Les hostilités ont été déclenchées dans la République de Tchétchénie de la Fédération de Russie en décembre 1994. Tel que l’indique la preuve documentaire soumise à la Cour, lors de l’arrivée du demandeur d’asile à Grozny, en avril 1996, les combats, la violence et la violation des droits de la personne faisaient rage en Tchétchénie depuis plus d’un an. Le 26 mars 1996, le Conseil économique et social des Nations Unies (le Conseil) a publié un rapport sur la situation des droits de l’homme dans la République de Tchétchénie de la Fédération de Russie. Ainsi qu’il appert du rapport, les deux protagonistes contrevenaient gravement aux droits de la personne et au droit humanitaire (Rapport du Conseil de l’ONU, mars 1996, p. 24); cependant, l’analyse qui suit se concentrera sur les contraventions perpétrées du côté de la Fédération en raison de leur grande pertinence eu égard à la décision sur la question de l’exclusion en l’espèce.

 

[42]           En introduction, le rapport du Conseil de l’ONU affirme ceci :

[Traduction]

1. Lors de la cinquante et unième séance de la Commission des droits de l’homme, le président a lu une déclaration faisant état de l’entente consensuelle de la Commission relativement à la situation relative aux droits de la personne dans la République de Tchétchénie de la Fédération de Russie (voir E/1995/23‑E/CN.4/1995/176, par. 594). Dans cette déclaration, intitulée “Situation of human rights in Chechnya” (situation des droits de la personne en Tchétchénie), la Commission s’est dite profondément préoccupée par le recours disproportionné à la force par les forces armées de la Russie, déplore les graves violations des droits de la personne, avant et après le début de la crise, ainsi que du droit humanitaire international et la répétition de ces violations

 

Le rapport ajoutait :

 

[Traduction]

2. La Commission déplore fortement le nombre élevé de victimes et les souffrances infligées à la population civile et aux personnes déplacées ainsi que la destruction sérieuse de l’infrastructure et des installations utilisées par les civils. La Commission demande que tous ceux qui ont commis des violations des droits de la personne contre des particuliers soient traduits en justice.

 

[…]

 

5. Au cours des années 1995 et 1996, le Haut Commissaire aux droits de l’homme a mené un certain nombre de consultations auprès des autorités russes au sujet de la situation concernant le droit de la personne en Tchétchénie. Lors de sa réunion avec le ministre de l’Intérieur de la Russie, tenue le 17 janvier 1995, M. Andrey Kozyrev, le Haut Commissaire, a demandé que l’on cesse immédiatement la violence et les violations des droits de la personne en Tchétchénie et il a offert la coopération de son Bureau avec les autorités russes. 

 

(Rapport du Conseil de l’ONU, mars 1996.)

 

 

[43]           Sur la foi d’informations provenant de sources diverses, dont plusieurs organisations non gouvernementales, soit Human Rights Watch, Amnesty International, Organisation des peuples et des nations non représentées, etc., le rapport détaille les violations commises par les forces de la Fédération tel qu’il ressort des observations du ministre à la Commission soumises à la Cour :

[Traduction]

55. Selon les allégations, les forces armées du ministère de l’Intérieur (agents supérieurs) ont tiré sur un groupe de soldats qui refusaient d’obéir aux ordres de tuer la population civile. À cet égard, les rapports critiquaient le comportement et la conduite du personnel militaire fédéral servant sur le terrain et ont noté qu’ils n’avaient pas reçu de formation en droit humanitaire.

61. Les attaques des villes et villages tchétchènes menées par les forces fédérales ont été caractérisées comme étant absolument arbitraires, disproportionnées et délibérées. [traduction] « Les rapports décrivent aussi, dans les propres mots des victimes, les attaques arbitraires contre des personnes déplacées en transit, et le pilonnage de leurs camps par les troupes fédérales. » Par exemple, le 7 mars 1995, à l’extérieur du village d’Achkhoy‑Martan, au sud‑ouest de Grozny, les troupes fédérales ont ouvert le feu sur deux véhicules transportant des personnes qui fuyaient la zone de conflit et ont tué sept personnes, y compris cinq femmes et une fillette de trois mois.

65. [...] Selon ces sources, en février et en mars 1995, les centres de concentration,[traduction]« situés dans des bases militaire situées au-delà de contrôle et vérification extérieure,» sont devenus le site d’actes de violence, de cruauté ou de dégradation les plus radicaux, commis contre les détenus. Les agressions systémiques, la torture et d’autres formes de mauvais traitements, y compris des chocs électriques, étaient réguliers, dit‑on, au cours de la détention aux “postes de filtrage” ou des transports entre ces derniers. Dans le dernier cas, des détenus dont on avait lié les mains et les jambes étaient chargés dans des camions en plusieurs couches, les uns par‑dessus les autres, selon les allégations. En conséquence, certains prisonniers sont morts asphyxiés.

 

            […]

67. […] Depuis le printemps de 1995, la pratique consistant à détenir des personnes ailleurs que dans les “camps de filtrage” établis officiellement était devenue généralisée. Toujours selon les rapports, 2 000 hommes ont été détenus dans des camps de concentration, y compris un grand nombre d’adolescents et d’hommes âgés qui n’avaient pas participé à la résistance militaire. D’autres sources allèguent que les forces fédérales ont fréquemment détenu tout mâle tchétchène, peu importe si elles disposaient de quelque preuve de leur participation à l’opposition armée, en vue de les échanger pour des soldats russes capturés.

 

68. Les rapports indiquent que depuis le 30 septembre 1995 les forces fédérales cernent et bouclent la ville de Sernovodsk. Depuis, quelque 3600 personnes ayant trouvé refuge dans le sanatorium municipal, les 20 000 résidents de Sernovodsk et les autres réfugiés intérieurs vivant chez des parents ou des amis subiraient la famine. Les rapports indiquent également que les autorités russes dirigeraient l’aide vers le nord de la Tchétchénie où la population serait plus fidèle au régime central, plutôt que vers deux autres régions, le sud de la Tchétchénie et la République du Daghestan, qui sont devenues des centres de réfugiés. De plus, on rapporte que les autorités russes tentent régulièrement de bloquer l’arrivée des secours humanitaires dans la région en créant des difficultés bureaucratiques aux organisations humanitaires, entravant ainsi la distribution de l’aide et interrompant les évacuations médicales de Grozny.

 

(Rapport du Conseil de l’ONU, mars 1996.)

 

 

[44]           Un article de journal (soumis à la Commission par le demandeur d’asile) décrit ainsi la situation qui régnait à son arrivée dans la ville de Grozny : « Grozny [...] ressemble à Stalingrad – partout des cendres. Ce qui vous saute immédiatement aux yeux c’est qu’il n’y a pas d’enfants dans les rues, que les magasins sont fermés, que les marchés d’alimentation sont les seuls endroits où vous pouvez vous procurer de la nourriture. » La description n’était pas incompatible avec la preuve documentaire susmentionnée. Dès que le demandeur d’asile a mis les pieds à Grozny, il a vu, de ses propres yeux, les conséquences des combats, de la violence et des violations des droits de la personne en Tchétchénie.

 

[45]           Un an plus tard, soit le 20 mars 1997, le Conseil de l’ONU a publié un autre rapport contenant une évaluation de la situation en Tchétchénie presque identique à celle faite un  an auparavant. Ce nouveau rapport affirmait :

1. […] Dans la déclaration adoptée à la cinquante-deuxième session, la Commission se disait vivement préoccupée par le fait que l'emploi disproportionné de la force par les forces armées de la Fédération de Russie continuait de se traduire par de graves violations des droits de l'homme, ainsi que du droit international humanitaire.

2. La Commission a vivement déploré le nombre élevé de victimes et les souffrances infligées à la population civile et aux personnes déplacées, ainsi que les dégâts considérables causés à des installations et infrastructures utilisées par les civils. Elle a demandé que tous les auteurs de violations des droits de l'homme et d'autres crimes soient traduits en justice. Elle a demandé instamment qu'il soit mis fin immédiatement aux hostilités et aux violations des droits de l'homme et que les représentants des parties entrent immédiatement en contact afin de trouver une solution pacifique au conflit, compatible avec le respect de l'intégrité territoriale et la Constitution de la Fédération de Russie. Elle a également réaffirmé que les droits de l'homme fondamentaux du peuple de la République de Tchétchénie devaient être respectés. Elle a en outre demandé que l'aide humanitaire puisse être acheminée sans entrave vers tous les groupes de la population civile qui en avaient besoin.

 

 

[46]           Le rapport du Département d’État américain posait un diagnostic semblable sur la situation en Tchétchénie :

[traduction] Les antécédents du gouvernement en matière de droits de la personne se sont peu améliorés en 1996. Les groupes de défense des droits de la personne nationaux et étrangers continuent de documenter de sérieuses violations du droit humanitaire international et des droits de la personne dans la République de Tchétchénie, tant par l’armée russe que par les forces séparatistes tchétchènes. Les violations commises par les forces russes continuent de se produire sur une beaucoup plus grande échelle que celles des séparatistes tchétchènes. Les forces russes qui ont recours à la force de façon arbitraire et disproportionnée se soldent par de nombreux décès de civils. Les forces russes empêchent également les civils d’évacuer les régions où le danger est imminent ainsi que les organismes humanitaires d’aider les civils dans le besoin. Ces actions sont en contradiction avec un certain nombre d’obligations internationales russes, y compris celles concernant la protection des non‑combattants civils. Les forces de la sécurité sont également responsables de disparitions en Tchétchénie.

 

(Rapport du Département d’État américain pour 1996, janvier 1997.)

 

 

[47]           S’appuyant sur des sources dignes de foi, le rapport du Département d’État américain signale que [traduction] « les tentatives des forces fédérales pour garder leur emprise sur Grozny en août ont également été caractérisées par l’usage arbitraire de la puissance aérienne et de l’artillerie, menant à la destruction de plusieurs immeubles résidentiels et d’un hôpital », ajoutant qu’[traduction] « au cours de la bataille pour Grozny, les forces fédérales ont occupé un hôpital et utilisé les patients comme boucliers humains ».

 

[48]           La preuve documentaire provenant de diverses sources démontre que la communauté internationale toute entière a condamné fermement les violations graves et généralisées des droits de la personne et du droit international humanitaire commises par les forces de la Fédération russe en Tchétchénie en 1995 et 1996.

 

 

Bien-fondé des conclusions portant sur la complicité

 

                        Définition de la complicité

           

[49]           Dans la décision Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79, [1993] A.C.F. no 1292 (QL), la juge Barbara J. Reed tire les conclusions qui suivent en ce qui concerne la question de la complicité :

[5]        Dans les décisions Ramirez, Moreno et Sivakumar, il est question du degré ou du type de participation qui constitue la complicité. Il ressort de ces décisions que la simple adhésion à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales n'implique pas normalement la complicité. Par contre, lorsque l'organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, ses membres peuvent être considérés comme y participant personnellement et sciemment. Il découle également de cette jurisprudence que la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction en tant que spectatrice par exemple, sans lien avec le groupe persécuteur, ne fait pas d'elle une complice. Mais sa présence, alliée à d'autres facteurs, peut impliquer sa participation personnelle et consciente.

 

[6]        Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

 

 

[50]           En outre, dans la décision Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (QL), la Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi :

[11]      La première de ces prétentions n'est pas pertinente en l'espèce. Ce n'est pas la nature des crimes reprochés à l'appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s'être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l'humanité et que l'appelant rencontre les exigences d'appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence (voir, notamment, Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); Sumaida c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000) 3 C.F. 66 (C.A.); et Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.)), l'exclusion s'applique quand bien même les gestes concrets posés par l'appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l'humanité. Bref, si l'organisation persécute la population civile, ce n'est pas parce que l'appelant lui-même n'aurait persécuté que la population militaire qu'il échappe à l'exclusion, s'il est par ailleurs complice par association.

 

 

[51]           Enfin, dans l’arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1996) 205 N.R. 282 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale déclare qu’il n’est pas nécessaire de prouver, dans un cas comme celui de M. Petrov, qu’il fait partie d’une organisation visant principalement des fins limitées et brutales pour conclure à la complicité. La Cour a plutôt conclu qu’il suffit d’établir qu’une organisation a commis des crimes contre l’humanité qui font partie intégrante des opérations de cette organisation à laquelle l’individu en cause est associé :

[11]      Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une « participation personnelle et consciente » puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318, « dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont ». Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la Commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

 

 

[52]           À la lumière de la preuve présentée devant la Commission, la décision de cette dernière était raisonnable et conforme à la jurisprudence de notre Cour.

 

Facteurs applicables pour déterminer si un individu est complice de crimes contre l’humanité

 

[53]           La Cour fédérale a énuméré six facteurs qu’il convient de prendre en compte pour décider si une personne est complice de crimes contre l’humanité. Les voici :

            1) la nature de l’organisation;

            2) la méthode de recrutement;

            3) le poste ou le grade au sein de l’organisation;

            4) la connaissance des atrocités commises par l’organisation;

            5) la période de temps passée dans l’organisation;

            6) la possibilité de quitter l’organisation.

 

(Voir Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 1207, [2002] A.C.F. no 1639 (QL), aux paragraphes 33 et 44; Sivakumar, précité, aux paragraphes 9 à 13; Omar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 861, [2004] A.C.F.

no 1061(QL), au paragraphe 9; et Kaburundi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 361, [2006] A.C.F. no 427 (QL), aux paragraphes 32 à 35, 44 et 45.)

 

[54]           La Commission a pris en compte les facteurs mentionnés ci-dessus en l’espèce, ce qui confirme la raisonnabilité de sa décision.

 

(1) La nature de l’organisation

[55]           S’il est déterminé qu’une organisation poursuit une fin limitée et brutale, la participation personnelle d’un individu à la perpétration de crimes contre l’humanité se présume de sa seule appartenance à l’organisation. En l’espèce, la Commission n’a pas conclu que le bataillon spécial désigné par le ministre de l’Intérieur ou l’armée russe avait une fin limitée et brutale. En conséquence, la complicité dans des crimes contre l’humanité devait être établie par le ministre à l’audience par une preuve fondée sur la participation personnelle de M. Petrov dans de tels crimes, pendant sa période de service au sein de l’armée russe en Tchétchénie en 1996.

 

[56]           La Commission est venue à la conclusion que M. Petrov a commis des crimes contre l’humanité durant son séjour en Tchétchénie en 1996, compte tenu qu’il a lui-même admis avoir utilisé son arme, arrêté et détenu des individus, participé à la guerre et à de véritables actions militaires, exhumé des corps pour identifier des terroristes et neutralisé des groupes terroristes. (Décision de la Commission, aux pages 19 et 24, transcription de l’audience (le 7 février 2006), à la page 88, transcription de l’audience (le 14 juin 2006), aux pages 15 à 25.)

 

(2) La méthode de recrutement

[57]           M. Petrov a été membre d’un bataillon spécial désigné par le ministre de l’Intérieur du 23 avril au 20 juin 1996 (pour une période totale de deux mois). Il ne s’agissait pas ici d’une appartenance volontaire.

 

(3) Le poste ou le grade dans l’organisation

[58]           Même si M. Petrov n’a pas occupé de grade particulier au sein de l’armée russe en Tchétchénie en 1996, il faisait partie d’une équipe d’élite, plutôt que d’un groupe d’agents ordinaires :

Aucun élément de preuve devant le tribunal ne donne à entendre que le demandeur d’asile avait un rang particulier dans [Traduction] « le bataillon spécial désigné par le ministère de l’Intérieur ». En outre, le demandeur d’asile allègue dans son exposé circonstancié contenu dans le FRP qu’il a été choisi pour la mission en Tchétchénie parce qu’il [Traduction] « était Russe et ressemblait à un Tchétchène ». Toutefois, l’élément de preuve selon lequel [Traduction] « le bataillon spécial désigné par le ministère de l’Intérieur » était composé de 43 membres choisis au sein du service des enquêtes criminelles du ministère de l’Intérieur dans 43 villes partout en Russie, la participation du demandeur d’asile à l’équipe a été confirmée par le ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie à Moscou et, avant d’être envoyé en Tchétchénie, le demandeur d’asile est allé à Moscou où il a été reçu par le vice‑ministre de l’Intérieur de la Fédération de Russie, mène le tribunal à considérer [Traduction] « le bataillon spécial désigné par le ministère de l’Intérieur » comme étant une équipe de la nature d’une certaine élite, plutôt qu’un groupe d’agents ordinaire.

 

(Décision de la Commission, aux pages 24 et 25)

 

 

(4) La connaissance des atrocités commises par l’organisation

[59]           La Commission a conclu que M. Petrov a eu connaissance des atrocités commises par le BSF :

La preuve documentaire indique que les violations des droits de la personne en Tchétchénie étaient commises non seulement par le BSF, mais aussi par d’autres composantes des forces fédérales, y compris le ministère de l’Intérieur, [Traduction] « le groupe dont le demandeur d’asile faisait partie. »

 

            Le demandeur d’asile reconnaît que le BSF [Traduction] « torturait les détenus » et qu’il croit que [Traduction] « il est un témoin oculaire non seulement des crimes commis par le BSF et le gouvernement russe en Tchétchénie mais également du fait que la guerre est menée pour des motifs de nature économique. »

 

            Le demandeur d’asile reconnaît qu’il [Traduction] « a appréhendé des criminels qu’il a remis entre les mains d’autres soldats » et qu’il a entendu parler des « prisonniers qui étaient battus ou torturés », mais il ajoute qu’« il n’a rien vu de ses propres yeux. »

 

Toutefois, qu’il ait vu ou non des prisonniers se faire battre ou torturer, on peut déduire que le demandeur d’asile savait qu’il participait indirectement aux mauvais traitements des prisonniers et des détenus administrés par le BSF, en ce sens qu’il remettait les personnes qu’il arrêtait entre les mains du BSF.

 

(Décision de la Commission, aux pages 18 et 19, transcription de l’audience (le 7 février 2006), aux pages 75 et 84)

 

(5) La période de temps passée dans l’organisation

[60]           Contrairement à ce que le demandeur a fait valoir, la Commission a reconnu que M. Petrov a été en Tchétchénie pendant deux mois. À ce titre, la Commission a conclu que la nature de la participation de M. Petrov en Tchétchénie permettait à celle-ci de conclure à sa complicité :

En outre, de l’avis du tribunal, ce qui est significatif n’est pas le rang que le demandeur d’asile occupait au sein du bataillon ni pendant combien de temps il est resté en Tchétchénie, mais plutôt à quelles activités il s’est livré et ce qui est ressorti de cette période de deux mois. Tel qu’analysé ci‑dessus, le demandeur a fait feu avec son arme, neutralisé des « terroristes », participé à la guerre et aux mesures militaires elles‑mêmes, procédé à des arrestations, remis des détenus entre les mains du BFS, exhumé des corps, etc., au cours de cette période de deux mois en Tchétchénie.

 

(Décision de la Commission, page 25)

 

 

(6) La possibilité de quitter l’organisation

[61]           La Commission a ainsi apprécié ce facteur :

Le demandeur d’asile est resté en Tchétchénie pendant deux mois, mais il est resté avec le bataillon en Tchétchénie jusqu’à ce que la mission soit terminée. Le demandeur d’asile allègue qu’il a été forcé d’aller en Tchétchénie. Toutefois, à son retour à Kazan, le président de la Russie lui a octroyé une croix de bravoure et de courage personnel.  

 

[…]

 

Aucun élément de preuve n’a été soumis pour donner à entendre que le demandeur d’asile a fait des efforts pour se dissocier du ministère de l’Intérieur avant 1998, lorsqu’on lui a « offert de démissionner » après ce qu’il a vécu en Tchétchénie en 1996.

 

(Décision de la Commission, page 25)

 

 

[62]           Compte tenu de la preuve dans son ensemble, la conclusion de non-admissibilité de la Commission n’est pas déraisonnable. La Commission a appliqué les faits aux critères appropriés et elle n’a commis aucune erreur dans son application de la loi.

 

 

CONCLUSION

 

[63]           Pour ces motifs, le contrôle judiciaire est rejeté.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE

 

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

 « Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5359-06

 

INTITULÉ :                                       ALEXANDR PETROV c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 avril 2007

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               Le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Arthur I. Yallen

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

YALLEN ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.