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Date : 20070503

Dossier : IMM-5470-06

Référence : 2007 CF 483

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2007

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

MAGTOUF, Mustapha

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou LIPR), à l’encontre d’une décision rendue le 21 septembre 2006 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) – Section d’appel de l’immigration (la SAI), rejetant l’appel du demandeur pour faute de compétence.

 

FAITS PERTINENTS

 

[2]               Mustapha Magtouf (le demandeur) est un ressortissant algérien arrivé au Canada le 27 juin 1999, ayant obtenu le droit d’établissement au Canada grâce au parrainage de son épouse.

 

[3]               Le 18 mai 2005, le demandeur a plaidé coupable à une accusation de voies de fait graves contre son épouse, portée en vertu de l’article 268 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans. Le 10 novembre 2005, la sentence a été rendue par l’honorable Élizabeth Corte de la Cour supérieure du Québec, qui s’est exprimée ainsi :

Je pense que la peine appropriée en est une de quatre (4) ans de pénitencier, dont je vais déduire la détention provisoire que je compte pour le double, donc je vais déduire quarante-deux (42) mois et donc, à compter d’aujourd’hui, vous aurez à purger six (6) mois, parce que c’est ce que je considère qu’il reste sur ce que vous auriez dû, si vous aviez plaidé coupable au tout début, avoir comme peine.

 

[4]               Le 9 novembre 2005, un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi a été émis à l’encontre du demandeur, à l’effet qu’il est un résident permanent interdit de territoire pour grande criminalité, en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.  Le 10 février 2006, une mesure d’expulsion a été prise à l’encontre du demandeur.

 

[5]               Le 10 mars 2006, le demandeur a déposé un avis d’appel de la décision prononçant la mesure de renvoi.  Le 29 mars 2006, le ministre a présenté à la SAI une demande de rejet d’appel pour défaut de compétence.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[6]               Dans une décision rendue le 21 septembre 2006, la commissaire de la SAI Me Mona Beauchemin (le tribunal) a conclu que la SAI n’avait pas compétence pour entendre cet appel, en raison de l’application de l’article 64 de la Loi, voulant qu’un appel ne puisse être interjeté par un résident permanent ou un étranger qui est interdit de territoire pour grande criminalité, c’est-à-dire pour une infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

1)   Le tribunal a-t-il erré en concluant que la SAI n’avait pas compétence pour entendre l’appel du demandeur?

2)   Le tribunal a-t-il erré en refusant de se prononcer sur la question des droits du demandeur en vertu de l’article 7 de la Charte, en l’absence d’un avis de question constitutionnelle?

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]               Il est de jurisprudence constante que la norme applicable au contrôle judiciaire d’une décision de la Commission varie selon la nature de la décision. Pour une question de droit, la norme est celle de la décision correcte; pour une question de fait, celle de la décision manifestement déraisonnable; et pour une question mixte de fait et de droit, celle de la décision raisonnable. Cette approche a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans la décision Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100.

 

[9]               Les questions soulevées par le demandeur dans cette demande de contrôle judiciaire étant toutes des questions de droit, la norme de la décision correcte sera appliquée.

 

ANALYSE

1) Le tribunal a-t-il erré en concluant que la SAI n’avait pas compétence pour entendre l’appel du demandeur?

 

[10]           L’inadmissibilité pour motif de grande criminalité se trouve à l’article 36 de la Loi qui prévoit :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

 

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

[11]           En vertu de l’article 63 de la Loi, il est possible d’interjeter appel de la mesure de renvoi prise à la suite d’une déclaration d’inadmissibilité. Par contre, une exception à ce droit d’appel se trouve à l’article 64 de la Loi qui se lit comme suit :

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

 

 

 

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

 

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

 

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

 

[12]           Essentiellement, le demandeur soumet que le tribunal a erré dans l’interprétation du paragraphe 64(2) de la Loi en tenant compte de la période de détention préventive dans le calcul de la peine imposée au demandeur pour conclure à l’absence de compétence.

 

[13]           Le tribunal a considéré le libellé de la Loi, l’extrait pertinent de la décision de la juge Corte quant à la sentence appropriée, ainsi que les circonstances particulières ayant mené à la détention du demandeur. Le tribunal a appuyé sa décision de considérer la période de détention préventive dans le calcul de la période d’emprisonnement sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455. Entre autres, le tribunal cite l’extrait suivant de Wust, ci-haut :

 41      Prétendre que la détention présentencielle ne peut jamais être réputée constituer une peine après la déclaration de culpabilité -- parce que le système judiciaire ne punit pas des personnes innocentes -- est un exercice de sémantique qui ne tient pas compte de la réalité de cette détention […]

 

En conséquence, bien que la détention avant le procès ne se veuille pas une sanction lorsqu'elle est infligée, elle est, de fait, réputée faire partie de la peine après la déclaration de culpabilité du délinquant, par l'application du par. 719(3).  Le fait d'assimiler ce type de détention à une peine n'est pas sans rappeler l'observation, analysée plus tôt dans les présents motifs, que le délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle continue, tant qu'il a le droit d'être en liberté, de purger sa peine d'emprisonnement.

 

[14]            Le tribunal a bien noté l’objection de l’avocat du demandeur voulant que la décision de la Cour suprême du Canada n’ait pas été prise dans le contexte de l’article 64 de la Loi. Le tribunal a répondu à cette objection du demandeur en se référant aux décisions du juge Yvon Pinard dans Atwal c. Canada (MCI), 2004 FC 7, [2004] A.C.F. no 63 (QL), et du juge Douglas Campbell dans Canada (MCI) c. Smith, 2004 FC 63, [2004] A.C.F. no 2159 (QL), qui appliquent le raisonnement de la Cour suprême dans Wust, ci-haut, à l’article 64 de la Loi.

 

[15]           Le demandeur soutient devant cette Cour que les décisions de la Cour fédérale sur lesquelles la décision du tribunal repose, soit Atwal et Smith, ci-haut, ne sont pas définitives puisqu’elles ont donné lieu à la question certifiée suivante :

L’« emprisonnement » visé au paragraphe 64(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés comprend-il la période de détention présentencielle qui est expressément prise en compte dans la détermination de la peine imposée à une personne?

 

[16]           Cet argument est sans aucun mérite puisque, en l’absence d’une décision de la Cour d’appel fédérale invalidant ces décisions de la Cour fédérale, celles-ci demeurent valides. D’ailleurs, ces deux appels devant la Cour d’appel fédérale n’ont pas été poursuivis et l’interprétation de l’article 64 de la Loi par la Cour fédérale dans ces décisions, ainsi que dans les décisions subséquentes, demeure donc valide.

 

[17]           L’avocat du demandeur a aussi soulevé un argument à l’effet que tous les juges ne calculent pas la détention préventive de la même façon afin de déduire cette période de la sentence imposée, et que la période de détention préventive n’est pas spécifiquement indiquée au paragraphe 64(2) de la Loi. Par conséquent, il prétend que la Loi est ambiguë et devrait donc être interprétée en faveur du demandeur.

 

[18]           Le tribunal a examiné cet argument du demandeur en considérant l’objet des articles 36 et 64 de la Loi, tel que discuté par la Cour suprême du Canada dans Medovarski c. Canada (MCI.) et Esteban c. Canada (MCI)  2005 CSC 51, [2005] A.C.S. no 31 (QL), aux paragraphes 9 à 11 :

 9      La LIPR comporte une série de dispositions destinées à faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des activités de grande criminalité. Cette intention se dégage des objectifs de la LIPR, des dispositions de la LIPR applicables aux résidents permanents et des audiences qui ont précédé l'adoption de la LIPR.

 

 10      Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l'entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l'obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu'ils sont au Canada. Cela représente un changement d'orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d'importance à l'intégration des demandeurs qu'à la sécurité : voir, par exemple, l'al. 3(1)i) LIPR comparativement à l'al 3j) de l'ancienne Loi; l'al. 3(1)e) LIPR comparativement à l'al. 3d) de l'ancienne Loi; l'al. 3(1)h) LIPR comparativement à l'al 3i) de l'ancienne Loi. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l'ancienne Loi.

 

 11      Conformément à ces objectifs, la LIPR crée un nouveau régime par lequel la peine d'emprisonnement de plus de six mois emporte interdiction de territoire : al. 36(1)a) LIPR. La personne condamnée à une peine d'emprisonnement de plus de deux ans ne peut pas interjeter appel d'une mesure de renvoi la visant : art. 64 LIPR. Les dispositions autorisant le contrôle judiciaire atténuent le caractère définitif de ces dispositions, tout comme le font les appels fondés sur des motifs d'ordre humanitaire et l'évaluation du risque préalable à un renvoi. Toutefois, la Loi est claire : un emprisonnement de plus de six mois emporte interdiction de territoire; un emprisonnement de plus de deux ans emporte interdiction d'appel.

 

[19]           Le tribunal a affirmé qu’avec cet objectif en tête, il ne serait pas logique pour le gouvernement d’avoir voulu que l’existence d’un droit d’appel dépende de la façon dont le dossier a procédé devant les tribunaux criminels. Le tribunal conclut finalement :

Dans ce contexte, il me semblerait illogique de conclure que parce que l’appelant a reçu sa sentence au terme de 21 mois de détention préventive, il aurait gardé son droit d’appel devant la SAI, alors qu’il l’aurait perdu s’il avait été condamné avant la détention préventive à la même peine, à savoir quatre ans de prison.

 

 

[20]           De plus, le tribunal a noté que la jurisprudence citée par l’avocat du demandeur quant à l’ambiguïté réfère à l’ambiguïté créée par l’interprétation des versions française et anglaise d’un texte de loi, ce qui n’est pas soulevé dans le cas présent.

 

[21]           Dans le contexte de ce contrôle judiciaire, le demandeur présente essentiellement les mêmes arguments que ceux rejetés par le tribunal. Malheureusement pour le demandeur, ces arguments ne sont pas plus convaincants devant moi qu’ils ne l’ont été devant le tribunal. D’ailleurs, dans Sherzad c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 757, [2005] A.C.F. no 954 (QL), la juge Anne L. Mactavish affirme au paragraphe 49 :

[…] le sens du paragraphe 64(2) n'est pas des plus limpides, mais lorsqu'on interprète cette disposition en tenant compte de la jurisprudence existante en matière criminelle portant sur la détermination de la peine, son sens devient clair. Il n'est donc pas nécessaire de recourir à des principes d'interprétation secondaires.

 

[22]           La juge Mactavish conclut que la période de détention préventive fait partie de l'emprisonnement aux fins du paragraphe 64(2) de la Loi, affirmant qu’une interprétation contraire pourrait mener à des résultats absurdes. Je reproduis les paragraphes 57 à 61 de son analyse :

 57      C'est donc dire que la période passée en détention pour un délinquant avant sa condamnation est réputée faire partie de la "punition" qui lui est infligée. Il ne conviendrait pas, à mon avis, qu'un délinquant puisse faire valoir, en matière criminelle, qu'il faudrait réduire sa peine à cause de la période qu'il a passée en détention avant de subir son procès, et qu'il puisse ensuite faire volte-face, en matière d'immigration, et dire qu'il ne faudrait pas prendre en compte la période passée en détention avant le procès, et que seule la durée de la peine devrait être prise en compte pour l'application du paragraphe 64(2) de la LIPR.

 

 58      Comme l'a signalé le juge Mosley dans Cheddesingh (Jones), une telle interprétation irait à l'encontre des principes formulés dans l'arrêt Wust et de l'intention qu'avait le législateur en adoptant l'article 64 de la LIPR.

 

 59      Par ailleurs, accepter l'interprétation que fait M. Sherzad du paragraphe 64(2) entraînerait un résultat absurde. Par exemple, si un individu inculpé d'une infraction plaidait coupable au moment de l'arrestation et était condamné à deux ans d'emprisonnement, son droit d'appel devant la SAI serait éteint par l'application du paragraphe 64(2). Par contre, un autre individu, inculpé de la même infraction dans des circonstances identiques, pourrait décider de subir un procès. S'il était déclaré coupable, la période qu'il a passée en détention avant le procès serait prise en compte et sa peine serait réduite en conséquence, devenant inférieure à deux ans. Dans de telles circonstances, le second délinquant aurait encore le droit d'interjeter appel devant la SAI.

 

 60      Dans le même ordre d'idées, un délinquant qui passerait deux ans en détention avant de subir son procès et qui serait ensuite condamné "à la peine déjà purgée" n'aurait, suivant l'interprétation de M. Sherzad, reçu aucune "punition" aux fins de l'application du paragraphe 64(2).

 

 61      Une telle interprétation inciterait concrètement les délinquants à invoquer les délais avant procès afin de contourner le paragraphe 64(2), ce qui n'est certes pas l'intention du législateur.

 

[23]           La juge Mactavish s’appuie sur les décisions précédentes de la Cour fédérale sur cette question, citant entre autres la décision du juge Pinard dans Atwal, ci-haut, qui notait :

 15      En adoptant l'article 64 de la LIPR, le législateur a voulu établir une norme objective de criminalité au regard de laquelle un résident permanent perd son droit d'appel. On peut présumer que le législateur était au courant du fait que, conformément à l'article 719 du Code criminel, la période de détention présentencielle est prise en considération lors de la détermination des peines. Appliquer l'article 64 de la LIRP en faisant abstraction de la période de détention présentencielle lorsque cette période a été expressément prise en compte dans la détermination de la peine serait contraire à l'intention qu'avait le législateur lors de l'adoption de cet l'article.

 

[24]           Je supporte entièrement cette interprétation ainsi que la conclusion du tribunal quant à l’application du paragraphe 64(2) de la Loi et à l’absence de compétence pour entendre l’appel en cause. Je suis d’avis que l’interprétation du tribunal était exempte d’erreur justifiant l’intervention de cette Cour.

 

2) Le tribunal a-t-il erré en refusant de se prononcer sur la question des droits du demandeur en vertu de l’article 7 de la Charte, en l’absence d’un avis de question constitutionnelle?

 

[25]           L’avocat du demandeur a soutenu devant le tribunal que d’interpréter les termes « infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans » de façon à inclure la période passée en détention préventive, violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la  Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.), constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (la Charte).

 

[26]           Le tribunal a refusé de considérer cet argument en raison de l’absence d’avis de question constitutionnelle.

 

[27]           Le défendeur maintient que c’est avec raison que le tribunal a refusé de se prononcer sur la question constitutionnelle formulée par le demandeur en l’absence d’un avis de question constitutionnelle. Le défendeur cite à l’appui la règle 52 des Règles de la Section d’appel de l’immigration, D.O.R.S./2002-230, qui prévoit :

52. (1) La partie qui veut contester la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une disposition législative établit un avis de question constitutionnelle.

 

[…]

 

(3) La partie transmet :

a) au procureur général du Canada et au procureur général de chaque province et territoire du Canada, en conformité avec l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, une copie de l'avis;

b) à l'autre partie une copie de l'avis;

c) à la Section l'original de l'avis, ainsi qu'une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon une copie de l'avis a été transmise aux destinataires visés aux alinéas a) et b).

 

[…]

 

52. (1) A party who wants to challenge the constitutional validity, applicability or operability of a legislative provision must complete a notice of constitutional question.

 

[...]

 

(3) The party must provide

(a) a copy of the notice of constitutional question to the Attorney General of Canada and to the attorney general of every province and territory of Canada, according to section 57 of the Federal Court Act;

(b) a copy of the notice to the other party; and

(c) the original notice to the Division, together with a written statement of how and when a copy of the notice was provided under paragraphs (a) and (b).

 

[…]

 

[28]           Le demandeur, pour sa part, soutient que le tribunal a erré en refusant de considérer cet argument, puisqu’un avis de question constitutionnelle n’était pas nécessaire dans le cas présent. En effet, le demandeur n’a jamais cherché une déclaration à l’effet que le paragraphe 64(2) de la Loi était invalide, inapplicable ou inopérant en raison de l’article 7 de la Charte, et donc le procureur général n’avait pas à intervenir. Tout ce que le demandeur a prétendu c’est qu’une interprétation de cette disposition prenant en compte la détention préventive pourrait contrevenir à l’article 7 de la Charte.

 

[29]           La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, [2004] A.C.F. no 819 (QL), a rappelé l’importance de l’avis constitutionnel, en affirmant au paragraphe 8 de sa décision :

 8      La Cour d'appel n'examinera pas une question de nature constitutionnelle sans qu'un avis ait été signifié au procureur général du Canada et à celui de chaque province : voir Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees Union et al. (1999), 238 N.R. 73 (C.A.F.); Giagnocavo c. M.R.N. (1995), 95 D.T.C. 5618, où la Cour d'appel fédérale a statué qu'elle n'avait pas compétence pour entendre la question. Cet avis n'est pas qu'une simple formalité ou technicalité que la Cour peut ignorer ou à l'égard de laquelle elle peut accorder une dispense : voir La Reine c. Fisher (1996), 96 D.T.C. 6291, où la Cour d'appel fédérale a décidé que l'avis doit être donné dans tous les cas où la validité constitutionnelle ou l'applicabilité d'une loi est remise en question de la manière décrite à l'article 57, notamment dans une instance portée devant la Cour de l'impôt et régie par la procédure informelle. Effectivement, un juge ne peut de lui-même soulever une question constitutionnelle sans donner un avis au procureur général: voir Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Î.-P.-É., [1997] 3 R.C.S. 3.

 

 

 

[30]           De plus, l’argument particulier soulevé par le demandeur a déjà été rejeté par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McIntosh c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 67 (QL), dans lequel la Cour a conclu au paragraphe 5 :

 5      L'appelant ne peut pas non plus à notre avis mettre en question devant notre Cour "l'applicabilité ou l'effet" d'une disposition quelconque de la Loi sur l'immigration, ce qui, essentiellement, est ce qu'il veut faire en prétendant que la Loi ne devrait pas être interprétée de manière à autoriser l'expulsion de l'appelant parce que, ce faisant, on violerait des droits inscrits dans la Déclaration canadienne des droits ou dans la Charte canadienne des droits et libertés. Je répète que pour ce faire, il lui faudrait démontrer qu'il s'est dûment conformé aux exigences contenues au paragraphe 57(1) en ce qui concerne l'avis à donner. Or, il ne l'a pas fait. …

 

 

[31]           J’ajouterais à ceci l’analyse du juge Paul U.C. Rouleau dans l’arrêt Kroon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 697, [2004] A.C.F. no 857 (QL), à l’effet que même si un avis de question constitutionnelle avait été signifié, la SAI n’aurait pas eu compétence pour se prononcer sur cette question. Le juge Rouleau explique aux paragraphes 32 et 33 de sa décision :

 32      Si on applique le raisonnement suivi dans l'arrêt Martin à la présente instance, je suis convaincu que la SAI n'a pas compétence pour statuer sur la constitutionnalité de l'article 64 de la LIPR. Rien dans la loi n'accorde expressément ou implicitement cette compétence. Au contraire, les dispositions contestées limitent expressément la compétence de la SAI dans la mesure où elles retirent tout droit d'interjeter appel au tribunal au résident permanent qui est interdit de territoire pour grande criminalité. Selon moi, le législateur n'aurait pas pu être plus clair quant à son intention de limiter la compétence de la SAI relativement aux personnes visées par l'alinéa 36(1)a) de la Loi. Je n'interprète pas l'arrêt Martin comme renversant la décision de la Cour dans l'affaire Reynolds dans laquelle il a été décidé que malgré que la SAI avait compétence exclusive pour connaître des questions de droit et déterminer sa propre compétence, ses pouvoirs généraux n'allaient pas jusqu'à lui permettre de conclure qu'une disposition législative qui comprenait une limite expresse à sa compétence était inconstitutionnelle.

 

 33      En l'espèce, une fois qu'il fut établi dans les faits que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité, une décision que le demandeur ne conteste pas, la SAI a perdu tout mandat d'entendre un appel. Comme la SAI n'est pas habilitée à se prononcer sur des questions de droit soulevées en vertu de l'article 64, elle n'est donc pas habilitée à entendre des contestations constitutionnelles de cette disposition.

 

[32]           Je suis d’avis que la conclusion du tribunal quant à son inhabileté à considérer la question constitutionnelle soulevée par le demandeur respecte la norme de la décision correcte et ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

[33]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[34]           La partie demanderesse suggère la question suivante pour certification :

Est-ce que le terme « puni » utilisé à l’article 64(2) de la LIPR renvoie uniquement à la sentence imposée ou s’il peut renvoyer également à la période de temps passé sous garde en détention préventive?

 

 

[35]           La partie défenderesse allègue que cette question est réglée depuis longtemps par plusieurs décisions jurisprudentielles et qu’il ne s’agit pas d’une question de portée générale qui devrait être certifiée.

 

[36]           Je suis d’accord avec les commentaires de la partie défenderesse, et je ne suis pas convaincu que cette question est de portée générale et doive être certifiée.

JUGEMENT

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                     IMM-5470-06

 

INTITULÉ :                                    MAGTOUF, MUSTAPHA

                                                         c.

                                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                         L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 19 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:                    M. LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean Gobeil

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Sylvianne Roy

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aide juridique de Montréal,

Bureau de l’immigration

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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