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Date : 20070502

Dossier : IMM-5630-06

Référence : 2007 CF 473

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

GHULAM MOIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Ghulam Moin d’une décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a, le 5 octobre 2006, rejeté sa demande d’asile en raison principalement de son manque de crédibilité.

 

[2]               M. Moin soutient que la Commission a manqué à l’équité procédurale et à la justice naturelle. Bien que je ne sois pas d’accord avec la façon dont il qualifie certaines des questions en litige dans la présente affaire, je suis quand même d’avis de faire droit à sa demande.

 

LES FAITS

[3]               Né le 1er janvier 1934, M. Moin est un citoyen du Pakistan. Au terme d’une carrière de trente ans comme policier, il a été nommé inspecteur général de la police pour la province de Sindh en 1990. Il a pris sa retraite en 1993, mais soutient que c’est le travail qu’il a effectué au début des années quatre-vingt-dix qui l’a motivé à présenter sa demande d’asile.

 

[4]               En novembre 1991, une femme appelée Farana, ou Veena Hayat a été violée par plusieurs hommes masqués. Elle soutenait que Irfanullah Marwat, un homme qui occupait de hautes fonctions au sein du gouvernement, avait orchestré l’agression. Mme Hayat venait d’une famille politique. Elle affirmait que l’agression visait à la forcer à signer des déclarations incriminant les ennemis de M. Marwat. L’affaire a provoqué un scandale retentissant et M. Moin affirme qu’on lui a confié l’enquête.

 

[5]               Malgré le fait que plusieurs policiers ont admis leur implication dans ce viol et ont reconnu que M. Marwat les avait incités à violer Mme Hayat, M. Moin soutient que les relations politiques de M. Marwat ont nui au déroulement de l’enquête. M. Marwat aurait vraisemblablement réussi à obtenir qu’un juge mène une enquête parallèle au terme de laquelle il a été décidé qu’on n’avait pas retenu suffisamment de preuves contre lui.

 

[6]               M. Moin a par conséquent reçu pour instructions de prendre congé et de partir en vacances pour sauver sa carrière et éviter de faire lui-même l’objet d’une enquête criminelle. Il a été affecté à Islamabad par le Premier ministre de l’époque, Sharif, dont il était un partisan.

 

[7]               Le gouvernement de Sindh a par la suite ouvert une enquête au sujet du viol de Mme Hayat, et ce, selon M. Moin, pour se venger des agents qui avaient fait enquête sur cette affaire. On a dit à M. Moin qu’il serait envoyé en prison, et les autorités ont saisi plusieurs parcelles de son terrain. Craignant pour sa sécurité et pour celle de sa famille, M. Moin est allé s’installer à Lahore. Par suite des changements politiques, l’enquête ouverte contre M. Moin a été abandonnée et il a finalement été blanchi de toutes les accusations portées contre lui. Il a pris sa retraite en décembre 1993.

 

[8]               M. Moin a toutefois appris qu’à la suite d’autres bouleversements politiques, son nom figurait sur une liste de personnes non autorisées à quitter le Pakistan. Il s’est enfui en secret aux États-Unis, où il a demandé l’asile en 1996. La situation s’est par la suite calmée au Pakistan, et M. Moin a décidé de rentrer chez lui et d’abandonner sa demande d’asile aux États-Unis.

 

[9]               En 2002, M. Marwat – l’homme politique qui avait déjà fait l’objet de l’enquête de M. Moin – s’est engagé à appuyer Pervez Musharraf, qui s’était emparé du pouvoir au Pakistan en 1999 lors d’un coup d’État militaire. M. Marwat a été nommé ministre de l’Éducation dans le gouvernement de M. Musharraf, de sorte qu’il était de nouveau en mesure de se venger de M. Moin.

 

[10]           En mars 2002, M. Moin et sa femme ont quitté le Pakistan en vue d’effectuer une visite prolongée à leurs trois enfants aux États-Unis et au Canada. Lorsque sa femme est rentrée chez elle en mars 2003, des serviteurs lui ont appris que deux jeeps bondées de militaires armés étaient venus peu de temps avant pour s’informer de lui. En ouvrant le courrier de la famille, elle a trouvé une lettre du Bureau national de suivi des responsabilités du Pakistan précisant que le Bureau avait ouvert une enquête au sujet de M. Moin, qui devait se présenter au Bureau à Karachi. M. Moin affirme qu’il s’agit pratiquement du même avis que celui qu’il avait reçu en octobre 1992, lorsque le gouvernement avait ouvert une enquête criminelle contre lui pour se venger du fait qu’il avait poursuivi M. Marwat en tant que suspect.

 

[11]           La femme et la fille de M. Moin ont été menacées et interrogées par des fonctionnaires du Bureau en avril 2003. Après leur interrogatoire, elles n’ont été relâchées qu’après avoir remis leur carte d’identité nationale. Quelques semaines plus tard, la femme de M. Moin a reçu un autre avis du Bureau la sommant de fournir des détails au sujet des biens et des actifs de la famille. M. Moin a demandé l’asile au Canada le 27 mai 2003.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[12]           La Commission a estimé que la plus grande partie du témoignage de M. Moin n’était pas crédible. Elle a conclu que sa demande d’asile ne comportait aucun fondement objectif et elle a estimé peu vraisemblable que 15 ans après les faits et 12 ans après que M. Moin eut quitté ses fonctions d’inspecteur général de la police, M. Marwat aurait risqué d’attirer à nouveau l’attention sur l’histoire de ce viol en lançant une enquête truquée contre M. Moin. La Commission a par conséquent considéré que toute enquête menée par le Bureau au sujet de M. Moin n’était pas attribuable au rôle que ce dernier aurait joué en tant que policier dans le cadre de l’enquête sur le viol et que M. Moins avait inventé le lien entre ces deux affaires dans le but d’étoffer sa demande d’asile. Elle a également conclu qu’un haut gradé comme M. Moin aurait eu recours aux services d’un avocat pour défendre ses droits s’il était faussement accusé par le Bureau. M. Moin n’avait donc pas réfuté la présomption de protection de l’État au Pakistan.

 

[13]           Le haut-commissariat du Canada avait à l’origine examiné le dossier de M. Moin pour déterminer s’il y avait lieu de lui refuser l’asile par application de l’alinéa 1Fb) en raison des accusations de corruption et d’abus de pouvoir portées contre lui par le Bureau. Mais comme le Bureau ne faisait vraisemblablement plus enquête sur M. Moin, le ministre a décidé de ne pas explorer davantage cette possibilité.

 

[14]           Les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité découlent en grande partie de ses doutes au sujet de certaines lettres déposées en preuve par M. Moin. Il soutenait qu’elles provenaient du Bureau, mais la Commission s’interrogeait sur le fait qu’elles n’étaient pas écrites sur du papier à en-tête officiel. La Commission a toutefois précisé que la légitimité de ces documents n’avait pas un effet déterminant sur le sort de la demande, parce que le haut‑commissariat du Canada avait déjà déterminé que M. Moin ne faisait plus l’objet d’une enquête de la part du Bureau.

 

[15]           La Commission a également répondu aux allégations de partialité formulées par M. Moin sur le fondement des propos suivants tenus par la commissaire à l’audience. Alors qu’elle interrogeait l’avocat au sujet de la véracité des documents du Bureau fournis par M. Moin, la commissaire a déclaré : [traduction] « Eh bien, la question que j’ai posée vaut pour tous les documents que nous recevons du Pakistan. L’immense majorité de ces documents, en supposant qu’on les obtienne, sont des faux. C’est un fait connu » (dossier du tribunal, à la page 808).

 

[16]           L’avocat de M. Moin a discuté de la question avec la commissaire. La Commission a décidé de suspendre l’audience pour pouvoir comparer les lettres de M. Moin avec d’autres lettres du Bureau, pour voir si le papier à en-tête (ou son absence) sur les documents de M. Moin était un signe de fraude. En réponse à une demande de renseignements formulée par l’avocat de M. Moin au sujet de la raison d’être de cette observation, l’agent de protection des réfugiés (l’APR) a répondu ce qui suit, dans une lettre datée du 21 avril 2006 (alors que l’audience était toujours suspendue) :

[traduction] La présidente de l’audience m’a également chargé de vous informer que les propos qu’elle a pu tenir au sujet de l’authenticité et de l’intégrité des documents provenant du Pakistan auraient été fondés sur la preuve documentaire, en particulier la réponse à la demande d’information PAK42535.E du 18 juin 2004 et la réponse à la demande d’information PAK34163.EX du 30 juin 2000. Elle m’a aussi chargé de vous dire que vous pouvez aborder cette question dans vos observations.

 

 

[17]           Le 16 mai 2006, l’APR a communiqué ses observations à la commissaire et à l’avocat de M. Moin, en écrivant ce qui suit au sujet de l’authenticité des présumés documents du Bureau :

[traduction] Le tribunal semblait avoir des doutes au sujet de l’authenticité des documents du Bureau, parce qu’ils n’étaient pas libellés sur du papier à en-tête officiel. Le demandeur d’asile affirmait que le papier utilisé dépendait du rang du signataire du document. Le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve qui permette de savoir quel type de papier se servait le Bureau. Le demandeur d’asile a soumis d’autres documents officiels qui sont imprimés sur du papier ordinaire. Le tribunal ne peut rejeter ces documents simplement en raison du type de papier utilisé.

 

Dossier du demandeur, onglet G

 

 

[18]           Dans ses observations écrites à la Commission datées du 6 juin 2006, l’avocat de M. Moin fait observer ce qui suit :

[traduction] 11. Enfin, nous faisons valoir que les déclarations faites par la commissaire à l’audience ─ suivant lesquelles la presque totalité des documents provenant du Pakistan sont des faux ─  suscitent une crainte raisonnable de partialité. Le contexte dans lequel cette déclaration a été faite est important, étant donné que, vers la fin de l’audience, la commissaire a mis en doute l’authenticité de l’assignation envoyée par le Bureau au demandeur d’asile pour le convoquer à ses bureaux. La commissaire a signalé que les documents n’étaient pas libellés sur du papier à en-tête officiel du Bureau. Le demandeur d’asile a expliqué que ces documents ne sont pas libellés sur du papier à en-tête officiel du Bureau étant donné qu’ils émanent d’un subalterne et que seuls les hauts gradés se servent de papier à en-tête officiel. L’avocat du demandeur d’asile s’est demandé si la commissaire avait du papier à en-tête officiel du Bureau avec lequel on pouvait comparer les documents du demandeur d’asile. La commissaire a répondu qu’elle n’avait pas vu de papier à en-tête du Bureau mais que la presque totalité des documents provenant du Pakistan étaient des faux. À notre humble avis, cette affirmation démontre qu’il existe une crainte raisonnable de partialité et que la commissaire a présumé que les documents présentés devaient nécessairement être des faux. Vu l’importance des documents en question et le rôle crucial qu’ils jouent quant au fondement de la demande du demandeur d’asile, nous sommes humblement d’avis qu’une crainte raisonnable de partialité a été soulevée.

 

Dossier du demandeur, onglet H

 

 

[19]           La commissaire a traité de cette allégation de partialité dans ses motifs. Voici ce qu’elle écrit, aux pages 5 et 6 de sa décision :

Dans ses observations, le conseil fait valoir que [traduction] « le fait de présumer que ces documents sont frauduleux porte atteinte au fondement de la nécessité, pour le demandeur d’asile, de demander l’asile et soulève une crainte de partialité concernant la manière dont sera tranchée sa demande d’asile ». Selon le tribunal, le fait, pour un décideur, de vouloir comparer des documents ne constitue pas une présomption absolue que le document est frauduleux, mais au contraire, la possibilité d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le document est réputé être légitime.

 

 

[20]            La Commission a par conséquent conclu que les éléments de preuve n’avaient pas établi qu’il existait une possibilité raisonnable ou sérieuse que M. Moin soit persécuté pour l’un des motifs prévus par la Convention, ou qu’il soit exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en cas de retour au Pakistan.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[21]           L’avocat de M. Moin a soulevé quatre questions dans ses observations orales et écrites. En tout premier lieu, M. Moin affirme que la Commission a manqué à l’équité procédurale et à l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles) en utilisant un renseignement qui était « du ressort de sa spécialisation » pour remettre en question l’intégrité de l’assignation que le Bureau lui avait adressée sans lui donner la chance de répondre.

 

[22]           Deuxièmement, M. Moin affirme que la Commission a violé les principes de justice naturelle en faisant fi de tous les arguments qu’il avait formulés dans sa demande d’asile. Plus précisément, M. Moin avait soutenu qu’il était un réfugié sur place parce que les fonctionnaires canadiens avaient violé leur obligation de confidentialité en contactant le Bureau, l’agent même de persécution que M. Moin dit craindre. Pourtant, la Commission n’a pas abordé cet argument dans ses motifs.

 

[23]           Le troisième argument se rapporte à la crainte raisonnable de partialité suscitée par la déclaration de la commissaire suivant laquelle la presque totalité des documents provenant du Pakistan sont des faux. Il s’agit de savoir si ce commentaire suscite effectivement une crainte raisonnable de partialité, et si M. Moin a renoncé à son droit de soulever cet argument parce qu’il ne l’a pas fait valoir à la première occasion.

 

[24]           Enfin, M. Moin soutient que les conclusions d’invraisemblance tirées par la Commission sont manifestement déraisonnables. Il affirme que la présomption suivant laquelle il aurait dû consulter un avocat au Pakistan repose sur une conception occidentale de la démocratie.

 

ANALYSE

[25]           Aucune des parties n’a formulé d’observations fouillées au sujet de la norme de contrôle, ce qui est compréhensible, toutefois, compte tenu de la façon dont elles ont qualifié les questions en litige. Comme la plupart des erreurs reprochées à la Commission ont été formulées comme des questions d’équité procédurale, elles ne donnent pas lieu à une analyse de la norme de contrôle (Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404).

 

[26]           Comme je vais cependant tenter de le démontrer, il me semble qu’il convient davantage d’analyser les propos tenus par la commissaire au sujet du nombre de faux documents du Pakistan comme une question de fait se rapportant à l’interprétation faite par la Commission des rapports sur la situation dans le pays d’origine. La norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par la Commission au sujet des documents du Bureau serait donc à mon avis celle de la décision manifestement déraisonnable. Il en va de même pour les conclusions d’invraisemblance de la Commission (Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[27]           Pour ce qui est du premier argument soulevé par M. Moin, la Commission aurait à son avis manqué aux principes d’équité procédurale et violé l’article 18 des Règles en divulguant les éléments de preuve qui étaient du ressort de sa spécialisation pour la première fois dans sa décision finale. L’article 18 dispose :

18. Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre — si celui-ci est présent à l'audience — et leur donne la possibilité de :

 

a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;

 

b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.

18. Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to:

 

(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and

 

(b) give evidence in support of their representations.

 

 

[28]           Je ne suis pas d’accord avec les observations de M. Moin, essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, il semble méconnaître l’arrêt Hassan c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1993), 151 N.R. 215, de la Cour d’appel fédérale. Dans cet arrêt, la Cour a statué que l’article 68 de l’ancienne Loi sur l’immigration, qui permettait à la Commission d’admettre d'office « les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation », s’appliquait de toute évidence aux dossiers de référence sur les pays. On retrouve la même disposition à l’alinéa 170i) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[29]           Pour utiliser ce renseignement de façon équitable, la Commission doit donner un avis suffisant au demandeur d’asile. Tout comme l’article 18 des Règles, le paragraphe 68(5) de l’ancienne Loi sur l’immigration contenait cette exigence. Dans l’arrêt Hassan, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’en mettant à la disposition générale du public les renseignements publiés et en se référant à l'index courant qui y est joint dès le début de l'audience la Commission avait respecté comme il se doit les exigences relatives à l'avis requis énoncées au paragraphe 68(5).

 

[30]           C’est précisément ce qui a été fait en l’espèce et il semble donc que la Commission s’est conformée à l’article 18 des Règles. À l’audience, l’avocat de M. Moin a fait valoir qu’il y avait lieu de réexaminer l’arrêt Hassan. L’avocat a fait valoir que, comme l’évolution des techniques de communication fait en sorte que le public a accès à presque tout, la notion de « renseignements qui sont du ressort de sa spécialisation » serait pratiquement illimitée.

 

[31]           Certes, il est vrai que la portée des renseignements qui sont du ressort de la spécialisation de la Commission s’est considérablement élargie en raison de la facilité avec laquelle on peut obtenir toutes sortes de documents et de renseignements, surtout depuis l’avènement d’Internet. Cet état de fait ne dispense cependant pas la Commission de son obligation de se conformer aux exigences de l’équité procédurale énoncées à l’article 18 des Règles. Les renseignements sur lesquels la Commission entend se fonder, aussi vaste que soit son champ de spécialisation, doivent quand même être communiqués au demandeur. Je ne vois donc pas la nécessité de m’écarter du raisonnement suivi dans l’arrêt Hassan, précité.

 

[32]           Qui plus est, l’APR a bel et bien précisé, dans la lettre du 21 avril 2006, les documents ayant donné lieu à la conclusion de la commissaire. À ce moment-là, l’audience avait été suspendue mais elle n’était pas encore terminée. M. Moin avait donc la possibilité de faire valoir son point de vue sur cette question, ce qu’il a fait en présentant des observations écrites avant que la commissaire ne rende sa décision. Ainsi, non seulement la Commission a-t-elle avisé M. Moin des renseignements qui étaient du ressort de sa spécialisation, mais elle lui a également précisé la provenance de ces renseignements et lui a donné la possibilité d’y répondre au moyen d’observations écrites avant la clôture de l’audience. La question de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation de ces éléments de preuve documentaires est une question distincte sur laquelle je reviendrai plus loin. Mais on ne peut pas dire que la Commission a violé le droit à l’équité procédurale de M. Moin en agissant comme elle l’a fait.

 

[33]           Le deuxième argument de M. Moin porte sur sa qualité de réfugié sur place et sur le défaut de la Commission d’examiner cet argument dans ses motifs. Dans les observations écrites qu’il a soumises à la Commission, l’avocat de M. Moin a fait valoir qu’en communiquant directement avec les présumés agents de persécution, le gouvernement canadien avait, selon toute vraisemblance, augmenté les risques auxquels serait exposé son client s’il retournait au Pakistan. Pourtant, on ne trouve même pas une allusion à cet argument dans les motifs de la Commission. Suivant M. Moin, cette omission constituerait un autre manquement à la justice naturelle.

 

[34]           Là encore, je ne puis souscrire à cet argument. Voici, à cet égard, un extrait de l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21 :

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

 

a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

8. (1) Personal information under the control of a government institution shall not, without the consent of the individual to whom it relates, be disclosed by the institution except in accordance with this section.

(2) Subject to any other Act of Parliament, personal information under the control of a government institution may be disclosed

 

(a) for the purpose for which the information was obtained or compiled by the institution or for a use consistent with that purpose;

 

 

 

[35]           Selon le paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’individu qui communique des renseignements personnels au gouvernement doit donner son consentement pour que le gouvernement puisse ensuite communiquer les renseignements en question. Le paragraphe 8(2) énumère ensuite des exceptions à ce principe général. Parmi ces exceptions, mentionnons celle prévue à l’alinéa 8(2)a), qui autorise la communication de renseignements personnels relevant d’une institution fédérale dès lors que cette communication vise les mêmes fins que celles auxquelles ces renseignements ont été recueillis, ou des fins compatibles.

 

[36]           Dans le cas qui nous occupe, les fins auxquelles les renseignements de M. Moin ont été recueillis peuvent être rattachées à l'objet général de la loi sur l'immigration ou, plus précisément, aux fins que visent les décisions portant sur l'admissibilité ou le droit d’asile. Suivant l'une ou l'autre de ces interprétations, il est possible d'affirmer que le fait de se servir de ces renseignements pour déterminer s’il y avait lieu de refuser l’asile à M. Moin est une fin identique, ou subsidiairement, qu'il s'agit d'un usage compatible avec celui ayant justifié à l’origine la cueillette de ces renseignements (Rahman c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 2041 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[37]           M. Moin a expliqué, lors de son entrevue de premier contact, qu’il était accusé de corruption et d’abus de pouvoir, s’exposant ainsi à la possibilité de se voir refuser l’asile par application de l’alinéa 1(F)b) de la Convention. Les vérifications nécessaires ont été faites pour déterminer si M. Moin était exclu de la définition de réfugié. Il n’y a aucun élément de preuve permettant de penser que les autorités pakistanaises ont été informées que M. Moin avait présenté une demande d’asile. En tout état de cause, la divulgation était essentielle pour déterminer s’il tombait sous le coup de l’article 1(F). J’estime que le paragraphe suivant tiré de la décision rendue par la juge Donna McGillis dans l’affaire Igbinosun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1705 (C.F. 1re inst.) (QL), constitue une réponse complète à l’argument de M. Moin :

6. En l'espèce, la preuve établit que l'identité du requérant a été communiquée aux autorités policières nigérianes pour déterminer s'il avait été accusé de meurtre. Rien n'indique que des renseignements confidentiels donnés par le requérant dans son formulaire de renseignements personnels ont été communiqués. L'objection à l'admissibilité du télex pour le motif que la Loi sur la protection des renseignements personnels a été violée a été soulevée sans être étayée sur la preuve qui s'impose et, par conséquent, doit être rejetée. Subsidiairement, même si les autorités canadiennes ont communiqué à la police nigériane des renseignements confidentiels concernant le requérant, la divulgation a été faite dans le but de permettre au ministre de décider si la revendication du requérant soulevait une question relevant des causes d'exclusion visées au paragraphe F(b) de l'article premier de la Convention. [Voir le sous-alinéa 69.1(5)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.] Le requérant ayant fourni les renseignements pour les fins de la procédure d'immigration, leur utilisation, le cas échéant, par le ministre ou ses représentants visait manifestement « les usages qui sont compatibles avec ces fins » au sens de l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

 

[38]           Vu ce qui précède, je suis d’accord avec le ministre pour dire que la Commission n’était pas tenue d’examiner les arguments de M. Moin au sujet de sa qualité de réfugié sur place. Le tribunal n’est pas obligé d’examiner un tel argument lorsqu’il estime que le demandeur d’asile n’a présenté aucun élément crédible pouvant justifier sa demande d’asile (Barry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 203; Ghribi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1191; Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 179).

 

[39]           L’argument suivant du demandeur se rapporte aux propos tenus par la commissaire au sujet du fait que « la presque totalité » des documents provenant du Pakistan sont des faux. M. Moin est d’avis que cette déclaration soulève une crainte raisonnable de partialité, compte tenu du fait qu’elle a été faite avant même que la Commission n’examine les documents. À titre préliminaire, le ministre rétorque que M. Moin a renoncé à son droit de soulever cette question, étant donné qu’elle n’a pas été soulevée à la première occasion, c’est-à-dire à l’audience.

 

[40]           Dans le contexte de la présente affaire, je ne suis pas disposé à statuer que M. Moin a renoncé à son droit de plaider la partialité parce qu’il n’a pas présenté de requête en refus à l’audience. Contrairement à la plupart des audiences de la Commission, la présente audience a été suspendue pour permettre à la commissaire de trouver la documentation officielle du Bureau pour la comparer avec les lettres versées au dossier de M. Moin. Dans une lettre du 25 janvier 2006 envoyée à la Commission, quelques jours après l’audience, l’avocat du demandeur écrivait :

[traduction] Pour faire suite à nos discussions au sujet de l’intégrité des documents du Bureau que le demandeur d’asile a soumis, je vous saurais gré de nous communiquer tous les renseignements dont vous disposez au sujet du papier à en-tête normalement utilisé pour ces documents. Au cours de l’audience, il a été soulevé que les documents d’enquête du Bureau n’étaient pas libellés sur du papier à en-tête. La commissaire m’a fait part de ses réserves au sujet de l’authenticité et de l’intégrité du document et a affirmé que la presque totalité des documents provenant du Pakistan étaient des faux. Je vous saurais également gré de nous communiquer des renseignements ou des documents au sujet de la conclusion de la commissaire suivant laquelle la presque totalité des documents provenant du Pakistan sont des faux. J’estime que cette mesure aiderait considérablement le demandeur d’asile à réfuter l’affirmation que la presque totalité des documents provenant du Pakistan sont des faux. Je crains que, faute d’éléments de preuve indépendants confirmant ces chiffres, pareille déclaration ne puisse susciter une crainte de partialité en ce qui concerne la crédibilité et les éléments de preuve du demandeur. La présentation d’éléments de preuve indépendants confirmant ces affirmations dissiperait tout doute à ce sujet.

 

 

[41]           Il est de jurisprudence constante que, pour qu’un plaideur puisse soulever une question de partialité, il doit le faire à la première occasion. La raison d’être de cette règle est évidente. Tout d’abord, la gravité d’une telle accusation commande qu’elle soit soulevée presque immédiatement. Deuxièmement, elle vise à assurer de la bonne foi de la partie qui l’invoque en l’empêchant de la soulever après avoir fait l’objet d’une décision défavorable. En troisième lieu, elle permet à l’auteur de la décision visé par l’allégation d’y répondre en temps utile. En l’espèce, aucune de ces raisons ne milite contre la décision de laisser M. Moin plaider la crainte de partialité.

 

[42]           Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que la meilleure façon de qualifier le grief formulé par M. Moin est de le considérer comme une question de partialité. Les propos de la commissaire ne témoignent pas tant d’une fermeture d’esprit que d’une mauvaise interprétation de la preuve. Bien qu’elle ait parfaitement raison d’affirmer qu’il est acceptable de comparer les lettres du Bureau produites par le demandeur avec les autres documents du Bureau, telle n’est pas la question qui se pose en l’espèce. Si la commissaire avait pu trouver des documents du Bureau avec lesquels comparer ceux de M. Moin, ses réserves auraient été justifiées ou elles auraient été dissipées. Toutefois, faute d’élément précis au sujet de ce à quoi ressemblent les documents du Bureau, il ne convenait pas de s’en remettre exclusivement aux éléments de preuve documentaires généraux pour conclure que les lettres étaient des faux.

 

[43]           Le ministre se fonde sur un certain nombre de décisions dans lesquelles notre Cour a jugé qu’il était loisible à la Commission de tenir compte d’éléments de preuve documentaires tendant à démontrer que l’usage de faux est « répandu » et « généralisé » au Pakistan et qu’il est « facile d’obtenir » des faux documents au Pakistan. Mais dans toutes ces affaires, la Commission avait déjà constaté l’existence d’autres incohérences ou problèmes de crédibilité dans la version des faits du demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il ne s’agit pas non plus d’un cas dans lequel la Commission était en mesure de comparer d’autres exemples de documents semblables avec ceux soumis par le demandeur d’asile, comme c’était le cas dans l’affaire Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 451, que le ministre invoque.

 

[44]           Dans le cas qui nous occupe, par contre, la Commission ne pouvait faire reposer sa conclusion que sur les éléments de preuve généraux portant sur l’usage répandu de faux en provenance du Pakistan. Le témoignage de M. Moin était extrêmement détaillé et il était, dans l’ensemble, cohérent. Il disposait d’une preuve documentaire fouillée à l’appui des divers aspects de sa demande, notamment en ce qui concerne son expérience professionnelle et son rôle dans l’enquête sur le viol mettant en cause M. Marwat. Les explications qu’il a données au sujet de son départ et de son retour au Pakistan au cours des années quatre-vingt-dix étaient parfaitement logiques et concordaient avec la preuve documentaire. Et la Commission n’a pas réussi à trouver d’autres documents émanant du Bureau qu’elle aurait pu comparer à ceux soumis par M. Moin.

 

[45]           On ne doit pas interpréter dans l’abstrait les éléments de preuve documentaires généraux portant sur de faux documents. La commissaire était obligée de tenir compte des éléments de preuve relatifs aux documents frauduleux en tenant compte du contexte de la présente affaire. À défaut d’autres indices lui permettant de mettre en doute la crédibilité de M. Moin, la Commission ne pouvait écarter deux documents qui constituaient des éléments essentiels de la demande d’asile de ce dernier pour la simple raison qu’il existait des éléments de preuve documentaires selon lesquels il est facile d’obtenir de faux documents officiels au Pakistan.

 

[46]           On pourrait raisonnablement conclure qu’un élément de preuve n’est pas authentique si, dans l’ensemble, la version des faits du demandeur n’est pas plausible ou si des éléments de preuve déterminés démontrent que le document n’est pas exact. Mais dans le cas qui nous occupe, la Commission a essentiellement rejeté les documents du Bureau parce que les probabilités qu’ils soient légitimes jouaient contre M. Moin. Un tel raisonnement ferait en sorte qu’il serait pratiquement impossible pour les réfugiés provenant de certains pays d’établir le bien-fondé de leur demande d’asile au moyen d’éléments de preuve documentaires personnels. À mon avis, une telle conclusion est manifestement déraisonnable.

 

[47]           Enfin, M. Moin conteste l’hypothèse de la Commission suivant laquelle il aurait pu consulter un avocat pour se défendre contre les allégations du Bureau. Toute la demande d’asile de M. Moin est fondée sur les risques de persécution auxquels il serait exposé de la part du Bureau. Il s’agit d’une institution gouvernementale, de sorte que l’État constitue, en l’espèce, l’agent de persécution présumé. En conséquence, je ne crois pas que M. Moin soit assujetti au même fardeau qu’un demandeur d’asile ordinaire et qu’il soit tenu de réfuter la présomption de la protection de l’État. Ainsi que la juge Danièle Tremblay-Lamer l’a conclu dans le jugement Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, au paragraphe 15 :

Cependant, à mon avis, les arrêts Ward et Kadenko ne sauraient signifier qu'une personne doit épuiser tous les recours disponibles avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l'État (voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 536 (1re inst.) (QL), et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 123 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.)). La situation est plutôt la suivante. Lorsque les représentants de l'État sont eux-mêmes à l'origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n'est pas entachée, celui‑ci peut réfuter la présomption de protection de l'État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve. Comme je l'ai expliqué dans Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.), le jugement Kadenko n'est guère pertinent lorsque « [...] les policiers n'ont pas seulement refusé de protéger les demandeurs, ce sont eux qui se sont livrés aux actes de violence »; décision Molnar, précitée, au paragraphe 19.

 

 

[48]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire de M. Moin, d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision. Le demandeur et le défendeur ont tous les deux proposé une question à certifier, la première ayant trait au moment opportun pour soulever une question de partialité et la seconde se rapportant aux renseignements qui sont du ressort de la spécialisation de la Commission. Compte tenu du fait que les principes applicables se rapportant à ces deux questions sont bien connus et que l’issue finale de la présente affaire ne dépend pas de la réponse donnée à l’une ou l’autre de ces questions, je ne crois pas qu’il convienne de certifier l’une ou l’autre.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5630-06

 

INTITULÉ :                                       GHULAM MOIN 

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 AVRIL 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 MAI 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Gregory J. Willoughby

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Me Kareena R. Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Gregory J. Willoughby

MCKENZIE LAKE
300, rue Dundas
London (Ontario)  N6B 1T6

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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