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Date : 20070503

Dossier : T-456-05

Référence : 2007 CF 481

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2007

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

MELVIN MacKENZIE (ANCIEN COMBATTANT)

ANNIE MacKENZIE (ÉPOUSE SURVIVANTE)

 

demandeurs

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[1]               Melvin MacKenzie était soldat. Annie était son épouse. Lorsqu’il est décédé en 1968, il laissait à Annie et à leurs six enfants d’innombrables souvenirs, mais guère plus. Sa pension d’invalidité expirait à son décès. On lui avait reconnu une invalidité partielle permanente de 35 p. 100. Si on lui avait reconnu une invalidité de 48 p. 100 ou davantage, Annie aurait eu droit à une pension d’épouse survivante égale à la pension d’invalidité de Melvin.

 

[2]               Mme MacKenzie se trouvait dans une situation si difficile que lui fut attribuée l’allocation versée aux anciens combattants, jusqu’à vérification de ses ressources. Le ministère des Anciens combattants, reconnaissant le service accompli par Melvin durant la Deuxième Guerre mondiale, apportait à Annie un soutien financier pour l’aider à subvenir à ses besoins essentiels. Cette modeste pension a pris fin lorsque, en 1988, Annie a atteint l’âge de 65 ans et qu’elle est devenue admissible à une pension de vieillesse.

 

[3]               Au fil des années, Annie téléphonait au ministère pour savoir si elle avait droit à autre chose. Elle a bien sûr téléphoné vers 1976 quand elle a eu besoin d’argent pour réparer les fenêtres de sa maison de Glace Bay, puis de nouveau à l’époque où elle fut contrainte de vendre cette maison en 1981 parce qu’elle ne pouvait plus l’entretenir. Elle a encore une fois téléphoné en 1988 lorsque l’allocation aux anciens combattants qu’elle recevait a pris fin.

 

[4]               On lui a toujours répondu « il n’y a rien d’autre que l’on puisse faire pour vous ». Le ministère était dans l’erreur!

 

[5]               Il y avait deux choses que le ministère aurait pu faire. À tout moment, il aurait pu lui dire qu’elle avait le loisir de demander que le degré d’invalidité de Melvin soit réévalué à titre posthume. Comme je le dis plus haut, si le degré d’invalidité de Melvin avait été de 48 p. 100 ou davantage, Annie aurait eu droit à une pension complète à titre d’épouse survivante.

 

[6]               Deuxièmement, la loi a été modifiée en 1981 de telle sorte que, même si l’invalidité de Melvin avait été évaluée à 35 p. 100, Annie avait dès lors droit à une pension d’épouse survivante égale à la moitié de la pension d’invalidité. Cependant, cet accroissement de revenu aurait pu avoir un effet négatif sur l’allocation aux anciens combattants qui lui était versée. (Le dossier en faisait état, mais ce que j’ai devant moi concerne le droit à la pension, non le montant de celle-ci).

 

[7]               Par ignorance de sa part (elle n’était pas abonnée au hansard), et parce qu’elle s’était fondée sur ce que lui avait dit le ministère, sans compter l’erreur administrative commise par ce ministère, la situation ne fut corrigée qu’en 2003, mais en partie seulement. C’est la fille d’Annie, Cheryl, qui finalement est allée au fond des choses. Ce qui était arrivé, semble-t-il, c’est que, lorsque le ministère avait mis sur ordinateur ses dossiers, il avait négligé d’en transférer la portion qui montrait que Melvin bénéficiait effectivement d’une pension d’invalidité. Ce n’est que lorsqu’une bonne âme décida d’aller voir au-delà de son écran d’ordinateur et de compulser le dossier papier que les choses commencèrent à s’éclaircir.

 

[8]               La fille d’Annie, Cheryl, avait commencé à faire des demandes de renseignements en 1999 et avait obtenu la même réponse que celle qui avait été donnée à sa mère. Cependant, à titre de coordinatrice de dossiers auprès du ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse, elle est tombée par hasard sur des veuves se trouvant dans la même situation qui recevaient des pensions calculées d’après l’invalidité de leurs maris décédés. Elle a de nouveau communiqué avec le Tribunal à l’automne de 2002. Voici ce qu’elle dit :

[traduction] J’ai de nouveau téléphoné au MAC à Sydney et cette fois j’ai parlé à Lynne Anne Lafitte, qui m’a dit que, d’après l’information apparaissant dans l’ordinateur du ministère, mon père n’était frappé d’aucune invalidité. J’ai dit à Mme Lafitte que cette information était erronée. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un appel d’une personne qui m’a dit que ma mère aurait dû recevoir depuis 1981 la pension d’invalidité de 35 p. 100 de mon père par suite de changements apportés aux règles en 1981.

 

J’ai appris que le dossier papier d’invalidité de mon père qui était entre les mains du MAC n’avait pas été transposé dans le système informatique utilisé par les employés du MAC qui avaient répondu aux demandes de renseignements de ma mère ainsi qu’aux miennes, de telle sorte que, quelle qu’ait pu être l’époque antérieure ou quel qu’ait pu être le nombre d’appels qui avaient été faits, la réponse aurait été que mon père n’était pas invalide.

 

[9]               Annie a alors présenté une demande écrite de pension d’épouse survivante, en invoquant l’invalidité de 35 p. 100 de Melvin. La pension lui fut accordée avec effet rétroactif à partir de 1998. La manière dont le ministère interprétait la loi est telle qu’il ne pouvait remonter plus loin dans le passé.

 

[10]           Annie a aussi demandé une nouvelle évaluation de l’invalidité de Melvin. L’invalidité fut finalement réévaluée à la hausse, c’est-à-dire 50 p. 100. Cela voulait dire que, au lieu de recevoir une pension fondée sur la moitié d’une invalidité de 35 p. 100, Annie avait droit à une pension d’épouse survivante calculée sur l’intégralité de l’invalidité de 50 p. 100.

 

[11]           Cependant, le ministère a décidé de ne pas rendre rétroactive cette nouvelle évaluation de l’invalidité de Melvin. À proprement parler, c’est de cet aspect précis dont je suis saisi dans cette procédure de contrôle judiciaire.

 

[12]           Mme MacKenzie croit que l’évaluation devrait être rétroactive au moins à partir de 1998. La grande injustice est qu’elle avait droit, conformément à la loi, à une pension d’épouse survivante de 1981 à 1998 et qu’elle n’en a pas reçu le moindre sou. Ce que j’ai devant moi, c’est une procédure de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) rendue le 23 décembre 2004. Le Tribunal a rejeté l’appel qu’elle avait interjeté contre la décision du comité de révision des évaluations et a confirmé la décision du comité selon laquelle la pension augmentée, fondée sur une invalidité de 50 p. 100, ne devrait prendre effet que le 3 juin 2003, date à laquelle elle avait officiellement sollicité l’augmentation.

 

[13]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme MacKenzie dit que la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) devrait être annulée et que l’affaire devrait lui être renvoyée pour qu’il réexamine si la pension devrait lui être accordée selon un niveau d’évaluation de 50 p. 100 avec effet rétroactif à compter de février 1998, date à laquelle sa pension d’épouse survivante fondée sur une invalidité de 35 p. 100 avait pris effet. La Loi sur les pensions (la Loi) confère au Tribunal le pouvoir de donner à une pension un effet rétroactif limité, en raison de retards et difficultés qui ne dépendaient pas du demandeur.

 

QUESTION CONSTITUTIONNELLE

[14]           Telle était la situation lorsque la demande de contrôle judiciaire fut mise au rôle pour instruction à Sydney. Par la suite, Mme MacKenzie a soulevé une question constitutionnelle. Elle soutenait que si la loi applicable, la Loi sur les pensions, empêche le Tribunal d’accorder un effet rétroactif de plus de deux ans à une pension quand le retard a été causé par des difficultés administratives ne dépendant pas de sa volonté à elle, alors la Loi est inconstitutionnelle parce qu’elle contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[15]           Mme MacKenzie, s’appuyant, j’en ai peur, sur le mauvais article de la Loi, était d’avis que le comité avait au minimum le droit de rendre la pension rétroactive jusqu’à trois ans avant le dépôt de la demande écrite et d’étendre la rétroactivité sur deux années supplémentaires « en raison soit de retards dans l’obtention des dossiers militaires ou autres, soit d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur […] ».

 

[16]           La question constitutionnelle allait bien au-delà de l’avis de demande de contrôle judiciaire, en ce sens que, dans l’exposé justificatif débouchant sur la question, il est indiqué que la pension pourrait même avoir un effet rétroactif à compter de 1968, année du décès de M. MacKenzie. Il était fait état du paragraphe 39(2) de la Loi qui limite le pouvoir du ministre ou celui du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) puisqu’ils peuvent, en raison d’un retard ou d’une difficulté administrative, accorder une compensation supplémentaire ne dépassant pas deux années de pension. Il s’agissait de savoir en fait si le paragraphe 39(2) de la Loi contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier à son article 7, qui dispose que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».

 

[17]           Le défendeur s’est opposé à l’avis de question constitutionnelle en invoquant plusieurs moyens. La question était posée trop tard et dépassait le redressement sollicité. Par ailleurs, la question se référait au mauvais article de la Loi. Finalement, et en tout état de cause, il devait y être répondu par la négative.

 

[18]           Sachant que les demandes de contrôle judiciaire sont censées être sommaires par nature, et me fondant sur un arrêt de la Cour d’appel fédérale, David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, j’ai prié les parties d’être disposées à présenter des arguments.

 

[19]           La séance a débuté par la question constitutionnelle. Après avoir entendu l’avocate de Mme MacKenzie, j’ai dit que je répondrais à la question par la négative et qu’il ne serait donc pas nécessaire pour moi d’entendre le défendeur. Cependant, la réponse ne prendrait effet qu’à compter de la date de l’enregistrement de mon ordonnance, pour ne pas porter préjudice au droit d’appel de Mme MacKenzie.

 

[20]           Mme MacKenzie avait fait porter tous ses efforts sur l’article 39 de la Loi sur les pensions. L’avocate du défendeur a raison de dire que cette disposition n’est pas applicable, puisqu’elle se rapporte aux pensions d’invalidité. Mme MacKenzie reçoit une pension en tant qu’épouse survivante. Le montant de la pension est calculé en fonction de l’invalidité de M. MacKenzie, mais il ne s’agit pas en soi d’une pension d’invalidité. C’est une prestation de décès. La disposition applicable de la Loi, qui semble avoir la même teneur que l’article 39, est le paragraphe 56(2), ainsi rédigé :

56. (2) […] en raison soit de retards dans l’obtention des dossiers militaires ou autres, soit d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur […] le ministre ou […] le Tribunal peut accorder au pensionné une compensation supplémentaire, à concurrence d’un montant équivalant à deux années de pension ou d’augmentation.

56. (2) […] by reason of delays in securing service or other records or other administrative difficulties beyond the control of the applicant, the Minister or Veterans Review and Appeal Board may make an additional award to the pensioner in an amount not exceeding an amount equal to two years pension or two years increase in pension, as the case may be.

 

[21]           La question, reformulée pour prendre en compte la disposition applicable de la Loi sur les pensions, est de savoir si le paragraphe 56(2) contrevient à l’article 7 de la Charte.

 

[22]           L’argument de Mme MacKenzie est que la limite à deux ans de la rétroactivité de la pension, selon ce que prévoit le paragraphe 56(2) :

[traduction] […] est tout à fait arbitraire et injuste, est dépourvue d’un lien rationnel avec l’objet de la Loi sur les pensions, conduit à priver injustement la demanderesse de son droit acquis à la pension de son mari décédé et à enrichir tout aussi injustement le fonds de pension et ne parvient pas, d’une manière tant soit peu raisonnable, à corriger proportionnellement le préjudice effectif causé par le délai, notamment la longue indignité personnelle entraînée par le fait pour elle de voir ses demandes sans cesse rejetées, de vivre dans la pauvreté, et de vivre dans le silence par honte de son manque de ressources, ce qui a modifié ainsi à jamais et d’une manière irréparable la relation entre la demanderesse et ses enfants et entre la demanderesse et sa communauté.

 

[23]           On pourrait avancer que le législateur devrait faire la chose qui s’impose, eu égard, pour reprendre les mots mêmes de la Loi sur les pensions, à « l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge », mais la décision d’accorder une pension, tout comme le montant de cette pension et autres modalités, sont des questions de politique générale. Le législateur ne saurait être poursuivi pour ne pas avoir légiféré. Cependant, si certaines conditions sont remplies, comme c’est le cas ici, le gouvernement peut être poursuivi pour ne pas avoir bien administré cette loi (Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228).

 

[24]           La question n’est pas encore tranchée définitivement, mais il est généralement admis que les droits économiques ne sont pas protégés par l’expression « sécurité de sa personne », à l’article 7 de la Charte. Dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, le juge en chef Dickson, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, écrivait ce qui suit, à la page 1003 :

[L]’exclusion intentionnelle de la propriété de l’art. 7 et son remplacement par la « sécurité de sa personne » […] permet[tent] d’en déduire globalement que les droits économiques, généralement désignés par le terme « propriété », ne relèvent pas de la garantie de l’art. 7.

 

[25]           Plus récemment, dans l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, il s’agissait de savoir si le versement de prestations d’aide sociale moindres aux bénéficiaires âgés de moins de 30 ans contrevenait à l’article 7. L’appelante faisait valoir que l’article 7 imposait au gouvernement l’obligation formelle de verser des prestations d’aide sociale suffisantes à ceux et celles qui n’avaient pas d’autres ressources. La juge en chef McLachlin, s’exprimant pour les juges majoritaires, s’est exprimée ainsi, au paragraphe 81 :

Même s’il était possible d’interpréter l’art. 7 comme englobant les droits économiques, un autre obstacle surgirait. L’article 7 précise qu’il ne peut être porté atteinte au droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. En conséquence, jusqu’à maintenant, rien dans la jurisprudence ne tend à indiquer que l’art. 7 impose à l’État une obligation positive de garantir à chacun la vie, la liberté et la sécurité de sa personne. Au contraire, on a plutôt considéré que l’art. 7 restreint la capacité de l’État de porter atteinte à ces droits. Il n’y a pas d’atteinte de cette nature en l’espèce.

 

 

Par conséquent, il faut répondre par la négative à la question constitutionnelle.

 

ANALYSE

[26]           La Loi sur les pensions prévoit que ses dispositions doivent s’interpréter d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge. L’article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui établit le Tribunal dont la décision est ici contestée, renferme une disposition semblable. L’article 39 de la même loi prévoit également ce qui suit :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[27]           La question qui est posée par la demande de contrôle judiciaire est de savoir si l’augmentation de la pension d’épouse survivante versée à Mme MacKenzie aurait dû, à la suite du relèvement de 35 p. 100 à 50 p. 100 de l’invalidité de M. MacKenzie, être déclarée rétroactive. Mme MacKenzie demande cinq ans de rétroactivité, mais la question dont je suis saisi est simplement de savoir si la décision devrait être renvoyée pour réexamen. Il se pourrait bien que le ministre ait raison d’affirmer que, s’agissant d’un relèvement du taux d’invalidité qui est demandé plus de trois ans après le décès, les paragraphes 56(1.1) et 56(2), lus ensemble, n’autorisent qu’une compensation supplémentaire égale à deux années de pension à compter de la date de la demande si celle-ci est le résultat d’un retard ou d’une difficulté administrative.

 

CE QUE LE DOSSIER DU TRIBUNAL NOUS DIT

[28]           La demande de contrôle judiciaire est appuyée par un affidavit de Mme MacKenzie et un affidavit de sa fille, Cheryl Deveaux, tous deux établis sous serment en mars 2006, que le Tribunal n’avait évidemment pas devant lui. Mme MacKenzie et sa fille ont toutes deux témoigné à l’une des audiences, mais il n’y a pas de transcription. Je présume que leur version des faits est demeurée la même. Dans son affidavit, Mme MacKenzie écrit qu’elle avait été en communication avec le ministère en 1976, en 1981 et de nouveau en 1988, pour se renseigner sur ses prestations et pour savoir si elle pouvait espérer davantage.

 

[29]           Il faut prêter une certaine attention aux dates des diverses procédures intéressant à la fois le droit à pension et l’évaluation d’invalidité. Après que Cheryl eut démêlé les choses, Annie a demandé au début de janvier 2003 une pension d’épouse survivante en invoquant la pension de son mari fondée sur l’invalidité de 35 p. 100. Cette demande a été accordée le 12 février 2003 et réputée, conformément au paragraphe 56(1) de la Loi, rétroactive jusqu’à trois ans avant la décision, ce qui rendait la pension payable à compter du 12 février 2000.

 

[30]           Le lendemain même, le 13 février 2003, Cheryl, munie d’une procuration, écrivait à Anciens combattants Canada pour s’enquérir de l’opportunité de faire réévaluer le niveau d’invalidité de son père. Mme MacKenzie a fait appel du droit à une pension d’épouse survivante et, le 24 octobre 2003, le Tribunal modifiait sa décision initiale en accordant deux années additionnelles de rétroactivité pour cause de retard administratif, de telle sorte que la pension d’épouse survivante devenait payable à compter du 12 février 1998.

 

[31]           Elle a aussi sollicité officiellement, le 3 juin 2003, une révision posthume de l’évaluation. En décembre 2003, le ministère concluait qu’il n’existait aucune raison d’accroître le niveau d’invalidité de M. MacKenzie. Elle a alors sollicité une audience de révision de l’évaluation et, le 2 juin 2004, le comité de révision des évaluations décidait que M. MacKenzie était réputé avoir été, à la date de son décès, invalide selon un taux de 50 p. 100, avec prise d’effet le 3 juin 2003, date de la demande de réévaluation. La décision du comité a conduit à l’appel, puis à la décision de décembre 2004 qui est ici contestée.

 

[32]           Le Tribunal avait devant lui la décision de juin 2004 du comité, qui accordait deux années additionnelles de rétroactivité à la demande de droit à pension. Dans sa décision, le comité reconnaissait que Mme MacKenzie avait téléphoné au ministère, mais qu’on lui avait donné des renseignements erronés.

 

[33]           Lors de l’audience qui a conduit à la décision de juin 2004, décision qui, je dois le souligner, n’est pas celle qui est ici contestée, le comité avait également devant lui une lettre de la fille d’Annie, Cheryl, ainsi que son témoignage. Cheryl a affirmé, et le comité l’a admis, qu’elle avait téléphoné la première fois au bureau de district d’Anciens combattants Canada à l’automne de 1999. Elle a désigné l’employée à laquelle elle s’était adressée et a dit qu’elle avait donné le numéro matricule de son père. On lui a dit que sa mère n’était pas admissible à une quelconque distribution proportionnelle de la pension d’invalidité de son père. Dans cette décision relative au droit à pension, le comité écrivait ce qui suit :

[traduction]

On a alors procédé à un examen approfondi du dossier de son père et l’on a relevé qu’il avait effectivement été déclaré invalide à 35 p. 100 et le droit de sa mère à une pension fut alors confirmé. La décision [originale] lui accordait une pension avec effet rétroactif à partir de février 2000.

 

[…]

 

Pour quelque raison, le ministère n’a pu trouver la documentation précise même si en 1968, après le décès de M. MacKenzie, Mme MacKenzie avait reçu un chèque de pension d’invalidité pour une année complète ».

 

 

CE QUE LE DOSSIER DU TRIBUNAL NE NOUS DIT PAS

[34]           Aucun fonctionnaire du ministère n’a produit un affidavit ni témoigné sur le fil des événements. Nous ne savons pas quand les dossiers ont été mis sur ordinateur, où le dossier papier a été conservé, ni quelles précautions avaient été prises pour s’assurer que les dossiers informatisés étaient complets. Tout ce que nous avons, c’est une preuve par ouï-dire. Ceux qui « savaient » ne se sont pas manifestés. Très déçu de la manière dont les choses se présentaient, j’ai voulu savoir à l’audience si des mesures avaient été prises pour faire connaître les modifications apportées aux pensions de conjoint survivant. Après l’audience, j’ai été informé, par accord des parties, que le ministère avait lancé en 1980 une campagne d’information et que la Légion royale canadienne l’y avait aidé. Le ministère avait annoncé les changements dans les journaux et à la radio et avait joint des encarts aux chèques de pension de vieillesse. Malheureusement, on ne sait pas aujourd’hui si des encarts avaient été insérés dans les enveloppes contenant les chèques d’allocations aux anciens combattants. Le ministère n’a pas examiné ses dossiers concernant les anciens combattants qui étaient décédés avant 1980. Il semble que la Légion royale canadienne avait précisé dans sa revue mensuelle que quiconque souhaitait recevoir la pension allait devoir en faire la demande. Des formulaires de demande pouvaient facilement être obtenus.

 

[35]           Naturellement, nous ne savons pas si Mme MacKenzie recevait la revue de la Légion. Cependant, son témoignage selon lequel elle n’a eu connaissance de son droit à pension qu’à la fin de 2002 n’est pas contesté.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[36]           Ce dont le Tribunal était saisi, c’était de l’appel interjeté par Mme MacKenzie contre le refus en juin 2004 du comité de révision des évaluations de donner un effet rétroactif au relèvement du niveau d’invalidité de son mari. Aucun appel incident n’a été formé contre la décision du comité de révision de relever le niveau d’invalidité de 35 p. 100 à 50 p. 100.

 

[37]           Dans sa décision du 23 décembre 2004, celle qui est ici l’objet du contrôle judiciaire, le Tribunal a refusé de modifier la décision du comité de révision. Il était même d’avis qu’aucune preuve n’avait été produite justifiant le relèvement du niveau d’invalidité à 50 p. 100. Le Tribunal s’est exprimé ainsi :

 

[traduction]

Le Tribunal, après examen attentif de la décision du 2 juin 2004 du comité de révision des évaluations, reconnaît avec l’avocat que le comité n’avait devant lui absolument aucun fait nouveau l’autorisant à faire passer de 35 p. 100 à 50 p. 100 le niveau d’invalidité.

 

Le Tribunal trouve même que le comité a été excessivement généreux dans sa décision et il ne peut que présumer que ladite décision procédait surtout de la volonté de faire en sorte que Mme MacKenzie fût admissible à une pleine pension de veuve. Il est impossible d’y voir une autre justification. Par conséquent, le Tribunal dit que le comité s’est largement fondé, pour rendre cette décision, sur les dispositions de l’article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

 

Conformément à l’esprit de cette générosité et pour qu’aucune sanction pécuniaire ne soit imposée à Mme MacKenzie, le Tribunal n’apportera aucune modification au niveau d’invalidité de 50 p. 100. Cependant, puisque le comité semble n’avoir rendu sa décision qu’en se fondant sur la demande d’augmentation de la pension présentée par la veuve plutôt que sur une quelconque autre preuve tangible ou médicale, c’est la date de la demande d’augmentation qui est la date à retenir pour la rétroactivité.

 

Accordant à Mme MacKenzie tout bénéfice possible du moindre doute raisonnable, le Tribunal confirme la décision du 2 juin 2004 rendue par le comité de révision.

 

[38]           Ce paternalisme et cette suffisance ne sont pas de mise. Il n’est guère surprenant que Mme MacKenzie pense avoir été traitée en mendiante!

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[39]           Comme toujours, la Cour doit déterminer le niveau de retenue que commande la décision du tribunal administratif concerné. L’article 31 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dispose que la décision de la majorité des membres du comité d’appel est définitive et exécutoire. C’est là une clause privative qui a pour effet de restreindre la portée du contrôle judiciaire (Ballingall c. Canada (Ministre des Anciens combattants), [1994] A.C.F. n° 461 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[40]           Le paragraphe 56(2) de la Loi sur les pensions dispose que le Tribunal peut accorder deux années supplémentaires de rétroactivité. Les décisions discrétionnaires ne sont pas modifiées à la légère.

 

[41]           Avant que la Cour suprême n’impose le principe d’une analyse pragmatique et fonctionnelle dans les procédures de contrôle judiciaire, elle avait jugé, dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, qu’une décision discrétionnaire administrative ne pouvait être l’objet d’une procédure de contrôle judiciaire si elle n’était pas entachée de mauvaise foi ou si elle ne reposait pas sur des considérations non pertinentes ou étrangères.

 

[42]           Ainsi que le résumait la Cour suprême dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, il existe trois normes de contrôle judiciaire des actes administratifs : la norme de la décision correcte, la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable. La norme est déterminée après examen des quatre facteurs suivants :

a.         la présence ou l’absence d’une clause privative;

b.         la spécialisation du décideur par rapport à celle de la Cour;

c.         l’objet de la disposition légale dans le contexte de la loi tout entière;

d.         la nature de la question : question de fait, question de droit ou question mixte de droit et de fait.

 

[43]           À mon avis, la décision du Tribunal procédait de considérations non pertinentes ou étrangères. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée au Tribunal pour réexamen complet et en règle. La question qui était posée au Tribunal n’était pas de savoir si le relèvement de 35 p. 100 à 50 p. 100 du niveau d’invalidité de M. MacKenzie était justifié, mais plutôt de savoir si ce relèvement aurait dû être déclaré rétroactif. Le Tribunal a pu penser que le comité avait été « excessivement généreux dans sa décision », mais là n’était pas la question. J’ai du mal à croire que le qualificatif « généreux » soit le mot juste à employer pour décrire le traitement réservé à Mme MacKenzie par le ministère au fil des ans. Vu que, dès qu’elle fut informée de ses droits, elle a promptement sollicité la réévaluation du niveau d’invalidité de son mari, le Tribunal se devait d’examiner si des retards ou des difficultés administratives indépendantes de la volonté de Mme MacKenzie avaient empêché celle-ci de présenter une demande plus tôt.

 

[44]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 52 et 53, la Cour suprême du Canada écrivait que, souvent, mais pas toujours, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire appelle, comme norme de contrôle, celle de la décision raisonnable simpliciter. Vu que chaque décision du Tribunal doit être considérée dans son contexte (arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404), et gardant à l’esprit l’objet global de la Loi ainsi que la manière dont elle doit être interprétée, j’applique à la décision du Tribunal la norme de la décision raisonnable simpliciter. Je m’empresse d’ajouter cependant que, même en appliquant la norme de la décision manifestement déraisonnable, j’annulerais la décision. Ce que disait en somme clairement le Tribunal, c’était que Mme MacKenzie avait eu tort de troubler ce qui était déjà bien pour avoir mieux. Là n’était pas la question. Le Tribunal s’est trompé et a limité son pouvoir discrétionnaire.

 

AUTRES POINTS

[45]           Plusieurs points n’ont pas été considérés dans la demande de contrôle judiciaire ni par les instances inférieures. L’article 56 de la Loi sur les pensions est très restrictif. L’expression « difficultés administratives » rend-elle véritablement compte de ce qui est arrivé ici? Le ministère n’a jamais dit au Tribunal ce qui était arrivé, et le Tribunal ne le lui a pas demandé.

 

[46]           Les propos tenus au fil des ans à Mme MacKenzie et à sa fille semblent avoir été des déclarations inexactes faites négligemment par des personnes ayant autorité. La notion de responsabilité délictuelle pour déclarations inexactes faites par négligence et la notion du droit des contrats qui concerne le déséquilibre du rapport de forces poussent certainement à la réflexion, même si ces deux notions ne s’appliquent pas nécessairement ici.

 

[47]           L’arrêt de la Chambre des lords, Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465, qui a été suivi au Canada, permet d’affirmer qu’une déclaration inexacte, bien qu’honnête, faite par négligence, peut donner lieu à une action en dommages-intérêts pour manque à gagner, indépendamment de toute relation contractuelle ou fiduciaire, car le droit impose une obligation de prudence à la personne qui en renseigne une autre lorsque la première est investie d’une compétence particulière, qu’elle jouit de la confiance de la seconde quant au niveau de prudence qui s’impose et qu’elle savait ou aurait dû savoir que la seconde comptait sur sa compétence et son esprit de discernement.

 

[48]           Mme MacKenzie et sa fille s’informaient à l’égard des prestations prévues par une loi régissant le versement de prestations. Elles avaient le droit absolu de présumer que les fonctionnaires du ministère auxquels elles avaient affaire avaient des compétences spéciales, et elles avaient toutes les raisons de penser que lesdits fonctionnaires se montreraient diligents. Puisqu’un administré a parfaitement le droit de penser que le gouvernement agira de la bonne façon, le ministère savait ou aurait dû savoir que Mme MacKenzie et sa fille comptaient sur la compétence et l’esprit de discernement de ses employés.

 

[49]           Voici les propos d’Annie :

[traduction]

J’ai toujours vécu dans la communauté minière rurale de Glace Bay, en Nouvelle-Écosse.

 

Mon niveau de scolarité est la 10e année.

 

Mon unique expérience de travail remonte à la période d’avant mon mariage. J’ai fait des ménages et j’ai été caissière dans un grand magasin de la région.

 

Après mon mariage, je n’ai jamais travaillé en dehors de chez moi. Mon travail comme maîtresse de maison consistait à veiller aux besoins personnels de mon mari et de mes enfants, ainsi qu’à garder la maison propre et en ordre.

 

C’est mon mari qui s’occupait de la gestion de notre ménage.

 

À l’époque, et quand j’allais à l’école, on m’a enseigné à être attentive à ce qu’on me disait et à me fier, sans discuter, aux personnes ayant autorité.

 

[…]

 

On m’a répondu « non » toutes les fois que j’appelais. On m’a dit que, s’il recevait une pension d’invalidité, ce serait inscrit dans l’ordinateur. « On m’a dit que mon mari n’était pas suffisamment invalide ».

 

Je ne comprenais pas tout à fait, mais j’acceptais ce qu’on me disait. J’avais le sentiment de quémander de l’argent.

 

La dernière fois que j’ai téléphoné, c’était en 1988, quand mon allocation de veuve a été supprimée parce que j’avais atteint l’âge de 65 ans. J’ai finalement abandonné.

 

[50]           Bien qu’il s’agisse d’un arrêt portant sur le droit des contrats, l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Lloyds Bank v. Bundy, [1975] 1 Q.B. 326, est instructif. Cette affaire concernait un déséquilibre du rapport de forces entre parties à un contrat. Nous n’avons pas ici affaire à un rapport de forces, puisque Mme MacKenzie ne demandait que son dû et que nul n’entendait délibérément l’en priver. Cependant, lord Denning parlait du [traduction] « “colore officii”, à savoir le cas où une personne se trouve dans une solide position de négociation de par sa charge ou sa profession ». À la page 339 de l’arrêt, il écrivait que le principe général du « déséquilibre de rapport de forces » avait l’effet suivant :

[traduction] Tout bien considéré, je dirais que tous ces cas présentent un fil commun. Ils reposent sur le « déséquilibre du rapport de forces ». Dans ce contexte, le droit anglais accorde réparation à celui qui, sans avoir obtenu un avis impartial, conclut un contrat à des conditions qui sont très injustes ou transfère un bien en échange d’une contrepartie qui est scandaleusement insuffisante, sa capacité de négociation étant sérieusement diminuée par l’ampleur de ses propres besoins ou souhaits ou par sa propre ignorance ou infirmité, ce à quoi s’ajoutent les influences ou pressions exagérées qui sont exercées sur lui par l’autre ou au profit de l’autre. Quand je dis « exagérées », je ne veux pas dire par là que le principe dépend de la preuve d’un quelconque acte répréhensible.

 

 

[51]           À n’en pas douter, Mme MacKenzie s’en est rapportée au ministère et elle croyait fermement qu’il savait ce qu’il faisait. Elle n’a pas vu la nécessité d’obtenir un avis impartial. Il y a une relation spéciale entre le ministère d’une part et les anciens combattants et leurs personnes à charge d’autre part. Le ministère l’a abandonnée.

 

[52]           Sans doute plus pertinents sont les motifs exposés par sir Eric Sachs dans l’arrêt Lloyds Bank v. Bundy, motifs auxquels a souscrit lord Cairns. Il y parlait des relations spéciales, en particulier des relations confidentielles, qui peuvent naître dans des circonstances inusitées et fort variées. Il n’avait pas jugé faisable ni souhaitable de chercher à tracer des lignes de démarcation autour de telles relations. Il s’est exprimé ainsi, à la page 341 :

[traduction]

Les cas semblables surgissent en général lorsqu’une personne se fie aux indications ou aux avis d’une autre, que cette autre personne le sait et qu’elle en profite pour obtenir ou pour chercher à obtenir un avantage de l’opération ou lorsqu’elle a d’une autre manière intérêt à ce que l’opération soit conclue.

 

[…]

 

Le mot « confidentialité », un mot relativement peu employé, est ici adopté, encore qu’avec quelque hésitation, afin d’éviter la confusion possible qui peut résulter de l’emploi du mot « confiance ». Le fait de s’en rapporter à un avis peut dans de nombreux cas comporter ce genre de confiance, laquelle n’entraîne qu’une obligation de common law, l’obligation de prudence — une obligation qui peut coexister, mais non coïncider, avec celle de prudence fiduciaire.

 

[53]           Malheureusement, en un sens, mais à quel prix, les deniers publics ont profité de ce que le ministère ait privé Mme MacKenzie de ce qui lui revenait. Je souligne encore une fois qu’aucun fonctionnaire du ministère n’avait un quelconque intérêt à ne pas payer ce qui aurait dû l’être, mais la triste vérité, c’est que c’est le résultat qui a finalement été obtenu.

 

[54]           Pour reprendre les propos du juge La Forest dans l’arrêt Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, aux pages 249 et 250 :

L’inégalité du pouvoir de négociation peut revêtir un certain nombre de formes. Comme le soulignent Boyle et Percy, dans Contracts : Cases and Commentaries (4e éd., 1989), note, aux pages 637 et 638 :

 

[traduction] Il se peut qu’[une personne] soit plus faible sur le plan intellectuel à cause d’une maladie mentale, ou plus faible sur le plan économique ou tout simplement conjoncturel, à cause de circonstances temporaires. Subsidiairement, cette « faiblesse » peut découler d’un rapport spécial fondé sur la confiance de l’une des parties envers l’autre. L’existence d’une faiblesse relative ou d’un rapport spécial doit, dans tous les cas, être prouvée.

 

Comme le laisse entendre la dernière phrase de cet extrait, il faut examiner les circonstances de chaque cas pour déterminer s’il y a inégalité écrasante du rapport de force entre les parties.

 

[55]           Les pensions versées aux anciens combattants et à leurs personnes à charge en vertu de la Loi sur les pensions devraient être mises en contraste avec les pensions payables en vertu du Régime de pensions du Canada, lequel s’applique à toute personne qui a financièrement contribué à ce régime. Le paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada prévoit que le ministre, s’il est convaincu « qu’un avis erroné ou une erreur administrative […] a eu pour résultat que soit refusé[e] à [une] personne […] en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit », doit prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se trouverait s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

 

[56]           Malheureusement, il n’y a aucune disposition semblable dans la Loi sur les pensions. Sans doute pourrait-on dire que les cotisants au Régime de pensions du Canada ont payé pour recevoir leurs prestations, mais les membres des Forces canadiennes et leurs familles ont eux aussi payé par leurs vies, leur sang et leurs sacrifices.

 

[57]           La Loi sur les pensions est silencieuse, mais l’article 34 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) parle d’allocations de commisération, encore que le montant d’une telle allocation puisse être restreint. Par ailleurs, le 4 avril 2007, le premier ministre, s’adressant à une foule d’anciens soldats, disait que son gouvernement s’employait à donner effet à une promesse électorale pour faire en sorte que les anciens combattants obtiennent d’Ottawa le respect qu’ils méritaient. Une charge d’ombudsman a été instituée, dotée d’une déclaration des droits, qui permettra semble-t-il à Anciens combattants Canada de veiller à ce que chaque ancien combattant soit traité avec « la justice, la dignité et le respect auquel il a droit ».

 

[58]           Melvin et Annie ont toujours agi honorablement envers nous. Quand allons-nous agir honorablement envers eux?

 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) en date du 23 décembre 2004 est annulée. L’affaire est renvoyée à un comité différemment constitué, pour réexamen, le tout avec dépens, calculés selon la formule avocat-client.

3.                  Il est répondu par la négative à la question constitutionnelle. Le paragraphe 56(2) de la Loi sur les pensions ne contrevient pas à la Charte canadienne des droits et libertés.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                T-456-06

 

INTITULÉ :                                               MELVIN MacKENZIE (ANCIEN COMBATTANT)

                                                                    ANNIE MacKENZIE (ÉPOUSE SURVIVANTE)

                                                                    c.

                                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        SYDNEY (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       LE 5 AVRIL 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                              LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                             LE 3 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clara Gray

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Susan L. Inglis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clara Gray

Avocate

Sydney (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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