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   Date : 20070504

Dossier : IMM-3568-06

Référence : 2007 CF 484

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

BALACHANDRAN PANCHALINGAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 20 mars 2006, par laquelle celle-ci a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Le demandeur soulève les deux questions suivantes :

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’effectuer un examen adéquat à la lumière de la preuve qu’elle jugeait crédible?

b)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans sa conclusion relative à la crédibilité?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à chacune de ces questions est négative et la présente demande sera rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Le demandeur, né le 20 février 1971, est un hindou et Tamoul du Nord, citoyen du Sri Lanka, qui a été forcé de travailler pour les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) à divers moments entre 1993 et 1997.

 

[5]               En 1995, lors de l’opération Leap Forward (saut en avant), le village du demandeur a été attaqué et ce dernier a dû se réfugier pendant deux semaines. En octobre 1995, après que les pourparlers de paix eurent échoué, les combats ont repris et le demandeur a été blessé lors d’un bombardement. Il s’est enfui à Kilinochchi et est demeuré dans un abri pour réfugiés. En août de l’année suivante, l’armée a attaqué Kilinochchi et le demandeur et sa famille se sont réfugiés dans un bunker.

 

[6]               En 1997, le demandeur a été harcelé par l’armée à plusieurs reprises et il a été forcé d’agir comme bouclier humain aux points de contrôle près d’Elephant Pass. En août 1997, il a été agressé par des soldats parce qu’il avait refusé de joindre l’armée. En septembre 1997, le demandeur et sa famille se sont enfuis à Chilaw où ils sont demeurés avec la sœur de celui-ci. Cependant, les voisins cinghalais de la sœur du demandeur ont porté plainte et les dix-huit personnes résidant dans la maison ont été arrêtées et accusées d’être membres des TLET. L’épouse et les enfants du demandeur ont été libérés une semaine plus tard.

 

[7]               Le demandeur et d’autres suspects ont été détenus pendant trois mois. Un tribunal a libéré le demandeur et a ordonné qu’il comparaisse à une audience. Après cinq ou six comparutions, le demandeur a été libéré sous condition qu’il se présente chaque jour à la police. Trois mois plus tard, le demandeur a été avisé qu’il n’avait plus à se présenter à la police, car il n’existait pas suffisamment de preuve pour l’inculper (traduction d’une lettre envoyée par le ministère du Procureur général de Colombo, datée du 18 juillet 2001, dossier du tribunal, page 146).

 

[8]               En août 2004, la faction dissidente des TLET de Karuna a commencé à cibler les Tamouls du Nord. Le demandeur, craignant d’être tué, est retourné dans son village natal où il a été interrogé et harcelé par l’armée et les TLET. L’armée l’a accusé d’être un partisan des Tigres. Le 1er janvier 2005, l’armée a menacé le demandeur en l’avisant que, s’il ne coopérait pas avec elle, il serait torturé. En raison de ces menaces, le demandeur a fui le nord du pays le 16 janvier 2005. Avec l’aide d’un agent, il a quitté le Sri Lanka pour se rendre en Malaisie, ensuite en France et enfin au Canada, où il est arrivé le 13 février 2005.

 

[9]               Le 11 mars 2005, le demandeur a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté par les autorités sri-lankaises, les TLET et leur faction dissidente de Karuna. La Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible en raison du caractère invraisemblable et incroyable de ses récits embellis. La demande d’asile du demandeur a donc été rejetée et constitue le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

DÉCISION QUI FAIT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]           Après avoir examiné la preuve documentaire et les témoignages, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Notamment, elle doutait de la crédibilité du demandeur en ce qui a trait aux points suivants :

a)      son témoignage contradictoire et évasif au sujet de l’instance judiciaire de 1997 et de ses craintes à ce moment;

b)      les contradictions dans son témoignage au sujet de la nature du travail qu’il a effectué pour les TLET et la période de temps pendant laquelle il a travaillé;

c)      les contradictions dans son récit quant à la raison pour laquelle les TLET l’ont forcé de travailler pour eux de 1993 à 1995, mais non en 1996 ou en 1997;

d)      les contradictions dans son témoignage en ce qui a trait au moment où il a quitté le Sri Lanka et à l’endroit où il est demeuré avant de venir au Canada;

e)      les parties invraisemblables dans son témoignage au sujet de la demande d’asile présentée en France et de sa conduite qui n’était pas celle d’une personne craignant avec raison d’être persécutée.

 

[11]           La Commission a également examiné la preuve documentaire dont elle disposait et a souligné le fait que de nombreux problèmes se sont déclarés au Sri Lanka depuis l’accord de cessez‑le-feu conclu en février 2002. Néanmoins, elle a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve crédible établissant qu’il craignait avec raison d’être persécuté dans l’avenir ou qu’il était exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Elle a donc conclu que le demandeur n’avait pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni de « personne à protéger ».

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[12]           La norme de contrôle applicable aux questions relatives à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable, tel que la Cour d’appel fédérale l’a établi dans l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL). 

 

Omission d’examiner de façon adéquate la preuve jugée crédible

[13]           Le demandeur a déposé une preuve documentaire abondante, notamment des documents personnels, des documents judiciaires et plusieurs journaux et rapports nationaux exposant en détail l’escalade de la violence au Sri Lanka. Même s’il était prévu que la Commission examine ces documents, le demandeur allègue que la Commission n’y a nullement fait référence. La seule référence à la situation dans le pays en cause et, par conséquent, à la preuve documentaire y afférente, est exposée comme suit :

Le tribunal est conscient que, depuis l’accord de cessez-le-feu conclu en février 2002, beaucoup de problèmes font surface. La voie menant à une paix définitive entre les belligérants n’est pas aisée. Bien qu’il y ait toujours des incidents isolés, le cessez-le-feu est en vigueur depuis plus de trois ans maintenant, ce qui est une réussite remarquable en soi. […]

 

 

[14]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en omettant d’examiner de façon adéquate la preuve documentaire qu’elle jugeait crédible. La Commission ne fait aucune mention des divers rapports qui exposent la situation changeante dans le pays, à l’exception du bref passage susmentionné. Le demandeur soutient que ses comparutions antérieures et le harcèlement qu’il a subi de la part des TLET et de l’armée augmenteraient le risque auquel il serait exposé compte tenu de la vague de violence dans son pays. Si elle avait examiné de façon adéquate les accusations portées contre le demandeur en 1997 et l’instance judiciaire s’y rapportant, la Commission n’aurait pas écarté cette preuve documentaire simplement du fait qu’aucune accusation n’avait été portée contre le demandeur en 2001.

 

[15]           Le défendeur rejette l’affirmation voulant que la Commission ait commis une erreur dans son examen concernant l’instance judiciaire mettant en cause le demandeur en 1997. Le demandeur avait été accusé en vertu de l’Emergency Powers Act (Loi sur les pouvoirs d’urgence) et détenu pendant trois mois, mais la police avait plus tard été avisée par le ministère du Procureur général qu’il n’existait pas de preuve suffisante pour déposer des accusations contre lui. La Commission n’a pas commis d’erreur puisque le véritable fondement de l’examen du risque est prospectif, une notion que le demandeur ne conteste pas. Il n’y avait pas lieu de tenir compte d’une instance judiciaire normale dans laquelle il n’existait aucune preuve voulant que le demandeur ait été torturé ou maltraité lors de sa détention ou qu’il n’ait pas eu droit à l’application régulière de la loi. Le demandeur a également bénéficié d’une libération absolue et déclaré lors de son témoignage qu’il n’avait aucune crainte liée aux accusations et à l’instance judiciaire de 1997. Il n’y avait aucun risque prospectif lié à ces démêlés avec la justice qui permettait à la Commission de conclure que l’expérience judiciaire du demandeur appuierait une crainte de persécution future.

 

[16]           Le défendeur cite à l’appui de sa position le professeur James C. Hathaway. Ce dernier a écrit ce qui suit à la page 65 de son ouvrage intitulé The Law of Refugee Status (la loi du statut de réfugié) (Toronto: Butterworths, 1991) :

[traduction]

 

Le concept de « crainte avec raison d’être persécuté » […] a été établi avec l’intention de limiter la portée de la protection aux personnes qui peuvent prouver un risque de persécution actuel ou prospectif, indépendamment de l’étendue ou de la nature des mauvais traitements qu’elles ont subis dans le passé, le cas échéant.

 

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Dans le même ordre d’idées, le défendeur soutient que la Commission n’a pas interprété de façon erronée les faits exposés dans la preuve documentaire portant sur l’existence précaire d’un cessez-le-feu. La Commission n’avait pas à faire référence à chaque document dont elle disposait. De plus, lorsqu’elle a fait référence à des documents concernant le cessez-le-feu, il n’existait aucune preuve dans les articles sur lesquels se fondait le demandeur pour établir que le cessez-le-feu avait été levé. Bien qu’il existe des craintes voulant que les escarmouches entre les belligérants puissent compromettre les pourparlers de paix et le cessez-le-feu, il n’existe aucune preuve qui laisse croire que le demandeur serait exposé au risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie s’il retournait au Sri Lanka, et ce, même si le cessez-le-feu était levé.

 

[18]           Après avoir examiné les documents en question, notamment les documents judiciaires et les coupures de journaux, ainsi que les rapports d’Amnistie Internationale, je suis convaincu que la Commission n’a commis aucune erreur lors de son examen de la preuve documentaire. En général, il existe de la jurisprudence dans laquelle on encourage les auteurs de décisions relatives à des demandes d’asile à faire plus qu’une simple mention de la situation dans le pays où des changements pourraient influer sur l’issue du statut du demandeur.

 

[19]           À cet égard, je me fonde sur l’arrêt rendu par le juge en chef Isaac de la Cour d’appel fédérale dans Mahanandan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1228 (QL), où il a indiqué ce qui suit, aux paragraphes 7 et 8 :

Les appelants prétendent devant nous que la Commission n'a pas bien ou n'a pas du tout examiné le fondement objectif de leur crainte. Premièrement, les appelants affirment que si la volumineuse preuve documentaire avait été correctement examinée, elle aurait fort bien pu renforcer l'appréciation de la Commission du fondement objectif de leur revendication. Deuxièmement, ils déclarent que si ce n'est la simple mention que la preuve présentée à l'audience était une preuve documentaire fournissant des renseignements de base sur le Sri Lanka, les motifs invoqués par la Commission ne contenaient aucune autre référence à la preuve documentaire, et encore moins le moindre examen de leur revendication qui tiendrait compte de cette preuve. Ensuite, ils prétendent d'une part que l'appréciation de leur revendication par la Commission aurait fort bien pu être différente si celle-ci l'avait examinée en tenant compte de la preuve documentaire, et d'autre part, qu'en ne le faisant pas, la Commission a commis une erreur donnant lieu à cassation.

 

C'est aussi notre avis. Lorsqu'une preuve documentaire comme celle en cause est admise en preuve à l'audience, et pourrait vraisemblablement influer sur l'appréciation, par la Commission, de la revendication dont elle est saisie, il nous semble que plus qu'une simple constatation de son admission, la Commission doit indiquer dans ses motifs l'incidence, si elle existe, de cette preuve sur la revendication du requérant. Comme je l'ai déjà dit, la Commission ne l'a pas fait en l'espèce. À notre avis, cette omission équivalait à une faute irréparable, et il s'ensuit que la décision de la Commission ne peut être maintenue.

 

[20]           Selon cette jurisprudence, je dois faire une distinction entre les faits de l’arrêt Mahanandan et ceux en l’espèce. Dans l’arrêt Mahanandan, la Commission avait omis d’examiner la preuve documentaire, ce qui n’est pas la situation en l’espèce. Dans l’affaire qui nous occupe, la Commission a tenu compte des documents judiciaires concernant les accusations et l’instance judiciaire de 1997. En raison du témoignage changeant du demandeur, de ses contradictions et du fait qu’il revenait sur ce qu’il avait dit en ce qui a trait à l’instance judiciaire et à la crainte de persécution future, il était raisonnable que la Commission ne fasse pas directement référence à ces documents, mais plutôt qu’elle les évalue au vu de l’ensemble de la preuve. Je ne crois pas qu’il s’agisse ici de circonstances comme celles que l’on trouve dans l’arrêt Mahanandan, où la Commission a commis une erreur en ne faisant pas directement référence aux documents judiciaires. La lettre datée de 2001, envoyée par le ministère du Procureur général, est claire : [traduction] « il n’existe aucune preuve suffisante pour qu’une instance soit engagée contre le demandeur ». Cette conclusion a été tirée bien avant que le demandeur quitte le Sri Lanka en 2005.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité?

[21]            Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité sont fondées sur les faits et peuvent donc faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[22]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle dans ses diverses conclusions relatives à la crédibilité, tel qu’il a été mentionné précédemment dans les présents motifs. Le défendeur soutient que la Commission n’a pas été en mesure de conclure que le demandeur était un témoin crédible en raison des nombreuses fois où ce dernier a dû revenir sur ce qu’il avait dit pour justifier les contradictions entre son témoignage et les renseignements fournis dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), ainsi que lors de l’entrevue menée par l’agent d’immigration, le 14 février 2005. Le défendeur allègue que la Commission était mieux placée que la Cour pour juger de la crédibilité et de la vraisemblance du demandeur et de son récit embelli. À ce titre, les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité ne devraient pas être modifiées.

 

[23]           Je suis d’accord. Je ne suis pas convaincu que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables, puisqu’elles n’étaient pas fondées sur un rejet arbitraire ou sur une interprétation erronée des documents dont elle disposait. En outre, je ne vois rien dans la transcription qui laisserait croire que la Commission a commis une erreur dans sa décision. Pour ces motifs, je suis convaincu que la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

 

[24]           Il n’y a eu aucune question proposée aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  qu’aucune question ne soit certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

           

            Traduction certifiée conforme

 

            Mario Lagacé, jurilinguiste


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-3568-06

 

INTITULÉ :                                                                                                               BALACHANDRAN

                                                                                                PANCHALINGAM

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 2 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 4 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates                                                            POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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