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Date : 20070502

Dossier : T-1920-04

Référence : 2007 CF 464

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

IMPERIAL OIL, société de personnes composée de

la Compagnie pétrolière impériale Ltée et de

McColl Frontenac Petroleum Inc.

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 81.22(2) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (la Loi). La demanderesse conteste la décision par laquelle le ministre du Revenu national (le ministre) lui a refusé un remboursement de la taxe d’accise remise sur la vente d’huile combustible.

 

[2]               La demanderesse demande à la Cour :

a)   d’accueillir l’appel;

b)   de renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il en dispose en tenant compte du fait que la demanderesse a droit à un remboursement de la taxe d’accise sur l’huile combustible d’un montant de 100 280,00 $;

c)   les dépens de l’action.

 

[3]               La défenderesse demande le rejet de l’action avec dépens.

 

Contexte

 

[4]               La demanderesse, Imperial Oil, est titulaire d’une licence de fabricant ou producteur d’huile combustible délivrée aux termes des parties III et IV de la Loi. La défenderesse est Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre du Revenu national (l’Agence du revenu du Canada depuis le 12 décembre 2005).

 

[5]               Les activités de la demanderesse comprennent notamment la vente d’essence et de combustible diesel. La demanderesse vend ces produits par l’entremise des stations-service Esso et d’autres détaillants partout au Canada. Les clients peuvent aussi acheter l’essence et le combustible diesel directement au moyen d’une carte-accès en se rendant à un poste qui accepte cette carte. L’essence et le combustible diesel achetés aux stations-service sont généralement destinés aux moteurs à combustion interne des véhicules. Les produits que vend la demanderesse à ses stations-service et à ses postes de ravitaillement à carte-accès ne sont pas commercialisés comme de l’huile à chauffage. La demanderesse n’entrepose pas les produits qu’elle commercialise comme huile à chauffage séparément du combustible diesel. L’essence, toutefois, est entreposée séparément du combustible diesel.

 

[6]               Le combustible diesel qui constitue l’objet de la présente action (le combustible en cause) a été vendu par la demanderesse à Canada Safeway Limited (Safeway) au cours de la période du 15 février 1998 au 15 février 2000 (la période visée). Le prix de vente facturé à Safeway pour le combustible en cause comprenait un montant au titre de la taxe d’accise prélevée en application du paragraphe 23(1) de la Loi. La demanderesse a remis à la défenderesse la taxe d’accise prélevée sur le combustible en cause vendu à Safeway.

 

[7]               Au cours de la période visée, Safeway a acheté le combustible en cause de la demanderesse tant au moyen du système de carte-accès qu’au moyen des livraisons en vrac dans des citernes situées à ses terminaux de Calgary et d’Edmonton. Le combustible en cause vendu à Safeway convenait à l’utilisation dans des moteurs à combustion interne de type allumage par compression. Pendant la période visée, la demanderesse et Safeway n’ont jamais discuté avant l’achat de l’usage auquel était destiné le combustible, qu’il soit acheté par le système de carte-accès ou par livraison en vrac. La demanderesse comptabilisait le combustible en cause vendu à Safeway comme du combustible diesel.

 

[8]               Dans le cadre de ses activités, Safeway transporte des aliments dans des remorques à température contrôlée. Safeway utilisait le combustible en cause pour le fonctionnement de systèmes intégrés de contrôle de la température dans ses remorques. Celles-ci sont utilisées pour protéger les aliments pendant leur entreposage ou leur transport en les chauffant ou en les refroidissant. Les systèmes intégrés de contrôle de la température sont des unités distinctes formées de cinq composants intégrés :

(1)   un moteur diesel à combustion interne de type allumage par compression, doté de son propre réservoir à combustible;

(2)    un compresseur frigorifique à entraînement mécanique;

(3)   un évaporateur;

(4)   un condenseur;

(5)   un thermostat et un ordinateur de contrôle de la température, accompagnés des vannes de réglage et des capteurs connexes.

 

[9]               Le combustible en cause vendu par la demanderesse à Safeway par l’entremise de son poste de ravitaillement à carte-accès a été pompé dans un réservoir séparé à bord des remorques. Une partie du combustible diesel acheté par livraison en vrac auprès des installations d’entreposage de la demanderesse a été pompé dans un réservoir séparé à bord des remorques, et ce combustible fait partie du combustible en cause. Le combustible en cause pompé dans des réservoirs sur les remorques servait exclusivement à alimenter le moteur à combustion interne faisant partie du système intégré de contrôle de la température des remorques. Les tracteurs servant à tirer les remorques sont munis de réservoirs à carburant distincts.

 

[10]           La combustion du combustible en cause a lieu dans un moteur à combustion interne de type allumage par compression, lequel entraîne le compresseur. Le compresseur chauffe le réfrigérant en le comprimant. Le réfrigérant comprimé et chauffé peut alors être utilisé de différentes façons, selon que la remorque doit être chauffée ou climatisée. L’utilisation dépend de la température ambiante et du produit transporté ou entreposé. Le chauffage et le refroidissement sont réglés par le thermostat et les contrôles informatisés du système de contrôle de la température. Pour climatiser la remorque, le réfrigérant chauffé passe au travers d’un condenseur afin de libérer la chaleur vers l’extérieur. Le réfrigérant condensé est ensuite dirigé vers l’évaporateur pour y être reconverti en vapeur et refroidir la remorque. Pour chauffer la remorque, le parcours du réfrigérant chauffé peut être réglé de façon à ce qu’il contourne le condenseur et se dirige à l’évaporateur, d’où il chauffera la remorque. 

 

[11]           Le combustible en cause acheté par Safeway auprès de la demanderesse n’était pas utilisé pour produire une flamme nue dans des appareils chauffés à l’huile. Il était plutôt utilisé dans des moteurs à combustion interne de type allumage par compression, lesquels ne produisent pas de flamme nue. La combustion avait lieu dans une chambre de combustion. 

 

[12]           Le 3 mars 2000, la demanderesse a présenté une demande de remboursement de la taxe d’accise payée sous le régime de la Loi, prétendument par erreur, sur le combustible en cause vendu à Safeway, en déposant la formule N15 auprès de la défenderesse. La demande de remboursement était fondée sur le fait que le combustible en cause était exonéré de la taxe d’accise prévue par la partie III ou toute autre disposition de la Loi, en ce qu’il était utilisé comme « huile à chauffage » au sens de la Loi. Le remboursement demandé visait la période du 15 février 1998 au 15 février 2000.

 

[13]           La demande de remboursement de la demanderesse a été rejetée dans l’avis de détermination portant le numéro N‑O5E‑1747, en date du 5 avril 2000. En réponse, la demanderesse a déposé un avis d’opposition. Elle a fait appel de la décision de la défenderesse en déposant une déclaration devant la Cour fédérale le 28 octobre 2004.

 

[14]           La défenderesse a publié l’Avis sur les taxes d’accise et prélèvements spéciaux ET/SL‑058, qui énonce sa politique sur les remboursements destinés aux utilisateurs finals telle qu’elle s’appliquait au cours de la période visée par les demandes de remboursement dont il est question en l’espèce. La politique actuelle de la défenderesse en ce qui concerne l’interprétation du terme « huile à chauffage » de la Loi est exposée dans l’Énoncé de politique sur les TA/PS EP-001. Les paragraphes qui suivent sont un résumé de l’avis et de l’énoncé de politique :

 

Avis sur les taxes d’accise et prélèvements spéciaux ET/SL‑058

 

·        Si, à l’achat des marchandises, il est établi qu’elles seront utilisées dans des conditions exonérées, ces marchandises doivent être exonérées de la taxe d’accise au moment de l’achat. Pour ce faire, l’acheteur doit présenter au fournisseur un certificat d’exonération de la taxe d’accise ou tout autre document accepté.

 

·        Si, à l’achat des marchandises, il est impossible d’établir dans quelles conditions elles seront utilisées, ou s’il est prévu qu’elles seront utilisées dans des conditions taxables et exonérées, l’acheteur devra acheter ces marchandises libérées de la taxe d’accise. Il pourra ensuite présenter une demande de remboursement auprès de l’ARC pour récupérer la taxe d’accise payée sur la partie des marchandises utilisées dans des conditions exonérées.

 

Les fabricants ou grossistes titulaires de licence ne peuvent fournir en aucun temps des marchandises partiellement exonérées de la taxe d’accise. Toutes les marchandises doivent être vendues soit entièrement exonérées de la taxe d’accise, soit entièrement libérées de celle-ci.

 

Énoncé de politique sur les TA/PS EP‑001

 

·        La position de l’ADRC est que l’expression « huile à chauffage » s’entend de tout combustible destiné à être utilisé dans des appareils chauffés à l’huile et servant à la production de chaleur à des fins domestiques ou industrielles.

 

·        Selon l’interprétation de l’ADRC, l’expression « appareil chauffé à l’huile » s’entend de tout appareil qui brûle un combustible liquide et qui contient un brûleur produisant une flamme nue, à l’exception des moteurs à combustion interne.

 

·        L’ADRC maintient sa politique d’examen de la façon dont l’huile combustible est fabriquée et commercialisée pour déterminer l’usage auquel le combustible est destiné.

 

·        L’ADRC maintient sa politique d’examen de l’utilisation finale du combustible pour déterminer l’utilisation réelle de l’huile combustible.

 

 

[15]           Les parties ont convenu que si la Cour concluait que la demanderesse avait droit au remboursement de la taxe d’accise, l’affaire serait renvoyée à l’Agence en vue de la détermination du quantum du remboursement.

 

Questions en litige

 

[16]           La demanderesse a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. Le fait de brûler de l’huile combustible dans un moteur à combustion interne pour alimenter un compresseur servant à chauffer le réfrigérant utilisé dans les unités de contrôle de la température qui se trouvent dans les remorques de transport a-t-il pour résultat de faire du combustible une « huile à chauffage » pour l’application de la Loi sur la taxe d’accise?
  2. Subsidiairement, le fait de brûler de l’huile combustible dans un moteur à combustion interne au cours du fonctionnement des unités de contrôle de la température qui se trouvent dans les remorques de transport a-t-il pour résultat de faire du combustible une « huile à chauffage » pour l’application de la Loi sur la taxe d’accise pendant la période où l’unité de contrôle de la température chauffe la remorque?

 

[17]           La défenderesse a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. L’huile combustible produite par la demanderesse et vendue à Safeway est-elle visée par la définition de « combustible diesel » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur la taxe d’accise? Plus précisément : 

a)      l’huile combustible vendue à Safeway était-elle destinée à être utilisée comme huile à chauffage?

b)      l’huile combustible vendue à Safeway a-t-elle de fait été utilisée comme huile à chauffage?

 

Allégations de la demanderesse

 

[18]           Les parties ont consenti à la communication des mémoires qu’ils ont rédigés en vue de la conférence préparatoire. Les allégations de la demanderesse tirées de sa déclaration et du mémoire en question sont résumées ci-dessous.

 

[19]           La demanderesse soutient que l’huile combustible vendue à Safeway n’était pas assujettie à la taxe d’accise prévue au paragraphe 23(1) de la Loi puisqu’elle était utilisée comme huile à chauffage. Elle fait valoir que l’huile combustible était utilisée pour la production de chaleur en vue de faire fonctionner les systèmes intégrés de contrôle de la température des remorques de Safeway. Ces systèmes servent à protéger les aliments durant l’entreposage ou le transport. La demanderesse prétend que, du fait qu’elle était utilisée par Safeway pour faire fonctionner les unités de contrôle de la température dans ses remorques de transport, l’huile combustible entrait dans la catégorie des « huiles à chauffage » aux fins de l’imposition de la taxe d’accise prévue au paragraphe 23(1) de la Loi, car elle servait au chauffage.

 

[20]           La demanderesse a joint à son mémoire les deux documents suivants :

a)   Transport Temperature Control Systems, une brochure informative publiée par Thermo King Corporation;

b)   Service Training – Basic Refrigeration, une brochure informative publiée par Carrier Corporation.

 

Allégations de la défenderesse

 

[21]           Les allégations de la défenderesse tirées de sa défense et du mémoire qu’elle a rédigé en vue de la conférence préparatoire sont résumées ci-dessous.

 

[22]           La défenderesse allègue que la demanderesse produit de nombreux types de produits pétroliers, notamment du diesel pour automobiles et de l’huile à chauffage destinée à être utilisée dans les chaudières (mazout). Elle soutient que la demanderesse vend le diesel destiné aux automobiles aux pompes à essence, alors que le mazout est livré par les camions de Confort au foyer Esso. La défenderesse prétend que la demanderesse ne vend pas de mazout à ses stations‑service. Elle ajoute que la demanderesse tient des systèmes comptables distincts pour le diesel pour automobiles et pour le mazout. Elle prétend que le combustible vendu à Safeway était du diesel destiné aux automobiles et vendu aux pompes à essence et non du mazout livré par les camions de Confort au foyer Esso.

 

[23]           La défenderesse souligne que la Cour fédérale a confirmé que la définition de « combustible diesel », au paragraphe 2(1) de la Loi, crée un critère à deux volets consécutifs. Dans un premier temps, la Cour doit déterminer si la demanderesse savait, au moment de la vente, que Safeway avait l’intention d’utiliser le combustible comme huile à chauffage. Selon la défenderesse, si l’intention des parties n’était pas que le combustible soit utilisé comme huile à chauffage, l’action doit être rejetée. Si la Cour conclut au contraire que l’intention des parties était que l’huile combustible vendue à Safeway soit utilisée comme huile à chauffage, elle doit alors déterminer si Safeway, dans les faits, l’a utilisée comme telle. Dans W.O. Stinson & Son Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), (2005) 281 F.T.R. 307, 2005 CF 1427, le juge Beaudry déclarait que le critère à deux volets (utilisation prévue et utilisation réelle) ne devait pas être appliqué de façon simultanée, puisque les fabricants seraient presque toujours incapables de vérifier que le combustible vendu était réellement utilisé aux fins envisagées par les clients.

 

[24]           La défenderesse allègue que l’huile combustible vendue à Safeway est visée par la définition de « combustible diesel » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi parce qu’il n’était pas prévu de l’utiliser comme huile à chauffage et qu’elle n’a pas été utilisée comme telle. Elle soutient que le combustible en question était du diesel pour automobiles vendu aux pompes à essence et non de l’huile à chauffage. Selon elle, il est évident que l’intention de la demanderesse et de Safeway n’était pas que le diesel pour automobiles serve d’huile à chauffage. Elle prétend également que le combustible utilisé pour le fonctionnement des unités de contrôle de la température dans les remorques de Safeway n’était pas, dans les faits, utilisé comme huile à chauffage.

 

[25]           La défenderesse soutient que la demanderesse, en sa qualité de fabricant ou producteur du combustible en cause, avait l’obligation de payer la taxe d’accise sur l’huile combustible aux termes du paragraphe 23(1) de la Loi et de l’article 9.1 de son annexe I. Selon elle, la Loi ne contient pas de disposition exonérant la demanderesse du paiement de la taxe d’accise imposée sur l’huile combustible : la Loi n’exonère pas le producteur de son obligation de payer la taxe simplement parce que l’huile combustible a été vendue pour le fonctionnement d’équipement produisant de la chaleur, lorsque l’huile en question n’est pas une « huile à chauffage ».

 

[26]           La défenderesse allègue que la demanderesse n’a pas commis d’erreur en payant et en remettant la taxe d’accise sur l’huile combustible et qu’en conséquence elle n’a pas droit à un remboursement en vertu de la Loi.

 

Analyse et décision

 

[27]           La question qu’il s’agit de trancher en l’espèce est celle de savoir si le combustible en cause vendu par la demanderesse à Safeway est visé par l’exception prévue dans la définition de « combustible diesel », en ce qu’il était destiné à être utilisé comme huile à chauffage et a de fait utilisé comme huile à chauffage. Si la Cour concluait que le combustible en cause est de l’huile à chauffage, il serait alors exonéré de la taxe d’accise. Il faudra donc procéder à un exercice d’interprétation législative pour déterminer si le combustible en cause est une « huile à chauffage » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi.

 

[28]           Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, (1998) 154 D.L.R. (4th) 193, le juge Iacobucci écrivait ce qui suit, à la page 40 :

Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213; Banque royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

 

[29]           La Cour suprême du Canada a statué que toutes les lois, y compris les lois fiscales, « doivent être interprétées de manière textuelle, contextuelle et téléologique ». (Voir Hypothèques Trustco Canada c. Canada [2005], 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, au paragraphe 11). Ce principe s’applique par conséquent à l’interprétation des dispositions de la Loi sur la taxe d’accise. Il est utile de reproduire les paragraphes 10 et 11 de l’arrêt Hypothèques Trustco :

10.      Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des loi qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

11.      En raison du principe du duc de Westminster (Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.)), selon lequel le contribuable a le droit d’organiser ses affaires de façon à réduire au maximum l’impôt qu’il doit payer, le droit fiscal canadien a reçu une interprétation stricte à une époque où l’interprétation littérale des lois était plus courante qu’aujourd’hui. De nos jours, il ne fait aucun doute que toutes les lois, y compris la Loi de l’impôt sur le revenu, doivent être interprétées de manière textuelle, contextuelle et téléologique. Cependant, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre l’accent sur l’interprétation textuelle. Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent.

 

[30]           Le paragraphe 23(1) de la Loi prévoit qu’une taxe d’accise doit être imposée, prélevée et perçue sur les marchandises énumérées à l’annexe I lorsqu’elles sont produites ou fabriquées au Canada puis livrées à leur acheteur. En vertu de l’article 9.1 de l’annexe I, une taxe de 0,04 $ le litre est imposée sur le combustible diesel. Le paragraphe 2(1) prévoit que « combustible diesel » s’entend notamment de toute huile combustible qui peut être utilisée dans les moteurs à combustion interne de type allumage par compression, sauf si elle est destinée à être utilisée et est utilisée de fait comme huile à chauffage. Une fois la taxe d’accise acquittée sur la vente du combustible diesel, une demande peut être présentée en vue d’obtenir le remboursement de la taxe payée sur la partie du combustible qui qualifie d’huile à chauffage.

 

[31]           La Loi ne définit pas le terme « huile à chauffage ». Il faut par conséquent en établir le sens en déterminant quelle était l’intention du législateur.

 

[32]           On peut retrouver le contexte législatif dans lequel la taxe sur le combustible diesel a été introduite dans la Loi dans les documents suivants : le Budget en bref du 11 décembre 1979 et les Débats de la Chambre des communes du 11 décembre 1979. (Voir Débats de la Chambre des communes, 2 (11 décembre 1979), à la page 2259 (l’hon. John Crosbie)).

Budget en bref, 11 décembre 1979 :

 

Pour promouvoir les économies et accroître les recettes, une taxe d’accise de 25 cents le gallon est imposée immédiatement sur tous les carburants. […]

 

L’huile de chauffage ne sera pas touchée par cette mesure.

 

                                                            (Non souligné dans l’original.)

 

Débats de la Chambre des communes, 11 décembre 1979 :

 

Comme il est absolument nécessaire d’encourager nos concitoyens à diminuer encore leur consommation de produits pétroliers, à économiser ceux qui doivent être importés en quantité toujours croissante et à des prix toujours plus élevés – alors que nos propres réserves diminuent – et afin d’obtenir des recettes absolument nécessaires au gouvernement du Canada d’une manière qui contribue aussi à la réalisation d’un autre objectif national, une taxe d’accise de 25 cents par gallon sera imposée à compter de ce soir sur l’essence, le carburant diesel et les autres carburants. […] Cette taxe ne s’appliquera pas à l’huile de chauffage à usage domestique ou autre. […] Touchant tous les utilisateurs de carburants, cette taxe remplacera celle de 7 cents le gallon qui ne frappe actuellement que les utilisateurs non commerciaux d’essence.[…]

 

                                                            (Non souligné dans l’original.)

 

 

Il ressort des extraits qui précèdent que l’objet du changement était d’encourager une diminution de la consommation des carburants à des fins de transport.

 

[33]           Pendant longtemps, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) a donné au terme « huile à chauffage » le sens suivant :

Tout combustible utilisé pour chauffer des maisons, des immeubles ou d’autres pièces ou structures qui sont normalement ou habituellement occupées par des personnes ou dont la fonction ou l’utilité principale est d’abriter du matériel ou des biens, mais où des personnes sont présentes, au moins de temps à autre.

 

 

[34]           Par suite de la décision rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur en novembre 2000, l’ADRC, dans son énoncé de politique daté du 29 avril 2002, a modifié la définition du terme « huile à chauffage » comme suit :

[…] tout combustible destiné à être utilisé dans des appareils chauffés à l’huile et servant à la production de chaleur à des fins domestiques ou industrielles.

 

De plus, selon l’interprétation de l’ADRC, l’expression « appareil chauffé à l’huile » désigne ce qui suit :

 

[…] tout appareil qui brûle un combustible liquide et qui contient un brûleur produisant une flamme nue, à l’exception des moteurs à combustion interne.

 

 

[35]           Il n’est pas dit, dans la définition de « combustible diesel » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi, que l’huile combustible utilisée dans les moteurs à combustion interne de type allumage par compression ne peut être de l’huile à chauffage. Cette définition prévoit plutôt que l’huile combustible convenant à une utilisation dans les moteurs à combustion interne de type allumage par compression, à l’exception de l’huile combustible destinée à être utilisée et utilisée de fait comme huile à chauffage, est visée par la définition de « combustible diesel ». Je ne crois pas que le libellé de la définition interdise de considérer l’huile combustible utilisée dans un moteur à combustion interne de type allumage par compression comme de l’huile à chauffage lorsque la situation s’y prête. Bien que je reconnaisse que la définition d’« huile à chauffage » que donne l’ADRC exclut le combustible diesel utilisé dans les moteurs à combustion interne, je réitérerais que rien dans le libellé de la définition de « combustible diesel » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi ne justifie que l’huile combustible brûlée dans un moteur à combustion interne de type allumage par compression ne puisse être considérée comme de l’huile à chauffage si elle est destinée à être utilisée et est de fait utilisée comme telle.

 

[36]           Dans le cas qui nous occupe, la remorque contenant les marchandises est chauffée à l’aide d’un réfrigérant chauffé qui y circule. Le réfrigérant est chauffé au moyen d’un compresseur alimenté par la combustion d’huile combustible dans un moteur à combustion interne de type allumage par compression. Le compresseur et le moteur font tous deux partie du système de contrôle de la température.

 

[37]           Le réfrigérant chauffé peut aussi servir à climatiser la remorque.

 

[38]           La définition d’« huile à chauffage » établie par l’ARDC fait mention de la production de chaleur à des fins domestiques ou industrielles. Je suis d’avis que le fait de brûler le combustible en cause en vue de chauffer un réfrigérant correspond à la production de chaleur à des fins industrielles. Le combustible en cause est donc de l’huile à chauffage et n’est pas considéré comme du combustible diesel pour l’application de la Loi. La conclusion à laquelle j’arrive est renforcée par l’intention déclarée du législateur au moment où a été imposée la taxe sur le combustible diesel : la taxe devait s’appliquer à « tous les carburants » et à « tous les utilisateurs de carburants », et elle n’était pas censée s’appliquer « à l’huile de chauffage à usage domestique ou autre ». Le législateur aurait pu restreindre la portée de la définition de « huile à chauffage » pour ne viser que l’huile à chauffage à usage domestique, mais il ne l’a pas fait. Au lieu de cela, il a indiqué que l’huile combustible utilisée comme huile à chauffage ne faisait pas partie des combustibles diesel. C’est donc de l’utilisation prévue et de l’utilisation réelle de l’huile combustible qu’il faut tenir compte.

 

[39]           La combustion d’huile combustible dans le moteur à combustion interne de l’unité de contrôle de la température n’est pas assimilable à une utilisation de carburant à des fins de transport, puisque son seul but est d’alimenter le compresseur qui produit de la chaleur en vue de réchauffer le réfrigérant.

 

[40]           Le fait de conclure que le combustible diesel brûlé dans les moteurs à combustion interne de type allumage par compression pourrait être de l’huile à chauffage ne règle pas la question. Le combustible diesel ou l’huile combustible doit avoir été destiné à une utilisation comme huile à chauffage et avoir de fait été utilisé comme huile à chauffage pour être exonéré de la taxe d’accise.

 

[41]           Je suis convaincu que Safeway entendait utiliser une partie du combustible diesel comme huile à chauffage au moment de l’achat. George McLaine, l’un des témoins de la demanderesse, a déclaré devant la Cour qu’une partie du combustible diesel acheté par Safeway auprès de la demanderesse avait été utilisée dans les unités de réfrigération, c’est-à-dire les unités de contrôle de la température des remorques. Par conséquent, je conclus que Safeway avait l’intention d’utiliser une partie du combustible diesel comme huile à chauffage et que cette partie du combustible correspond au combustible en cause.

 

[42]           Je suis également convaincu qu’une partie du combustible diesel acheté a réellement été utilisée comme huile à chauffage. Dans son témoignage, George McLaine a déclaré qu’entre 24 % et 26 % du combustible diesel acheté avait été utilisé dans les unités de contrôle de la température. Il s’agit en l’occurrence du combustible en cause.

 

[43]           Pour en arriver à rendre ma décision, j’ai examiné les arguments selon lesquels la demanderesse livre de l’huile à chauffage à ses clients en tant que produits de chauffage domestique et qu’en conséquence aucune partie du combustible en cause n’est de l’huile à chauffage. Je ne peux accepter ces arguments.

 

[44]           En raison des conclusions auxquelles je suis arrivé, l’appel sera accueilli. Le combustible en cause est considéré comme de l’huile à chauffage et n’est pas assujetti à la taxe d’accise. L’affaire sera renvoyée au ministre pour qu’il en dispose en conséquence.

 

[45]           La demanderesse aura droit aux dépens afférents à l’appel.


 

JUGEMENT

 

[46]           LA COUR STATUE QUE :

1.         L’appel est accueilli : le combustible en cause n’est pas assujetti à la taxe d’accise et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’il en dispose en conséquence.

            2.         La demanderesse a droit aux dépens afférents à l’appel.

 

 

                                                                                                            « John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Le texte des dispositions pertinentes de la Loi est reproduit ci-dessous.

 

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 :

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article, aux parties I à VIII (sauf l’article 121) et aux annexes I à IV.

[. . .]

 

« combustible diesel » S’entend notamment de toute huile combustible qui peut être utilisée dans les moteurs à combustion interne de type allumage par compression, à l’exception de toute huile combustible destinée à être utilisée et utilisée de fait comme huile à chauffage.

 

23. (1) Sous réserve des paragraphes (6) à (8), lorsque les marchandises énumérées à l'annexe I sont importées au Canada, ou y sont fabriquées ou produites, puis livrées à leur acheteur, il est imposé, prélevé et perçu, outre les autres droits et taxes exigibles en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, une taxe d'accise sur ces marchandises, calculée selon le taux applicable figurant à l'article concerné de cette annexe. Lorsqu'il est précisé que ce taux est un pourcentage, il est appliqué à la valeur à l'acquitté ou au prix de vente, selon le cas.

 

81.22 (1) Lorsqu’une personne a signifié un avis d’opposition en vertu de l’article 81.15 ou 81.17, autre qu’un avis à l’égard de la partie I, et que le ministre a omis de lui envoyer un avis de sa décision dans un délai de cent quatre-vingts jours suivant la date de signification de l’avis d’opposition, cette personne peut appeler de la cotisation ou de la détermination au Tribunal ou à la Cour fédérale.

 

(2) Lorsqu’une personne a signifié un avis d’opposition en vertu de l’article 81.15 ou 81.17 à l’égard de la partie I et que le ministre a omis de lui envoyer un avis de sa décision dans les cent quatre-vingts jours suivant la date de signification de l’avis d’opposition, cette personne peut appeler de la cotisation ou de la détermination à la Cour fédérale.

 

2. (1) The following definitions apply in this section, Parts I to VIII (other than section 121) and Schedules I to IV:

 

[. . .]

 

“diesel fuel” includes any fuel oil that is suitable for use in internal combustion engines of the compression-ignition type, other than any such fuel oil that is intended for use and is actually used as heating oil;

 

 

 

 

23. (1) Subject to subsections (6) to (8), whenever goods mentioned in Schedule I are imported or are manufactured or produced in Canada and delivered to a purchaser of those goods, there shall be imposed, levied and collected, in addition to any other duty or tax that may be payable under this or any other law, an excise tax in respect of the goods at the applicable rate set out in the applicable section of that Schedule, computed, if that rate is specified as a percentage, on the duty paid value or the sale price, as the case may be.

 

 

81.22 (1) Where a person has served a notice of objection under section 81.15 or 81.17, other than a notice in respect of Part I, and the Minister has not sent a notice of his decision to that person within one hundred and eighty days after the notice of objection was served, that person may appeal the assessment or determination to which the notice relates to the Tribunal or the Federal Court.

 

 

(2) Where a person has served a notice of objection under section 81.15 or 81.17 in respect of Part I and the Minister has not sent a notice of his decision to that person within one hundred and eighty days after the notice of objection was served, that person may appeal the assessment or determination to which the notice relates to the Federal Court.

 

Annexe I (article 23)

 

9.1       Combustible diesel et carburant d’aviation, autre que l’essence d’aviation, 0,04 $ le litre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1920-04

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            IMPERIAL OIL, société de personnes composée de la Compagnie pétrolière impériale Ltée et de

                                                            McColl Frontenac Petroleum Inc.

 

                                                            c.

 

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 6 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 2 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS : 

 

H. George McKenzie, c.r.

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michael Roach

Richard Casanova

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Felesky Flynn LLP

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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