Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20070507

Dossier : IMM-2008-06

Référence : 2007 CF 496

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

ANTON PERJAKU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Ce n’est pas parce qu’elle a déclaré que le demandeur n'avait présenté « aucun élément de preuve à l'appui de son récit concernant la vendetta » qu’il faut nécessairement conclure que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait ou qu’elle les a mal interprétés. Il est loisible en effet à la Commission d’apprécier la preuve et de lui attribuer peu ou point de valeur probante (Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102.)

 

[2]               En principe, la Cour ne devrait pas modifier les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité et ce, peu importe qu’elle soit d’accord ou non avec les inférences de la Commission, à moins que celle-ci ait fondé sa conclusion sur des considérations dénuées de pertinence ou qu’elle n’ait pas tenu compte des éléments de preuve. De plus, en tant que juge des faits, la Commission est fondée à rejeter les éléments de preuve qui ne concordent pas avec les probabilités découlant de l'ensemble du dossier. Par ailleurs, la Commission a le droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur l’invraisemblance du récit du demandeur et elle peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur le bon sens et la raison (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), au paragraphe 4.)

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[3]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27, d’une décision, en date du 21 mars 2006, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission a estimé que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

RAPPEL DES FAITS

[4]               Le demandeur, M. Anton Perjaku, est un citoyen albanais âgé de 23 ans. Le 17 mars 2002, il est entré au Canada muni d’un faux passeport grec après avoir transité par l'Italie, l'Espagne et la République dominicaine. Il a demandé l'asile à son arrivée.

 

[5]               M. Perjaku affirme craindre d’être persécuté du fait de ses opinions politiques en tant que membre du Parti de la légalité (LP) et de son appartenance à un groupe social déterminé, en l’occurrence les hommes de la famille Perjaku élargie qui sont impliqués dans une vendetta avec une autre famille.

 

[6]               Dans son premier exposé circonstancié rédigé en 2002 dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), M. Perjaku a allégué que sa famille et lui étaient membres du LP, qui appuyait le retour du roi Leka. En 1990, un parti d'opposition, le Parti démocratique (DP), a été formé, et le LP est devenu membre d’une coalition de partis qui comprenait le DP pour former l'opposition. Le DP a été élu en 1992 et réélu en 1996. En 1997, de nouvelles élections ont été déclenchées, et le Parti socialiste (SP) a défait le DP. La coalition des partis démocratiques est retournée dans l'opposition, et le demandeur affirme que sa famille a continué d'être harcelée et persécutée par la police et des agents du gouvernement.

 

[7]               M. Perjaku affirme avoir été arrêté à deux reprises par la police en raison de ses activités politiques : la première fois le 18 juin 2001, pour avoir apposé des affiches aux mauvais endroits, et la seconde fois le 30 juin 2001, pour s'être garé au mauvais endroit. Les deux fois, il a passé la nuit en prison. Selon le demandeur, il s'agissait de prétextes politiques pour pouvoir l'arrêter. D'autres membres de sa famille, particulièrement son père, ont aussi été persécutés par le gouvernement. M. Perjaku a également expliqué que son père était propriétaire d’un restaurant qui était la cible de descentes policières.

 

[8]               Dans son second exposé circonstancié, daté de février 2006, M. Perjaku a expliqué que, même si c’est actuellement le DP qui est au pouvoir en Albanie, il continue de craindre la police en Albanie parce que le LP est actuellement membre de l'opposition. Il soutient que sa vie est encore plus menacée maintenant en raison de la vendetta qui oppose sa famille à la famille Kola depuis juillet 2005. Le demandeur allègue qu’il serait, s'il retournait dans son pays, forcé de s'isoler pour éviter d'être tué par les membres de la famille Kola.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[9]               La Commission a estimé que l’exposé circonstancié du demandeur n'avait pas fourni de renseignements crédibles révélant qu'il était très actif sur le plan politique dans son pays.

 

[10]           En ce qui concerne la crainte de persécution de M. Perjaku fondée sur des opinions politiques, la Commission a fait remarquer que le demandeur étudiait à temps plein dans une école secondaire au moment des faits et elle a estimé que, sur le plan politique, il n’était pas très en vue.

 

[11]           La Commission a en outre estimé que les raisons évoquées par le demandeur pour expliquer pourquoi sa vie était davantage menacée que celle de son père, qui participait le plus directement aux activités du LP, étaient vagues et évasives. La Commission a également conclu que la preuve documentaire n’appuyait pas les allégations du demandeur suivant lesquelles il serait persécuté s’il reprenait ses activités politiques après son retour en Albanie.

 

[12]           En ce qui concerne sa crainte d’être persécuté du fait de la présumée vendetta entre sa famille et la famille Kola, la Commission a qualifié de vague et évasif le témoignage du demandeur et n’a pas jugé crédibles les allégations du demandeur. La Commission a en outre conclu que la preuve documentaire produite au sujet de la question des vendettas n’appuyait pas les allégations du demandeur. Plus particulièrement, la preuve documentaire indiquait que le gouvernement de l’Albanie avait, au cours des dernières années, pris des mesures sérieuses pour contrôler les activités criminelles et les présumées vendettas en établissant des lois plus strictes et des sanctions plus sévères à l'encontre des parties en conflit. Enfin, la Commission a estimé qu’en raison du récent changement de gouvernement en Albanie, le demandeur avait présenté une nouvelle histoire de vendetta pour embellir son récit.

 

QUESTION

[13]           La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?

 

RÉGIME LÉGISLATIF

[14]           L’article 96 de la LIPR dispose :

96.      A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96.      A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[15]           Le paragraphe 97(1) de la LIPR est libellé comme suit :

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant  :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           S’agissant des questions de crédibilité, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Commission est un tribunal spécialisé et elle a pleine compétence pour apprécier la crédibilité du demandeur en se fondant sur les invraisemblances relevées dans les témoignages et sur les contradictions et les incohérences constatées dans la preuve. Dans la mesure où les inférences de la Commission ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l’intervention de la Cour, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire et ce, peu importe que la Cour soit d’accord ou non avec les inférences ou les conclusions en question (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n1425 (QL), au paragraphe 14; Aguebor, précité, au paragraphe 4.)

 

ANALYSE

La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?

 

            Conclusion quant à la crédibilité

[17]           M. Perjaku soutient que la Commission a commis une erreur dans son traitement des éléments de preuve se rapportant à la question de la protection de l’État, ainsi que des éléments de preuve concernant la vendetta déclarée contre sa famille en Albanie. À cet égard, le demandeur affirme que la Commission a omis de tenir compte de deux documents qui appuyaient ses allégations quant à l’existence d’une vendetta, à savoir une lettre de son oncle (une déclaration) et une lettre des missionnaires de la paix.

 

[18]           Compte tenu des nombreuses contradictions et incohérences relevées entre la preuve documentaire du demandeur et son témoignage, la conclusion de la Commission suivant laquelle l’exposé circonstancié de M. Perjaku n’était pas crédible n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[19]           Il est de jurisprudence constante qu’à défaut de preuve contraire, la Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve et ce, peu importe qu’elle l’ait ou non mentionné dans ses motifs. Or, dans le cas qui nous occupe, la Commission a expressément déclaré qu’elle avait examiné les documents personnels que le demandeur avait soumis à l'appui de sa demande d’asile. De plus, comme la Cour d’appel fédérale l’a signalé dans l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (QL), « le fait que la Commission n'a pas mentionné dans ses motifs une partie quelconque de la preuve documentaire n'entache pas sa décision de nullité ».

 

                        i)    La Commission a effectivement tenu compte de la déclaration

[20]           Il ressort de la transcription de l’audience que la Commission a interrogé en long et en large le demandeur au sujet de la déclaration et que la commissaire a signalé que la déclaration faisait partie des documents personnels de M. Perjaku (transcription de l’audience, aux pages 14 à 21).

 

[21]           La Commission a en outre attiré l’attention sur le fait que le témoignage du demandeur contredisait la déclaration. Ainsi, M. Perjaku a témoigné qu’il croyait que Ndue Kola, la personne qui aurait déclaré la vendetta, faisait partie des services secrets. La Commission a souligné que la déclaration indiquait que Ndue Kola était un ex-policier (dossier du demandeur, à la page 117; transcription de l’audience, à la page 14).

 

[22]           Dans le même ordre d’idées, le demandeur a témoigné qu’il ne savait pas si quelqu’un d’autre que Ndue Kola avait des armes à feu, alors que, suivant la déclaration, des coups de feu avaient été échangés. La Commission a souligné que cette affirmation contenue dans la déclaration impliquait nécessairement que plusieurs personnes étaient armées, ce qui contredisait le témoignage du demandeur. Le demandeur n’a d’abord pas donné d’explications, pour ensuite affirmer que son oncle avait une arme à feu (transcription de l’audience, aux pages 14 et 15.)

 

[23]           Une autre contradiction signalée par la Commission entre la déclaration et le témoignage du demandeur concerne l’affirmation contenue dans la déclaration suivant laquelle [traduction] « après que le Parti démocratique eut été porté au pouvoir, j’ai de nouveau sollicité l’aide de la police … » À l’audience, quand on lui a expressément demandé si quelque chose s’était produit entre les élections fédérales du 3 juillet 2005 et le 25 décembre 2005, le demandeur a déclaré que sa famille était demeurée cachée. Il n’a pas mentionné avoir sollicité à nouveau l’aide de la police après l’élection du nouveau parti (transcription de l’audience, à la page 20.)

 

                        ii)   La lettre des missionnaires de la paix n’a aucune valeur probante

[24]           Ce n’est pas parce qu’elle a déclaré que le demandeur n'avait présenté « aucun élément de preuve à l'appui de son récit concernant la vendetta » qu’il faut nécessairement conclure que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait ou qu’elle les a mal interprétés. Il est loisible en effet à la Commission d’apprécier la preuve et de lui attribuer peu ou point de valeur probante (Woolaston, précité.)

 

[25]           La Commission a expliqué qu’elle avait du mal à croire que la présumée vendetta entre les familles était motivée par des raisons d’ordre politique. Vu cette conclusion, la Commission a attribué une faible valeur probante à la lettre des missionnaires de la paix suivant laquelle le conflit avait été déclenché par une querelle politique, car la Commission n’a pas cru les renseignements contenus dans cette lettre.

 

iii)   La conclusion tirée au sujet de la crédibilité n’était pas manifestement déraisonnable

 

[26]           En principe, la Cour ne doit pas modifier les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité et ce, peu importe qu’elle soit d’accord ou non avec les inférences tirées par la Commission, à moins que celle-ci ait fondé sa conclusion sur des considérations dénuées de pertinence ou qu’elle n’ait pas tenu compte des éléments de preuve. De plus, en tant que juge des faits, la Commission a le droit de rejeter les éléments de preuve qui ne concordent pas avec les probabilités découlant de l'ensemble du dossier. La Commission a également le droit de refuser de croire le demandeur d’asile en raison de l’invraisemblance de son récit et elle peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur le bon sens et la raison (Aguebor, précité, au paragraphe 4.)

 

[27]           Les conclusions suivantes tirées par la Commission sont claires et détaillées et elles font ressortir les diverses incohérences, contradictions et invraisemblances contenues dans la preuve documentaire et le témoignage du demandeur :

(1)        La Commission a estimé que le demandeur avait présenté un témoignage vague et évasif. Même sur la question centrale de la présumée vendetta, le demandeur n’a pas réussi à fournir des détails utiles et son témoignage contredisait la déclaration faite par son oncle. Son témoignage était également très vague quant aux raisons pour lesquelles sa famille n’avait pas demandé l’aide du gouvernement au sujet de la vendetta (décision de la Commission, à la page 6).

(2)        La Commission a expliqué qu’elle avait de la difficulté à comprendre pourquoi le demandeur courrait un risque plus élevé que les autres membres de sa famille, étant donné qu’il a déclaré que son père avait été plus actif sur le plan politique (décision de la Commission, à la page 4).

(3)        La Commission a trouvé invraisemblable qu’après que le parti au pouvoir en Albanie ait été remplacé par un parti que le demandeur appuyait, la famille du demandeur se retrouve impliquée dans une vendetta, compte tenu du fait que la preuve documentaire sur les vendettas n’appuyait pas les allégations du demandeur. La Commission n’a également pas cru que la vendetta était motivée par des raisons d’ordre politique, compte tenu des éléments de preuve contradictoires, vagues et peu convaincants présentés par le demandeur à ce sujet (décision de la Commission, à la page 6).

 

[28]           La Commission n’a pas commis d’erreur en faisant ressortir les incohérences, contradictions et invraisemblances de la preuve dont elle disposait et en tirant une inférence négative au sujet de la crédibilité du demandeur. En fait, le juge James Hugessen de la Cour d’appel fédérale déclare ce qui suit dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Dan‑Ash, [1988] A.C.F. no 571 (QL) :

À moins que l'on ne soit prêt à considérer comme possible (et à accepter) que la Commission a fait preuve d'une crédulité sans bornes, il doit exister une limite au-delà de laquelle les contradictions d'un témoin amèneront le juge des faits le plus généreux à rejeter son témoignage.

 

[29]           De plus, comme la Commission a estimé que, dans l’ensemble, le demandeur n’était pas crédible, il lui était loisible de conclure de façon globale que son témoignage n’était pas digne de foi. Ainsi que le juge Mark MacGuigan l’a fait remarquer, dans l’arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238, [1990] A.C.F. no 604 (QL) :

[…] même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.  

(Sont également cités Chavez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 962, [2005] A.C.F. no 1211 (QL), au paragraphe 7; Touré c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 964, [2005] A.C.F. no 1213 (QL), au paragraphe 10.)

 

[30]           La conclusion de la Commission était par conséquent raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

            Protection de l’État

[31]           M. Perjaku soutient que la Commission a commis une erreur en déclarant que sa famille n’avait demandé l’aide ni des autorités policières ni des gens qu’ils connaissaient au sein du gouvernement après l’incident de la vendetta.

 

[32]           Bien que le demandeur ait affirmé dans son témoignage que sa famille avait signalé l’incident à la police (et non au gouvernement fédéral), il est évident que la Commission n’a pas considéré son témoignage crédible, car elle a estimé que la preuve documentaire n’appuyait pas son récit. Qui plus est, les seules démarches que la famille du demandeur avait entreprises en vue de se prévaloir de la protection de l’État sont les deux signalements qu’elle avait faits à la police, le premier en juillet et le second, en décembre. Elle n’a pas cherché à obtenir l’aide des tribunaux ou du gouvernement fédéral nouvellement élu au sein duquel auraient pu se trouver des gens qu’elle connaissait et qu’elle avait appuyés.

 

[33]           Lorsque l’État en cause est un État démocratique, comme c’est le cas en l’espèce, le demandeur ne peut se contenter de déclarer que sa famille a fait deux signalements à la police. La charge de la preuve qui repose sur le demandeur est directement proportionnelle au niveau de démocratie de l’État en question : plus les institutions de l’État en cause sont démocratiques, plus le demandeur doit avoir entrepris des démarches pour épuiser tous les recours qui lui sont ouverts. Compte tenu du fait que la famille du demandeur n’aurait essayé d’obtenir que la protection de l’État, il était loisible à la Commission de conclure que M. Perkaju n’avait présenté aucun élément de preuve clair et convaincant tendant à démontrer qu’il ne pouvait compter sur la protection de son pays en ce qui concerne la présumée vendetta. (N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (QL), au paragraphe 5).

 

[34]           La Commission a estimé de façon raisonnable que la famille Perkaju pouvait compter sur une protection adéquate et efficace de l’État en Albanie. La Commission a apprécié le témoignage du demandeur et la preuve documentaire objective portant sur les conditions existantes en Albanie. La conclusion que la famille Perkaju pouvait se prévaloir de la protection de l’État s’appuyait solidement sur les diverses sources citées. Par exemple, la Commission a cité un rapport du Département d’État des États-Unis qui signalait les mesures prises par le nouveau gouvernement pour lutter contre le crime et la corruption. Il était par conséquent loisible à la Commission de conclure que la preuve documentaire n’appuyait pas les allégations du demandeur.

 

[35]           La question de l’existence de la protection de l’État est une question de fait qui relève de la compétence et de l’expertise de la Commission et, pour cette raison, elle mérite de notre part un degré de retenue élevé (Jahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 987 (QL), aux paragraphes 9 et 10.)

 

[36]           La Cour a eu l’occasion d’examiner l’appréciation de la protection de l’État en Albanie au cours de plusieurs demandes de contrôle judiciaires récentes. Ces décisions renforcent l’opinion du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration suivant laquelle, lorsqu’il existe certains éléments de preuve qui appuient les conclusions de la Commission et lorsque la Commission a cité des éléments de preuve documentaire pertinents, la Cour ne devrait pas intervenir. La Commission n’est pas obligée de conclure que la famille Perkaju dispose d’une protection de l’État parfaite (Canada c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (QL) (C.A.F.); Agastra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 548, [2006] A.C.F. n690 (QL); B.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 269, [2006] A.C.F. no 337 (QL).)

 

[37]           Compte tenu de la preuve dont elle disposait, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer les conclusions qu’elle a tirées sur la question de la protection de l’État.

 

DISPOSITIF

[38]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2008-06

 

INTITULÉ :                                       ANTON PERJAKU c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               19 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      7 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WALDMAN & ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.