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Date : 20070509

Dossier : IMM-1451-06

Référence : 2007 CF 500

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2007

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

MOSES JERRY WILLIAM DZIMBA

(ALIAS MOSES JERRY WIL DZIMBA)

SOLA DZMIBA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a établi que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

Les allégations faites par les demandeurs

[2]               Le demandeur principal et son épouse sont des citoyens du Zimbabwe. Le demandeur principal allègue qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un certain groupe social, c’est-à-dire un policier au courant des activités de la police et des anciens combattants, et des opinions politiques qu’on lui impute à titre de sympathisant du Mouvement pour le changement démocratique (Movement for Democratic change – MDC).

 

[3]               Le demandeur principal a été policier pendant 28 ans au Zimbabwe, soit de 1974 à 2002. Il avait droit à la retraite en 1999 après 25 ans de service mais il a décidé de travailler trois années supplémentaires. Il a occupé divers postes, y compris celui d’officier supérieur. Selon la preuve documentaire, il est bien connu que le service de police du Zimbabwe commet des violations des droits de la personne. Le demandeur principal était au courant de ces violations. Cependant, il fait valoir qu’il n’a jamais commis aucune violation de ce genre et qu’il s’attachait plutôt à traduire en justice ceux qui les commettaient.

 

[4]               Le demandeur principal allègue que, en 2001, il a été désigné responsable d’un poste de police et qu’il a enquêté sur des violations commises par des sympathisants du gouvernement. En 2001, des anciens combattants ont attaqué des agriculteurs pour s’emparer de leurs terres. Il a tenté d’enquêter sur les plaintes des citoyens et d’arrêter les contrevenants mais ses supérieurs ont bloqué ses enquêtes. On lui a donné l’ordre de libérer les suspects et de fermer les dossiers. En février 2002, il a ordonné à ses policiers de fouiller les bureaux du parti au pouvoir (le ZANU-PF) et c’est alors qu’il a été soupçonné de sympathiser avec le parti de l’opposition (le MDC). Pendant la période qui a précédé les élections de mars 2002, il a rencontré des députés du MDC de sa région afin de discuter de leurs inquiétudes du point de vue de la sécurité en raison des actes de violence commis par le gouvernement. Il fait valoir que lorsque le MDC a été élu, il a fait l’objet de menaces de la part de la police secrète qui l’accusait de sympathiser avec l’opposition.

 

[5]               En raison de ce qui précède, le demandeur principal allègue qu’il a été transféré au groupe du commissaire, un bureau créé pour placer les policiers soupçonnés de sympathiser avec le MDC dans le flou, sans fonctions ni commandement. Il avait peur qu’on puisse facilement le faire disparaître. Comme il craignait pour sa vie, il a pris les dispositions nécessaires pour quitter le pays. En agissant de façon aussi discrète que possible, il a pu obtenir un visa, recevoir une prestation de retraite sous forme de paiement forfaitaire et quitter le pays. Il est arrivé aux États-Unis en passant par l’Afrique du Sud et son épouse (la demanderesse) l’y a rejoint en décembre 2003.

 

[6]               La demanderesse est retournée au Zimbabwe en mai 2004 pour être auprès de ses enfants. Elle allègue qu’elle avait espéré que la situation se soit améliorée au Zimbabwe. Elle prétend que des membres du Zanu-PF et de l’Organisation centrale du renseignement (Central Intelligence Organization – CIO) lui ont dit que son époux était un espion et qu’elle et ses enfants en subiraient les conséquences. À la suite de visites répétées d’« hommes de main » à la résidence familiale, en octobre 2004, elle est retournée aux États-Unis. Les demandeurs sont arrivés au Canada en septembre 2005 et ont demandé l’asile.

 

[7]               La revendication du statut de réfugié des demandeurs a été entendue par la Commission le 10 janvier 2006. La Commission a informé le demandeur principal que des questions d’exclusion et de crédibilité se posaient. L’avocat du ministre ne s’est pas présenté à l’audience.

La décision de la Commission

[8]               La demande d’asile du demandeur principal a été refusée au motif que celui-ci était exclu aux termes de l’alinéa 1Fa) de la Convention (conformément à l’article 98 de la LIPR), qui stipule ce qui suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

[9]               La Commission a déclaré que la preuve lui a permis de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur principal était un membre du service de police du Zimbabwe, que ledit service de police, au même titre que d’autres forces de sécurité, avait perpétré des crimes contre l’humanité de façon généralisée et systématique, que le demandeur principal avait été déployé pour exécuter ces crimes et qu’il avait effectivement participé à des actes de torture, que même s’il n’avait pas personnellement commis ces actes, il en était le complice de par la connaissance qu’il en avait, puisqu’il ne s’est pas retiré de son poste lorsqu’il a constaté que de tels crimes contre l’humanité étaient perpétrés.

 

[10]           En effet, la Commission a conclu que le demandeur principal aurait dû quitter le service de police à la première occasion, et elle a jugé déraisonnable que celui-ci ait continué de travailler au sein d’un service de police ayant commis des violations des droits de la personne et torturé des agriculteurs, des membres du parti de l’opposition et des civils, et qu’il ait quitté seulement au moment de recevoir sa pension. En faisant remarquer qu’elle avait aussi des [traduction] « doutes sérieux et distincts sur sa crédibilité », la Commission a conclu que s’il fallait croire le témoignage du demandeur principal relativement aux regards hostiles qu’il avait attirés sur lui [traduction] « depuis 2001 », il était [traduction] « peu plausible que son apparente sédition » n’ait pas entraîné son licenciement immédiat; à cet effet, la Commission a évoqué la preuve documentaire indiquant que l’armée et la police éliminaient de leurs rangs les sympathisants de l’opposition.

 

[11]           Ceci étant dit, la Commission a reconnu que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé véridique, sauf s’il y a une raison de douter de sa véracité. À cet effet, la Commission a fait remarquer que [traduction] « le demandeur principal témoigne qu’à de nombreuses reprises, alors qu’il tentait d’enquêter sur les infractions commises par le Zanu-PF, on lui a donné l’ordre de libérer les individus, et c’est alors que non seulement il n’a pas été licencié, mais il a obtenu une promotion, a pu prendre sa retraite et quitter le pays ». Compte tenu de tout ce qui précède, la Commission n’a pas cru que la CIO avait soudainement commencé à menacer le demandeur principal et sa famille. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur principal n’avait pas attiré l’attention des autorités, qu’il n’était pas perçu comme un opposant au régime, ni comme un sympathisant du MDC.

 

[12]           La Commission a ensuite conclu que puisque le demandeur principal pouvait prendre sa retraite, il était en règle avec la police. Elle a conclu que s’il avait vraiment été considéré comme un opposant, on l’aurait traité différemment, mentionnant le fait que la preuve documentaire était [traduction] « truffée d’actes et de brutalités commises par les autorités à l’endroit d’individus ayant trahi le régime ». La Commission a jugé que cela renforçait sa conclusion selon laquelle le demandeur principal n’avait jamais été la cible du Zanu-PF ou de la CIO et qu’il n’avait jamais reçu de menaces de leur part.

 

[13]           La Commission a également jugé que la preuve documentaire était assez précise relativement aux crimes contre l’humanité, pour lesquels il y aurait de sérieuses raisons de penser que le demandeur principal les a commis ou en a été le complice. Un grand nombre d’exemples de violation des droits de la personne provenant de rapports d’information sur les pays sont décrits dans la décision de la Commission, le plus spécifique étant celui de l’appropriation des terres par les anciens combattants, avec l’appui du gouvernement. La Commission a remarqué, par exemple, que la preuve documentaire montrait que le service de police appuyait la politique du gouvernement de Mugabe et qu’il harcelait, intimidait et, si nécessaire, tuait les agriculteurs blancs lorsqu’ils refusaient de céder leurs terres, et que ces crimes contre l’humanité étaient perpétrés de façon généralisée et systématique. En réalité, la Commission a jugé que si le demandeur principal n’avait pas obtempéré lorsqu’on lui donnait l’ordre de commettre des crimes contre l’humanité, on se serait chargé de le démettre de ses fonctions.

 

[14]           La Commission a également rejeté la demande présentée par la demanderesse. La Commission a tiré une conclusion défavorable de la nouvelle demande de protection de la demanderesse, en jugeant qu’il s’agissait d’un comportement incompatible avec une crainte fondée de persécution, de mort, ou de peine ou traitement cruel et inusité. Compte tenu des conclusions négatives par rapport à la crédibilité de la revendication de son époux, la Commission a ensuite jugé qu’il n’y avait pas de possibilité raisonnable que la demanderesse soit persécutée si elle retournait au Zimbabwe, et qu’elle n’était pas une personne à protéger.

La norme de contrôle judiciaire

[15]           La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39 au paragraphe 14 [Harb], a traité de l’exclusion prévue à l’alinéa 1Fa) de la Convention sur les réfugiés. La Cour d’appel a jugé que dans la mesure où les questions soulevées sont des conclusions de fait, elles doivent être révisées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable; lorsque les questions sont des questions mixtes de fait et de droit, elles « ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables »; dans la mesure où elles soulèvent seulement une pure question de droit, comme l’interprétation de la clause d’exclusion, « les conclusions peuvent être révisées si elles sont erronées », c’est-à-dire selon la norme de la décision correcte.

 

[16]           En effet, comme mentionné dans la décision Kasturiarachchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 295 au paragraphe 12 [Kasturiarachchi], l’évaluation des conclusions de fait de la Commission est effectuée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable; par contre, la « question de savoir si les faits, tels que jugés, établissent que l’individu était complice de crimes contre l’humanité, doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable ». À cet égard, au moment d’évaluer si une décision répond à la norme de la décision raisonnable, la question est de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paragraphes 55 et 56 (voir également Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 139, au paragraphe 13; Shrestha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 887, aux paragraphes 10 et 12; et Valère c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 524, au paragraphe 12).

La crédibilité du demandeur principal

[17]           Le demandeur principal conteste les conclusions de fait suivantes de la Commission.

 

[18]           Premièrement, la Commission a commis une erreur relativement à deux dates importantes. La Commission a déclaré à tort que les autorités avaient commencé à menacer le demandeur principal en 2001 (dossier du tribunal, pages 7 et 8) et qu’il avait quitté le pays en mars 2003. Même si on avait fait obstacle à ses enquêtes plus tôt, ce qui l’avait irrité a-t-il dit, il n’a pas réellement fait l’objet de menaces et d’enquêtes avant mars 2002, après qu’il eut ordonné à ses hommes de fouiller les bureaux du parti ZANU-PF et que le MDC eut été élu dans sa circonscription. En mai 2002, il a été déchu de son poste et transféré à un autre poste de police; en août 2002, il a été transféré au « groupe du commissaire » et s’est caché; puis en novembre 2002, il a quitté le Zimbabwe. Le demandeur principal souligne que ces divergences dans les dates sont importantes, car les dates exactes montrent que les autorités ont agi rapidement après l’avoir identifié comme une menace.

 

[19]           Deuxièmement, la conclusion de la Commission selon laquelle il est peu probable que les actes du demandeur principal aient pu entraîner autre chose que son licenciement est manifestement déraisonnable, compte tenu surtout du fait que la Commission reconnaît que le groupe du commissaire a été [traduction] « créé pour envoyer les policiers [soupçonnés] de sympathiser avec le MDC dans le flou, sans fonctions ni commandement » (dossier du tribunal, page 12).

 

[20]           Troisièmement, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur principal [traduction] « non seulement n’a pas été licencié, mais il a obtenu une promotion » (dossier du tribunal, page 8) est aussi manifestement déraisonnable. Le demandeur principal déclare que la Commission ne disposait d’aucune preuve faisant état de cette promotion. Le demandeur souligne que cette mention se rapporte à la période 2001‑2002. Le demandeur a occupé seulement deux postes durant cette période, soit celui de commandant (de janvier à mai 2001) et celui de commandant adjoint (de mai 2001 à août 2002). La Commission ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant que le transfert du premier au deuxième poste impliquait une promotion ou toute autre « responsabilité accrue ». Il est mentionné que le demandeur principal a été nommé « commandant adjoint de sa circonscription » lors des élections de mars 2002, mais en période électorale, cette désignation est systématiquement accordée à tous les chefs de police, tel qu’expliqué au paragraphe 2 de l’affidavit que le demandeur principal annexe à la présente demande.

 

[21]           Quatrièmement, le demandeur principal déclare qu’il a démissionné de façon clandestine et que sa démission s’est faite rapidement et discrètement. Le demandeur principal fait aussi remarquer que le Bureau des pensions est une section distincte qui ne devait pas savoir qu’il faisait l’objet d’une enquête et que la police ne savait pas qu’il retirait sa pension. Par conséquent, l’affirmation de la Commission selon laquelle il était autorisé à prendre sa retraite est manifestement déraisonnable.

 

[22]           Cinquièmement, l’affirmation de la Commission selon laquelle il était autorisé à quitter le pays est également manifestement déraisonnable, car il s’agissait d’une évasion soigneusement planifiée.

 

[23]           À mon avis, ces divers griefs ne sont pas fondés et ne peuvent être accueillis. Les conclusions de la Commission sont fondées sur la preuve et ne sont pas manifestement déraisonnables. En particulier, j’estime que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de révision en jugeant que le demandeur principal avait attiré le regard hostile des autorités en 2001, parce qu’on lui aurait demandé à deux reprises de cesser ses enquêtes au cours de cette année. En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle les autorités l’ont rapidement menacé, ont enquêté à son sujet et l’ont isolé, la preuve indique le contraire. Le demandeur a témoigné que dès 2001, alors qu’il était en service à Kwe-Kwe, on le soupçonnait de sympathiser avec le MDC (dossier du tribunal, page 363). Malgré ce fait, et malgré le fait qu’il aurait fait l’objet de menaces en 2002, il n’a pas quitté le pays, n’a pas quitté son travail et n’a pas été renvoyé. Ce n’est qu’en août 2002 qu’il a « démissionné », le même mois où il aurait été transféré au groupe du commissaire (dossier du tribunal, pages 384 et 385).

 

[24]           Je remarque également que la preuve n’est pas compatible avec l’affirmation du demandeur principal selon laquelle il a subi les conséquences de ses enquêtes alléguées sur les activités criminelles du Zanu-PF. Il a occupé plusieurs postes de rang supérieur et on lui a confié des responsabilités accrues dans la période pendant laquelle des crimes contre l’humanité étaient commis. Par conséquent, il n’était pas manifestement déraisonnable que la Commission tienne compte de ce fait. En effet, comme l’attestent les renseignements contenus dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur principal a obtenu de nombreuses promotions et il a joui d’une grande mobilité tout au long de sa carrière. En ce qui concerne la conclusion selon laquelle le demandeur principal a été « autorisé à prendre sa retraite », puisqu’il était admissible à la retraite dès juin 1999, qu’il a remis son équipement et a reçu sa pension et ses prestations, cette affirmation de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable, car il existait des éléments de preuve indiquant que les personnes soupçonnées de sympathiser avec le MDC ne pouvaient pas recevoir ces prestations. Mis à part le fait que le demandeur principal a déclaré qu’il a dû prendre sa retraite de façon « clandestine », rien ne prouve que la procédure normale n’a pas été suivie. Il n’était pas déraisonnable que la Commission conclue que le demandeur principal avait quitté le service dans les règles.

 

[25]           Les conclusions relatives à la crédibilité sont essentiellement des conclusions de fait. En conséquence, la question n’est pas de savoir si les motifs de la Commission sont exempts d’erreurs, mais plutôt de savoir si on peut dire ou non que la Commission a tiré des conclusions sans tenir compte de la preuve, d’une façon abusive et arbitraire. De plus, la décision de la Commission doit être considérée dans son ensemble, et les erreurs alléguées ne sont pas décisives. Même si je devais admettre que la Commission a commis une erreur relativement à la crainte de persécution du demandeur principal, tel qu’expliqué ci-dessous, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur principal était complice de crimes contre l’humanité est raisonnable.

 

L’exclusion du demandeur principal

[26]           Le demandeur principal remet en question la légalité de son exclusion au titre de l’alinéa 1Fa) de la Convention pour un certain nombre de motifs qui se résument comme suit.

 

[27]           Premièrement, le demandeur principal fait valoir qu’il n’existe aucun élément de preuve pour appuyer la conclusion selon laquelle il a personnellement commis des actes de torture ou des crimes contre l’humanité. Il conteste le caractère raisonnable du postulat de la Commission selon lequel [traduction] « si le demandeur principal n’avait pas obtempéré lorsqu’on lui donnait l’ordre de commettre des crimes contre l’humanité, on se serait chargé de le démettre de ses fonctions, comme le voulait la pratique instaurée par le régime » (dossier du tribunal, page 10). Le demandeur principal souligne le fait qu’il n’existait aucun élément de preuve indiquant qu’on lui avait déjà « donné l’ordre » de commettre de telles violations et la Commission n’a trouvé aucune raison permettant de croire qu’une personne du grade et de l’ancienneté du demandeur aurait pu recevoir un tel ordre.

 

[28]           Deuxièmement, le demandeur principal fait valoir que même si la Commission a noté que les violations commises par la police au Zimbabwe sont généralisées et systématiques, elle n’a pas conclu que la police zimbabwéenne est une organisation poursuivant [traduction] « des fins brutales et limitées », de sorte que le simple fait d’en faire partie serait suffisant pour établir la complicité d’un policier dans des actes de torture ou des crimes contre l’humanité. La Commission ne peut donc pas fonder ses conclusions sur le simple fait que le demandeur a été policier pendant 28 ans : Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 109 (C.A.F.), au paragraphe 16.

 

[29]           Troisièmement, le demandeur principal fait valoir que les motifs de la Commission n’appuient pas une conclusion de complicité. Relativement à la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a dit qu’il n’avait pas quitté parce qu’il ne voulait pas quitter son travail (dossier du tribunal, page 6), le demandeur principal souligne que cela ne constitue pas l’intégralité de son témoignage. Il avait aussi expliqué qu’il s’était engagé sous serment à maintenir la loi et à protéger les droits de la personne et qu’il considérait que c’était son devoir de demeurer au sein du service de police et de traduire les contrevenants en justice. Jusqu’à ce qu’il sente que sa propre vie était en danger, il a toujours cru qu’il pouvait continuer à accomplir ses fonctions. Il fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte de cette explication (dossier du demandeur, page 36, lignes 231 et 232 (FRP); dossier du demandeur, page 127). La Commission a plutôt tiré la conclusion erronée selon laquelle il avait quitté au moment de recevoir sa pension (dossier du tribunal, page 7). À cet égard, le demandeur principal souligne que, au moment où il a quitté le service de police, il était admissible à la retraite depuis plusieurs années. Il fait valoir que les raisons pour lesquelles il est demeuré au sein du service de police montrent une absence de complicité évidente et que la Commission ne s’est même pas penchée sur cette question.

 

[30]           Quatrièmement, le demandeur principal fait également remarquer que la Commission s’est exclusivement centrée sur sa connaissance des crimes commis et sur le fait qu’il n’a pas quitté le service de police plus tôt. Selon le demandeur principal, même si le fait qu’un revendicateur de statut occupe un poste élevé au sein d’une organisation qui commet des crimes contre l’humanité renforce le bien-fondé d’une conclusion de complicité, l’analyse ne peut s’en tenir qu’à cela. Au fond, la complicité « dépend essentiellement […] de l’existence d’une intention commune » entre les contrevenants : Ramirez, précité, au paragraphe 18. Le demandeur principal fait valoir que la preuve montre de façon écrasante qu’il ne partageait pas une intention commune. Il souligne avoir prouvé qu’il a tenté de mettre un terme à ces atrocités et qu’il a par la suite démissionné de son poste (dossier du demandeur, pages 89 et 90).

 

[31]           La Commission doit être convaincue qu’il existe « de bonnes raisons de penser » qu’un demandeur d’asile ne devrait pas pouvoir revendiquer le statut de réfugié. Dans la pratique, cela signifie que la Commission doit être convaincue que la preuve indique qu’il y a « plus qu'une suspicion ou une conjecture, mais moins qu'une preuve selon la prépondérance des probabilités » (Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.F.), au paragraphe 18 [Sivakumar]). De fait, cette norme de preuve moins rigoureuse qu’à l’habitude montre que les décisions du gouvernement du Canada et de la communauté internationale visent à garantir que l’asile ne sera pas accordé aux criminels de guerre (voir également Torres Rubianes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1140, au paragraphe 3 [Torres Rubianes]).

 

[32]           Il ressort clairement des motifs de la Commission qu’elle [traduction] « croyait que si le demandeur principal n’avait pas obtempéré lorsqu’on lui donnait l’ordre de commettre des crimes contre l’humanité, on se serait chargé de le démettre de ses fonctions, comme le voulait la pratique instaurée par le régime » (dossier du tribunal, page 10). La Commission a ensuite déclaré qu’elle jugeait [traduction] « la preuve documentaire assez précise concernant les crimes contre l’humanité, pour lesquels il y aurait de sérieuses raisons de penser que le demandeur principal les a commis ou en a été le complice » (dossier du tribunal, page 10).

 

[33]           Dans sa décision, la Commission fait remarquer qu’Amnistie Internationale signale que les violations aux droits de la personne sont principalement commises par les forces de sécurité du Zimbabwe (incluant la police civile et militaire et la CIO), [traduction] « qui exercent leurs activités avec le consentement et l’acquiescement de l’État et qui sont appuyés par celui-ci au moyen de ressources et de l’encouragement du public ». Qui plus est, un rapport du Département d’État des États-Unis montre que le gouvernement du Zimbabwe a offert un appui matériel aux anciens combattants, qui ont occupé des fermes commerciales et qui ont dans certains cas tué, torturé, battu et maltraité des propriétaires de fermes (appropriation des terres). Les forces de sécurité ont également torturé, battu et maltraité des personnes. À vrai dire, selon la preuve documentaire, dans certains cas, l’armée et la police ont fourni un transport et autre soutien logistique. Il existe des éléments de preuve montrant la police en train d’ouvrir le feu sur des foules de manifestants lors d’émeutes du pain. D’autres éléments de preuve montrent des personnes qui se font tuer et torturer alors qu’elles sont détenues par la police. La preuve documentaire indique que [traduction] « le service de police appuie les deux politiques meurtrières du gouvernement de Mugabe, qui permet de harceler, d’intimider et, si nécessaire, de tuer les agriculteurs blancs s’ils refusent de céder leurs terres ».

 

[34]           La Commission invoque la décision Sivakumar et conclut que [traduction] « ces crimes contre l’humanité sont perpétrés de façon généralisée et systématique » (dossier du tribunal, à la page 12). La Commission conclut ensuite que selon la prépondérance des probabilités, le [traduction] « demandeur principal était un membre du service de police du Zimbabwe, que ledit service de police, au même titre que d’autres forces de sécurité, a perpétré des crimes contre l’humanité d’une façon généralisée et systématique, que le demandeur a été déployé pour exécuter ces crimes et qu’il avait effectivement participé à des actes de torture » (dossier du tribunal, à la page 13). [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           Le demandeur principal ne conteste pas le fait que la police zimbabwéenne a commis des crimes contre l’humanité, ni qu’il a fait partie du service de police pendant 28 ans. Toutefois, il conteste le postulat de la Commission selon lequel il a personnellement commis de tels crimes.

[36]           Au moment de prendre une décision concernant l’exclusion au titre de l’article 1Fa), il est crucial que la Commission articule des conclusions de fait sur des crimes spécifiques contre l’humanité qu’un demandeur en particulier aurait commis. Comme l’a fait remarquer la Cour fédérale dans la décision Sivakumar :

On ne saurait sous-estimer l’importance qu’il y a à articuler les conclusions sur les faits, c’est-à-dire sur les crimes contre l’humanité spécifiques que le demandeur aurait commis dans un cas comme celui-ci, où la section du statut a reconnu que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté par les autorités ski-lankaises. Par exemple, le rapport de 1989 d’Amnistie Internationale indique que le gouvernement du Sri Lanka est responsable d’arrestations et de détentions arbitraires sans inculpation ni condamnation, de « disparitions », de tortures, de morts durant la détention et d’exécutions extrajudiciaires. Vu la gravité des conséquences éventuelles du rejet, fondé sur la section Fa) de l’article premier de la Convention, de la revendication de l’appelant et la norme de preuve relativement peu rigoureuse à laquelle doit satisfaire le ministre, il est crucial que la section du statut rapporte dans ses motifs de décision les crimes contre l’humanité dont elle a des raisons sérieuses de penser que le demandeur les a commis. On peut dire que faute d’avoir tiré les conclusions nécessaires sur les faits, la section du statut a commis une erreur de droit. [Non souligné dans l’original.]

 

[37]           En l’espèce, il n’y a rien dans les motifs qui décrit la nature exacte des actes que le demandeur aurait commis. Il n’était tout simplement pas suffisant que la Commission ait de sérieuses raisons de penser que le demandeur principal avait commis quelque crime contre l’humanité, du fait de son rôle ou de sa position au sein du service de police. Si l’analyse de la Commission s’était arrêtée là, il aurait fallu annuler la décision. Cependant, l’analyse ne s’arrête pas là.

 

[38]           L’analyse de la Commission est principalement centrée sur la complicité. Il faut se rappeler que si le critère de la complicité est rempli, l’exclusion s’applique quand bien même les gestes concrets posés par le demandeur d’asile ne sont pas des crimes contre l’humanité : Harb, précité, au paragraphe 11. Qui plus est, la Cour peut confirmer la décision de la Section du statut de réfugié et appliquer une exclusion, malgré les erreurs commises par la Commission, si « aucun tribunal correctement instruit, utilisant la méthode d'interprétation appropriée, n'aurait pu parvenir à une conclusion différente » : Ramirez, précité, au paragraphe 32; Sivakumar, précité, au paragraphe 34.

 

[39]           Puisque la Commission n’a pas conclu que le service de police du Zimbabwe était une organisation poursuivant [traduction] « des fins brutales et limitées », le simple fait que le demandeur principal était un policier n’était pas suffisant pour démontrer une complicité dans des crimes de guerre : Ardila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1518 [Ardila]; Valère, précité, au paragraphe 21. Il est donc nécessaire de prouver la complicité. Une personne est complice si elle contribue directement ou indirectement à l’organisation ou si elle rend ces activités possibles en toute connaissance de cause : Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.), au paragraphe 11; Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 66 (C.A.F.), aux paragraphes 31 et 32;  Harb (C.A.F.), précité, au paragraphe 11.

 

[40]           Même si un demandeur d’asile n’a pas personnellement perpétré les actes, le fait de permettre ces crimes est suffisant pour qu’il en soit tenu responsable (Fabela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1028, au paragraphe 19). Dans la décision Sivakumar, la complicité d’une personne pouvant être qualifiée de « chef » de l’organisation coupable de crimes internationaux a été étudiée par le juge Linden dans les termes suivants aux pages 440 et 442 :

Tout en gardant à l’esprit que chaque cas d’espèce doit être jugé à la lumière des faits qui le caractérisent, on peut dire que plus l’intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l’organisation, plus il est vraisemblable qu’il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l’organisation dans la perpétration de ce crime. En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l’organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes contre l’humanité.

 

[…] plus l’intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l’organisation, plus on peut conclure qu’il était au courant des crimes et a participé au plan élaboré pour les commettre.

 

 

[41]           De manière analogue, tel que souligné dans la décision Baqri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1096,  au paragraphe 28, « un poste de direction, bien qu’il ne justifie pas nécessairement une conclusion de complicité, peut soutenir l’idée implicite d’une participation consciente dans l’objectif de l’organisation de commettre des crimes internationaux ». Toutefois, comme le fait remarquer le demandeur d’asile, cette question n’est pas déterminante.

 

[42]           La synthèse de la juge Reed des principes présentés dans Ramirez, Sivakumar et Moreno dans la décision Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 79 aux pages 84 et 85 (C.F. 1re inst.), offre également une orientation pratique sur ce point :

Dans les décisions Ramirez, Moreno et Sivakumar, il est question du degré ou du type de participation qui constitue la complicité. Il ressort de ces décisions que la simple adhésion à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales n’implique pas normalement la complicité. Par contre, lorsque l’organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d’une police secrète, ses membres peuvent être considérés comme y participant personnellement et sciemment. Il découle également de cette jurisprudence que la simple présence d’une personne sur les lieux d’une infraction en tant que spectatrice par exemple, sans lien avec le groupe persécuteur, ne fait pas d’elle une complice. Mais sa présence, alliée à d’autres facteurs, peut impliquer sa participation personnelle et consciente.

 

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considérée comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s’il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l’appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarque que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l’opération. [Non souligné dans l’original.]

 

[43]           Cette déclaration a été suivie plus récemment (voir par exemple : Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1356 au paragraphe 28, conf. par 2005 CAF 303; Kasturiarachchi, précité, au paragraphe 16.

 

[44]           Ceci étant dit, il ressort clairement des motifs de la Commission que les six facteurs énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Sivakumar pour établir qu’il existe de « sérieuses raisons de penser » qu’une personne a été complice de crimes contre l’humanité et qu’elle possède la mens rea requise sont présents. Par conséquent, la décision de la Commission d’exclure le demandeur principal pour cause de complicité est raisonnable dans les circonstances de l’espèce.

 

[45]           Premièrement, en ce qui concerne la nature de l’organisation, le service de police du Zimbabwe a commis des crimes contre l’humanité d’une façon généralisée et systématique et la Commission en a cité plusieurs exemples (dossier du tribunal, pages 7, 10‑12). En fait, la Commission a jugé que d’après la preuve documentaire, il était [traduction] « assez clair et précis » que cette organisation avait commis des crimes contre l’humanité pendant les 28 années où le demandeur était en service (dossier du tribunal, page 10).

 

[46]           Deuxièmement, en ce qui concerne le mode de recrutement, le demandeur principal a volontairement joint le service de police en 1974 et s’est engagé à 25 ans de service. Son engagement a pris fin en juin 1999. Le demandeur principal est volontairement demeuré en service pendant trois années supplémentaires.

 

[47]           Troisièmement, quant à sa position et à son grade dans l’organisation, le demandeur principal a progressivement obtenu des postes haut gradés et des responsabilités accrues tout au long de sa carrière, comme en témoignent les renseignements contenus dans son FRP. En fait, le demandeur principal ne conteste pas qu’il était un officier supérieur, peu importe le titre qu’il avait. Par conséquent, il n’était pas manifestement raisonnable que la Commission suppose à partir de ces renseignements que le demandeur principal avait obtenu un certain nombre de promotions et qu’il avait joui d’une grande mobilité tout au long de sa carrière.

 

[48]           Quatrièmement, en ce qui concerne la durée pendant laquelle il a fait partie de l’organisation, le demandeur principal a été policier pendant 28 ans. Par conséquent, il n’était pas manifestement raisonnable que la Commission juge que cette période n’écartait pas la possibilité de la complicité ou de l’intention commune. Le défendeur a souligné que le demandeur principal avait effectivement admis qu’il savait que ses collègues de travail violaient les droits de la personne (Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1092 au paragraphe 25 [Bedoya]).

[49]           Cinquièmement, concernant la possibilité de quitter le service, le demandeur principal ne nie pas qu’il n’a démissionné de la police qu’en 2003, après avoir supposément fait l’objet de menaces de la part d’un supérieur. Le demandeur principal n’a jamais mentionné qu’il n’avait pas le droit de quitter et il a témoigné qu’il n’avait jamais eu envie de quitter avant 2002, car il ne se sentait pas en danger avant cette date (dossier du tribunal, pages 356 à 358, 405). Le fait qu’il n’ait pas été licencié laisse aussi entendre qu’il était complice (dossier du tribunal, pages 8, 10, 115). De plus, étant donné qu’on aurait empêché le demandeur principal de faire son travail pendant plusieurs années, il n’était pas manifestement raisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable du fait que le demandeur principal n’ait pas quitté le service de police plus tôt (Torres Rubianes, précité, au paragraphe 18; Bedoya, précité, au paragraphe 26).

 

[50]           Sixièmement, en ce qui concerne ce qu’il savait des atrocités commises par l’organisation, le demandeur principal a admis qu’il savait que la CIO et la police appuyaient les appropriations illégales de terres et qu’ils harcelaient, intimidaient, torturaient et tuaient des agriculteurs, des membres du parti de l’opposition et des civils. Il a occupé des postes supérieurs pendant ses dix dernières années d’emploi (dossier du tribunal, pages 31, 360). À cet égard, un simple démenti de l’intention commune, même s’il est crédible, « ne peut suffire à nier la présence d’une intention commune » (Harb, précité, au paragraphe 27). Les actions d’un demandeur peuvent être plus révélatrices. Par ailleurs, il est trop simple de dire que l’on ne partage pas la même intention et de tenter de se distancier des actions de l’organisation contrevenante (voir aussi Shakarabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. 444, au paragraphe 25; Ali  c. Canada (solliciteur général), 2005 CF 1306, au paragraphe 2).

 

[51]           Cela nous amène à étudier la légalité de la décision de la Commission concernant la revendication de la demanderesse.

 

La revendication de la demanderesse

[52]           La demanderesse fait valoir que les motifs invoqués par la Commission pour rejeter sa demande sont insuffisants. Elle avait expliqué à la Commission qu’elle était retournée au Zimbabwe pour être auprès de ses enfants et parce qu’elle avait espéré que la situation se soit améliorée cinq mois plus tard. Cette explication était raisonnable et ne pouvait pas être rejetée arbitrairement par la Commission.

 

[53]           La demanderesse fait ensuite valoir que l’absence de crainte subjective peut être pertinente à une revendication en vertu de l’article 96 de la LIPR, mais qu’elle ne l’est pas dans le cas d’une revendication aux termes de l’article 97 de la même Loi, et la Commission commet une erreur en rejetant sa demande pour ces motifs (Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1121, au paragraphe 16; Ghasemian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1266, aux paragraphes18‑19).

 

[54]           Ces arguments ne peuvent être accueillis en l’espèce.

 

[55]           La Commission a déjà conclu que l’allégation du demandeur principal selon laquelle il était la cible de la CIO ou du Zanu-PF est peu plausible. Cette conclusion n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[56]           La crainte subjective est certainement un facteur pertinent à prendre en compte dans une analyse aux termes de l’article 97. Même si elle n’est peut-être pas décisive, la crainte subjective est liée au risque pour la personne et constitue le fondement permettant d’établir objectivement que ce risque existe. Compte tenu du fait que l’allégation de la demanderesse était entièrement fondée sur la crainte d’être ciblée à cause des activités de son époux, lesquelles n’ont pas été considérées plausibles, la Commission a effectué son analyse correctement (Mengistu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 901, au paragraphe 16).

 

[57]           La Commission était également libre de rejeter les explications de la demanderesse.

 

[58]           De plus, la Commission était autorisée à tirer une conclusion défavorable du fait que la demanderesse s’était de nouveau prévalue de la protection du Zimbabwe. Si elle avait vraiment craint pour sa vie, elle n’y serait pas retournée : Shaikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 74, aux paragraphes 62-63; Bogus c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 71 F.T.R. 260, conf. par [1996] A.C.F. no 1220 (CAF) (QL); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n558, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.) (QL).

 

Le rapport psychologique

[59]           J’ai également examiné l’allégation des demandeurs selon laquelle la Commission n’a pas tenu compte du rapport psychologique qui confirme que le demandeur principal a souffert du syndrome de stress post-traumatique à la suite des persécutions vécues au Zimbabwe. Ils affirment que ce rapport appuie leur version. Les demandeurs ont soulevé cette question presque à titre de question secondaire. À cet effet, les demandeurs soulignent que même si la Commission n’est pas obligée de tenir compte de tous les éléments de preuve, lorsqu’un élément de preuve est pertinent, le fait de ne pas en tenir compte peut amener la Cour à conclure que la formation d’audience l’a ignoré : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) aux paragraphes 27 et 28; Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (CAF); Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 497 (C.F. 1re inst.)

 

[60]           Le rapport psychologique conclut simplement que le demandeur principal souffre du syndrome de stress post-traumatique à cause de ce qu’il a vécu dans le passé. En l’espèce, ce rapport ne peut pas servir d’élément de preuve corroborant les allégations des demandeurs concernant leur crainte d’être persécutés. Même si la Commission ne mentionne pas ce rapport dans ses motifs, compte tenu de ses conclusions négatives concernant la crédibilité, lesquelles sont confirmées par la Cour, l’omission alléguée ne constitue pas une erreur susceptible de révision dans la présente affaire.

 

Conclusion

[61]           Pour les motifs indiqués ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été soulevée par les avocats et aucune question n’est soulevée en l’espèce.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L. LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1451-06

 

 

INTITULÉ :                                                   MOSES JERRY WILLIAM DZIMBA ET AL. c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO

                                                                       

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 24 avril 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE MARTINEAU

 

 

DATE DE L’ORDONNANCE :                   Le 9 mai 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilary Evans Cameron                                                              POUR LES DEMANDEURS

 

Lisa Hutt                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Avocats                                                                                    POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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