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Date : 20070508

Dossier : T-1386-06

Référence : 2007 CF 501

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 8 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT BARRY L. STRAYER

 

 

ENTRE :

YING LIU

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.   Introduction

[1]               Il s’agit de l’appel d’une décision rendue par une juge de la citoyenneté le 26 mai 2006 par laquelle elle a rejeté la demande de citoyenneté présentée par la demanderesse.

 

II.   L’historique

[2]               La demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente au Canada le 16 janvier 2001. Le 20 février 2004, elle a demandé la citoyenneté canadienne. Elle a mentionné dans sa demande que, au cours des quatre années précédentes, elle n’a été présente au Canada que pendant seulement 1 028 jours. Devant moi, les avocats ont convenu qu’il manquait à la demanderesse 67 jours de présence physique sur les 1 095 jours de présence physique exigés au Canada au cours de la période pertinente. La demanderesse est arrivée au Canada accompagnée de son mari et de sa fille. La fille de la demanderesse est devenue citoyenne canadienne, mais elle est retournée en Chine pour y faire ses études. Le mari de la demanderesse n’est pas devenu citoyen canadien en raison de problèmes de langue et il passe la plus grande partie de son temps en Chine. Les absences de la demanderesse avant et après le dépôt de la demande de citoyenneté ont été en très grande partie occasionnées par des visites qu’elle a effectuées en Chine. Il semble que, après qu’elle eut déposé sa demande de citoyenneté, ses séjours en Chine furent de plus en plus longs.

 

[3]               L’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, exige que le demandeur de citoyenneté, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, ait « résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout ». En appliquant cette exigence, la juge de la citoyenneté a renvoyé à la décision Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232, laquelle, selon moi (pour des motifs que j’énoncerai plus loin) exige une présence physique au Canada afin d’établir la période nécessaire de résidence. Tout en renvoyant à la décision Pourghasemi, la juge de la citoyenneté semble avoir appliqué le critère décrit dans Koo, [1993] 1 C.F. 286, communément appelé le critère Koo, c’est‑à‑dire qu’elle a tenté d’établir si le Canada est le lieu ou vit normalement la demanderesse. Selon ce critère, pour être « résident », la Loi, un demandeur n’a pas être physiquement présent au Canada pendant toute la période de 1 095 jours, mais un juge peut tenir compte de nombreux facteurs pour voir si, malgré un certain nombre d’absences du Canada au cours de la période de quatre ans, on peut affirmer que le demandeur a normalement vécu au Canada parce qu’il y a centralisé son mode d’existence. En l’espèce, il est clair qu’il s’agit du critère que la juge de la citoyenneté a appliqué parce que, d’entrée de jeu, il était clair que la demanderesse n’était pas admissible en vertu du critère de la présence physique et pourtant la juge de la citoyenneté a continué de tenter d’établir si elle « avait résidé » suffisamment longtemps. La demanderesse prétend que la juge de la citoyenneté a mal appliqué le critère Koo en n’accordant pas à l’ensemble des facteurs pertinents l’importance qui leur revient et en tenant compte d’évènements qui se sont produits après la date de la demande.

 

III.   L’analyse

[4]               Bien que la demanderesse m’ait invité à appliquer la norme de contrôle de la décision correcte, je suis convaincu que, pour des motifs qui ont souvent été exposés à la Cour dans ce genre d’affaires (voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, [2004] A.C.F. no 88; Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 269), la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. Il faut faire preuve d’une certaine retenue envers les décisions des juges de la citoyenneté qui traitent ce genre d’affaires de façon régulière et la question soulevée en appel est essentiellement une question mixte de fait et de droit.

 

[5]               Pour ce motif, je suis incapable d’affirmer que la décision rendue en l’espèce par la juge de la citoyenneté était déraisonnable. Elle disposait d’un certain nombre de faits qui pouvaient étayer sa conclusion, notamment le fait que la demanderesse ne possédait aucune résidence au Canada, qu’elle n’était pas résolue à travailler au Canada et qu’elle vivait plutôt de ses investissements. Un certain nombre de faits que la demanderesse fait maintenant valoir, comme les liens qu’elle entretient avec son église et sa vie sociale bien remplie, n’ont pas été déposés en preuve devant la juge de la citoyenneté. Bien que la demanderesse s’oppose au fait que la juge de la citoyenneté ait pris note de certains faits qui se sont produits après la date de la demande et dont elle a été saisie à l’audience, je suis convaincu que ces faits pourraient être à bon droit pris en compte pour faire la lumière sur le degré d’engagement de la demanderesse envers le Canada au cours de la période pertinente (voir, par exemple, Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 438, paragraphe 10). Ces faits retenus par la juge de la citoyenneté étaient les suivants : peu après le dépôt de la demande de citoyenneté, la demanderesse et son mari ont vendu leur maison; le fait que, dans les deux années qui ont suivi le dépôt de la demande, la demanderesse a fait trois voyages en Chine. L’explication que la demanderesse a donnée quant à ces deux derniers éléments était qu’elle avait eu besoin de soutien moral alors qu’elle était enceinte, puis après, alors qu’elle eut fait une fausse couche. Il était loisible à la juge de la citoyenneté de conclure que la demanderesse considérait toujours la Chine comme étant son foyer naturel, l’endroit où elle pouvait aller se réfugier dans les périodes difficiles.

 

[6]               Il semble que la juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait en retenant que la demanderesse et son mari possédaient conjointement un appartement en Chine. Il semble que l’appartement est au nom du mari de la demanderesse et que c’est là que lui et la mère de la demanderesse vivent, comme d’ailleurs la demanderesse lors de ses voyages en Chine. Je ne crois pas que cette erreur pourrait avoir un effet important sur la décision.

 

[7]               Il ne revient pas au juge siégeant en contrôle judiciaire de réévaluer la preuve si la conclusion est raisonnable, que la Cour soit ou non arrivée à la même conclusion à partir des faits.

 

[8]               Selon moi, la juge de la citoyenneté a invoqué à tort la décision Pourghasemi comme fondement de sa juste analyse quant à savoir si la demanderesse résidait normalement au Canada. Elle semble avoir interprété cette décision comme étant la formulation d’un critère de « canadianisation » quant à la résidence normale : une reconnaissance que si un demandeur est devenu suffisamment « canadianisé », alors cela est suffisant pour rencontrer l’exigence de la résidence, même si ce demandeur n’a pas été physiquement présent pendant l’ensemble des 1095 jours requis. Si j’ai bien compris cette décision, le juge Francis Muldoon a clairement affirmé que ce que le législateur visait, lorsqu’il a adopté l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la Citoyenneté, c’était exiger une présence physique au Canada pendant trois des quatre années précédant la demande (voir So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F no1232, paragraphe 27, où on a ainsi interprété Pourghasemi). Selon le juge Muldoon, l’exigence est la suivante :

[…] garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser »

 

(voir paragraphe 3).

 

 

[9]               Au paragraphe 6 de son jugement, le juge Muldoon a déclaré ce qui suit :

Ainsi donc, ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire à l'étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n'existent qu'au Canada, nulle part ailleurs.

 

[10]           En résumé, une personne doit résider au Canada afin de se canadianiser; une personne ne se canadianise pas autrement qu’en résidant vraiment au Canada. La « canadianisation », si je comprends bien Pourghasemi, était la raison invoquée par le législateur pour exiger la résidence, mais elle n’est pas le critère de la résidence. Il est censé découler de la résidence effective.

 

[11]           Certains déploreront peut‑être que la demanderesse, à laquelle il ne manque que 67 jours de présence au Canada afin d’être admissible, verra sa demande refuser. Mais, on peut également affirmer que la demanderesse n'était pas obligée d'attendre trois mois pour présenter sa demande; il n'y aurait alors eu aucun doute sur le fait qu'elle répondait aux conditions de résidence. En fait, elle a été présente au Canada pendant plus de neuf mois après le dépôt de sa demande et avant son prochain voyage en Chine. Si elle avait attendu après le 20 février 2004, voir même jusqu’au 30 avril 2004, pour présenter sa demande, aucune de ces procédures n’aurait été nécessaire.

 

IV.   Dispositif

[12]           L’appel sera donc rejeté.


JUGEMENT

            L’appel de la décision rendue par la juge de la citoyenneté le 26 mai 2006 est rejeté.

 

 

« Barry L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                 T-1386-06

 

INTITULÉ :                                                YING LIU

                                                                     c.

                                                                     MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          VANCOUVER (C.‑ B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 1 MAI 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                       LE JUGE STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 8 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter D. Larlee

 

POUR LA DEMANDERESSE

Liliane Bantourakis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Larlee & Associates

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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