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Date : 20070511

Dossier : IMM‑4184‑06

Référence :2007 CF 508

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

MOHAMED HARKAT

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]        Mohamed Harkat (le demandeur), réfugié au sens de la Convention est visé par une mesure d’expulsion qui résulte directement de la conclusion de ma collègue la juge Dawson selon laquelle le certificat de sécurité délivré contre lui était raisonnable; il demande la suspension ou l’ajournement de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, fixée au 15 mai 2007. Par sa demande de contrôle judiciaire, M. Harkat sollicite l’annulation de l’avis émis le 11 juillet 2006, comprenant un additif signé le 28 juillet 2006, par M. James Schultz, le représentant du ministre (le représentant); en voici le texte :

[TRADUCTION]

« Au vu des renseignements que j’ai examinés, je suis d’avis, conformément à l’alinéa 115(2)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, que :

                                Mohamed Harkat,

Date de naissance : 6 août 1968

ne doit pas être autorisé à rester au Canada parce qu’il constitue un danger pour la sécurité du Canada ».

 

 

[2]        Il invite aussi instamment la Cour d’appliquer le paragraphe 399(2) des Règles des Cours fédérales (1998), dans le même dessein.

 

[3]        Lors de l’audience tenue hier concernant la requête du demandeur, son avocat a dit à la Cour qu’il ne sollicitait pas la suspension permanente de l’avis du représentant, mais plutôt son ajournement sine die jusqu’à ce que le législateur ait choisi un nouveau dispositif de contrôle des certificats de sécurité, ainsi que le lui a ordonné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9.

 

[4]        Par ordonnance en date du 14 février 2007, le juge en chef de la Cour d’appel fédérale a accordé à M. Harkat l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler l’avis du représentant, il a fixé les diverses étapes de l’instance et il a fixé au 15 mai 2007 l’audition de la demande de M. Harkat.

 

[5]        L’alinéa 115(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) est une exception au principe du non‑refoulement, selon lequel la personne protégée, par exemple le réfugié au sens de la Convention, ne doit pas être renvoyée du Canada vers un pays [en l’occurrence l’Algérie, le pays de naissance du demandeur] si cela l’expose à un risque de persécution, à un risque de torture ou à des peines ou traitements cruels et inusités. Cette exception figure au paragraphe 115(2) de la Loi, ainsi formulé :

Principe du non‑refoulement

Principe

 

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

Principle of Non‑refoulement

Protection

 

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

Exclusion

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

Exceptions

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[Non souligné dans l’original]

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

[Emphasis mine]

 

[6]        La question de savoir si la suspension ou l’ajournement de l’audience prévue doit être accordé requiert l’examen approfondi du récent arrêt unanime rendu par la Cour suprême du Canada le 23 février 2007, arrêt qui concerne Adil Charkaoui, Mohamed Harkat et Hassan Almrei (arrêt Charkaoui, précité). Les motifs de la Cour suprême ont été rédigés par la juge en chef du Canada, qui, au paragraphe 139, à propos de la légalité des procédures de contrôle se rapportant aux certificats de sécurité, s’est exprimée en ces termes :

139          Premièrement, l’al. 78g) du régime autorise l’utilisation d’éléments de preuve qui ne sont jamais communiqués à la personne désignée, sans établir de mesures adéquates pour pallier cette absence de communication et pour résoudre les problèmes constitutionnels qui en découlent. Il ressort clairement des mesures mises en place par d’autres régimes démocratiques, et par le Canada lui‑même dans d’autres situations relatives à la sécurité, qu’il est possible de concevoir des solutions qui protègent les renseignements de sécurité confidentiels, tout en portant moins atteinte aux droits des intéressés. Par conséquent, la procédure d’approbation des certificats et de contrôle de la détention établie dans la LIPR enfreint l’art. 7 de la Charte et n’a pas été justifiée en application de l’article premier de la Charte. Je suis d’avis de la déclarer incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. [Non souligné dans l’original]

 

[7]        La Cour suprême a suspendu cependant, au paragraphe 140, la prise d’effet de la déclaration d’invalidité de la procédure :

140          En revanche, pour donner au législateur le temps de modifier la loi, je suis d’avis de suspendre la prise d’effet de cette déclaration pour une période de un an à compter de la date du présent jugement. Si le gouvernement décide de faire examiner le caractère raisonnable du certificat visant M. Charkaoui pendant cette période, la procédure existante prévue par la LIPR s’appliquera. Après cette période de un an, les certificats visant M. Harkat et M. Almrei (et tous les autres certificats jugés raisonnables) perdront le caractère « raisonnable » qui leur a été reconnu et les personnes désignées dans ces certificats pourront en demander l’annulation. Si le gouvernement veut utiliser un certificat après cette période de un an, il devra le soumettre au nouveau processus conçu par le législateur pour en faire confirmer le caractère raisonnable. De même, tout contrôle d’une détention postérieur à l’expiration de cette période sera effectué en conformité avec ce nouveau processus. [Non souligné dans l’original]

 

 

[8]        Je signale que, parmi les trois appelants qui se sont pourvus devant la Cour suprême du Canada, M. Charkaoui est le seul dont il n’avait pas été déterminé si le certificat de sécurité délivré contre lui était ou non raisonnable.

 

[9]        Finalement, à titre d’introduction, M. Harkat a été élargi le 23 mai 2006, à des conditions très rigoureuses imposées par la juge Dawson, et qu’a récemment confirmées mon collègue le juge Simon Noël le 20 avril 2007, au terme d’une nouvelle instance en contrôle judiciaire introduite par le demandeur.

 

[10]      La juge en chef de la Cour suprême du Canada a dit que les conditions imposées à M. Harkat pour sa mise en liberté avaient pour effet de le placer en résidence surveillée et de le soumettre à la surveillance constante de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et de la GRC (voir le paragraphe 103 de l’arrêt Charkaoui, précité).

 

L’avis du représentant

[11]      L’avis du représentant relatif à M. Harkat a été émis un mois après que la Cour suprême du Canada eut entendu la contestation constitutionnelle de la procédure de contrôle des certificats de sécurité, et huit mois avant que la Cour ne rende son arrêt.

 

[12]      Se fondant sur l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, le représentant a d’abord posé la question de savoir si la présence continue de M. Harkat au Canada constituait un danger pour la sécurité du Canada, adoptant à cette fin le critère formulé au paragraphe 90 de cet arrêt :

90            Ces considérations nous amènent à conclure qu’une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable. [Non souligné dans l’original]

 

[13]      Le représentant savait qu’il ne pouvait pas simplement invoquer le jugement de la juge Dawson du 22 mars 2005, publié : 2005 C.F. 393, où elle disait que le certificat de sécurité délivré contre M. Harkat était raisonnable.

 

[14]      Selon la jurisprudence pertinente, notamment l’arrêt Suresh, précité, et la décision Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 156, ainsi que d’autres, le représentant devait examiner, avec impartialité et objectivité, la preuve qui lui avait été présentée et faire sa propre appréciation, c’est‑à‑dire essentiellement tirer une conclusion de fait, quant à savoir si M. Harkat constituait, d’après la prépondérance de la preuve, un danger pour la sécurité du Canada. Pour tirer ce genre de conclusion, il faut apprécier la nature ou l’étendue du risque que M. Harkat constitue pour la sécurité du Canada. Selon la jurisprudence Suresh, précitée, le représentant n’était pas tenu d’entendre M. Harkat en personne, et il ne l’a pas fait. Comme il le disait dans sa décision, il a plutôt examiné la preuve qui lui avait été produite et il a pris en compte les arguments des avocats.

 

1. M. Harkat constitue‑t‑il un danger pour la sécurité du Canada?

 

[15]      Le représentant a conclu que M. Harkat constituait un danger pour la sécurité du Canada, en raison de ses déplacements, des emplois qu’il avait occupés au Pakistan, de ses liens avec le réseau Ben Laden, au Canada et à l’étranger, et de son recours à des noms d’emprunt. Il s’est exprimé en ces termes : [traduction] « outre d’autres renseignements qu’il m’est impossible de révéler, je suis d’avis que M. Harkat est un membre important du réseau Ben Laden ». Il était également d’avis que M. Harkat avait participé à des activités de soutien au terrorisme, au Pakistan et au Canada, avant que sa détention ne vienne mettre fin à telles activités. Il a signalé que le réseau Ben Laden avait désigné le Canada comme un ennemi et comme une cible légitime. Selon le représentant, la violence est une composante intrinsèque de l’idéologie du réseau Ben Laden, outre qu’elle constitue un moyen d’atteindre des objectifs plus larges. Il était aussi d’avis que la détention de M. Harkat n’avait pas réduit avec le temps sa capacité ou sa motivation et qu’il rétablirait ses liens avec le réseau Ben Laden et participerait activement à des activités terroristes ou des activités d’appui au terrorisme dès qu’il aurait le sentiment de pouvoir s’y replonger en passant inaperçu.

 

[16]      Il ne fait aucun doute que le représentant a tenu compte d’innombrables preuves, tant publiques que confidentielles, pour tirer la conclusion que M. Harkat constituait un danger pour la sécurité du Canada.

 

[17]      S’agissant des preuves confidentielles, le représentant a passé en revue la quasi‑totalité des preuves en question dont disposait la juge Dawson lorsqu’elle a examiné le caractère raisonnable du certificat de sécurité.

 

[18]      Le représentant disposait aussi de preuves confidentielles actualisées, que j’ai examinées (en même temps que les preuves confidentielles qui avaient été présentées à la juge Dawson) lorsque j’ai été saisi de la première demande de M. Harkat de mise en liberté (voir la décision Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1740). Le représentant ne disposait pas, concernant M. Harkat, d’autres preuves confidentielles, supplémentaires ou nouvelles.

 

[19]      Je suis d’avis que les preuves confidentielles examinées par le représentant étaient solides et importantes, et elles l’ont mené à conclure que M. Harkat constituait un danger pour la sécurité du Canada. Elles l’ont aussi mené à conclure que la gravité de la menace qu’il constituait pour la sécurité du Canada justifiait son éventuelle expulsion, même vers un pays où il serait exposé à la torture.

 

[20]      D’ailleurs, dans la présente procédure de contrôle judiciaire, l’avocat des défendeurs a déposé une requête en non‑divulgation en vertu de l’article 87 de la Loi, qui dispose :

Examen dans le cadre du contrôle judiciaire

Interdiction de divulgation

 

Consideration During Judicial Review

Application for non-disclosure — Court

 

87. (1) Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander au juge d’interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.

 

87. (1) The Minister may, in the course of a judicial review, make an application to the judge for the non-disclosure of any information with respect to information protected under subsection 86(1) or information considered under section 11, 112 or 115.

 

Application

 

(2) L’article 78 s’applique à l’examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de fournir un résumé et au délai.

Procedure

 

(2) Section 78, except for the provisions relating to the obligation to provide a summary and the time limit referred to in paragraph 78(d), applies to the determination of the application, with any modifications that the circumstances require.

 

[21]      Après avoir examiné les preuves confidentielles susmentionnées, et avoir auparavant tenu le 7 mai 2007, avec les défendeurs, une audience à huis clos en l’absence de l’avocat du demandeur, et compte tenu des arguments invoqués hier lors de l’audience publique, je rends aujourd’hui une ordonnance interdisant la divulgation des preuves confidentielles susmentionnées, qui font partie du dossier certifié du tribunal, au motif que leur divulgation serait préjudiciable à la sécurité du Canada ou à la sécurité d’autrui.

 

2. M. Harkat est‑il exposé à un risque en cas de renvoi en Algérie?

 

[22]      Ayant conclu que M. Harkat constituait une menace grave et importante pour la sécurité du Canada, le représentant a ensuite posé la question de savoir quels pouvaient être les risques que courrait M. Harkat s’il était renvoyé en Algérie, et plus exactement s’il risquait la torture ou des traitements cruels et inusités s’il était renvoyé en Algérie.

 

[23]      La preuve examinée par le représentant dans l’évaluation des risques auxquels était exposé M. Harkat comprenait les éléments suivants :

• Le bilan de l’Algérie en matière de droits de l’homme, en particulier durant l’insurrection qui avait débuté en 1988 et qui a conduit le gouvernement algérien à déclarer l’état d’urgence en 1993, attestant un climat de violence en Algérie, un climat marqué par la détention, la torture et les disparitions;

 

• Les conditions qui ont cours actuellement en Algérie et qui, de l’avis du représentant, se sont modifiées considérablement depuis le début de l’insurrection et depuis la pire période où furent commises les atrocités de la fin des années 80;

 

• Les rapports crédibles sur la situation des droits de l’homme, rapports qui, selon le représentant, « faisaient état d’améliorations en matière de droits de l’homme, et d’une diminution depuis plusieurs années des cas signalés de torture et de traitements cruels et inusités ». Figurait dans les conditions ayant cours dans le pays le fait que l’Algérie a fait des efforts importants pour favoriser, par des lois et des institutions, la réconciliation nationale qui a conduit, selon le représentant, « à l’extinction effective des procédures judiciaires introduites contre ceux qui avaient exercé des activités de soutien au terrorisme, et à l’absolution donnée aux personnes condamnées et détenues pour activités de soutien au terrorisme », ajoutant cependant que les conditions de l’amnistie ne s’appliquaient pas aux personnes qui avaient effectivement commis des massacres, des viols ou des agressions dans les lieux publics et qui avaient utilisé des explosifs;

 

• L’Algérie en tant que partenaire coopérant aujourd’hui avec diverses autorités étrangères de lutte au terrorisme, impliquées dans la « guerre internationale contre la terreur », et la question de savoir si l’Algérie pouvait venir en aide à ses alliés en détenant des individus dont on croit qu’ils ont accès à des renseignements courants, ce qui contribuerait à contrarier les activités terroristes menées à l’étranger et donc augmenterait le risque couru par M. Harkat;

 

• Les facteurs susceptibles d’atténuer le risque de torture, notamment le cadre juridique de l’Algérie, ses obligations internationales, l’efficacité d’une protection juridique, le climat d’impunité, le contrôle exercé par les forces de sécurité;

 

• Les garanties diplomatiques, tant au niveau général qu’au niveau particulier, données par le gouvernement de l’Algérie au gouvernement du Canada à l’égard de M. Harkat;

 

• Les faits connus concernant le traitement de personnes rapatriées en Algérie dont on croit qu’elles sont liées au terrorisme;

 

• La situation personnelle de M. Harkat, notamment la question de savoir s’il serait personnellement exposé à un risque plus élevé de torture en raison de ses liens avec le réseau terroriste de Ben Laden. Le représentant du ministre a conclu que M. Harkat présenterait, au chapitre de la sécurité, un intérêt pour les autorités algériennes à son retour, eu égard à la preuve qu’il avait devant lui, notamment vu une note du gouvernement algérien faisant état d’une « fiche de surveillance » concernant M. Harkat, en raison de son séjour en Afghanistan, la note précisant qu’il avait participé à la « résistance afghane ». Sur ce point, le représentant a aussi examiné les preuves produites par les professeurs Joffé et Entelis au nom de M. Harkat;

 

• Plus précisément, le représentant a évalué les garanties diplomatiques propres à M. Harkat. Il y a relevé quelques carences, puisque « la réponse algérienne ne dit pas expressément, simplement et sans équivoque que M. Harkat ne serait pas personnellement soumis à la torture ou à des traitements inusités en cas de retour en Algérie et elle est exprimée en des termes plus généraux ». Cependant, il a poursuivi en disant qu’« il n’était pas convaincu que l’imprécision des garanties algériennes les rendait sans valeur », ajoutant que « ce qui est imparfait peut néanmoins conserver une certaine valeur »;

 

• Les facteurs intéressant la situation de M. Harkat, facteurs auxquels il a donné le plus d’importance et le plus grand poids. Il s’agissait de son cas personnel en tant que personne reconnue comme sympathisant du GIA et liée au réseau Ben Laden.

 

[24]      Le représentant a conclu ainsi à propos du risque :

 

[TRADUCTION]

« Étant donné les accointances terroristes de M. Harkat, il n’est pas sûr qu’il sera en mesure de bénéficier des dispositions d’amnistie prévues par le programme national de réconciliation, c’est‑à‑dire après une période initiale de 12 jours consacrée à une enquête et à des interrogatoires. Cela est possible, mais cela dépendra de nombreux facteurs qu’il est impossible de connaître d’avance. S’il est considéré comme un danger pour le Canada, il pourrait fort bien être considéré comme un danger pour l’Algérie également. Je crois qu’il est fort possible qu’il soit condamné à une longue détention dans des conditions inconfortables et désagréables, qui correspondent aux conditions carcérales de l’Algérie, et, du moins au début, qu’il soit soumis à un interrogatoire musclé, sans aller jusqu’à la brutalité, ce qui constituerait une torture.

 

Mais, tout bien pesé, je crois que l’amélioration de la situation globale de la sécurité et des droits de l’homme en Algérie, les garanties diplomatiques obtenues dans le cas de M. Harkat et l’attention internationale que son cas suscitera, auront pour effet de réduire notablement les probabilités de torture ou de traitements cruels et inusités, en particulier les conséquences possibles les plus sérieuses auxquelles il aurait probablement été exposé durant l’histoire récente de l’Algérie, ou en l’absence de garanties diplomatiques ou d’une attention internationale.

 

Il m’est impossible, en toute conscience, de dire que ces facteurs éliminent toute possibilité de torture ou de traitements cruels et inusités. Mais, en réduisant à la fois la probabilité de tels traitements et la probable gravité de leurs conséquences, je suis d’avis que ces facteurs réduisent sensiblement tout risque sérieux pour M. Harkat. J’arrive donc à la conclusion qu’il est sans doute exposé à un risque, mais que les faits n’établissent pas, selon la prépondérance de la preuve, qu’il sera effectivement soumis à la torture ou à des traitements cruels et inusités s’il est renvoyé en Algérie ». [Non souligné dans l’original]

 

 

3. Si le représentant fait erreur dans son appréciation du risque, les faits sont‑ils exceptionnels au point que M. Harkat doit être expulsé vers un pays où il risque la torture?

[25]      Finalement, le représentant du ministre a abordé une question évoquée, dans l’arrêt Suresh, précité, mais sur laquelle la Cour suprême ne s’est pas prononcée, celle de l’expulsion d’une personne vers un pays où elle risque la torture.

 

[26]      Il a ainsi abordé cette question, à la page 48, sous la rubrique « Risques courus et sécurité du Canada » :

                         [TRADUCTION]

                         « Mais les conséquences d’une erreur pour M. Harkat pourraient être très graves.

 

J’ai déjà dit que, selon moi, une exécution sans procès, dans son cas, est improbable, alors qu’une longue détention, dans des circonstances ne lui offrant aucune garantie contre le risque de torture ou de traitements cruels et inusités, est fort probable. Mais, la question de savoir s’il sera torturé ou non ou s’il subira ou non des traitements cruels et inusités, vu notamment les garanties diplomatiques, l’amélioration du bilan algérien des droits de l’homme, et le fait que cette situation ne s’est pas présentée dans tous les autres cas semblables, appelle une décision qui ne peut être rendue que selon la prépondérance de la preuve. Par définition, le risque comporte une part d’incertitude.

 

Si j’ai tort de conclure que M. Harkat n’est pas exposé à un risque appréciable de torture ou de traitements cruels et inusités, je vais maintenant me pencher sur la question de savoir si son renvoi est néanmoins justifiable en raison de l’existence de circonstances exceptionnelles, et cela en mettant en balance le risque présumé pour M. Harkat et le danger qu’il pose pour la sécurité du Canada ». [Non souligné dans l’original]

 

[27]      Dans l’arrêt Suresh, précité, aux paragraphes 71 à 78, la Cour suprême du Canada évoquait le rejet de la torture par le Canada, un rejet qui trouve son expression dans les conventions internationales auxquelles le Canada est partie, et elle concluait que, sauf circonstances extraordinaires, l’expulsion d’une personne vers un pays où elle risque la torture sera en général contraire aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte, et que le ministre doit en général refuser d’expulser des réfugiés lorsque, au vu de la preuve, ils courent un risque élevé de subir la torture. Puis la Cour a fait les observations suivantes au paragraphe 78 de l’arrêt Suresh :

78   Nous n’excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l’art. 7 de la Charte soit au regard de l’article premier de celle‑ci. (Une violation de l’art. 7 est justifiée au regard de l’article premier « seulement dans les circonstances qui résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d’hostilités, les épidémies et ainsi de suite » : voir Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, p. 518, et Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, par. 99.) Dans la mesure où le Canada ne peut expulser une personne lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle sera torturée dans le pays de destination, ce n’est pas parce que l’art. 3 de la CCT limite directement les actions du gouvernement canadien, mais plutôt parce que la prise en compte, dans chaque cas, des principes de justice fondamentale garantis à l’art. 7 de la Charte fera généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture. Nous pouvons prédire que le résultat du processus de pondération sera rarement favorable à l’expulsion lorsqu’il existe un risque sérieux de torture. Toutefois, comme tout est affaire d’importance relative, il est difficile de prédire avec précision quel sera le résultat. L’étendue du pouvoir discrétionnaire exceptionnel d’expulser une personne risquant la torture dans le pays de destination, pour autant que ce pouvoir existe, sera définie dans des affaires ultérieures.

 

[28]      La conclusion du représentant selon laquelle des circonstances exceptionnelles avaient été établies dans l’affaire de M. Harkat était fondée sur le fait que, s’il n’était pas expulsé, il serait relâché sans condition au Canada et, étant membre du réseau terroriste de Ben Laden, il lui serait dès lors possible de se livrer à des actes de terrorisme, ce qui mettrait en péril la sécurité du Canada, y compris la sécurité de la population canadienne.

 

L’arrêt Charkaoui rendu par la Cour suprême du Canada

 

[29]      Comme je l’ai signalé, la Cour suprême du Canada a dit dans cette affaire que le processus de contrôle des certificats de sécurité et le processus d’examen de la détention étaient contraires à l’article 7 de la Charte et ne pouvaient être validés par l’article premier, et cela parce que l’alinéa 78g) de la Loi autorise le recours à des preuves qui ne sont jamais révélées à l’intéressé, tout en ne prévoyant aucune mesure adéquate propre à remédier à la non‑divulgation et aux problèmes constitutionnels auxquels il donne lieu. La Cour suprême était d’avis, au vu des méthodes employées par d’autres démocraties, ainsi qu’au Canada même, dans d’autres contextes liés à la sécurité, que des solutions pouvaient être mises au point pour protéger les renseignements confidentiels touchant la sécurité, sans qu’il en résulte une atteinte aussi marquée aux droits de la personne. Elle a évoqué quatre solutions susceptibles d’être moins attentatoires : (1) la procédure, maintenant abrogée, d’examen des certificats par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARC), au paragraphe 71; (2) le représentant spécial, qui existe en Angleterre, au paragraphe 80; (3) la loi actuelle du Canada, à savoir la Loi sur la preuve au Canada, pour l’examen des renseignements sensibles, au paragraphe 77; et (4) le recours à un avocat spécial, comme ce fut le cas dans l’affaire Arar.

 

[30]      Plus précisément, au paragraphe 3 de ses motifs, la juge en chef a dit que le processus de contrôle des certificats de sécurité prévu par la Loi contrevenait d’une manière injustifiable à l’article 7 de la Charte, en autorisant la délivrance d’un certificat d’interdiction de territoire fondé sur des documents confidentiels, sans que soit prévue l’intervention du représentant indépendant, au stade de la procédure de contrôle judiciaire, qui serait chargé de veiller aux intérêts de la personne concernée.

 

[31]      La juge en chef reconnaît, et cela est à mon avis fort important, que, si un certificat de sécurité est jugé raisonnable, alors est prononcée une mesure de renvoi dont appel ne peut pas être interjeté et qui prend effet sans qu’il soit nécessaire d’en effectuer ou de poursuivre le contrôle ou l’enquête d’admissibilité, et la personne qui y est désignée ne peut pas demander de protection aux termes du paragraphe 112(1).

 

[32]      La Cour suprême a aussi dit que, lorsque la procédure de contrôle est engagée pour les certificats de sécurité et que la détention immédiate a lieu dès la délivrance du certificat pour les étrangers comme M. Harkat, la justice fondamentale doit être respectée, compte tenu des exigences qui s’imposent en matière de sécurité : la pleine divulgation des renseignements invoqués ne sera pas nécessairement possible (voir le paragraphe 24).

 

[33]      Au paragraphe 58 de ses motifs, la juge en chef du Canada a invoqué la jurisprudence, dont l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, où la Cour suprême avait conclu que le CSARS pouvait, dans l’examen d’attestations aux termes de l’ancienne Loi sur l’immigration, refuser de divulguer le détail de techniques d’enquête et de sources policières. Pareillement, dans l’arrêt Suresh, précité, la Cour suprême a dit que le réfugié susceptible d’être expulsé vers un pays où il risquait la torture avait droit à la communication de tous les renseignements sur lesquels le ministre fonde sa décision, « sous réserve du caractère privilégié de certains documents ou de l’existence d’autres motifs valables d’en restreindre la communication, comme la nécessité de préserver la confidentialité de documents relatifs à la sécurité publique » (voir paragraphe 122).

 

[34]      Les motifs de la juge en chef portent surtout sur les principes applicables de la justice fondamentale. Selon elle, deux conditions sont manifestement remplies : le droit d’être entendu, par un magistrat indépendant et impartial, c’est‑à‑dire un juge désigné de la Cour fédérale.

 

[35]      Au paragraphe 31 de ses motifs, elle a cerné d’autres exigences de justice fondamentale, à savoir l’obligation pour le juge de rendre une décision fondée sur les faits et sur le droit, et la possibilité que doit avoir l’intéressé de répondre aux allégations le visant, en prenant connaissance de la preuve et en ayant tout loisir de la contester et de présenter une contre‑preuve. C’est au regard de ces deux dernières exigences que la juge en chef a dit qu’il y avait eu atteinte à l’article 7 de la Charte.

 

[36]      Quant à l’obligation du juge désigné de fonder sa décision sur les faits et sur le droit, la juge en chef a dit que cette obligation n’avait pas été respectée parce que l’intéressé n’aurait sans doute pas le loisir de consulter les documents invoqués par les ministres et par le juge, sauf peut‑être quelques‑uns, et qu’il ne sera pas nécessairement en position de connaître ou de contester les arguments avancés contre lui, puis elle conclut ainsi : « Par conséquent, le juge peut rendre une décision qui, bien que fondée sur la preuve dont il dispose, n’est pas fondée sur tous les éléments de preuve disponibles ». [Non souligné dans l’original]

 

[37]      Elle a exposé les deux types de système judiciaire qui garantissent que le juge a devant lui une preuve complète. Il y a, le système de type inquisitoire, dans lequel le juge recherche activement les preuves, d’une manière impartiale et indépendante, puis le système contradictoire, qui s’en remet aux parties, lesquelles ont le droit de connaître les allégations les visant et de participer pleinement à une instance publique où elles sont à même de produire les preuves pertinentes. La juge en chef a conclu que le juge désigné n’était pas investi, aux termes de la Loi, du pouvoir complet et indépendant de rassembler les preuves, un pouvoir qu’il aurait dans le système inquisitoire et que, simultanément, l’intéressé ne peut pas obtenir communication de la preuve, ni n’a le droit de participer à la procédure comme c’est le cas dans le système accusatoire. La juge en chef conclut ainsi, au paragraphe 50 : « en conséquence, on craint que le juge désigné, en dépit des efforts qu’il déploie pour obtenir toute la preuve pertinente, puisse être obligé – peut‑être sans le savoir – de rendre la décision requise sur le fondement d’une partie seulement de la preuve pertinente ». [Non souligné dans l’original]

 

[38]      Comme le juge n’a pas le pouvoir d’enquêter d’une manière indépendante sur tous les faits pertinents, un pouvoir que possèdent les juges dans le système inquisitoire, et puisque l’intéressé n’a pas une image complète des allégations auxquelles il doit répondre, le juge ne peut pas s’en rapporter aux parties pour obtenir les preuves manquantes. La juge en chef conclut ainsi, au paragraphe 51 : « en définitive, on ne peut jamais avoir la certitude que le juge a pu prendre connaissance de tous les faits ». [Non souligné dans l’original]

 

[39]      Au paragraphe 52, elle a exprimé des doutes de même nature à propos de la règle selon laquelle la décision doit être fondée sur le droit. Elle s’est exprimée en ces termes :

Des problèmes semblables se posent quant au respect de l’exigence voulant que la décision soit fondée sur le droit. Ne sachant pas ce qui lui est reproché, il se peut que la personne désignée ne soit pas en mesure de soulever une objection juridique contre un élément de preuve ou de faire valoir des arguments de droit fondés sur la preuve. Certes, la personne désignée est autorisée à présenter des arguments juridiques. Toutefois, sans la divulgation de la preuve et sans sa pleine participation du début à la fin du processus, elle n’est peut‑être pas en mesure de préparer une argumentation complète sur les questions de droit. [Non souligné dans l’original]

 

[40]      Dans ses motifs, la juge en chef s’est ensuite penchée sur la question de savoir si le principe selon lequel une partie a le droit de savoir ce qu’on lui reproche avait été respecté; elle a fait cette observation, au paragraphe 53 : « dernier élément, qui n’est toutefois pas le moindre, une audition équitable suppose que l’intéressé soit informé des allégations formulées contre lui et ait la possibilité d’y répondre », et, au paragraphe 54, elle a rappelé que, dans le régime des certificats, « il est possible que la personne désignée n’ait pas accès à la totalité ou à une partie des renseignements produits contre elle, ce qui l’empêche de savoir ce qu’elle doit prouver ». Elle ajoute : « il se peut que, privée de ces renseignements, elle [la personne désignée] ne soit pas en mesure de corriger les erreurs, relever les omissions, attaquer la crédibilité des informateurs ou réfuter les faussetés », ajoutant que « ce problème est sérieux en soi ». [Non souligné dans l’original]

 

[41]      La juge en chef a reconnu, au paragraphe 57 de ses motifs, que « le droit d’une partie de connaître la preuve qui pèse contre elle n’est pas absolu », et elle a fait état de lois canadiennes qui prévoient la tenue d’audiences à huis clos ou ex parte au cours desquelles les juges doivent trancher des questions importantes après avoir entendu les arguments d’une seule partie. Elle a cité une jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554, et relevé que, dans cet arrêt, « la majorité de la Cour a refusé de reconnaître qu’un préavis et la participation à l’audition constituent des normes constitutionnelles immuables, insistant sur le principe selon lequel l’équité procédurale dépend du contexte ». Au paragraphe 59, elle a observé que, dans certains cas, des solutions de rechange à la divulgation complète peuvent répondre à l’article 7 de la Charte; elle a cité l’arrêt Chiarelli, précité, où la Cour suprême avait confirmé la constitutionnalité de la non‑divulgation, parce que la divulgation des renseignements dans le résumé, ainsi que la possibilité d’assigner des témoins et de contre‑interroger les témoins de la GRC qui avaient déposé à huis clos, répondaient aux exigences de la justice fondamentale. Au paragraphe 60, la juge en chef a observé que, « lorsqu’une communication limitée ou une audience ex parte est jugée conforme aux principes de justice fondamentale, l’atteinte à la liberté et à la sécurité est en général moins sérieuse que celle portée par la LIPR ». En outre : « C’est une chose de ne pas communiquer tous les renseignements à une personne lorsque seul est en jeu le prélèvement de ses empreintes digitales, c’en est une tout autre de refuser de lui transmettre des renseignements lorsqu’elle peut être renvoyée du pays ou détenue pendant une période indéterminée. Qui plus est, même dans les situations moins attentatoires, les juges ont insisté sur la nécessité de divulguer l’information la plus précise et la plus complète possible ». [Non souligné dans l’original]

 

[42]      La juge en chef a ajouté les observations suivantes, au paragraphe 61 de ses motifs :

« La non‑communication dans le contexte de la sécurité nationale, dont l’étendue peut être assez vaste, ajoutée aux graves atteintes portées à la liberté d’une personne détenue, rend difficile, voire impossible, le recours à une solution de rechange qui satisfasse à l’art. 7. La justice fondamentale exige que soit respecté, pour l’essentiel, le principe vénérable voulant qu’une personne dont la liberté est menacée ait la possibilité de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre. Or, il se peut que la nécessité de protéger la société exclue cette possibilité. Des renseignements peuvent avoir été fournis par des pays ou des informateurs à la condition qu’ils ne soient pas divulgués. Il peut aussi arriver que des renseignements soient sensibles au point de ne pouvoir être communiqués sans que la sécurité publique soit compromise. C’est là une réalité de la société moderne. Pour respecter l’art. 7, il faut soit communiquer les renseignements nécessaires à la personne visée, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel. Ni l’un ni l’autre n’a été fait en l’espèce ». [Non souligné dans l’original]

 

[43]      Au paragraphe 63 de ses motifs, elle a exprimé l’avis que le juge désigné, aux termes des limites fixées par la Loi, « ne peut tout simplement pas combler le vide créé par le retrait des garanties traditionnelles quant à la tenue d’une audition équitable ». Après examen de plusieurs difficultés découlant des contraintes imposées par la Loi, la juge en chef a conclu que le juge se trouvait dans une situation où il devait rendre sa décision en s’appuyant sur des renseignements incomplets, qui ne sont peut‑être pas fiables. [Non souligné dans l’original]

 

[44]      S’agissant du principe selon lequel une partie a le droit de savoir ce qu’on lui reproche, la juge en chef a conclu que ce principe n’a pas été simplement circonscrit dans le cas de la LIPR : « Il a été vidé de sa substance. Comment peut‑on réfuter des allégations dont on ignore tout? » (paragraphe 64). [Non souligné dans l’original]

 

La requête en suspension ou en ajournement

(1) La position des parties

a) Le demandeur

 

[45]      L’avocat de M. Harkat soulève trois points principaux qui selon lui militent en faveur de l’ajournement ou de la suspension de la procédure de contrôle judiciaire se rapportant à l’avis du représentant du ministre.

 

[46]      D’abord, il fait valoir que le représentant s’est fondé sur les preuves confidentielles dont la juge Dawson était saisie quand elle a examiné le caractère raisonnable du certificat de sécurité visant M. Harkat était raisonnable, ou non, et qu’il s’est fondé également sur les preuves confidentielles actualisées dont j’étais saisi lors de la première tentative de M. Harkat d’obtenir sa mise en liberté.

 

[47]      Deuxièmement, il soutient que les preuves dont disposait le représentant concernant M. Harkat ont été jugées insuffisantes aux fins du processus de contrôle des certificats de sécurité dont parle la Loi, et jugées contraires à l’article 7 de la Charte par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Charkaoui, précité. Il a rappelé que l’avis du représentant avait été émis avant l’arrêt de février 2007 de la Cour suprême du Canada. L’avocat de M. Harkat fait valoir que l’avis du représentant, qui porte la date de juillet 2006, ne saurait servir de fondement à son avis de dangerosité, et que sa mise en balance du danger que constitue M. Harkat et des risques qu’il court en cas de renvoi ne permet pas de conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles.

 

[48]      Troisièmement, l’avocat de M. Harkat a passé en revue la jurisprudence où la Cour suprême du Canada a suspendu la prise d’effet de la déclaration d’invalidité, ajoutant que, dans le cas de M. Harkat, la suspension avait un objet restreint et que la déclaration d’invalidité avait forcément pour effet d’empêcher le gouvernement fédéral de persister à vouloir renvoyer du Canada M. Harkat.

 

(2) La position des ministres

[49]      L’avocat des ministres fait valoir que la demande de contrôle judiciaire devait suivre son cours puisque, comme on peut le lire dans l’arrêt Suresh, précité, elle constitue l’étape finale de la procédure d’expulsion de M. Harkat. Sa position est la suivante.

 

[50]      D’abord, il soutient que la jurisprudence Charkaoui, précitée, concerne le processus de contrôle des certificats de sécurité, un processus qui ne saurait être confondu avec l’affaire dont la Cour est aujourd’hui saisie – une demande de contrôle judiciaire tendant à faire annuler l’avis du représentant selon lequel M. Harkat constitue un danger pour la sécurité du Canada et ne doit donc pas être autorisé à rester au Canada.

 

[51]      Deuxièmement, il soutient que la jurisprudence Suresh, précitée, est déterminante, parce que cet arrêt portait sur un avis de dangerosité et que la Cour suprême du Canada a établi les paramètres de l’équité procédurale qui sont applicables dans les cas de ce genre : nul droit d’être entendu, et protection des preuves confidentielles, avec norme de contrôle caractérisée par un degré élevé de retenue, à savoir celle de la décision manifestement déraisonnable, dont le critère consiste à se demander si l’avis du représentant est entaché d’arbitraire ou de mauvaise foi, n’est pas autorisé par la preuve ou repose sur des facteurs hors de propos. La Cour suprême du Canada a ajouté que, dans la procédure de contrôle judiciaire visant à faire annuler l’avis du représentant, la Cour fédérale doit s’abstenir d’apprécier à nouveau les facteurs ou même d’intervenir au seul motif qu’elle aurait tiré une conclusion autre.

 

[52]      Troisièmement, l’avocat des ministres a soutenu qu’on ne saurait raisonnablement soutenir que les preuves que le représentant avait devant lui sont en l’espèce insuffisantes, la Cour suprême du Canada ayant jugé, dans l’arrêt Suresh, précité, que les documents confidentiels touchant la sécurité n’avaient pas à être communiqués à la personne concernée par l’avis du représentant. Selon l’avocat des ministres, M. Harkat est en possession de renseignements suffisants au respect des principes de justice fondamentale auxquels est soumise une juridiction administrative, et en possession de renseignements suffisants pour faire valoir que l’avis du représentant doit être annulée au motif qu’il aurait commis une erreur de droit, compte tenu des facteurs énoncés dans l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Sur ce point, il fait la distinction entre le processus de contrôle des certificats de sécurité et la conclusion selon laquelle une personne constitue un danger pour la sécurité du Canada.

 

[53]      Finalement, l’avocat des ministres dit que M. Harkat ne répond à aucun des trois volets du critère de l’octroi d’une suspension ou d’un ajournement, à savoir la question sérieuse, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

 

Analyse

[54]      À mon avis, je peux statuer sur la requête du demandeur en répondant à la question suivante : celui‑ci remplit‑il les conditions de suspension ou d’ajournement, plus précisément les conditions du critère à trois volets explicité par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR McDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311? Il ne m’est pas nécessaire de me pencher sur la question de savoir si le paragraphe 399(2) des Règles offrirait au demandeur le même recours.

 

[55]      Les trois volets du critère explicité dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc., précité, sont bien connus : (1) l’existence d’une question sérieuse à trancher, (2) la preuve d’un préjudice irréparable, et (3) la prépondérance des inconvénients. Pour obtenir la suspension ou l’ajournement, le demandeur doit répondre aux trois volets du critère.

 

[56]      Je suis d’avis de suivre le critère de la jurisprudence RJR‑MacDonald parce que, en fin de compte, M. Harkat demande le sursis temporaire à l’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, et l’ordonnance de la Cour équivaut à ce sursis d’exécution.

 

[57]      Je voudrais souligner l’objet restreint de la requête que j’ai devant moi. M. Harkat ne cherche pas à priver de toute substance l’avis du représentant. L’avis du représentant conservera encore son effet si la requête en suspension de l’instance est accordée. L’objet de sa requête en suspension est de faire reporter l’audition de la demande de contrôle judiciaire tendant à l’annulation de l’avis du représentant selon lequel M. Harkat constitue un danger pour la sécurité du Canada et ne doit pas être autorisé à rester dans ce pays. Comme je l’ai dit, il demande que l’instance soit reportée jusqu’à ce que le législateur ait choisi un nouveau processus de contrôle des certificats de sécurité qui serait conforme à l’arrêt Charkaoui de la Cour suprême du Canada. J’énonce les facteurs suivants, qui constituent les paramètres de ma décision concernant cette requête.

 

[58]      D’abord, comme on peut le lire dans l’arrêt Suresh, précité, l’avis du représentant constitue la dernière étape requise pour qu’il soit donné effet à l’expulsion de M. Harkat du Canada. Les conséquences de cet avis sont pour lui très graves. Par ailleurs, les conclusions tirées à son encontre sont tout aussi graves, parce que le représentant du ministre a jugé qu’il était un membre important d’une organisation terroriste. Dans un pourvoi auquel s’est joint M. Harkat pour contester la constitutionnalité du processus de contrôle des certificats de sécurité prévu par la Loi, la Cour suprême du Canada a jugé que ce processus avait des carences, parce que l’importance accordée aux preuves confidentielles examinées par un juge désigné de la Cour fédérale au cours d’une audience à huis clos et ex parte, sans la présence d’un agent indépendant chargé de veiller à l’intérêt de M. Harkat, avait pour effet de porter atteinte aux principes de justice fondamentale de la manière décrite ci‑dessus. Je conviens cependant, avec les avocats des ministres, que la Cour suprême du Canada a surtout porté son attention sur la manière dont la cueillette de la preuve s’est déroulée et sur la manière dont la preuve était évaluée aux termes des dispositions contestées de la Loi. Il n’était donc pas nécessaire pour la Cour suprême du Canada d’examiner les preuves confidentielles. Tel était également le cas dans l’arrêt Suresh, précité (voir paragraphe 27).

 

[59]      Deuxièmement, selon la Cour suprême du Canada, la manière dont les preuves ont été recueillies et appréciées dans le cas de M. Harkat, ainsi que dans le cas des deux autres appelants, était néanmoins entachée de graves carences qui ont nui à la manifestation de la vérité. Les carences suivantes ont été signalées : il est possible que les preuves existantes n’aient pas toutes été produites au juge désigné, et il est possible qu’une partie seulement des preuves pertinentes lui ait été produite, de telle sorte que, en définitive, « on ne peut jamais avoir la certitude que le juge a pu prendre connaissance de tous les faits ». En outre, la Cour suprême du Canada a jugé que, sans une divulgation des preuves et la pleine participation de l’intéressé, M. Harkat n’avait sans doute pas été en position de défendre pleinement sa thèse. Autre élément tout aussi important : il n’avait pu prendre connaissance des faits qu’on lui reprochait, de sorte qu’il n’était pas en mesure « de corriger les erreurs, relever les omissions, attaquer la crédibilité des informateurs ou réfuter les faussetés ». Une autre conséquence est que, si M. Harkat n’avait pas connaissance des faits qu’on lui reprochait, cela a pu nuire à l’appréciation par le juge quant au caractère suffisant ou fiable des renseignements dont il disposait; ce dernier s’est retrouvé à trancher des questions en se fondant sur des renseignements incomplets et sans doute peu fiables.

 

[60]      Troisièmement, il ne fait aucun doute que le représentant s’est fondé sur d’importantes preuves confidentielles recueillies et évaluées à la faveur du processus de contrôle des certificats de sécurité, processus qui, selon la Cour suprême du Canada, portait atteinte aux droits garantis à M. Harkat par l’article 7 de la Charte. Ces preuves confidentielles ont été importantes et décisives dans le travail de recherche des faits effectué par le représentant. Il ressort clairement du paragraphe 31 de l’arrêt Suresh, précité, que l’analyse du représentant quant à savoir si M. Harkat constituait un danger pour la sécurité du Canada est « largement contextuelle et tributaire des faits ». En fin de compte, l’arrêt de la Cour suprême du Canada a largement rejeté le processus de recherche des faits suivi pour savoir si le certificat de sécurité est ou non raisonnable. C’est la raison pour laquelle la Cour suprême du Canada a essentiellement ordonné la tenue d’un nouveau procès pour M. Harkat et M. Almrei. Il est clair que, selon la position de la Cour suprême du Canada, le représentant s’est fondé, pour établir les faits, sur un processus défectueux de collecte et d’évaluation des preuves.

 

[61]      Quatrièmement, tout en suspendant la prise d’effet de sa déclaration d’invalidité de certaines portions de la Loi, la Cour suprême du Canada a accordé à M. Harkat et autres une mesure réparatrice sanctionnant l’atteinte à ses droits garantis par la Charte. Comme je l’ai dit plus haut, lorsqu’on lit dans son entier le paragraphe 140 des motifs exposés par la juge en chef dans l’arrêt Charkaoui, précité, on constate que la Cour suprême a essentiellement ordonné l’adoption d’un nouveau processus de contrôle des certificats de sécurité visant M. Harkat. Il est utile à ce stade de reproduire encore une fois le paragraphe 140 de l’arrêt Charkaoui :

140          En revanche, pour donner au législateur le temps de modifier la loi, je suis d’avis de suspendre la prise d’effet de cette déclaration pour une période de un an à compter de la date du présent jugement. Si le gouvernement décide de faire examiner le caractère raisonnable du certificat visant M. Charkaoui pendant cette période, la procédure existante prévue par la LIPR s’appliquera. Après cette période de un an, les certificats visant M. Harkat et M. Almrei (et tous les autres certificats jugés raisonnables) perdront le caractère « raisonnable » qui leur a été reconnu et les personnes désignées dans ces certificats pourront en demander l’annulation. Si le gouvernement veut utiliser un certificat après cette période de un an, il devra le soumettre au nouveau processus conçu par le législateur pour en faire confirmer le caractère raisonnable. De même, tout contrôle d’une détention postérieur à l’expiration de cette période sera effectué en conformité avec ce nouveau processus.

 

[62]      Comme on le voit, le législateur devra, en ce qui concerne l’étape de la recherche des faits, instituer un nouveau processus de contrôle des certificats de sécurité, plus susceptible de protéger les droits de M. Harkat, mais tout en reconnaissant la nécessité de protéger les preuves dont la divulgation serait préjudiciable à la sécurité du Canada ou d’autrui. La Cour suprême a dit que, après une année, le certificat de sécurité délivré contre M. Harkat, certificat qui avait été déclaré raisonnable, cesserait d’être raisonnable, et qu’il serait loisible à M. Harkat d’en demander l’annulation. Cela signifie que, le 24 février 2008, les ministres n’auront plus le pouvoir de procéder au renvoi de M. Harkat au titre du certificat existant, et cela parce qu’il est nécessaire qu’il soit raisonnable pour constituer une mesure valide de renvoi. Finalement, la Cour suprême du Canada a jouté que « si le gouvernement veut utiliser un certificat après cette période d’un an, il devra le soumettre au nouveau processus conçu par le législateur pour en faire confirmer le caractère raisonnable », et cela afin que soient mieux protégés les droits de M. Harkat.

 

[63]      Finalement, je n’accepte pas l’argument de l’avocat des ministres selon lequel les ministres doivent mettre tout en œuvre aujourd’hui pour expulser M. Harkat, faute de quoi la capacité du gouvernement de détenir M. Harkat ou de le laisser en liberté moyennant des conditions rigoureuses s’en trouverait amoindrie. À mon avis, la détention de M. Harkat est légale durant la suspension d’un an de la prise d’effet de la déclaration d’invalidité, et cela parce que la validité du certificat de sécurité délivré contre M. Harkat, certificat qui fonde légalement sa détention, n’est pas réduite (voir le paragraphe 82(2) de la Loi). Par ailleurs, au paragraphe 123 de l’arrêt Charkaoui, la Cour suprême du Canada a conclu « que les longues périodes de détention avant le renvoi prévues par les dispositions de la LIPR relatives au certificat ne contreviennent pas aux articles 7 ou 12 de la Charte, pourvu que le juge qui procède au contrôle suive les lignes directrices énoncées précédemment [pour le contrôle de la détention] ». Après le délai d’un an, le certificat devra quand même être annulé pour qu’il perde sa valeur en tant qu’instrument justifiant la détention. La Cour suprême du Canada a donné au législateur un certain temps pour agir durant la période de suspension de la prise d’effet de sa déclaration d’invalidité. Dans l’intervalle, M. Harkat a été mis en liberté moyennant de rigoureuses conditions dont la violation entraînera automatiquement sa nouvelle arrestation : voir l’arrêt Charkaoui, au paragraphe 103. Lorsqu’ils ont fixé les conditions de sa mise en liberté, la juge Dawson et le juge Noël étaient d’avis que lesdites conditions étaient proportionnelles au risque que M. Harkat posait pour la sécurité du Canada et qu’elles avaient pour effet de neutraliser ce risque.

 

Dispositif

 

[64]      L’octroi de la suspension provisoire demandé par M. Harkat relève d’une décision discrétionnaire qui doit être prise conformément aux principes applicables. En l’espèce, comme je l’ai dit, c’est le critère exposé dans l’arrêt RJR‑MacDonald qu’il faut appliquer. Pour les motifs énoncés ci‑après, je suis arrivé à la conclusion que M. Harkat répond aux trois conditions requises pour obtenir une suspension de l’instance.

 

a) Question sérieuse

 

[65]      Je suis d’avis que le demandeur a soulevé une ou plusieurs questions sérieuses dans le contexte de cette requête en suspension d’instance. L’une de ces questions est la portée de la mesure réparatrice accordée à M. Harkat par la Cour suprême du Canada, puisqu’il a obtenu gain de cause dans son pourvoi et puisque la Cour suprême a suspendu pour un an la prise d’effet de sa déclaration d’invalidité des dispositions concernées.

 

[66]      En d’autres termes, la question posée est de savoir s’il est utile que la Cour se livre au contrôle judiciaire de l’avis du représentant alors que les principales conclusions factuelles du représentant étaient le résultat direct d’un processus vicié de collecte et d’évaluation des preuves entrepris lors du contrôle du certificat de sécurité. À mon avis, il s’agit là de questions sérieuses.

 

b) Préjudice irréparable

 

[67]      Le demandeur m’a convaincu qu’il subirait un préjudice irréparable si la suspension qu’il demande ne lui était pas accordée. L’une des questions essentielles soulevées dans la demande de contrôle judiciaire est de savoir si les preuves dont le représentant était saisi appuient d’une manière non arbitraire ou non abusive l’avis qu’il a émis. Si elle n’est pas suspendue, cette procédure de contrôle judiciaire suivrait nécessairement son cours en fonction de preuves qui, selon la Cour suprême du Canada, ont été imparfaitement recueillies et évaluées. La procédure de contrôle judiciaire se déroulerait au mépris de l’enseignement de la plus haute juridiction du Canada, pour qui les droits garantis à M. Harkat par la Charte ont été violés. Une telle procédure se déroulerait au mépris du fait que la Cour suprême du Canada a accordé à M. Harkat une mesure réparatrice, à savoir le nouveau contrôle du certificat de sécurité délivré contre lui, contrôle qui devra se faire d’après un nouveau processus défini par le législateur, et plus susceptible de protéger les droits fondamentaux de M. Harkat.

 

[68]      Au pis aller, et l’avocat des ministres n’a pas sérieusement contesté cette proposition, si M. Harkat était expulsé vers l’Algérie au cours de la période de suspension d’un an de la prise d’effet de la déclaration d’invalidité, le redressement prononcé par la Cour suprême du Canada pour corriger la violation des droits fondamentaux de M. Harkat serait illusoire.

 

c) Prépondérance des inconvénients

 

[69]      Selon le critère de la prépondérance des inconvénients, il faut se demander laquelle des deux parties subira le préjudice le plus grand par suite de l’octroi ou du refus de la suspension provisoire, jusqu’à ce que soit rendue une décision au fond.

 

[70]      Je conclus que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la position du demandeur. J’ai conclu que M. Harkat subira un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée. Je ne vois aucune raison de laisser cette procédure de contrôle judiciaire suivre son cours à l’heure actuelle.

 

[71]      Je rejette entièrement l’argument de l’avocat des ministres selon lequel la Cour devrait dès maintenant statuer sur certaines des questions que le demandeur a soulevées dans sa demande d’autorisation, par exemple celle de savoir si le représentant a appliqué la bonne norme de preuve pour appliquer la probabilité qu’il soit exposé à la torture ou à des traitements cruels et inusités en cas de renvoi en Algérie.

 

[72]      Je ne vois aucune raison d’engager à ce stade une procédure de contrôle aussi restreinte car ce serait inutilement la tronquer et donnerait lieu à un gaspillage de ressources rares, notamment judiciaires. Je conclus qu’il vaut mieux que toutes les questions soulevées par le demandeur à l’égard de l’avis du représentant soient étudiées en même temps, en fonction de faits plus solides, comme l’a édicté la Cour suprême du Canada.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La procédure de contrôle judiciaire est suspendue sine die, jusqu’à ce que le législateur ait adopté un nouveau processus de contrôle des certificats de sécurité. Le demandeur n’a pas sollicité les dépens de cette requête.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4184‑06

 

INTITULÉ :                                                   MOHAMED HARKAT c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 mai 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le11 mai 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul D. Copeland

Matthew Webber                                             pour le demandeur

 

Donald A. MacIntosh

David Tyndale                                                  Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Webber                                             Pour le demandeur

Webber, Schroeder

Avocats

220, rue Elgin, 2e étage

Ottawa (Ontario)  K2P 1L7

Téléphone : (613) 860‑1449

 

Paul D. Copeland                                             Pour le demandeur

Copeland, Duncan

Avocats

31, avenue Prince Arthur

Toronto (Ontario)  M5R 1B2

Téléphone : (613) 964‑8126, poste 142

 

John H. Sims, c.r.                                             Pour les défendeurs

Sous‑procureur général du Canada

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