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Date : 20070529

Dossier : IMM-4760-06

Référence : 2007 CF 522 

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

 

MENZIES MANKA

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Le véritable amour peut-il exister entre une femme âgée née au Canada et un jeune demandeur d’asile débouté? En l’espèce, il s’agit d’une autre affaire où la présente Cour a été appelée à réexaminer la décision d’une agente des visas par laquelle celle-ci a refusé une demande de parrainage conjugal. Selon l’agente, il y avait lieu de croire que M. Manka, l’étranger, ne devait pas être considéré comme un époux et, par conséquent, comme un membre de la catégorie du regroupement familial, du fait que, pour reprendre les termes de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), son mariage n’était « […] pas authentique et vis[ait] principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ».

 

[2]               Le demandeur, citoyen du Zimbabwe, est arrivé au Canada en novembre 2001. Sa demande d’asile a été rejetée en avril 2003. Rien n’indique qu’il a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision ou qu’il a sollicité un examen des risques avant renvoi. De toute façon, il y a actuellement une interdiction ministérielle de renvoyer au Zimbabwe les demandeurs d’asile déboutés.

 

[3]               M. Manka a rencontré son épouse environ deux semaines avant que la décision défavorable à son égard soit rendue. Ils se sont mariés un an plus tard, en avril 2004, mais l’épouse a seulement présenté une demande de parrainage à l’égard de M. Manka après environ 18 mois. L’agente des visas a fait état d’un certain nombre de facteurs sur lesquels elle s’était fondée pour tirer sa conclusion selon laquelle le mariage n’était pas authentique. Un de ces facteurs était le fait que M. Manka avait déjà été marié au Zimbabwe et que l’agente n’était pas convaincue de la validité du certificat de divorce fourni. On ne peut pas être considéré comme un époux en vertu du Règlement si on est déjà marié.

 

[4]               Bien qu’elle soit convaincue que M. Manka et son épouse vivaient sous le même toit, l’agente ne croyait pas qu’ils entretenaient une relation intime, en raison de contradictions au sujet des détails sur leur vie quotidienne et leurs arrangements financiers.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[5]               Les questions sont les suivantes :

a.       La norme de contrôle;

b.      Qu’est-ce qui constituait la décision?

c.       Le divorce;

d.      La vie quotidienne en tant que mariés;

e.       La preuve de partialité réelle.

 

a. La norme de contrôle

[6]               Bien que l’arrêt Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404 indique que chaque décision administrative doit être examinée en contexte, je pars du principe que les questions en l’espèce devraient faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, laquelle est la plus difficile à prouver pour M. Manka. Je crois toujours que la décision a été fondée sur des conjectures et non des inférences, et qu’elle doit donc être jugée manifestement déraisonnable.

 

b. Qu’est-ce qui constituait la décision?

[7]               Il existe un débat important entourant le fait que lorsque M. Manka a demandé à recevoir la décision rendue, il a reçu une page. Plus tard, le défendeur lui a remis les notes de l’agente qui ont mené à la décision. Il n’est pas nécessaire de déterminer si les notes de l’entrevue faisaient partie de la décision, ou si elles étaient distinctes et indépendantes, semblables à une transcription. D’une manière ou d’une autre, elles devaient faire partie du dossier du tribunal et elles établissent amplement que les conclusions de l’agente des visas n’étaient pas fondées sur des inférences factuelles.

 

c. Le divorce

[8]               L’agente des visas était préoccupée par le fait que le certificat de divorce n’était pas signé et qu’il prévoyait aussi que toutes les questions accessoires à celui-ci seraient tranchées dans [traduction] « l’affaire principale ». M. Manka avait fourni une copie certifiée du certificat de divorce signé par le greffier de la Haute Cour du Zimbabwe. Il s’agit exactement du type de document qu’on recevrait au Canada. Bien que le demandeur, qui ne se trouvait pas au Zimbabwe au moment du divorce, ne savait pas ce que signifiait l’expression [traduction] « questions accessoires », l’ordonnance indique clairement [traduction] « qu’une mesure de divorce existe et est accordée ». Il existe une présomption voulant qu’un document qui provient d’autorités étrangères soit ce qu’il est censé être. Il n’y avait absolument aucun fondement qui permettait de tirer une inférence selon laquelle le divorce n’était pas authentique.

 

d. La vie quotidienne en tant que mariés

[9]               Je ne crois pas qu’il faille attacher beaucoup d’importance à la différence d’opinion des mariés quant à savoir si cinq ou six personnes étaient présentes à la cérémonie de mariage!

 

[10]           L’agente était préoccupée par le fait que, bien que les mariés avaient une carte de crédit conjointe, ils n’avaient pas fourni de preuve documentaire établissant qu’ils possédaient un compte bancaire commun et que leurs actifs étaient autrement confondus. Il existe diverses façons d’organiser des comptes bancaires, mais aucune qui permettrait de conclure qu’ils n’entretenaient pas une relation intime. Comme ils se sont mariés au Québec, leurs actifs après mariage étaient détenus en copropriété en raison du régime matrimonial régissant la société des acquêts. Aucune question n’a été soulevée à ce titre. Même s’ils avaient signé un contrat de mariage et choisi d’adhérer au régime conventionnel de séparation des biens, aucune inférence défavorable ne pouvait en être tirée.

 

[11]           L’agente avait demandé aux mariés de lui fournir des formulaires d’impôt, ce qu’ils ont fait, mais elle était contrariée par le fait qu’ils ne lui avaient pas fourni le formulaire qu’elle voulait. Elle aurait dû leur indiquer précisément ce qu’elle voulait, au lieu de conclure que le mariage des parties en était un de convenance.

 

[12]           Le dossier révèle que des questions portant à confusion ont été posées aux époux séparément quant à l’endroit où ils gardaient leur monnaie. L’agente semblait penser qu’ils auraient un pot commun. L’épouse a indiqué qu’elle gardait sa monnaie dans la cuisine, alors que l’époux a indiqué qu’il gardait la sienne sur la commode. Il n’y a aucune contradiction dans ces faits.

 

[13]           M. Manka avait apparemment oublié des détails au sujet d’un voyage à Ottawa. Il semble que le couple se rendait régulièrement à Ottawa. Un trou de mémoire au sujet d’une question insignifiante est en soi insignifiant.

 

[14]           Enfin, M. Manka a menti. Il a indiqué qu’il avait quitté son emploi, alors qu’il avait en fait été congédié. C’est son épouse qui a indiqué à l’agente des visas qu’il avait été congédié. L’épouse était au courant de ce congédiement, car elle avait trouvé une note à ce sujet en vidant les poches des pantalons de M. Manka avant de les laver. Il s’agissait là d’un geste évident d’intimité.

 

[15]           Le fait que le demandeur a menti au sujet de son emploi n’était pas pertinent quant à la question de savoir si le mariage était authentique. Le mensonge devait avoir une certaine pertinence dans la présente affaire (Awuah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1873 (QL); Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1195).

 

[16]           Pour ces motifs, je conclus que la décision de l’agente était fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

e. Preuve de partialité réelle

[17]           M. Manka allègue maintenant que, lors de son entrevue, le 1er août 2006, qui s’est déroulée en l’absence de son épouse, l’agente lui aurait dit qu’elle [traduction] « ne fai[sai]t pas confiance aux personnes noires ». Deux semaines plus tard, il a reçu l’avis lui annonçant la décision défavorable. L’agente conteste cette allégation avec véhémence. Elle indique avoir dit à M. Manka que c’est à lui qu’elle ne faisait pas confiance, puisqu’il avait menti au sujet de son emploi.

 

[18]           Il n’est pas nécessaire que je me prononce sur cette allégation de partialité réelle, sauf pour souligner le fait qu’elle a seulement été présentée après que la décision défavorable eut été rendue.

 

[19]           Le ministre a jusqu’au 24 mai 2007 pour proposer une question aux fins de certification, et le demandeur a jusqu’au 29 mai 2007 pour y répondre.

 

PAR LA SUITE

[20]           Les parties ont initialement été informées des présents motifs le 16 mai 2007. Le ministre a par la suite indiqué au greffe qu’il ne proposerait aucune question de portée générale aux fins de certification. Les présents motifs sont donc les mêmes que lorsqu’ils ont initialement été prononcés, si ce n’est que j’en ai profité pour corriger un lapsus au paragraphe [19] et pour y ajouter l’ordonnance suivante.

ORDONNANCE

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il statue à nouveau sur elle. Il n’y a aucune question de portée générale aux fins de certification.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4760-06

 

INTITULÉ :                                       MENZIES MANKA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 MAI 2007

                                                            MODIFIÉS LE 29 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jarred Will

 

POUR LE DEMANDEUR

Christine Bernard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jarred Will

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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