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Date : 20070517

Dossier : IMM-4158-06

Référence : 2007 CF 520

 

 

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF

 

ENTRE :

TEDLA ADINEW

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               En 1991, le demandeur, âgé à ce moment‑là de 9 ans, est arrivé au Canada en provenance de l’Éthiopie en tant que réfugié au sens de la Convention. Il est entré au Canada avec sa mère et sa sœur.

 

[2]               Le 18 juin 2001, le demandeur a été déclaré coupable de voies de fait graves; il était alors un résident permanent au Canada. Il a été condamné à une peine d’incarcération de quatre ans. La sentence tenait compte des onze mois passés en détention par le demandeur avant son procès.

 

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire conteste l’avis formulé par la déléguée du ministre le 24 août 2005 selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public canadien, au sens de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que le demandeur n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur susceptible de révision dans les quatre questions soulevées en l’espèce, dont les deux premières ont trait à l’équité procédurale.

 

i)          La déléguée du ministre a-t-elle violé les principes d’équité procédurale en n’accordant que quinze jours au demandeur pour répondre?

 

[4]               Le 20 mai 2003 et le 27 juin 2003, des lettres signées par l’un des représentants du défendeur dans le cadre du processus de l’avis de danger ont été envoyées au demandeur à l’établissement Joyceville où il était incarcéré. Le demandeur s’est vu donner la possibilité de présenter des observations sur l’avis de danger [traduction] « dans les quinze jours suivant la réception » des lettres. Le demandeur, semble-t-il, a refusé d’accuser réception des documents par écrit parce qu’il [traduction] « ne comprenait pas vraiment ».

 

[5]               Le 9 juillet 2003 et le 23 juillet 2003, des réponses ont été transmises au nom du demandeur par une représentante de la John Howard Society (JHS) à Kingston. La représentante était la conseillère des services en établissement; elle avait fait la connaissance du demandeur au début de 2003.

 

[6]               Dans sa lettre du 9 juillet 2003, la représentante de la JHS déclare que depuis sa première rencontre avec le demandeur, ils ont eu plusieurs entretiens [traduction] « […] et discuté de ses plans de mise en liberté et de la possibilité d’une expulsion vers l’Éthiopie. Bien que ses premières années d’incarcération n’aient pas été exemplaires, M. Adinew a fait un véritable effort pour changer de vie et conçoit actuellement un plan de mise en liberté dans la région de Toronto où il bénéficierait des conseils et du soutien de sa famille. » [Non souligné dans l’original.]

 

[7]               Le 23 juillet 2003, le deuxième envoi de la représentante de la JHS comprenait une lettre de cinq pages signée par le demandeur et des lettres d’appui de sa mère, qui était prête à l’embaucher dans son restaurant lors de sa mise en liberté. Cette lettre a été acceptée par le défendeur bien qu’elle eût été reçue quelques jours après la période de quinze jours imposée par la lettre du 27 juin 2003.

 

[8]               Les faits exposés par le demandeur concernant la période de quinze jours sont fondés sur son incarcération au moment où le processus de l’avis de danger était en cours, son bas niveau de scolarité (il a cessé ses études en neuvième année) et sur le fait qu’aucun avocat n’a présenté d’observations pour son compte. La jurisprudence soumise par le demandeur à l’appui de sa position se limitait à l’assertion du principe général audi alteram partem.

 

[9]               Le défendeur s’appuie sur le contre-interrogatoire du demandeur dans lequel ce dernier a admis qu’il pouvait communiquer avec sa famille et utiliser les services de téléphone et de bibliothèque lorsqu’il a reçu les lettres du 20 mai et du 27 juin 2003. Il avait déjà téléphoné à un avocat pendant qu’il était en incarcération pour une autre affaire que son statut d’immigrant. La lettre du 9 juillet 2003 de la représentante de la JHS confirme qu’elle a discuté avec le demandeur de la possibilité qu’il soit expulsé vers l’Éthiopie, une possibilité dont les lettres du 20 mai et du 27 juin 2003 faisaient état.

 

[10]           L’avis de danger a seulement été signé en août 2005, environ deux ans après le début du processus en 2003. Au cours de cette période, il n’y a aucune preuve démontrant que le demandeur ait fait d’autres tentatives pour déposer des observations.

 

[11]           Dans la décision Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1043 (1re instance), au paragraphe 7, confirmée par 2001 CAF 113, au paragraphe 12, ni le juge de première instance ni la Cour d’appel n’a jugé que la période de quinze jours accordée pour répondre ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’équité procédurale. Cependant, il faut savoir qu’il ne s’agissait pas du nœud du litige.

 

[12]           En l’espèce, le demandeur n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi une période de réponse plus longue aurait pu avoir un véritable effet sur la question d’équité procédurale. Le premier argument du demandeur ne peut donc être retenu.

 

ii)         La déléguée du ministre a-t-elle violé les principes d’équité procédurale en omettant de communiquer tous les documents sur lesquels on allait se fonder? 

 

[13]           La lettre du défendeur du 27 juin 2003 comportait la déclaration suivante : 

[traduction] Dans le cadre du présent processus, vous trouverez ci‑joint une copie du Rapport relatif à l’avis ministériel et du document intitulé Demande d’avis du ministre ainsi que des documents suivants : 

 

·        un document intitulé Country Reports on Human Rights Practices, publié par le Département d’État des États-Unis;

·        un document faisant le point sur les développements régionaux en Afrique, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

 

 

[14]           Ni l’un ni l’autre de ces documents n’était joint à la lettre, bien que de longs passages en furent repris dans le document intitulé Demande d’avis du ministre. Le défendeur a établi qu’il est facile de consulter ces deux documents sur Internet et que la Cour peut admettre d’office que ce type d’éléments de preuve sur la situation dans un pays peuvent être tirés d’autres sources publiques.

 

[15]           Dans l’arrêt Chu, susmentionné, au paragraphe 10, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les documents présentés au décideur par d’autres représentants agissant au nom du défendeur doivent, règle générale, être communiqués « ou à tout le moins identifiés expressément s’ils sont accessibles à tous ».  Le même principe est repris dans la décision Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 120 (1re instance), confirmée par [1998] A.C.F. no 565 (C.A.). Il n’y pas lieu de faire une distinction entre la présente instance et la jurisprudence sur laquelle s’est fondé le défendeur.

 

 

 

 

iii)         La déléguée du ministre a-t-elle correctement évalué l’information sur le pays?

 

[16]           Le demandeur reconnaît que la contestation dans la présente demande de contrôle judiciaire était fondée principalement sur l’équité procédurale. Cependant, dans ses quelques observations orales et écrites, le demandeur a laissé entendre que le décideur avait commis une erreur en évaluant le risque du retour en Éthiopie. Sur ce point, le demandeur reconnaît que la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable. Dans le contexte de la présente affaire, je suis d’accord et, à mon avis, le demandeur n’a aucunement réussi à démontrer l’existence d’une erreur susceptible de révision sur cette question.

 

iv)        Est-ce à bon droit et à juste titre que la déléguée du ministre a pris en compte le dossier de jeune contrevenant du demandeur pour décider s’il constituait un danger pour le public canadien?

 

 

[17]           Dans la partie « raisonnement » de son avis, la déléguée du ministre a cité le passage suivant des motifs de la sentence rendue par la Cour de justice de l’Ontario : [traduction] « [M. Adinew] a un dossier de jeune contrevenant; il ne s’agit donc pas de sa première expérience avec l’appareil judiciaire ou le régime de justice pénale. » L’avis de danger formulé ne mentionne aucune procédure particulière intentée en application de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, ni aucun rapport correctionnel évoqué ou remarque faite à l’occasion d’une sentence concernant une poursuite en vertu de cette loi.

 

[18]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. En réponse à la demande présentée par l’avocat du demandeur, M. Adinew disposera de sept jours à compter de la date des présents motifs pour signifier et déposer des observations, s’il décide de le faire, quant à la certification d’une question grave de portée générale. Le défendeur disposera dès lors de sept jours pour répondre.

 

 

 

 

 « Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-4158-06

 

INTITULÉ :                                                                           TEDLA ADINEW

                                                                                                c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET  

                                                                                                DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 10 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 17 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

YEHUDA LEVINSON

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN PROVART

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEVINSON & ASSOCIATES

AVOCATS

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

POUR LE DÉFENDEUR

                                               

 

 

 

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