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Date : 20070516

Dossier : IMM-6426-05

Référence : 2007 CF 527

Toronto (Ontario), le 16 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

KIRSTENA KUSHIL NAIDU

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 16 septembre 2005, de confirmer la décision d’un agent des visas selon laquelle la demanderesse ne pouvait pas parrainer son mari parce que leur mariage n’était pas valide.

 

[2]               Kirstena Kushil Naidu, la demanderesse, est une citoyenne canadienne qui a demandé à parrainer son mari, un citoyen de l’Inde. Le couple s’est marié en Inde le 30 avril 2002.

 

[3]               Selon l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), le mariage doit être valide en vertu des lois du lieu où il a été contracté. L’agent des visas a conclu que la demanderesse, qui est chrétienne, ne pouvait pas avoir validement épousé son mari, qui est sikh, en vertu de l’Hindu Marriage Act 1955.

 

[4]               La demanderesse a interjeté appel de la décision de l’agent des visas. Devant la Commission, elle a demandé l’autorisation de produire deux documents en preuve après l’audience, ce que la Commission a refusé.

 

[5]               La Commission a rappelé qu’elle peut, en vertu de l’alinéa 58b) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 (les Règles), modifier une exigence d’une règle, mais elle a décidé qu’elle ne le ferait pas en l’espèce parce que la demanderesse avait été avisée longtemps à l’avance que sa religion était un point en litige et parce que la raison qu’elle a donnée pour expliquer pourquoi les documents n’avaient pas été communiqués plus tôt était totalement insatisfaisante. La Commission a aussi mentionné que la demanderesse était la première responsable de la communication tardive et qu’elle ne subirait aucun préjudice si les documents n’étaient pas admis en preuve.

 

[6]               Après avoir refusé de recevoir les documents, la Commission s’est demandé si la demanderesse avait établi selon la prépondérance des probabilités qu’elle est hindoue (elle aurait alors pu épouser validement son mari). Elle a rappelé que la demanderesse et son mari avaient tous deux dit dans leur témoignage qu’elle était hindoue et que ces témoignages n’avaient pas été contredits ou mis en doute pendant l’audience, si ce n’est par les notes versées dans le CAIPS.

 

[7]               D’après les notes versées dans le CAIPS, le mari de la demanderesse a déclaré, lors de son entrevue avec l’agent des visas, que sa femme était chrétienne. La Commission a souligné que ces notes ne sont pas rédigées sous serment, mais qu’elles sont recevables et étaient mesurées, détaillées et claires en général. La Commission a également rappelé que les parents de la demanderesse n’avaient pas témoigné, un fait qui pesait contre la demanderesse.

 

[8]               La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était hindoue ou que l’agent des visas avait commis une erreur au sujet de sa religion.

 

Dispositions pertinentes

[9]               La disposition pertinente de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), est libellée comme suit :

175. (1) Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section d’appel de l’immigration  :

[…]

b) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

175. (1) The Immigration Appeal Division, in any proceeding before it,

 (b) is not bound by any legal or technical rules of evidence; and

 

 

[10]           Les dispositions suivantes des Règles sont pertinentes :

30(3) Sous réserve du paragraphe (4), tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard  :

a) soit vingt jours avant l’audience;

[…]

58. La Section peut  :

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie n’ait à lui présenter une demande;

b) modifier une exigence d’une règle;

c) permettre à une partie de ne pas suivre une règle;

d) proroger ou abréger un délai avant ou après son expiration.

 

30(3) Subject to subrule (4), documents provided under this rule must be received by the Division and the other party

(a) no later than 20 days before the hearing; or

58. The Division may

(a) act on its own initiative, without a party having to make an application or request to the Division;

(b) change a requirement of a rule;

(c) excuse a person from a requirement of a rule; and

(d) extend or shorten a time limit, before or after the time limit has passed.

 

 

Questions en litige

[11]           La présente affaire soulève deux questions :

1.      La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant de recevoir les documents après l’audience?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était hindoue?

 

Analyse

i)                    Documents présentés après l’audience

[12]           Je voudrais rappeler d’emblée que la première question a trait à l’équité procédurale et n’est donc assujettie à aucune norme de contrôle :

L’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations.

S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539

 

 

[13]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas respecté son obligation d’équité en refusant de recevoir les documents en preuve et que le paragraphe 175(1) de la Loi accorde à la Commission un large pouvoir discrétionnaire quant à la réception des éléments de preuve.

 

[14]           Même si je suis d’accord avec la demanderesse sur le fait que le paragraphe 175(1) de la Loi investit la Commission d’un large pouvoir discrétionnaire concernant la réception de divers types d’éléments de preuve, cette disposition ne remplace pas les règles de procédure régissant la communication de documents qui sont prévues par les Règles.

 

[15]           En l’espèce, la Commission a reconnu que, selon l’alinéa 58b) des Règles, elle peut changer une exigence d’une règle. Elle a toutefois refusé de le faire pour des raisons très convaincantes, c’est-à-dire parce que la demanderesse avait été avertie longtemps à l’avance que sa religion serait un point en litige dans le cadre de l’appel et qu’elle avait été représentée par un avocat durant tout le processus. En outre, la raison donnée par la demanderesse pour expliquer son retard à produire les documents est manifestement et totalement insuffisante.

 

[16]           Considérant que la demanderesse est la première responsable du retard, et après avoir tenu compte de tous les faits, la Commission a refusé de recevoir les documents après l’audience.

 

[17]           À mon avis, la demanderesse n’a présenté aucun argument convaincant concernant la manière dont la Commission n’a pas respecté son obligation d’équité procédurale à son endroit en décidant de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 58b) des Règles.

 

ii)         Religion de la demanderesse

[18]           La norme de contrôle relative à la deuxième question en litige doit être déterminée au moyen de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Quatre facteurs doivent donc être pris en considération : la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l’objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19).

 

[19]           La Loi ne renferme aucune clause privative ni aucun droit d’appel; ce facteur est donc neutre. La question de savoir si la demanderesse et son mari sont validement mariés est une question mixte de fait et de droit, mais la question spécifique tranchée par la Commission en était une de fait seulement : la demanderesse avait‑elle démontré selon la prépondérance des probabilités qu’elle est hindoue? La Commission possède une plus grande expertise que la Cour pour tirer une telle conclusion factuelle, en particulier en raison de la nature essentiellement testimoniale des éléments de preuve. L’objet des dispositions relatives au parrainage des époux est de faciliter la réunification des familles au Canada et de faire en sorte que seules les relations familiales authentiques soient protégées. Un tel objet polycentrique porte à croire que la décision de la Commission devrait bénéficier d’une grande retenue. Par ailleurs, une conclusion relative à la validité d’un mariage établit les droits d’une personne par rapport à l’État en ce qui concerne le parrainage. Aussi, ce facteur suppose une certaine retenue. Finalement, la question étant de nature factuelle, une plus grande retenue est exigée. Compte tenu de ces facteurs, je conclus que la norme de contrôle appropriée à l’égard de la deuxième question est celle du caractère manifestement déraisonnable.

 

[20]           La demanderesse soutient que la décision de la Commission est contestable pour deux raisons : premièrement, la Commission a accordé plus de poids aux notes versées dans le CAIPS qui n’ont pas été rédigées sous serment qu’aux témoignages faits sous serment par la demanderesse et par son mari; deuxièmement, elle a tiré une conclusion défavorable du fait que les parents de la demanderesse n’avaient pas témoigné.

 

[21]           Le défendeur fait valoir que la Commission pouvait préférer les notes versées dans le CAIPS qui n’ont pas été rédigées sous serment aux témoignages de la demanderesse et de son mari puisqu’il lui appartient de soupeser la preuve. Il a aussi souligné que le témoignage du mari de la demanderesse était vague, dénotait un manque de collaboration et n’était pas crédible. Il a signalé plusieurs occasions où le mari a déclaré ne pas se souvenir de ce qu’il avait dit à l’entrevue.

 

[22]           Le paragraphe 175(1) de la Loi prévoit que la Section d’appel de l’immigration n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve.

 

[23]           Même si les règles de preuve ne permettent pas en général à un décideur d’accorder plus de poids à du ouï-dire qu’à un témoignage fait sous serment qui n’est pas réfuté, il est clair que l’alinéa 175(1)b) visait à donner à la Section d’appel de l’immigration une telle souplesse dans l’appréciation des éléments de preuve. La Commission pouvait accorder plus d’importance aux notes versées dans le CAIPS, et je conclus qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour elle de le faire en l’espèce car ces notes sont détaillées et claires, tandis que le témoignage du mari de la demanderesse était vague.

 

[24]           Quant à la deuxième erreur qu’elle allègue, la demanderesse soutient que la Cour devrait suivre la décision Mui c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 1020, où elle a statué qu’une absence de preuve n’autorise pas une conclusion de non-crédibilité. La décision Mui était également une affaire de parrainage où la Commission avait tiré une conclusion défavorable du fait que la mère de la demanderesse et celle de son mari n’avaient pas témoigné au sujet de l’authenticité du mariage même si elles avaient supposément joué un rôle important dans celui‑ci.

 

[25]           Le défendeur fait valoir qu’il est bien établi en droit de la preuve qu’une conclusion négative peut être tirée de l’omission d’assigner un témoin. Il cite à l’appui de cet argument l’ouvrage Wigmore on Evidence et plusieurs affaires relatives à des lésions corporelles.

 

[26]           Selon l’ouvrage Wigmore on Evidence, l’omission de produire le témoignage d’une personne particulière peut mener à des conclusions défavorables aux deux parties, et la force de ces conclusions dépendra des circonstances (Wigmore, Evidence §288 (rév. Chadbourn 1979)).

 

[27]           De même, l’ouvrage The Law of Evidence in Canada énonce qu’un tribunal peut, en l’absence d’une explication, tirer une conclusion défavorable de l’omission d’une partie de convoquer un témoin qui aurait connaissance des faits et dont on pourrait présumer qu’il serait prêt à aider cette partie (The Law of Evidence in Canada §6.312 (Butterworths Canada Ltd., Markham et Vancouver, 1999)).

 

[28]           Bien que les règles de preuve susmentionnées ne soient pas d’application propre au domaine de l’immigration, je suis convaincue qu’elles peuvent s’appliquer en l’espèce. La Cour est parvenue à une conclusion différente dans la décision Mui en s’appuyant sur des décisions judiciaires ayant trait à des demandes d’asile, où s’applique un principe important : il faut présumer de la véracité des propos faits sous serment par un demandeur d’asile et la véracité des allégations du demandeur ne peut être réfutée au moyen de conclusions défavorables. L’affaire dont je suis saisie ici n’est pas une affaire d’asile, et la Commission pouvait tirer une conclusion défavorable du fait que ni le père ni la mère de la demanderesse n’ont témoigné pour elle. Il est clair que ses parents savent quelle est sa religion, et il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne seraient pas prêts à l’aider. Il n’était donc pas manifestement déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable.

 

[29]           Dans l’ensemble, la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que la Commission a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve, et il n’y a aucune raison qui justifie l’intervention de la Cour.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

                                                                                                        « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

                                                                             

DOSSIER :                                                       IMM-6426-05

 

INTITULÉ :                                                      KIRSTENA KUSHIL NAIDU

                                                                           c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE MARDI 15 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 16 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

         POUR LA DEMANDERESSE

Stephen Gold

         POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

          POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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