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Date : 20070517

Dossier : T-1875-06

Référence : 2007 CF 530

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

AYR MOTOR EXPRESS INC.

demanderesse

et

 

MERRILL MCKAY

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour conserver un emploi, il est déconseillé de traiter le patron d’idiot. Il s’agit là d’une règle particulièrement utile pour un employé dont le dossier n’est pas exemplaire. Telle était la situation dans laquelle se trouvait M. McKay au moment où il a été congédié sommairement le 20 février 2006. 

 

[2]               La question que devait régler l’arbitre nommée en vertu du Code canadien du travail, Christine A. Fagan, c.r. (l’arbitre), était de savoir si la conduite visiblement déplacée de M. McKay constituait un motif justifiant un congédiement. À la suite d’une audience tenue à Woodstock (Nouveau‑Brunswick) le 21 septembre 2006, l’arbitre a conclu que le congédiement de M. McKay n’était pas licite. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur cette décision. 

 

Le contexte

[3]               M. McKay a été embauché comme camionneur par la défenderesse, Ayr Motor Express Inc. (l’entreprise), en novembre 2003. Au cours de sa brève période d’occupation du poste, il a reçu une sanction disciplinaire pour s’être endormi au volant, provoquant ainsi la perte totale du camion et de la remorque de l’entreprise, et par la suite, une autre pour avoir pris un congé de deux semaines non autorisé. Pour chacun des incidents, il a reçu une lettre officielle de réprimande. Bien qu’il fut précisé dans les réprimandes que tout autre comportement semblable ne serait pas toléré, il n’y avait aucun avertissement quant à la possibilité d’un congédiement. 

 

[4]               Il n’est pas contesté que M. McKay a quitté Inglis (Ontario) le 18 février 2006 pour se rendre à Winnipeg. Par la suite, il devait se rendre à Calgary. Une fois à Winnipeg, M. McKay était légalement tenu de se reposer (faire une remise à zéro), soit pendant 24 heures avant de pouvoir poursuivre sa route au Canada, soit pendant 34 heures avant de pouvoir se rendre aux États-Unis. M. McKay a témoigné qu’il avait décidé avec Toby Gerard, le répartiteur de l’entreprise, de se reposer 34 heures au cas où il devrait se rendre aux États-Unis après s’être rendu à Calgary. 

 

[5]               Le président de l’entreprise, Joe Keenan, était fâché d’apprendre que M. McKay n’avait pas quitté Winnipeg tel que prévu au départ. M. Keenan a téléphoné à M. McKay plusieurs fois le 20 février. Lorsqu’il a finalement été en mesure de le joindre, ils se sont disputés. Au cours de leur querelle, M. McKay a traité M. Keenan d’idiot à maintes reprises. Évidemment, M. Keenan n’a pas apprécié ce commentaire et a dit à M. McKay de retirer tous ces effets personnels du camion et de rentrer au Nouveau‑Brunswick. 

 

[6]               M. Keenan a mis fin verbalement à l’emploi de M. McKay le 20 février 2006. Il lui a ensuite envoyé une lettre de congédiement datée du 30 mars 2006. Outre l’acte d’« insubordination » de la part de M. McKay, la lettre de congédiement faisait également mention de l’accident qu’il avait eu et de son congé non autorisé ainsi que du fait qu’il contredisait les répartiteurs de l’entreprise sans raison particulière. 

 

[7]               M. McKay a déposé une plainte en vertu de la section XIV, partie III, du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Il cherche à obtenir une compensation pécuniaire pour des indemnités non payées. L’arbitre a conclu que M. McKay avait fait l’objet d’un congédiement abusif et lui a accordé un (1) mois de salaire en guise de préavis.   

 

La décision de l’arbitre

[8]               L’arbitre a entendu le témoignage de plusieurs témoins, dont M. McKay et M. Keenan. Elle a tiré de nombreuses conclusions de fait importantes grandement en faveur de M. McKay, notamment les suivantes :

a)                  l’entretien téléphonique du 20 février 2006 entre M. Keenan et M. McKay avait été orageux et M. Keenan était [traduction] « furieux » d’apprendre que M. McKay  n’avait pas quitté Winnipeg au moment prévu;

b)                  M. McKay avait décidé avec le répartiteur de l’entreprise de se reposer plus longuement à Winnipeg et M. Keenan n’avait pas été informé de ce changement au moment où il avait joint M. McKay à Winnipeg;

c)                  les témoins de l’entreprise n’avaient pas fait grand cas de l’accident de la route de M. McKay et l’un d’eux avait affirmé qu’il n’était pas le premier conducteur à avoir un accident; 

d)                  les allégations de l’entreprise quant au comportement non professionnel du défendeur ou à son esprit de contradiction étaient appuyées par [traduction] « peu de preuves convaincantes » et étaient pour la plupart [traduction] « non corroborées »;

e)                  les faits d’avant la querelle du 20 février 2006 sur lesquels s’est fondée l’entreprise ne constituaient pas [traduction] « des mesures disciplinaires progressives permettant de considérer [la querelle ultérieure] comme un incident déterminant ». De plus, l’entreprise n’avait pas réussi à se décharger du fardeau de la preuve pour ce qui était de faire ressortir ces incidents antérieurs ou d’[traduction] « établir une progression ou un lien utile entre eux »;

f)                    M. McKay n’avait pas refusé de se rendre à Calgary. Par conséquent, il n’avait pas fait fi de ses instructions de s’y rendre.

 

[9]               C’est principalement en s’appuyant sur les conclusions susmentionnées que l’arbitre a examiné les conséquences juridiques des faits du 20 février 2006 dans le contexte suivant :

 

 

[traduction]

M. Mckay a fait preuve d’insubordination face à son employeur pendant leur conversation téléphonique en le traitant d’idiot plusieurs fois le 20 février 2006. Je fais remarquer que même si M. Mckay reconnaît avoir mal choisi ses mots au cours de cet entretien, il n’y a aucune preuve selon laquelle il a présenté ses excuses à M. Keenan. Cependant, mes conclusions antérieures confirment l’arrangement qu’avaient pris M. Mckay et le répartiteur de l’entreprise le 18 février quant au voyage à Calgary. L’employeur a tort d’affirmer que M. McKay a refusé d’effectuer le voyage. C’est pourquoi j’ai tenu compte du contexte et du malentendu qui sous-tend l’entretien téléphonique. Les deux interlocuteurs étaient en colère et la situation était aggravée par le fait que chacun n’avait qu’une connaissance partielle des circonstances. Il est évident que les camionneurs doivent suivre les instructions qui leur sont données et comme l’a souligné M. Bard, ils ne peuvent pas « s’aiguiller eux‑mêmes ». 

 

 

L’arbitre a conclu que la décision de l’entreprise de renvoyer M. McKay était [traduction] « excessive ».     

 

Les questions en litige

[10]           a)         Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

b)         L’arbitre a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en rendant sa décision?

 

Analyse

[11]           Pour les motifs énoncés ci‑après, je conclus que la question déterminante réglée dans la présente affaire par l’arbitre était une question mixte de fait et de droit, c’est‑à‑dire qu’il fallait déterminer si les faits établis à l’égard du comportement de M. McKay donnaient lieu à l’application de la norme juridique relative au congédiement justifié. La norme de contrôle appliquée pour ce type de questions est la décision raisonnable simpliciter : voir North c. West Region Child and Family Services Inc., [2005] A.C.F. no 1686, 2005 CF 1366, et Dynamex Canada Inc. c. Mamona (2003), 305 N.R. 295, [2003] A.C.F. no 907, 2003 CAF 248, au paragraphe 45.

 

[12]           L’avocat de l’entreprise a plaidé que la preuve des faits survenus le 20 février 2006, y compris les facteurs atténuants relevés par l’arbitre, ne pouvait mener qu’à la conclusion que le congédiement de M. McKay était justifié. Selon lui, il s’agissait d’une question de droit et non d’une question mixte de fait et de droit. 

 

[13]           Bien qu’il y ait des types d’inconduite de la part d’employés qui ne sont pas excusables (je pense par exemple au vol), je ne suis pas d’avis que la conduite de M. McKay le 20 février 2006 constituait obligatoirement un motif valable de congédiement. Un tel comportement est susceptible d’explication et, en l’espèce, l’arbitre a découvert suffisamment de preuves atténuant la gravité de l’inconduite de M. McKay en deçà de la limite entraînant un congédiement. Bien sûr, l’arbitre a eu la chance d’entendre les témoins, ce qui lui donne un net avantage sur la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Elle a conclu que les remarques inadmissibles de M. McKay avaient été adressées sous l’impulsion du moment et au cours d’un échange virulent. On a dit que M. Keenan était furieux lorsqu’il avait téléphoné à M. McKay et également qu’il n’était pas au courant de l’arrangement qu’avait pris M. McKay selon lequel il se reposerait plus longuement à Winnipeg.

 

[14]           Toutes les insolences d’un employé ne justifient pas nécessairement un congédiement sommaire, et il n’était pas déraisonnable pour l’arbitre de tirer cette conclusion sur la foi de ses conclusions de fait. À vrai dire, la règle générale semble être qu’un incident isolé concernant une action insolente ou un comportement irrespectueux ne constitue pas un motif justifiant un congédiement. C’est ce que Harris affirme dans Wrongful Dismissal (Toronto : Thomson Canada Ltd., 2007), feuilles mobiles, au paragraphe 6.12(c) :

[traduction]

Cependant, le congédiement à la suite d’un seul acte d’insubordination est assez rare dans les arbitrages de grief en vertu du Code canadien du travail. Plus souvent qu’autrement, les arbitres jugent qu’il y a un motif valable dans les cas d’actes d’insubordination à répétition : Donaghue c. Southwest Air Ltd. (le 28 avril 1980) (Brent).

 

 

[15]           La jurisprudence a également souligné que les mesures disciplinaires appropriées pour un comportement de ce genre dépendent beaucoup du contexte. Il pourrait bien y avoir des circonstances permettant d’atténuer la gravité du comportement d’un employé : voir Newman c. ADM Milling Co., [2004] C.L.A.D. no 448, et Haldane c. Shelbar Enterprises Ltd. (faisant affaire sous le nom de Tool & Cutter Supply Co.) (1997), 31 O.T.C. 78, [1997] O.J. no 2295 (C.J. Ont. (Div. gén.)). Étant donné le caractère contextuel du problème, la question que doit trancher l’arbitre est, par conséquent, véritablement une question mixte de fait et de droit pour laquelle il faut faire preuve de retenue judiciaire. 

 

[16]           L’avocat de l’entreprise a déclaré lors de sa plaidoirie qu’il ne s’agissait pas d’un cas de mesures disciplinaires progressives. Néanmoins, il n’a jamais complètement cessé de se fonder sur les inconduites antérieures de M. McKay pour étayer la décision relative au congédiement. Qu’il me suffise de mentionner que si l’entreprise avait prévu se fonder sur les incidents antérieurs pour conclure à un incident déterminant le 20 février 2006, elle aurait dû antérieurement avertir M. McKay de façon claire et catégorique que toute autre inconduite de sa part pourrait donner lieu à son congédiement : voir Olson c. Richards Transport Ltd., [2001] C.L.A.D. no 103, au paragraphe 19. Dans la présente affaire, personne n’avait informé M. McKay de la possibilité qu’il soit congédié, ce qui semble être le fondement de l’arbitre pour conclure que l’entreprise n’avait pas réussi à [traduction] « établir une progression ou un lien utile entre » les incidents disciplinaires. 

 

[17]           La jurisprudence du Code canadien du travail appuie l’approche prise par l’arbitre face à la question, y compris les motifs rendus dans l’affaire Heaslip c. TST Overland Express, [2004] C.L.A.D. no 339, où l’arbitre conclut ce qui suit au paragraphe 58 :

58     Il découle de ce qui précède que l’employeur n’a pas réussi à se décharger du fardeau de la preuve pour ce qui est d’établir qu’il y a eu un incident déterminant qui aurait pu justifier le congédiement du plaignant. L’employeur a bien établi que M. Heaslip avait, par le passé, fait usage de propos injurieux, eu un comportement inadéquat ou manifesté trop de colère à l’endroit de chauffeurs et de clients à trois occasions, et avait manqué de respect à son supérieur et manifesté trop de colère à son égard à une occasion. Cependant, dans chacun de ces cas, la seule sanction appliquée par l’employeur a constitué à placer une lettre ou une note sur l’incident dans le dossier personnel de M. Heaslip. L’employeur n’a pas imposé de mesures disciplinaires de plus en plus sévères au plaignant. En l’absence de preuve acceptable établissant l’existence d’un incident déterminant, il est impossible de conclure qu’il y a eu un motif valable pour le congédiement. Le « facteur déclenchant » du congédiement de M. Heaslip a été l’incident déterminant du 2 décembre 2003 et l’employeur ne s’est pas déchargé du fardeau de la preuve en ce qui concerne les allégations sur lesquelles cet incident était fondé.

 

 

[18]           Il s’agit d’une situation très évidente où la décision de l’arbitre doit être respectée. Elle s’est prononcée sur une question mixte de fait et de droit pour laquelle la norme de contrôle est la décision raisonnable. Elle a entendu les témoignages à l’aide desquels elle a tiré des conclusions de fait raisonnables. Elle a ensuite mis ces conclusions en regard des principes juridiques reconnus concernant l’emploi et le congédiement et a conclu que le congédiement de M. McKay était injustifiée. Il n’y a absolument aucun fondement pour conclure, à la suite d’un examen assez poussé, que la décision de l’arbitre n’est pas étayée par le dossier. À vrai dire, je ne serais pas disposé à infirmer sa décision même si j’avais le droit de le faire. 

 

[19]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens en faveur du demandeur selon la colonne IV.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du demandeur selon la colonne IV. 

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1875-06

 

INTITULÉ :                                       AYR MOTOT EXPRESS INC

                                                            c.

                                                            MERRILL MCKAY

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clarence Bennett

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart McKelvey

Avocats

Fredericton (N.-B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Hazen F. Calabrese

Law & Immigration

Fredericton (N.-B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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