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Date : 20070518

 

Dossiers : T-1799-05

T-1800-05

T-1801-05

T-1802-05

 

Référence : 2007 CF 535

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

ARNOLD WYSE, RAYMOND CLAYTON WYSE,

WAYNE MANSON et JAMES WESLEY

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]     La question en litige dans les présentes demandes de judiciaire est celle savoir si le salaire gagné par chacun des demandeurs dans le cadre de l’emploi exercé entre 1988 et 1998 (les années pertinentes) pour Coastland Wood Industries Ltd. (Coastland) à son usine de placages (l’usine) de Nanaimo, en Colombie-Britannique, était « situé sur une réserve », le rendant ainsi admissible à l’exemption de l’impôt sur le revenu prévue à l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Les demandes de contrôle judiciaire ont été instruites conjointement sur le fondement d’un dossier de preuve consolidé commun. Les présents motifs du jugement et le jugement s’appliqueront à chacune des demandes de contrôle judiciaire et une copie en sera versée dans chacun des dossiers.

 

[2]     Les demandeurs, Arnold Wyse, Raymond Clayton Wyse, Wayne Manson et James Wesley (les demandeurs) sont tous des Indiens inscrits membres de la Première Nation Snuneymuxw (la PNS), une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Ils résident dans la réserve indienne no 1 de Nanaimo (la réserve). Dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, la Cour suprême du Canada a statué que l’impôt sur le revenu gagné constitue un bien meuble au sens de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

 

[3]     Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision en date du 15 septembre 2005 par laquelle un délégué du ministre du Revenu national (le délégué) a rejeté leur demande de nouvelle cotisation de troisième palier présentée en vertu du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR) (la disposition d’équité).

 

[4]     Le paragraphe 152(4.2) de la LIR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’établir de nouveau l’impôt dû par un contribuable après l’expiration du délai normalement fixé pour l’établissement d’une nouvelle cotisation. Les demandeurs se sont d’abord prévalus de la disposition d’équité le 23 octobre 2003 (la demande présentée au premier palier) en vue de faire fixer de nouveau par le ministre l’impôt dont ils étaient redevables, afin d’être en mesure de réclamer un remboursement fiscal sur l’impôt payé sur les revenus tirés de leur emploi au cours des années pertinentes.

 

[5]     Les parties ne sont pas en désaccord en ce qui concerne la méthode à appliquer pour se prononcer comme il se doit sur l’opportunité, pour le ministre, d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

[6]     La tâche du décideur consiste à déterminer quel était l’état du droit en ce qui concerne le situs du revenu d’emploi lors de chacune des années au cours desquelles les demandeurs travaillaient pour Coastland et relativement auxquelles ils affirment que l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens les exemptait de l’impôt sur le revenu. Cette méthode découle de l’interprétation donnée de la disposition d’équité dans la Circulaire d’information intitulée « Lignes directrices 92‑3 concernant l’émission de remboursements en dehors de la période normale de trois ans » et en particulier du passage suivant :

Le Ministère émettra un remboursement ou réduira un montant en souffrance, s’il est persuadé que le remboursement ou la réduction auraient été accordés si la déclaration ou la demande avait été soumise à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la loi et qu’elle n’ait pas déjà été accordée.

[Non souligné dans l’original.]     

 

[7]     Voici les dispositions pertinentes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens :

Loi sur les Indiens

I-5

 

TAXATION

Biens exempts de taxation

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

Indian Act

I-5

 

TAXATION

Property exempt from taxation

87. (1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83 and section 5 of the First Nations Fiscal and Statistical Management Act, the following property is exempt from taxation:

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and (b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

 

Faits

[8]     À quelques exceptions près, les faits importants ne sont pas contestés. Arnold Wyse a déposé un affidavit à l’appui des demandes de contrôle judiciaire des demandeurs. Mark McWhinney, l’auteur de la décision contestée, en a fait de même pour le défendeur. Ni l’un ni l’autre n’a été contre-interrogé.

 

[9]     Les demandeurs sont tous des Indiens inscrits membres de la PNS qui résident dans la réserve.

 

[10]     Au cours de la période considérée (1988 à 1998), les demandeurs travaillaient tous pour Coastland Wood Industries Ltd. (Coastland) à son usine de placages (l’usine) de Nanaimo, en Colombie-Britannique. L’usine et les bureaux administratifs de Coastland ne sont pas situés dans la réserve. Toutefois, la zone de triage des grumes de Coastland est située sur les terres de la réserve. Elle sert à entreposer les grumes qui sont ensuite triées puis transportées à l’usine en vue d’en faire des produits en bois.  

 

[11]     Entre 1987 et 1992, Coastland a obtenu une série de permis du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) en vue d’utiliser une partie du territoire de la réserve comme zone de triage des grumes.

 

[12]     En contrepartie partielle de l’utilisation de la zone de triage des grumes de la réserve [pour l’exploitation de ses installations de Nanaimo] Coastland a convenu verbalement avec la Première Nation d’offrir des perspectives d’emploi aux membres de cette dernière.

 

[13]     Depuis 1992, le MAINC loue à Coastland cette partie de la réserve avec l’approbation de PNS (le bail). Le bail stipule explicitement qu’en matière d’embauche, la préférence doit être accordée aux membres de la PNS, s’ils remplissent les conditions requises. L’entente intervenue au sujet de la politique d’embauche constitue l’annexe E du bail. Coastland a accepté de s’assurer que les membres de la PNS représentent 18 % de ses effectifs permanents.  

 

[14]     Le dossier ne renferme aucun élément de preuve tendant à démontrer que, dans le cadre de ses fonctions habituelles, l’un ou l’autre des demandeurs ait jamais travaillé dans la zone de triage des grumes au cours de la période considérée. Il est acquis aux débats que, suivant leur description de tâches, les demandeurs étaient censés travailler à l’usine. Toutefois, dans son affidavit, M. Wyse affirme, au paragraphe 8, qu’il a travaillé dans la partie de l’usine située dans la réserve. Ce fait est contesté par le déclarant du défendeur qui affirme, après vérification auprès des dirigeants de Coastland, que seulement trois membres de la PNS ont travaillé dans la partie de l’usine située dans la réserve et que les demandeurs n’en faisaient pas partie.   

 

[15]     Coastland a refusé de s’abstenir de retenir l’impôt sur le salaire des demandeurs contrairement à ce que ceux-ci lui avaient demandé. Ceci étant dit, dans leurs déclarations de revenus pour les années d’imposition 1988 à 1998, les demandeurs n’ont réclamé aucune exemption d’impôt relativement à leur revenu tiré de leur emploi chez Coastland et ils n’ont pas déposé d’avis d’opposition relativement à leurs cotisations d’impôt sur le revenu pour la période considérée.

 

[16]     En 1999, la Cour d’appel fédérale a rendu son jugement dans l’affaire Amos c. Canada, [1999] A.C.F. no 873 (C.A.F.).

 

[17]     Dans les observations écrites présentées à chacun des trois paliers de révision fondée sur l’équité, les avocats des demandeurs ont fait valoir que toute l’usine formait un tout intégré et que chacune de ses diverses composantes représentait un lien indispensable dans le processus de fabrication, ajoutant que l’usine ne pouvait fonctionner sans la zone de triage des grumes. Le défendeur conteste que l’intégration, dans le processus de fabrication de l’usine, de la partie de la réserve donnée à bail soit essentielle, sur la foi de renseignements obtenus de dirigeants de Coastland.    

 

[18]     Dans la foulée de l’arrêt Amos, l’Agence du revenu du Canada (ARC) accepte depuis 1999 d’accorder une exemption fiscale aux membres de la PNS qui résident dans la réserve et qui travaillent pour Coastland. Les demandeurs ont bénéficié de cette exonération d’impôt.

 

Demandes de nouvelles cotisations et décision du délégué

1)_Première décision rendue au sujet de la première demande de nouvelle cotisation

[19]     Dans une lettre datée du 23 octobre 2003, l’avocat des demandeurs a soumis au ministre, en vertu du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une demande d’équité priant le ministre de revoir leurs cotisations fiscales de 1988 à 1998 de manière à rembourser aux demandeurs la totalité de l’impôt sur le revenu payé, le tout sans les pénalités et les intérêts calculés sur les impôts dus pour cette période. 

 

[20]     Les demandeurs soutiennent que, dans leur cas, il existe des facteurs suffisants pour rattacher leurs revenus à la réserve.

 

[21]     Dans leur lettre du 23 octobre 2003, les demandeurs expliquaient que l’article 87 de la Loi sur les Indiens a pour objet « de préserver le droit des Indiens à leurs réserves et d'éviter que la capacité des gouvernements de prélever des impôts ou des créanciers de saisir des biens porte atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur les réserves » (Mitchell c. Bande indienne de Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85).

 

[22]     Les demandeurs affirmaient par ailleurs qu’ils répondaient à toutes les conditions prescrites pour être admissibles à une exemption d’impôt sur le revenu suivant la jurisprudence qui existait au sujet de cette question à l’époque en cause. Ces conditions étaient les suivantes :

·        Le contribuable est un Indien;

·        Les biens imposés sont des biens meubles;

·        Les biens meubles appartiennent à un Indien;

·        Les biens meubles sont situés dans une réserve.

 

[23]     Les demandeurs soutenaient que la seule question à trancher était celle de savoir si l’on pouvait dire que leur revenu d’emploi était situé dans la réserve. Citant l’arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877 de la Cour suprême du Canada, ils soutenaient qu’ils satisfaisaient au critère relatif aux facteurs de rattachement énoncé dans cet arrêt. Les demandeurs affirmaient aussi, dans leur lettre du 23 octobre 2003, que la politique d’embauche préférentielle de Coastland était, compte tenu de l’objectif visé par l’article 87 de la Loi sur les Indiens, un facteur de rattachement important et manifeste. Ils invoquaient également l’arrêt Amos, précité.

 

[24]     La demande d’équité présentée au premier palier a été rejeté au motif que l’arrêt Amos ne pouvait s’appliquer rétroactivement étant donné qu’il avait été rendu en 1999.

 

2) Deuxième décision rendue au sujet de la deuxième demande de nouvelle cotisation

 

[25]     Le 16 mars 2004, les demandeurs ont présenté une deuxième demande d’équité dans laquelle ils faisaient valoir que le premier décideur n’avait pas procédé à l’analyse juridique à laquelle il était tenu requise lorsqu’il avait exercé son pouvoir de décision discrétionnaire.

 

[26]     Les demandeurs ont répété qu’ils remplissaient les conditions requises pour pouvoir bénéficier d’une exemption fiscale conformément à l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens et à la jurisprudence applicable.

 

[27]     Les demandeurs ont répété qu’ils se fondaient sur les facteurs de rattachement énoncés dans l’arrêt Williams, précité, et ils ont précisé que leur demande d’établissement de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1988 à 1998 relativement à leur emploi pour Coastland ne reposait pas principalement sur l’arrêt Amos.

 

[28]     Le 19 juillet 2004, le ministre a refusé la deuxième demande au motif que, même si cette demande avait été présentée dans les délais prescrits, les revenus n’auraient pas pu être considérés comme étant exonérés d’impôt. [Non souligné dans l’original.]

 

[29]     Citant l’arrêt Nowegijick, précité, la décideure de second niveau a expliqué que la Cour suprême du Canada avait décidé, dans cet arrêt, que les demandeurs seraient admissibles à une exemption si le siège social de Coastland se trouvait sur le territoire de la réserve, si les demandeurs vivaient dans la réserve et s’ils étaient rémunérés par le siège social. Comme le siège social de Coastland n’était pas situé dans la réserve, les demandeurs ne pouvaient répondre aux critères prescrits.

 

[30]     La décideure a ensuite invoqué l’arrêt Williams, précité, signalant que la Cour suprême du Canada avait jugé important de déterminer si l'activité qui avait généré le revenu était « étroitement liée » à la réserve, c'est-à-dire si elle faisait « partie intégrante » de la vie dans la réserve, ou s'il était plus approprié de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire ».

 

[31]     Citant ensuite l’arrêt Williams, précité, la décideure a signalé que la Cour suprême du Canada y avait précisé qu’il était important de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire ».

 

[32]    La décideure a expliqué qu’en 1994, pour faciliter cette qualification des facteurs de rattachement, des lignes directrices avaient été élaborées et que les demandeurs ne répondaient à aucun des critères parce qu’ils ne travaillaient pas dans la réserve. Coastland n’était pas situé dans la réserve et il était plus approprié de considérer l'activité qui avait généré le revenu comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire ». Elle a conclu en disant que [traduction] « le revenu d’emploi gagné entre 1994 et 1999 ne pouvait être considéré comme exonéré d’impôt ».

 

[33]     Enfin, la décideure du deuxième palier a cité l’arrêt Amos, précitée. Elle a expliqué que les faits de cette affaire étaient semblables à ceux de l’espèce. Elle a conclu :

[traduction]

 

L’interprétation que les tribunaux ont faite de l’imposition des biens meubles des Indiens inscrits a considérablement changé depuis 1983 et elle est encore contestée aujourd’hui. Chaque fois que cette contestation est portée devant les tribunaux et donne lieu à une décision définitive de la part de la juridiction du degré le plus élevé, cette décision devient définitive et exécutoire pour tous les intéressés et pour toute personne se trouvant dans une situation semblable ou identique et ce, à compter de la date de la décision définitive. Il s’ensuit que, depuis 1999, les employés de Coastland Wood Industries Limited qui sont des Indiens inscrits ont été considérés par l’Agence comme exonérés d’impôt.

 

Pour les cas antérieurs à cette décision judiciaire définitive, l’interprétation antérieure continue à lier les personnes qui se trouvent dans une situation semblable. Comme les règles fiscales en vigueur entre 1987 et 1999 ne considéraient pas comme exonérés d’impôt les revenus tirés de Coastland Wood Industries Limited, l’Agence n’est pas en mesure de considérer ces revenus comme exonérés d’impôt en vertu des dispositions d’équité.

[Non souligné dans l’original.]           

 

[34]     Le 19 août 2004, les demandeurs ont introduit devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire pour contester la décision du ministre. Le ministre a acquiescé au jugement et l’affaire lui a par conséquent été déférée pour qu’il la réexamine. Si j’ai bien compris, le ministre a acquiescé parce qu’il craignait que deux des quatre demandeurs n’aient pas bénéficié d’un traitement équitable en raison de leur allégation qu’ils avaient effectué une partie des fonctions de leur emploi sur la superficie de la réserve qui faisait l’objet d’un bail.

 

(3) Examen de troisième palier à la suite du jugement de consentement

 

[35]     Un troisième examen de la demande de nouvelle cotisation a donc été entrepris par Anyta Neustaedter le 25 avril 2005. Elle a fondé son enquête en partie sur les renseignements qu’elle avait obtenus de Coastland au sujet de l’emploi pour la période considérée, notamment sur les lieux de travail de ses employés, sur le nombre de ses employés qui travaillaient dans la zone de triage des grumes, sur leur identité et sur l’absence d’intégration vitale entre la zone de triage des grumes et les activités de l’usine. Les demandeurs n’ont pas contesté devant notre Cour les résultats de son enquête.

 

[36]     Ainsi que je l’ai déjà signalé, il a été déterminé que seulement trois des employés de Coastland travaillaient dans la zone de triage des grumes et qu’aucun des trois demandeurs ne faisaient partie de ces trois personnes

 

[37]     Le 18 août 2005, elle a formulé des recommandations pour chacun des demandeurs en transmettant son rapport au directeur des services fiscaux de Surrey, Mark McWhinney, le décideur, qui en a pris connaissance et y a souscrit.

 

[38]     Le 15 septembre 2005, le décideur a écrit à chacun des demandeurs pour les aviser du rejet de leur troisième demande d’équité. Cette décision de troisième palier portant rejet des demandes de nouvelle cotisation des demandeurs est la décision qui fait l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire.

 

[39]     M. McWhinney, le directeur du centre fiscal de Surrey à l’Agence des douanes et du revenu du Canada, a expliqué que l’avocat des demandeurs faisait reposer sur deux points sa thèse sur l’admission de la totalité des revenus d’emploi de Coastland.

[traduction] a) On ne peut scinder les fonctions exercées dans la réserve de celles qui sont exécutées à l’extérieur de celles-ci, car toutes les fonctions forment un seul et même tout intégré et chacun des éléments de la production constitue un lien indispensable dans le processus de production. Si l’on ne servait pas de la zone située dans la réserve, l’usine cesserait ses activités.

 

     b) La politique d’embauche préférentielle à laquelle ont souscrit Coastland et la Première Nation Snuneymuxw [...]

 

 

[40]     M. McWhinney a écrit ce qui suit :

 

[traduction] Ces arguments ont été plaidés avec succès dans l’affaire Amos en 1999, et les revenus tirés de votre emploi pour Coastland sont donc exonérés d’impôt depuis 1999. Bien que M. Gailus affirme qu’il ne vous demande pas d’appliquer la présente décision rétroactivement, si nous exonérions d’impôt la totalité de votre revenu d’emploi de Coastland pour les années antérieures à 1999 sur le fondement des arguments susmentionnés, nous appliquerions en fait rétroactivement l’arrêt Amos.

 

Il est acquis que les bureaux administratifs de Coastland sont situés « à l’extérieur de la réserve » et que « l’usine » se trouvait aussi hors de la réserve au cours des années à l’examen. Il est aussi acquis que la « zone de triage des grumes » est située « dans la réserve » et que certaines fonctions comme l’écaillage, le tronçonnage, le triage et le bottelage ont lieu dans ce secteur. Selon nos renseignements, vous n’avez pas travaillé dans la zone de la réserve au cours des années en cause. Le revenu que vous avez tiré de l’emploi que vous avez exercé pour Coastland n’est donc pas admissible à l’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

La circulaire d’information 92-3 intitulée « Lignes directrices 92‑3 concernant l’émission de remboursements en dehors de la période normale de trois ans »  renferme les directives que l’Agence doit suivre lorsqu’elle applique les dispositions d’équité. Suivant la circulaire : « Le Ministère émettra un remboursement ou réduira un montant en souffrance, s’il est persuadé que le remboursement ou la réduction auraient été accordés si la déclaration ou la demande avait été soumise à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la loi et qu’elle n’ait pas déjà été accordée ».

 

C’est sur le fondement de cet énoncé que je dois rejeter votre demande. Si, lorsque vous avez produit vos déclarations, vous aviez réclamé l’exemption d’impôt prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens, ces revenus n’auraient pas été considérés comme exonérés d’impôt.

[Non souligné dans l’original.]

 

Évolution de la jurisprudence     

L’affaire Nowegijick

[41]     Le 25 janvier 1983, la Cour suprême a, dans l’arrêt R. c. Nowegijick, précité, déclaré que le situs du salaire dépend du lieu où se trouve le débiteur. Le lieu où l’intéressé s’acquitte des fonctions de son emploi est donc sans intérêt. Dans l’affaire Nowegijick, le débiteur était l’employeur, une société dont le siège social et les bureaux administratifs étaient situés dans une réserve, mais dont les employés exerçaient leurs fonctions à l’extérieur de la réserve.

 

L’affaire Mitchell

[42]     Le 21 juin 1990, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Mitchell c. Bande indienne de Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Le point principal tranché par la Cour était celui de savoir si l’expression « Sa Majesté » employée à l’alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens s’appliquait à la Couronne provinciale. Cet alinéa était ainsi libellé :

Biens considérés comme situés sur une réserve

 

90. (1) Pour l’application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été :

 

a) soit achetés par Sa Majesté avec l’argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l’usage et au profit d’Indiens ou de bandes;

 

b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d’un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

 

sont toujours réputés situés sur une réserve.

Property deemed situated on reserve

 

90. (1) For the purposes of sections 87 and 89, personal property that was

 

(a) purchased by Her Majesty with Indian moneys or moneys appropriated by Parliament for the use and benefit of Indians or bands, or

 

(b) given to Indians or to a band under a treaty or agreement between a band and Her Majesty,

 

shall be deemed always to be situated on a reserve.

 

[43]     L’importance de l’arrêt Mitchell réside dans les divers énoncés formulés par le juge LaForest au sujet de l’objet des articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, de l’exonération d’impôt (article 87) et de l’insaisissabilité (article 89) des biens meubles. Le juge LaForest écrit ce qui suit à la page 131 :

En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non‑Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est‑à‑dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

 

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens. [Non souligné dans l’original.]

 

 

L’affaire Williams

[44]     Le 16 avril 1992, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Williams c. Canada, précitée, dans laquelle la question était celle de savoir où se trouvait le situs des prestations d’assurance-chômage qu’avait reçues M. Williams, qui était membre de la bande indienne de Penticton et qui résidait dans la réserve no 1 et pour lesquelles il était admissible en raison de l’emploi qu’il avait exercé auprès d’une société forestière située sur une réserve et de son emploi par la bande indienne dans le cadre d’un projet « RELAIS » dans la réserve. Dans les deux cas, le travail était effectué dans la réserve, l’employeur se trouvait dans la réserve et l’intéressé était rémunéré dans la réserve. Au cours de son emploi, tant M. Williams que son employeur avaient versé des cotisations au régime d’assurance-chômage. M. Williams a réclamé l’exemption prévue à l’alinéa 87(1)b) de la Loi. Le ministre a estimé qu’il n’avait pas droit à l’exemption parce que la résidence du débiteur ne se trouvait pas dans la réserve, mais à Vancouver, d’où ses chèques d’assurance-chômage étaient postés, ou à Ottawa, où était situé le siège de la Commission.

 

[45]     Comme on le verra, le juge Gonthier, qui s’exprimait pour le compte de la Cour, s’est éloigné, dans le contexte de la détermination du situs de la réception des prestations en question, du facteur exclusif de l’emplacement du débiteur, pour rechercher plutôt les facteurs de rattachement pertinents, qu’il a soupesés. Voici ce qu’il a déclaré :  

La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d'imposition. Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu'il s'agit de prestations d'assurance‑chômage, de revenu d'emploi ou de prestations de pension. Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses : (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

 

Cette méthode conserve la souplesse de la méthode cas par cas, mais à l'intérieur d'un cadre qui identifie correctement le poids à accorder à divers facteurs de rattachement. Il est évident que ce poids ne peut être déterminé avec précision. Cette méthode a cependant l'avantage de préserver la capacité de traiter de façon appropriée les cas qui, à l'avenir, présenteront des considérations jusque‑là non évidentes.

 

[46]     Le juge Gonthier a ensuite énuméré les facteurs de rattachement qui avaient été proposés à la Cour : la résidence du débiteur, la résidence de la personne qui reçoit les prestations, l'endroit où celles‑ci sont versées et l'emplacement du revenu d'emploi ayant donné droit aux prestations.

 

[47]     Pour les motifs qu’il a expliqués, il a conclu que le résidence du débiteur et l’endroit où les prestations sont versées constituaient des facteurs de rattachement dont la valeur était limitée dans le contexte du situs de prestations d’assurance-chômage.

 

[48]     Il s’est ensuite attaché au facteur du lieu de résidence du bénéficiaire et de la résidence de la personne qui reçoit les prestations et l'emplacement du revenu d'emploi ayant donné droit à celles‑ci.

 

[49]     Pour évaluer l'importance du second facteur, soit le lieu de l'emploi donnant droit aux prestations, il a analysé la nature des prestations d'assurance‑chômage versées sous forme de cotisations d’employeurs et d’employés prélevées sur le revenu imposable avec ajout des prestations dans le revenu imposable, ce qui l’a amené à conclure que les prestations d'assurance‑chômage ne sont pas des prestations versées à même les recettes générales du gouvernement.

 

[50]     De plus, comme les prestations étaient fondées sur des primes se rapportant à un emploi antérieur, il a estimé que le lien étroit entre l'emploi antérieur et les prestations et le lieu de l'emploi ayant rendu admissible aux prestations d'assurance-chômage constituait un facteur particulièrement utile pour décider si l’imposition des prestations porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve. Voici le raisonnement que le juge a suivi à la page 896 :

[...] dans le cas d'un Indien dont le revenu d'emploi qui donne droit à des prestations était situé sur la réserve, la concordance entre les incidences fiscales des cotisations et des prestations disparaît car, pour cet Indien, le revenu d'emploi initial était exonéré d'impôt. L'impôt payé sur les prestations subséquentes fait donc plus que compenser les économies d'impôt réalisées grâce au versement de cotisations. Il s'agit plutôt d'une atteinte aux droits engendrés par le fait que l'Indien travaillait sur la réserve.

[Non souligné dans l’original.]

 

[51]     Au sujet du lieu du revenu donnant droit aux prestations, le juge Gonthier a expliqué que « les parties ont présumé que l'emploi antérieur de [M. Williams] qui l'a rendu admissible aux prestations d'assurance‑chômage était également situé sur la réserve puisque les deux employeurs en question étaient situés sur la réserve », ce qui l’a amené à faire preuve de prudence, parce que la Cour avait estimé que le principe dégagé dans l’arrêt Nowegijick n’était pas universel. Voici ce qu’il écrit :  

Cependant, il ne s'agit pas d'un cas qui justifie de définir un critère pour déterminer le situs de la réception d'un revenu d'emploi. Tous les facteurs possibles de rattachement indiquent la réserve comme lieu de l'emploi de l'appelant qui l'a rendu admissible aux prestations. L'employeur était situé sur la réserve, le travail a été accompli sur la réserve, l'appelant habitait la réserve et c'est sur la réserve qu'il a été payé. Un critère permettant de déterminer le situs d'un revenu d'emploi ne saurait donc être conçu que dans l'abstrait en l'espèce, puisque les facteurs pertinents ne s'opposent pas vraiment. Il en serait également ainsi de tout examen de l'importance, s'il en est, à accorder à la résidence [page 898] de l'appelant au moment de la réception des prestations, car elle était également sur la réserve.

 

En outre, comme il ressort de notre analyse du critère applicable pour déterminer le situs des prestations d'assurance‑chômage, la formulation d'un critère permettant de déterminer l'emplacement d'un bien incorporel en vertu de la Loi sur les Indiens est une entreprise complexe. Dans le contexte de l'assurance‑chômage, nous avons été en mesure de mettre l'accent sur certaines caractéristiques du régime et sur ses incidences fiscales pour identifier un facteur ayant une importance particulière. Il n'est pas évident que cela soit possible dans le contexte d'un revenu d'emploi, ni qu'on soit en mesure de dire quelles caractéristiques du revenu d'emploi et de son imposition devraient être examinées à cette fin.

 

En conséquence, pour les fins de ce pourvoi, nous notons simplement que l'emploi de l'appelant, qui l'a rendu admissible aux prestations d'assurance‑chômage, était clairement situé sur la réserve, quel que soit le critère retenu pour déterminer le situs du revenu d'emploi. Parce que l'emploi donnant droit aux prestations était situé sur la réserve, les prestations reçues l'étaient aussi. La question de la pertinence de la résidence de la personne qui reçoit les prestations au moment de leur réception ne se pose pas en l'espèce puisqu'elle était également sur la réserve.

 

L’affaire Folster (sub nomine Clarke c. Ministre du Revenu national)

                  a) Décision de la Cour de l’impôt

[52]     Après que la Cour suprême du Canada eut rendu l’arrêt Williams, précité, le juge Hamlyn, de la Cour de l’impôt a rendu, le 29 septembre 1992, une décision [publiée à 92 D.T.C. 2267] dans une affaire concernant sept Indiens inscrits de la réserve indienne de Norway House (la réserve) qui travaillaient pour divers employeurs en divers lieux – sur le territoire de la réserve et à l’extérieur de celle-ci. Marianne Folster soutenait que la Loi sur les Indiens (article 87 ou 90) l’exonérait de l’impôt sur le revenu.

 

[53]     Marianne Folster, une Indienne inscrite qui résidait dans la réserve de Norway House (la réserve) travaillait pour Santé et Bien-être Canada comme gestionnaire au Norway House Indian Hospital (l'hôpital), lequel se trouvait à proximité de la réserve, mais à l'extérieur de ses limites géographiques. Elle exerçait l’essentiel de ses fonctions à l'hôpital, dont 80 p. 100 de la clientèle étaient constitués d’Indiens inscrits.

 

[54]     Elle recevait, à l’hôpital, son chèque de paye qui était émis par le bureau de Winnipeg d’Approvisionnements et Services Canada. L'hôpital avait été construit par le gouvernement fédéral pour dispenser des soins aux Indiens (visés ou non par un traité). Des fonds spécifiques étaient prévus dans les estimations de Santé et Bien-être Canada pour les services médicaux dispensés aux Indiens. Enfin, il convient de signaler que l'hôpital où Mme Folster exerçait ses fonctions avait remplacé un premier établissement situé dans la réserve.

 

[55]     Le juge de la Cour de l’impôt a fait droit à son appel au motif que son revenu d'emploi était réputé situé dans la réserve en vertu de l’alinéa 90(1)a) de la Loi sur les Indiens et non de l’article 87, qui nous intéresse.

 

                  b) Jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale

[56]    Le 13 octobre 1994, le juge Cullen, de notre Cour, a accueilli, [1995] 1 C.F. 561, l’appel interjeté par le ministre dans l’affaire Folster. Il a estimé que l’alinéa 90(1)a) de la Loi sur les Indiens ne s’appliquait pas. Il s’est ensuite lancé dans une analyse des facteurs de rattachement prévus à l’article 87 à la lumière de l’arrêt Williams, précité.

 

[57]     Prenant acte du fait que, dans l’arrêt Williams, précité, la Cour suprême du Canada avait refusé de formuler des commentaires au sujet des facteurs de rattachement utiles pour déterminer le situs du revenu d’emploi, il s’est dit d’avis que l’on pouvait, dans l’affaire portée devant lui, appliquer les mêmes facteurs que ceux qui servaient à déterminer le situs des prestations d’assurance-chômage et il a accordé une très grande importance, eu égard aux circonstances de l’espèce, au lieu de résidence de l’employeur et à celui où les fonctions de l’emploi étaient exercées. Il a conclu que le lieu de résidence de Mme Folster était un facteur aussi important que les deux autres qu’il avait mentionnés.

 

[58]     Voici l’analyse qu’il a faite du situs du revenu d’emploi de Mme Folster :

L'employeur de la défenderesse était l'hôpital. Elle exerçait ses fonctions à l'hôpital, qui se trouve à proximité de la réserve, mais à l'extérieur de ses limites géographiques. L'employeur de la défenderesse ne réside pas sur la réserve; de plus, elle exerçait ses fonctions à l'extérieur de la réserve. Toutefois, la défenderesse résidait sur la réserve.

 

Tout comme dans le cas d'Elizabeth Ann Poker, son lieu de travail ne se trouvait pas sur la réserve, mais la nature ou l'objet de l'emploi de la défenderesse étaient étroitement liés à la réserve. L'hôpital a été établi en conformité avec la décision prise par le gouvernement du Canada de dispenser des soins de santé aux Indiens. Il a été construit pour remplacer un hôpital qui était situé sur la réserve à l'origine. C'est le gouvernement qui en assure le financement, conformément à sa décision de soutenir les soins de santé dispensés aux Indiens. La clientèle de l'hôpital est composée d'Indiens inscrits dans une proportion d'environ 80 p. 100. Les circonstances relatives à l'emploi étaient étroitement liées à la réserve.

 

Toutefois, malgré les circonstances relatives à l'emploi de la défenderesse, ni son employeur ni son lieu de travail ne se trouvaient sur la réserve. Il ne suffit pas, selon moi, de conclure que la défenderesse travaillait au profit des Indiens de la réserve. Cette interprétation outrepasserait l'objectif d'éviter qu'il soit porté atteinte aux droits d'un Indien à titre d'Indien sur la réserve. Elle pourrait vraisemblablement signifier que tous les Indiens qui vivent sur une réserve seraient exemptés d'impôt, sans égard à leur lieu de travail ou à l'identité de leur employeur. Il pourrait s'agir d'un moyen de redresser leur situation économiquement défavorable, mais cette interprétation ne serait pas conforme à l'objet des dispositions créant l'exemption d'impôt.

 

En résumé, bien que la défenderesse ait résidé sur la réserve, son employeur et son lieu de travail se trouvaient à l'extérieur de la réserve. Les circonstances relatives à son emploi étaient étroitement liées à la réserve. Toutefois, en l'absence d'un facteur de rattachement autre que la résidence du contribuable, les fonctions d'un emploi exercées au profit des Indiens d'une réserve ne suffisent pas à rattacher le revenu tiré de cet emploi à la réserve. En conséquence, j'ai statué que le revenu d'emploi de la défenderesse n'est pas situé sur la réserve.

 

L'appel de la demanderesse en ce qui a trait à F. Marianne Folster est accueilli. Bien que les circonstances relatives à son emploi à l'hôpital aient été fortement liées à la réserve, ni son employeur ni l'endroit où elle exerçait ses fonctions ne se trouvaient sur la réserve. Bien qu'on puisse intuitivement considérer que le refus de lui reconnaître une exemption d'impôt mène à un résultat anormal, compte tenu de la proximité de l'hôpital par rapport à la réserve et de la population desservie par l'hôpital, j'hésite à conclure que le fait de travailler au profit des Indiens suffit pour soustraire à l'impôt le revenu tiré de ce travail en l'absence de tout autre facteur de rattachement. Pareille interprétation outrepasserait l'objectif d'éviter toute atteinte aux droits d'un Indien à titre d'Indien sur une réserve et constituerait un moyen de redresser la situation économiquement défavorable des Indiens. Bien que ce soit là un objectif louable, c'est au législateur et non à la Cour qu'il revient de déterminer les mesures à prendre pour l'atteindre.

 

 

c)Arrêt de la Cour d’appel fédérale

 

[59]     Le 22 mai 1997, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté par Mme Folster, [1997] A.C.F. no 664, en concluant que l’exemption prévue à l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens s’appliquait. Le juge Linden a rédigé les motifs unanimes de la Cour en expliquant que la seule question de droit à résoudre était celle de savoir si « le revenu d'emploi de l'appelante était situé sur la réserve ».

 

[60]     Le juge Linden s’est dit d’avis que le juge de première instance « n’a pas tenu pleinement compte du but poursuivi par le législateur en créant l'exemption d'impôt à l'article 87 [...] c'est-à-dire préserver les biens détenus par des Indiens en tant qu'Indiens sur des réserves afin que leur mode de vie traditionnel ne soit pas menacé ».

 

[61]     Le juge Linden a qualifié de « nouveau » le critère élaboré par le juge Gonthier au sujet des facteurs de rattachement dans l’arrêt Williams, précité, et a ajouté ce qui suit, au paragraphe 20 de ses motifs :

Selon moi, si le résultat auquel parvient le juge de première instance est, comme il l'affirme, « intuitivement... anormal », c'est un indice que le critère des facteurs de rattachement n'a pas été appliqué correctement. On ne doit pas oublier que ce critère est simplement un moyen dont disposent les tribunaux pour appliquer le principe du situs d'une manière rationnelle, en donnant une certaine armature à l'analyse. Et la question fondamentale de cette analyse est la suivante : eu égard au but poursuivi par le législateur en adoptant l'exemption d'impôt créée par l'article 87, où est-il le plus logique de situer le situs du bien meuble en cause? Ce critère n'est pas plus magique que cela.    [Non souligné dans l’original.]

 

[62]     Il a conclu que les deux facteurs de rattachement invoqués par le juge Cullen ne convenaient pas dans le cas de Mme Folster. Il écrit, au paragraphe 27 de ses motifs :

Ainsi, une analyse plus poussée révèle que les facteurs de rattachement utilisés par le juge de première instance ne convenaient pas dans les circonstances de l'espèce. Il faut donc élargir le champ de l'enquête afin de tenir compte d'autres facteurs de rattachement. À mon avis, étant donné le but poursuivi par le législateur en créant l'exemption d'impôt et le genre de bien meuble en cause, l'analyse doit porter sur la nature de l'emploi de l'appelante et les circonstances qui s'y rapportent. Le genre de bien meuble en cause, c'est-à-dire le revenu d'emploi, est tel qu'on ne peut juger de sa nature sans se référer aux circonstances dans lesquelles il a été gagné. De même que le situs des prestations d'assurance-chômage doit être déterminé par rapport à l'emploi ouvrant droit aux prestations, de même l'analyse de l'emplacement du revenu d'emploi est subordonnée à un examen de toutes les circonstances qui ont donné lieu à l'emploi. Ayant évalué ces facteurs dans le contexte de l'espèce, je suis d'avis que le revenu de l'appelante doit être exempté d'impôt pour éviter toute atteinte aux droits d'un Indien. Le bien meuble en cause est un revenu gagné par une Indienne qui réside sur une réserve et qui travaille dans un hôpital qui répond aux besoins de la collectivité de la réserve; cet hôpital était jadis situé sur la réserve, mais se trouve maintenant à proximité de la réserve qu'il dessert.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[63]     Il conclut ce qui suit, au paragraphe 32 de ses motifs :  

 

Vu les faits de l'espèce, la résidence de la contribuable, la nature du service fourni, l'historique de l'établissement en cause et les circonstances relatives l'emploi sont tous des facteurs auxquels un poids considérable a été accordé dans le cadre de l'interprétation fondée sur l'objet de l'article 87. En revanche, la résidence de l'employeur, même si son emplacement pouvait être déterminé, et l'endroit précis où les fonctions étaient exercées, quoique certainement pertinent, se sont révélés moins importants en l'espèce que dans d'autres cas.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[64]     Enfin, le juge a trouvé peu utiles les lignes directrices données par le ministre défendeur au sujet de l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens parce que « l'une des affirmations centrales de l'arrêt Williams est que, en dernière analyse, l'importance relative des facteurs de rattachement doit être évaluée cas par cas », reconnaissant que, « même si des lignes directrices peuvent être utiles dans les cas ordinaires, il n'est pas possible de définir à l'avance la formule précise au moyen de laquelle le revenu d'emploi doit être évalué dans tous les cas ».

 

L’affaire Amos

[65]     La Cour d’appel fédérale a rendu l’arrêt Amos, précité, le 18 mai 1999. Cet arrêt infirmait le jugement par lequel un juge de la Cour de l’impôt avait, le 22 juin 1998, estimé que l’alinéa 87(1)b) ne s’appliquait pas aux revenus d’emploi gagnés en 1991, 1992 et 1993 dans le cas de deux membres de la bande indienne de Nootka qui résidaient dans la réserve no 12. Les circonstances entourant leur emploi ressemblaient beaucoup aux faits de la présente affaire, ce qui explique pourquoi, depuis 1999, les revenus d’emploi reçus par les demandeurs sont considérés comme étant exempts d’impôt.    

 

[66]     Voici les faits de l’affaire Amos qui ressemblent à ceux de l’espèce :

• Indiens inscrits employés d’une usine de pâte à papier qui appartenait à CP Forest Products (CP) et qui était située principalement sur un terrain appartenant à la compagnie (superficie de 439,84 acres);

 

• Bail consenti par CP de 28,8 des 39 acres des terres de la réserve, avec engagement de CP « de donner priorité aux membres de la bande indienne Nootka en matière d'emploi relativement aux activités menées sur les lieux, pour autant que les membres aient les compétences voulues pour occuper les emplois et qu'ils soient disponibles »;

 

Utilisation de la partie de la réserve donnée à bail pour y stocker un tas de copeaux à brûler (une source de combustible);

 

Utilisation de la partie de la réserve donnée à bail pour y stocker deux tas de copeaux de bois, liés à la production de pâte.

 

• Mme Amos n’avait jamais exécuté une partie des fonctions de son emploi dans la partie de la réserve donnée à bail;

 

• Elle allait chercher son chèque de paie au bureau de la paie de la compagnie, qui se trouvait dans la partie de l'usine située à l'extérieur de la réserve.

 

[67]     Le juge de la Cour de l’impôt a cité les facteurs de rattachement énumérés dans l’arrêt Folster c. Ministre du Revenu national, [1997] D.T.C. 5315, de la Cour d’appel fédérale et il a cité les propos suivants du juge Linden :

Vu les faits de l'espèce, la résidence de la contribuable, la nature du service fourni, l'historique de l'établissement en cause et les circonstances relatives de l'emploi sont tous des facteurs auxquels un poids considérable a été accordé dans le cadre de l'interprétation fondée sur l'objet de l'article 87. En revanche, la résidence de l'employeur, même si son emplacement pouvait être déterminé, et l'endroit précis où les fonctions étaient exercées, quoique certainement pertinent, se sont révélés moins importants en l'espèce que dans d'autres cas.   [Non souligné dans l’original.]

 

 

[68]     Le juge de la Cour de l’impôt en est arrivé à une conclusion différente, au vu des faits portés à sa connaissance. Il écrit :

Si l'on analyse les facteurs de rattachement énoncés dans l'arrêt Folster, il est évident que l'exploitation de l'usine en l'espèce constituait une entreprise purement commerciale de la compagnie qui n'était aucunement liée à une quelconque activité de la réserve. En outre, l'emploi de l'appelant à la compagnie n'est pas lié à sa résidence ni à l'occupation par l'usine des terres de la réserve. Une partie de l'usine où l'appelant travaillait était située sur des terres louées de la réserve, mais l'occupation de ces terres était accessoire à l'exploitation de l'usine. La disposition du bail aux termes de laquelle les membres de la bande indienne Nootka devaient être engagés en priorité pour exercer des activités effectuées sur les lieux, dans la mesure où ils possédaient les compétences voulues et où ils étaient disponibles, ne crée aucun lien évident entre le revenu d'emploi et l'occupation des terres de la réserve par l'appelant.

[Non souligné dans l’original.]

 

Compte tenu des facteurs à appliquer à l'égard de ces conclusions, dont l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, il est évident que le genre de bien en question en l'espèce n'est pas destiné à être protégé de la taxation en question. Celle-ci ne dépossède pas l'appelant du bien détenu en tant qu'Indien dans une réserve. Le situs du revenu d'emploi est à l'extérieur de la réserve. Pour l'application de l'article 81 de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le revenu d'emploi de l'appelant n'est pas un bien meuble situé dans une réserve.

 

 

[69]     Le juge Strayer, de la Cour d’appel fédérale [1999] A.C.F. no 873, a accueilli l’appel. Il s’est dit d’avis que le juge de la Cour de l’impôt n’avait pas accordé suffisamment d’importance à l’objet de l’exemption prévue à l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, lequel consiste à « préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d'imposer des taxes ne porte pas atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées ». Le juge Strayer a déclaré ce qui suit :

Dans une optique plus large, il est possible d'inférer, en l'espèce, que la Compagnie a voulu louer le terrain en question en raison de l'importance qu'il présentait à ses yeux pour les activités de la future usine de pâte à papier et que la bande indienne a consenti à lui céder en location la réserve étant entendu, entre autres, que cette location favoriserait l'embauche de membres de la bande comme le bail le prévoyait d'ailleurs. C'est ainsi que les appelants ont été employés par la Compagnie et, bien que nous n'ayons aucune preuve que leur embauche soit directement attribuable à la condition énoncée dans le bail, on peut déduire, à juste titre, que les intéressés ont profité des possibilités d'emploi conséquentes au droit d'accès à la réserve obtenu par la Compagnie.

 

Le fait que les deux appelants n'aient pas effectivement travaillé sur le terrain de la réserve durant leur période de service à la compagnie soulève un point délicat. Toutefois, les parties ont reconnu que les usages auxquels la Compagnie a affecté la partie de la réserve cédée en location [traduction] « avaient trait à la production de pâte à papier », fonction à laquelle les appelants étaient affectés. Il nous semblerait trop arbitraire de priver les employés d'un secteur opérationnel de l'usine des avantages prévus à l'article 87 tout en les accordant à ceux qui travaillent dans un autre secteur contigu. Il faut en déduire que l'utilisation du terrain de la réserve faisait intégralement partie de l'exploitation de l'usine de pâte à papier, sinon la Compagnie ne l'aurait pas loué avant de s'y établir. Dans l'optique des membres de la bande, la cession de la réserve visait en partie l'accès aux emplois qui naîtraient suite à l'établissement de l'usine sur leur terrain et sur des terres attenantes aux leurs.

 

Nous concluons donc que les emplois en question étaient directement liés à la réalisation par la bande et ses membres de leurs droits fonciers sur les terres de la réserve; partant, le gouvernement, en conformité avec l'objectif visé par l'exemption fiscale de l'article 87, ne devrait pas être en mesure de porter atteinte, par le biais de l'impôt, au revenu tiré directement ou indirectement d'une pareille utilisation de leur terre, comme il ressort de ce cas d'espèce.

 

 

[70]     Pour en arriver à cette conclusion, le juge Strayer a reconnu ce qui suit :

 

Tout en reconnaissant les difficultés auxquelles la Cour canadienne de l'impôt a fait face pour tenir compte des divers facteurs qu'on dit être pertinents, compte tenu des précédents, pour déterminer le situs du revenu aux fins de l'article 87, nous avons conclu qu'à la lumière de la jurisprudence, y compris la plus récente, le revenu dont il est question ici devrait être considéré comme situé sur la réserve.

[Non souligné dans l’original.]

 

[71]     La jurisprudence récente à laquelle le juge Strayer faisait allusion dans l’arrêt Amos, précité, était l’arrêt rendu le 27 mars 1998 par la Cour d’appel fédérale sous la plume du juge Linden dans l’affaire Recalma et autres c. Sa Majesté la Reine, [1998] 3 C.N.L.R., 279.

 

[72]     Dans l’affaire Recalma, précitée, la question en litige était celle de savoir si des revenus de placement que les contribuables appelants, des Indiens inscrits résidant dans une réserve en Colombie-Britannique, avaient tirés d’« acceptations bancaires » et de « fonds communs de placement » étaient exempts d’impôt en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Un juge de la Cour canadienne de l’impôt a estimé que ces revenus de placement n’étaient pas exonérés d’impôt. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel.

 

[73]     Après avoir passé en revue la jurisprudence, le juge Linden écrit ce qui suit aux paragraphes 9 et 10 de l’arrêt Recalma :

En évaluant les différents facteurs pertinents, la Cour doit décider de l'endroit où il est « le plus logique » de situer les biens meubles afin d'éviter de porter « atteinte à un bien détenu par un Indien en tant qu'Indien » dans le but de protéger le mode de vie traditionnel des autochtones. Dans l'évaluation des différents facteurs pertinents, il est également important de déterminer si l'activité qui a généré le revenu était « étroitement liée » à la réserve, c'est‑à‑dire si elle faisait « partie intégrante »de la vie dans la réserve, ou s'il est plus approprié de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire » (voir Canada c. Folster [1997], 3 C.F. 269 (C.A.F.)). Il convient de préciser que le concept « du marché ordinaire » n'est pas un critère ayant pour but de déterminer si les biens sont situés dans une réserve; il s'agit simplement d'un élément qui aide à l'évaluation des divers facteurs à l'étude. Ce n'est absolument pas un critère déterminant. L'exercice de raisonnement primordial est de décider, en tenant compte de l'ensemble des facteurs de rattachement et en gardant à l'esprit l'objet de l'article, de l'endroit où sont situés les biens, c'est-à-dire si le revenu gagné fait « partie intégrante de la vie de la réserve », s'il est « étroitement lié » à cette vie, et s'il devrait être protégé pour empêcher de porter atteinte aux biens détenus par les Indiens en tant qu'Indiens.

 

Il est bien évident que les différents facteurs pourront avoir une importance différente dans chaque cas. Ce qui est extrêmement important, surtout en l'espèce, c'est le type de revenus que l'on veut assujettir à l'impôt. Lorsque le revenu est tiré d'un emploi ou qu'il s'agit d'un salaire, le lieu de résidence du contribuable, le type de travail effectué, l'endroit où le travail a été effectué et la nature de l'avantage qu'en tire la réserve ont une très grande importance (voir Folster, précité). Lorsque le revenu provient de prestations d'assurance‑chômage, le facteur le plus important est de savoir où le travail ouvrant droit aux prestations a été effectué (voir Williams, précité). Lorsqu'il s'agit d'un revenu d'entreprise, le facteur primordial sera l'endroit où le travail a été effectué et où se trouve la source du revenu (voir Southwind c. La Reine, le 14 janvier 1998, dossier A-760-95 (C.A.F.)). [Non souligné dans l’original.]

 

 

[74]     Il a ajouté : « De même, lorsqu'un revenu de placement est en cause, ce revenu doit être considéré en fonction de son lien avec la réserve, de son effet bénéfique sur le mode de vie traditionnel des autochtones, du risque potentiel d'une atteinte aux biens des autochtones et de la mesure dans laquelle il peut être considéré comme provenant d'une activité du marché ordinaire ». Dans ce contexte, il s’est dit d’avis que c’était à bon droit que le juge de la Cour de l'impôt avait accordé beaucoup d'importance à la façon dont le revenu de placement avait été produit. À son avis, étant un revenu passif, le revenu de placement n'est pas produit par le travail individuel du contribuable. Il a estimé que le travail est accompli par l'argent qui est investi partout dans le pays. Dans ces conditions, la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge de la Cour de l'impôt avait à bon droit accordé beaucoup d'importance à des facteurs comme la résidence de l'émetteur des titres, l'endroit où sont exercées les activités génératrices du revenu de l'émetteur, et l'endroit où se trouvent les biens de l'émetteur des titres.

 

[75]     Il n’a pas accordé d’importance au fait que le courtier de ces titres, qui était la succursale locale de la Banque de Montréal, était situé sur la réserve, car les émetteurs des titres, les sociétés qui offraient les acceptations bancaires et les gestionnaires des fonds communs de placement en cause n'avaient aucun lien avec la réserve.

 

[76]     Finalement, le juge Linden s’est demandé si c’était à bon droit que le juge de la Cour de l’impôt avait accordé moins d’importance à des facteurs comme le lieu de résidence du contribuable, la source du capital qui avait permis l'achat des titres, le lieu où les titres avaient été achetés et le revenu touché, l'endroit où le document attestant les titres était conservé et où le revenu a été dépensé. À son avis, le juge de la Cour de l'impôt avait correctement pondéré les différents facteurs de rattachement qui entrent en jeu à la lumière de l'objet de la loi.

 

Analyse

a) Norme de contrôle

[77]     Dans l’arrêt Lanno c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CAF 153, la juge Sharlow a, au nom de la Cour d’appel fédérale, précisé la norme de contrôle applicable dans le cas des décisions relevant du paragraphe 152(4.2) de la LIR.

 

[78]     Elle a expliqué que, lorsque le contrôle porte sur le bien-fondé de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

b) Motifs de contrôle

[79]     Ainsi que la juge Sharlow l’a signalé dans l’arrêt Lanno, précité, dans l’arrêt Barron c. Canada (Ministre du Revenu national-M.N.R.), 97 DTC 5121, [1997] A.C.F. no 175, la Cour d’appel fédérale a précisé les motifs sur lesquels se fonde le contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre. Le juge Pratte a signalé, dans cet arrêt, que, lorsque la demande de contrôle judiciaire porte sur une décision prise dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal saisi de la demande de contrôle judiciaire n’est pas appelé à exercer le pouvoir discrétionnaire conféré à la personne qui a pris la décision et que «[l]a cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit ».

 

c) Analyse

[80]     Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu confère au ministre, sur demande du contribuable, l’autorité et le pouvoir discrétionnaire de décider de l’opportunité de revenir, en vue de l’établissement d’une nouvelle cotisation, sur une année d’imposition frappée de prescription en vue de procéder à des corrections aux cotisations relatives à l’année en question.

 

[81]     Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu a pour objet de permettre, dans les limites de ses propres paramètres, une certaine souplesse et une certaine latitude permettant de prendre une mesure spéciale dans les cas méritoires frappés de prescription.

 

[82]     Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu dispose :

Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable − particulier, autre qu'une fiducie, ou fiducie testamentaire − pour une année d'imposition le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l'année ou la réduction d'un montant payable par le contribuable pour l'année en vertu de la présente partie,

 

le ministre peut, sur demande du contribuable :

 

a) établir de nouvelles cotisations concernant l'impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l'année en vertu de la présente partie;

 

b) déterminer de nouveau l'impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l'impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l'année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l'année.

 

Notwithstanding subsections 152(4), 152(4.1) and 152(5), for the purpose of determining, at any time after the expiration of the normal reassessment period for a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a testamentary trust in respect of a taxation year,

 

(a) the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for that year, or

 

(b) a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for that year,

 

the Minister may, if application therefore has been made by the taxpayer,

(c) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year, and

 

(d) redetermine the amount, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer's tax payable under this Part for the year or deemed by subsection 122.61(1) to be an overpayment on account of the taxpayer's liability under this Part for the year.

 

 

[83]     L’avocat des demandeurs affirme que la décision du délégué était déraisonnable surtout parce q qu’il a mal interprété la jurisprudence pertinente portant sur le situs des revenus d’emploi des demandeurs ou qu’il n’en a pas tenu compte.

 

[84]     L’avocat des demandeurs soutient que, pour les années d’imposition 1988 à 1992, les arrêts Nowegijick et Mitchell s’appliqueraient. Il reconnaît que, dans l’arrêt Nowegijick, la Cour suprême du Canada a appliqué des principes relatifs au conflit des lois pour conclure que, malgré le fait que l’employé visé dans cette affaire avait effectué son travail à l’extérieur de la réserve, ses revenus étaient exonérés étant donné que le siège social des employeurs était situé dans la réserve. À son avis, cet arrêt porte un coup fatal à la thèse que les mots « situés sur la réserve » signifient « travailler dans la réserve ».  Il fait valoir que, dans l’arrêt Mitchell, précité, le tribunal a statué que l’objet de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens est de préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d'imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. L’arrêt Mitchell, précité, consacre le principe que l’article 87 de la Loi sur les Indiens doit être interprété de façon téléologique.

 

[85]     Pour les années d’imposition 1992 à 1998, il soutient que le critère des facteurs de rattachement s’appliquerait ainsi que la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans l’arrêt Williams, précité.

 

[86]     L’avocat des demandeurs invoque d’autres moyens à l’appui de sa thèse que la décision du délégué était déraisonnable, à savoir :

 

• Le délégué a fondé sa décision sur des considérations dénuées de pertinence : le fait que les demandeurs n’avait pas réclamé d’exemption fiscale au cours des années d’imposition pertinentes et qu’ils n’avaient pas produit d’avis d’opposition;

 

• Il a entravé son pouvoir discrétionnaire en considérant que la politique de l’Agence du revenu du Canada (ARC) constituait une règle obligatoire et en [traduction] « appliquant aveuglément la politique de l’ARC sans examiner le bien-fondé intrinsèque de la demande d’équité pour les années d’imposition 1988 à 1999, ce qui est contraire à la loi »;

 

• Plus précisément, dans son mémoire exposant les faits et le droit, l’avocat des demandeurs s’attarde à la Circulaire d’information 92-3 intitulée « Lignes directrices 92-3 concernant l’émission de remboursements en dehors de la période normale de trois ans » et en précisant, dans sa décision, que ce document  « renferme les directives que l’Agence doit suivre lorsqu’elle applique les dispositions d’équité ». Il a ensuite cité l’extrait suivant de la circulaire : « Le Ministère émettra un remboursement [...] s’il est persuadé que le remboursement [...] aurait été accordé si la déclaration [...] avait été soumise à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la loi ». Il a conclu en déclarant : « C’est sur le fondement de cette déclaration que je dois rejeter votre demande ».

      

• Le délégué a manqué à son obligation d’agir avec équité en se fondant sur la doctrine des attentes légitimes pour déclarer : [traduction] « il y a eu manquement à cette doctrine parce qu’il n’a pas examiné chacune des demandes d’équité à son mérite en fonction de l’année d’imposition en question et, au troisième palier, les demandeurs auraient droit à un nouvel examen, ce qui n’a pas été le cas, parce que le raisonnement suivi au premier et au second paliers ont été incorporés par renvoi à la décision de troisième palier.           

 

 

d) Conclusions

 

[87]     Pour les motifs qui précèdent et qui sont fondés sur l’ensemble du dossier dont je dispose, je conclus qu’il y a lieu de rejeter chacune des demandes de contrôle judiciaire avec une seule série de dépens.

 

[88]     Pour être plus précis, le dossier sur lequel je fonde mes conclusions est constitué des deux affidavits susmentionnés auxquels sont jointes de nombreuses annexes réunissant toutes les pièces du premier, deuxième et troisième paliers de révision, à savoir les observations formulées pour le compte de chacun des demandeurs, les motifs des décisions rendues à chacun des paliers ainsi que les renseignements à l’appui qui se trouvent dans les documents en question.

 

[89]     J’incorpore notamment les rapports d’Anyta Neustaedter concernant chacun des demandeurs dans les décisions rendues au troisième palier par Mark McWhinney qui font l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire.

 

[90]     Avant de passer à un autre point, je tiens à signaler les propos suivants qu’a tenus le juge en chef Laskin dans l’arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration [1974] R.C.S. 875, à la page 885 :

Il ne faut pas examiner ses motifs à la loupe, il suffit qu'ils laissent voir une compréhension des questions que l'art. 15(1)b) soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée

 

[91]     Dans chaque cas, chacun des demandeurs a d’abord demandé en 2003 au ministre d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 152(4.2) de la LIR en vue de revenir, en vue de l’établissement d’une nouvelle cotisation, sur une année d’imposition frappée de prescription pour rectifier les cotisations établies pour les années d’imposition 1988 à 1998.

 

[92]      Sur la question essentielle de savoir si le délégué a bien suivi l’évolution de la jurisprudence sur les biens meubles « situés sur une réserve » au sens du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens, les parties ne sont pas en désaccord en ce qui concerne la démarche que le décideur devait suivre pour exercer régulièrement son pouvoir discrétionnaire.

    

[93]     Pour chacune des années d’imposition pertinente, le décideur était obligé d’évaluer l’état de la jurisprudence pour en dégager les orientations raisonnables en ce qui concerne le situs du revenu de chacun des demandeurs. S’il y avait lieu de conclure qu’il était situé dans la réserve, le revenu d’emploi était exonéré d’impôt, ouvrant ainsi droit à un remboursement de l’impôt payé.      

 

[94]     Ce n’est pas n’importe quelle jurisprudence qui doit servir de guide en ce qui concerne l’application du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 152(4.2) de la LIR confère au ministre. Il ressort du dossier que le ministre a tenu compte des décisions rendues en dernier ressort, c’est-à-dire des arrêts de la Cour suprême du Canada, ou de la Cour d’appel fédérale lorsque l’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada n’avait pas été demandé ou avait été refusé, ou des jugements de la Cour canadienne de l’impôt lorsque ceux-ci n’avaient pas été portés en appel devant la Cour d’appel fédérale. À mon avis, le décideur a agi de manière raisonnable en adoptant cette méthode au sujet de la jurisprudence obligatoire. La juge Sharlow a d’ailleurs appuyé cette méthode dans l’arrêt Lanno, précité, au paragraphe 15.     

 

[95]      À mon avis, l’application de la jurisprudence appropriée pour chacune des années d’imposition 1988 à 1998 ne permet pas, pour les motifs qui suivent, de conclure que le situs du revenu d’emploi de l’un ou l’autre des demandeurs était situé dans la réserve.

 

[96]     Premièrement, pour les années d’imposition 1988, 1989, 1990 et 1991, c’était l’arrêt Nowegijick qui s’appliquait. Or, dans cet arrêt, il a été jugé que le situs du revenu d’emploi gagné par un employé coïncidait avec le lieu où se trouvait le siège de l’employeur. Dans cette affaire, le revenu en cause était situé dans une réserve; dans celui qui nous intéresse, le siège social ou les bureaux administratifs de Coastland sont situés à l’extérieur de la réserve. L’affaire Mitchell a été jugée en 1990. Bien qu’elle ne porte pas sur l’article 87 de la Loi sur les Indiens, elle renferme des énoncés importants au sujet de l’objet visé par cet article en ce qui concerne l’insaisissabilité et l’exonération d’impôt des biens meubles.

 

[97]     Deuxièmement, l’affaire Williams, précitée, a été jugée au cours de l’année d’imposition 1992 des demandeurs. Le tribunal y définit le critère des facteurs de rattachement permettant de déterminer le situs des biens meubles en vertu de l’article 87 dans une affaire portant sur le situs de prestations d’assurance-chômage. Le juge Gonthier y déclare expressément que cette affaire ne se prêtait pas à l’élaboration d’un critère en ce qui concerne le situs de la réception des revenus d’emploi, ce qui est précisément l’objet des demandes de contrôle judiciaire dont la Cour est saisie en l’espèce.

 

[98]     Troisièmement, au cours des années d’imposition 1993 à 1998 des demandeurs, les facteurs de rattachement appropriés et l’importance à leur accorder en ce qui concerne le situs des revenus d’emploi ont évolué et n’étaient pas arrêtés définitivement. Pour ce qui est des revenus d’emploi, la question a été tranchée en 1999 par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Amos, précité.

 

[99]     Le jugement rendu en 1992 par la Cour de l’impôt dans l’affaire Folster, précitée, n’était pas fondé sur l’article 87 de la Loi sur les Indiens, mais sur la disposition déterminative de l’article 90 de cette même loi. Cette décision a été annulée en 1994 par le juge Cullen qui, appliquant le critère des facteurs de rattachement énoncé dans l’arrêt Williams, a conclu que les revenus d’emploi de Mme Foslter n’étaient pas situés dans la réserve, accordant de l’importance surtout à la résidence de l’employeur et au lieu où les fonctions de l’emploi étaient exécutées. 

 

[100]     C’est le 22 mai 1997 que la Cour d’appel fédérale a fait droit à l’appel de Mme Folster en tenant compte d’une foule de circonstances qui ne s’appliquent pas en l’espèce et en estimant que les revenus d’emploi de l’appelante étaient situés dans la réserve.

 

[101]     Quatrièmement, pour l’année d’imposition 1998 des demandeurs, sur le fondement de faits très semblables à ceux de la présente affaire, un juge de la Cour de l’impôt a estimé que les circonstances entourant l’emploi des demandeurs ne permettaient pas de penser que le situs de leur revenu d’emploi se trouvait dans la réserve. Ainsi que je l’ai signalé précédemment, ce n’est que le 18 mai 1999 que la Cour fédérale a fait droit à l’appel. Comme je l’ai fait remarqué, depuis l’année d’imposition 1999, le ministre reconnaît que le revenu d’emploi des demandeurs est exempt d’impôt en vertu de l’alinéa 87(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu.                                                         

 

[102]     Pour ces motifs, je conclus que le délégué a appliqué correctement et raisonnablement les règles de droit aux faits portés à sa connaissance, ce qui l’a amené à conclure que si ces faits avaient été examinées au cours des années en question, les demandeurs n’auraient pas pu se prévaloir de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. 

 

[103]     J’estime mal fondés les autres moyens invoqués par les demandeurs en vue de faire annuler la décision au motif qu’elle serait déraisonnable.

 

[104]     Je n’accepte pas que la décideur a fondé sa décision sur le fait que les demandeurs n’avaient pas réclamé d’exemption fiscale lorsqu’ils ont produit leurs déclarations pour les années 1988 à 1998 et qu’ils ne s’étaient pas opposés à la cotisation du ministre. Ce qui est déterminant dans la décision à l’examen est le fait qu’au vu du dossier dont il disposait, le décideur a estimé que la jurisprudence applicable avant 1999 ne permettait pas de penser que le situs des revenus d’emploi des demandeurs se trouvait dans la réserve et que, pour cette raison, si les demandeurs avaient affirmé que ce revenu était exonéré d’impôt lorsqu’il ont produit leur déclarations, leurs revenus n’auraient pas été considérés comme exempts d’impôt. Ainsi que je l’ai déjà dit, le décideur a bien agi et il lui était loisible d’en arriver à cette conclusion.               

 

[105]     Je ne suis pas d’accord pour dire que le décideur a entravé son pouvoir discrétionnaire en appliquant aveuglément la Circulaire d’information. Il est vrai que le décideur a cité ce document dans sa décision et qu’il a déclaré : « C’est sur le fondement de cette déclaration que je dois rejeter votre demande ». L’extrait de la circulaire qu’il a cité reprenait simplement l’exigence formulée au paragraphe 152(4.2) de la LIR, en l’occurrence l’obligation pour lui de refuser d’accorder l’exonération d’impôt réclamée par les demandeurs si ceux-ci avaient d’abord affirmé, au moment de la production de leurs déclarations de revenus, que leurs revenus d’emploi de Coastland étaient exempts d’impôt.

 

[106]     Enfin, l’avocat des demandeurs n’a pas insisté devant moi pour que je conclue à un manquement à l’attente légitime consistant à faire réexaminer leur dossier par un décideur de troisième palier. Il ressort du dossier que la cause de chacun des demandeurs a été examinée en profondeur par le décideur, qui a tenu dûment compte de l’ensemble du dossier.


JUGEMENT

Chacune des demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers T-1799-05, T‑1800-05, T-1801-05 et T-1802- 05 est rejetée. Le défendeur a droit à uniquement une série de dépens pour toutes les demandes de contrôle judiciaire pour lesquelles chacun des demandeurs devra assumer le quart des dépens totaux.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIERS :                                                  T-1799-05, T-1800-05, T-1801-05, T-1802-05

 

INTITULÉ :                                                   ARNOLD WYSE, RAYMOND CLAYTON WYSE, WAYNE MANSON ET JAMES WESLEY

                                                                        c.

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 FÉVRIER 2007 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 MAI 2007        

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Gailus                                                                   POUR LES Demandeurs

 

 

Wendy Yoshida                                                            POUR LE défendeur

                                                                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :              

 

John Gailus                                                                   POUR LES Demandeurs

Devlin Gailus

Avocats

250-361-9469

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE défendeur

Sous-procureur général du Canada

 

 

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