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Date : 20070523

Dossier : IMM-5735-06

Référence : 2007 CF 541

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2007

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Max M. Teitelbaum

 

 

ENTRE :

AL-KASSOUS, MOHAMED ABDULLAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 16 août 2006 par laquelle S. MacKay, un agent d’immigration (l’agent), a rejeté la demande de résidence permanente déposée par le demandeur en qualité de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

[2]               Mohamed Abdullah Al‑Kassous, le demandeur, est citoyen du Yémen. Il a vécu en France de 1971 à 1979 et il y a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle. Il a obtenu, plus tard, une maîtrise dans un établissement français au Yémen. Le demandeur croit parler français couramment et il a demandé à ce que le français soit considéré comme sa première langue officielle dans le cadre de sa demande de résidence permanente.

 

[3]               En vertu du paragraphe 79(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), des points sont attribués au demandeur de la catégorie des travailleurs qualifiés conformément à ses compétences dans les langues officielles, soit sur le fondement des résultats des évaluations effectuées par une des organisations désignées (alinéa 79(1)a)), soit en fonction de la preuve écrite fournie (alinéa 79(1)b)).

 

[4]               Le demandeur a présenté les résultats obtenus en vertu du Système international de tests de langue anglaise comme preuve de ses compétences en anglais, ainsi qu’une preuve écrite de ses compétences en français. Dans une lettre datée du 26 novembre 2005, le bureau des visas a informé le demandeur que la preuve fournie pour démontrer ses aptitudes en français n’était pas concluante et qu’on lui donnait la possibilité de fournir les résultats d’un test de connaissances linguistiques avant que ne soit déterminé le nombre définitif de points qui lui seraient attribués pour sa compétence en français. La lettre indiquait également qu’aucune autre observation écrite ne serait acceptée de sa part.

 

[5]               Dans une lettre datée du 30 mai 2006, l’avocat du demandeur a informé le bureau des visas qu’il était impossible de passer un test de connaissance du français au Yémen. Il a fait valoir qu’étant donné que le demandeur avait obtenu un diplôme de premier cycle ainsi qu’une maîtrise en français, il devait nécessairement parler couramment français, et il a demandé au bureau des visas de l’informer si cela était suffisant.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]               L’agent a accordé au demandeur un total de 64 points. La note de passage était alors de 67 points. Le demandeur a obtenu 14 points sur le maximum de 24 points pour sa compétence dans les langues officielles. L’agent lui a attribué 6 points pour sa compétence en anglais et 8 points pour sa compétence en français.

 

[7]               Voici l’extrait pertinent des notes de l’agent d’immigration qui figurent dans le STIDI :

[traduction] L’intéressé a suivi et terminé un programme de baccalauréat en France de septembre 1972 à juin 1975. D’après l’annexe 1, le demandeur a vécu en France de septembre 1971 à novembre 1979. L’intéressé a suivi et terminé un programme de deuxième cycle de septembre 1987 à juin 1989 dans un établissement français. Cependant, d’après l’annexe 1, il ne vivait pas en France au cours de cette période.

 

L’intéressé a indiqué que sa langue maternelle est l’arabe. D’après les renseignements qu’il a fournis dans sa demande, au cours des 26 dernières années, l’intéressé a résidé 18 ans au Yémen, pays où l’on parle l’arabe, et il a terminé ses études en France il y a environ 17 ans. Je ne suis pas convaincu que l’intéressé a démontré une compétence en français correspondant au niveau 8 dans toutes les catégories d’après les Standards linguistiques canadiens.

 

Compte tenu des études qu’il a effectuées en France, du temps qui s’est écoulé depuis qu’il a terminé ces études et du temps qu’il a passé dans un milieu francophone, je suis convaincu que les capacités de l’intéressé pour parler, écouter, lire ou écrire correspondent au niveau 6 d’après les Standards linguistiques canadiens; 2 points lui ont été attribués dans chaque catégorie, soit un total de 8 points pour la compétence dans la première langue officielle.

 


 

OBSERVATIONS DES PARTIES

[8]               Le seul élément de la décision rendue par l’agent d’immigration que le demandeur conteste est le nombre de points qu’il lui a attribués pour sa compétence en français. Le demandeur présente deux arguments à cet égard. Premièrement, il fait valoir que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers lui en refusant de lui permettre de fournir une autre preuve écrite de sa compétence dans cette langue. Deuxièmement, il affirme que l’agent d’immigration a commis une erreur en évaluant le nombre de points qu’il devait lui attribuer pour la langue. Il soutient plus particulièrement que l’agent d’immigration n’a pas évalué sa compétence en français d’après les Standards linguistiques canadiens, violant ainsi le paragraphe 79(2) du Règlement.

 

[9]               Le défendeur fait valoir que l’agent d’immigration n’a pas manqué à son obligation en matière d’équité procédurale parce qu’il a donné deux fois au demandeur la possibilité de présenter les résultats d’un test de connaissances linguistiques en français. Le défendeur souligne également qu’il incombe au demandeur de produire tous les éléments de preuve nécessaires pour établir qu’il satisfait aux conditions d’obtention d’un visa. Enfin, le défendeur soutient que, compte tenu de la preuve dont avait été saisi l’agent d’immigration et en l’absence des résultats concluants d’un test de compétence linguistique, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la compétence du demandeur en français était modérée plutôt qu’élevée.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[10]           Les dispositions pertinentes du Règlement sont les suivantes :

79. (1) Le travailleur qualifié indique dans sa demande de visa de résident permanent la langue — français ou anglais — qui doit être considérée comme sa première langue officielle au Canada et celle qui doit être considérée comme sa deuxième langue officielle au Canada et :

 

a) soit fait évaluer ses compétences dans ces langues par une institution ou organisation désignée aux termes du paragraphe (3);

b) soit fournit une autre preuve écrite de sa compétence dans ces langues.

(2) Un maximum de 24 points d’appréciation sont attribués pour la compétence du travailleur qualifié dans les langues officielles du Canada d’après les standards prévus dans les Standards linguistiques canadiens 2002, pour le français, et dans le Canadian Language Benchmarks 2000, pour l’anglais, et selon la grille suivante :

 

a) pour l’aptitude à parler, à écouter, à lire ou à écrire à un niveau de compétence élevé :

(i) dans la première langue officielle, 4 points pour chaque aptitude si les compétences du travailleur qualifié correspondent au moins à un niveau 8,

(ii) dans la seconde langue officielle, 2 points pour chaque aptitude si les compétences du travailleur qualifié correspondent au moins à un niveau 8;

 

b) pour les capacités à parler, à écouter, à lire ou à écrire à un niveau de compétence moyen :

(i) dans la première langue officielle, 2 points pour chaque aptitude si les compétences du travailleur qualifié correspondent aux niveaux 6 ou 7,

(ii) dans la seconde langue officielle, 2 points si les compétences du travailleur qualifié correspondent aux niveaux 6 ou 7;

c) pour l’aptitude à parler, à écouter, à lire ou à écrire chacune des langues officielles :

(i) à un niveau de compétence de base faible, 1 point par aptitude, à concurrence de 2 points, si les compétences du travailleur qualifié correspondent aux niveaux 4 ou 5,

 

(ii) à un niveau de compétence de base nul, 0 point si les compétences du travailleur qualifié correspondent à un niveau 3 ou à un niveau inférieur.

 

79. (1) A skilled worker must specify in their application for a permanent resident visa which of English or French is to be considered their first official language in Canada and which is to be considered their second official language in Canada and must

(a) have their proficiency in those languages assessed by an organization or institution designated under subsection (3); or

(b) provide other evidence in writing of their proficiency in those languages.

 

 (2) Assessment points for proficiency in the official languages of Canada shall be awarded up to a maximum of 24 points based on the benchmarks referred to in Canadian Language Benchmarks 2000 for the English language and Standards linguistiques Canadiens 2002 for the French language, as follows:

(a) for the ability to speak, listen, read or write with high proficiency

(i) in the first official language, 4 points for each of those abilities if the skilled worker's proficiency corresponds to a benchmark of 8 or higher, and

(ii) in the second official language, 2 points for each of those abilities if the skilled worker's proficiency corresponds to a benchmark of 8 or higher;

(b) for the ability to speak, listen, read or write with moderate proficiency

(i) in the first official language, 2 points for each of those abilities if the skilled worker's proficiency corresponds to a benchmark of 6 or 7, and

(ii) in the second official language, 2 points for each of those abilities if the skilled worker's proficiency corresponds to a benchmark of 6 or 7; and

(c) for the ability to speak, listen, read or write

(i) with basic proficiency in either official language, 1 point for each of those abilities, up to a maximum of 2 points, if the skilled worker's proficiency corresponds to a benchmark of 4 or 5, and

(ii) with no proficiency in either official language, 0 points if the skilled worker's proficiency corresponds to a benchmark of 3 or lower.

 

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           La présente espèce soulève les questions suivantes :

1.      L’agent d’immigration a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers le demandeur en refusant de lui permettre de fournir une autre preuve écrite de sa compétence linguistique?

 

2.      L’agent d’immigration a‑t‑il commis une erreur relativement au nombre de points qu’il a attribués au demandeur pour ses compétences en français?

 

3.      L’agent d’immigration a‑t‑il commis une erreur relativement au nombre de points qu’il a attribués au demandeur pour ses compétences en français, sans expliquer pourquoi il n’a attribué que 2 points pour chacune des aptitudes (1) parler, (2) écouter et lire et (3) écrire?

 

ANALYSE

 

1)      Manquement à l’équité procédurale

[12]           La première question en litige porte sur l’équité procédurale et, par conséquent, la question de la norme de contrôle applicable ne se pose pas. La Cour ne fera pas preuve de retenue à l’égard d’une décision s’il est déterminé que le tribunal administratif s’est dérobé à son obligation d’équité procédurale (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539).

 

[13]           Le demandeur invoque la décision Islam c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 424, pour affirmer que le fait de refuser à un demandeur la possibilité de présenter soit une preuve écrite de sa compétence soit les résultats d’un test ainsi que le prévoit le paragraphe 79(1) constitue un manquement à l’équité procédurale.

 

[14]           Dans la décision Islam, le demandeur a été informé par une lettre que ses prétentions écrites n’appuyaient pas le niveau de compétence qu’il prétendait avoir dans sa demande. La lettre indiquait également que le demandeur pouvait présenter les résultats de tests linguistiques, mais que d’autres prétentions écrites ne seraient pas acceptées. Enfin, la lettre mentionnait que si le demandeur ne présentait pas les résultats de tests linguistiques, sa demande serait évaluée sur le fondement des renseignements qui se trouvaient alors dans le dossier.

 

[15]           Aux paragraphes 7à 9 de la décision Islam, le juge Campbell a dit :

L’avocat du demandeur prétend que, compte tenu du fait que la décision définitive n’a été rendue qu’après l’entrevue, le fait de refuser au demandeur la possibilité de présenter une autre preuve écrite équivaut à une erreur de droit et à un manquement à l’application régulière de la loi, puisque le Règlement sur l’IPR donne clairement au demandeur la possibilité de subir les tests visés par règlement ou de présenter une preuve écrite. L’avocat du demandeur soutient que si le demandeur avait eu la possibilité de présenter une autre preuve écrite, il aurait pu fournir d’autres documents qui auraient confirmé sa compétence en anglais.

Je suis d’accord avec l’avocat du demandeur.

Bien que la preuve écrite présentée au départ par le demandeur ait été jugée inacceptable, l’agent des visas a donné au demandeur une deuxième chance de satisfaire aux exigences de l’article 79; il pouvait soit subir les tests visés par règlement, soit présenter une preuve écrite. Le fait qu’on ait empêché le demandeur de choisir une des possibilités lors de la deuxième tentative constitue à mon avis un manquement à l’application régulière de la loi.

 

[16]           Le défendeur soutient que la décision Islam ne s’applique pas parce que le juge Campbell a conclu que l’entrevue avait constitué une deuxième chance pour le demandeur de satisfaire aux exigences de l’article 79 du Règlement.

 

[17]           J’estime que cet argument n’est pas convaincant. Le raisonnement suivi dans la décision Islam est clair : si une deuxième chance de satisfaire aux exigences de l’article 79 est donnée à un demandeur, il y a manquement si on empêche le demandeur de choisir une des possibilités prévues à l’article 79. En l’espèce, il ressortait clairement de la lettre du 26 novembre 2005 que la décision n’avait pas encore été prise et qu’on donnait au demandeur une deuxième chance de satisfaire aux exigences de l’article 79. Par conséquent, je conclus que l’agent d’immigration ne s’est pas acquitté de son obligation en matière d’équité procédurale.

 

2)      La détermination par l’agent d’immigration du nombre de points attribués au demandeur pour sa compétence en français

[18]           La norme de contrôle applicable à la deuxième question doit être déterminée par une analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

[19]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, ne comporte ni clause privative ni droit d’appel.

 

[20]           L’agent d’immigration a une plus grande expertise que la Cour en ce qui concerne l’évaluation des compétences linguistiques des demandeurs et du nombre de points qu’il convient de leur attribuer pour leurs compétences linguistiques. Selon ce facteur, la retenue s’impose à l’égard de la décision de l’agent.

 

[21]           L’article 79 du Règlement établit le régime d’attribution de points concernant les compétences dans les langues officielles des demandeurs qui présentent une demande de résidence permanence en qualité de membres de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Comme cette disposition détermine les droits de chaque demandeur en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une moins grande retenue s’impose à l’égard de la décision de l’agent des visas.

 

[22]           Le dernier facteur est la nature de la question en litige. L’agent d’immigration était tenu d’évaluer les aptitudes du demandeur en français sur le fondement de ses prétentions écrites. Il s’agit d’une conclusion de fait pour laquelle l’agent a dû examiner les renseignements versés au dossier du demandeur en ce qui concerne son expérience de la langue française et évaluer les prétentions écrites du demandeur d’après les Standards linguistiques canadiens.

 

[23]           Après avoir soupesé ces facteurs, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[24]           La lettre exposant la décision indiquait que le nombre de points attribués par l’agent d’immigration au demandeur pour sa compétence en français se fondait sur ses prétentions écrites ainsi que sur les renseignements versés au dossier; cependant, les notes du STIDI ne contiennent aucune analyse de l’échantillon écrit du demandeur, ni aucune analyse expliquant pourquoi on ne lui a attribué que 6 points pour les aptitudes à parler, à écouter, à lire et à écrire.

 

[25]           Le paragraphe 79(2) du Règlement prévoit que les points sont attribués pour la compétence dans les langues officielles d’après les Standards linguistiques canadiens (Canadian Language Benchmarks pour l’anglais). Dans les notes du STIDI, il est uniquement indiqué que [traduction] « Je ne suis pas convaincu que l’intéressé a démontré une compétence en français correspondant au niveau 8 ». Cette conclusion semble se fonder entièrement sur le fait que le demandeur a terminé ses études en France il y a 17 ans, puisque qu’il n’y a dans les notes du STIDI aucune référence à l’échantillon écrit du demandeur. L’échantillon écrit du demandeur constituait une partie importante de ses prétentions. L’agent était tenu d’évaluer les compétences du demandeur en français en se fondant sur les renseignements concernant l’expérience du demandeur en français, ainsi que sur l’échantillon écrit qu’il avait fourni. À mon avis, en raison de l’omission d’évaluer l’échantillon écrit d’après les Standards linguistiques canadiens, la décision est déraisonnable.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

 

            Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour une nouvelle audience.

 

            Les parties peuvent demander la certification d’une question dans un délai de sept jours à compter d’aujourd’hui.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Dossier :                                                             IMM-5735-06

 

INTITULÉ :                                                               Mohamed Abdullah AL-KASSOUS

                                                                                    c.

                                                                                M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   Le 22 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT                                   LE Juge suppléant TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                          Le 23 mai 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mike Bell                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne Ptack                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mike Bell

24 Bayswater Avenue

Ottawa (Ontario)                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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