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Date : 20070523

Dossier : IMM-3939-06

Référence : 2007 CF 544

 

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

HUI QING LI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne de Chine âgée de 23 ans qui a demandé l’asile au Canada parce qu’elle serait persécutée dans son pays d’origine du fait que ses parents sont des adeptes du Falun Gong et qu’elle-même pratique le Falun Gong depuis son arrivée au Canada en novembre 2002.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande le 22 juin 2006. La décision de la Commission reposait sur la crédibilité du récit de la demanderesse. La Commission a relevé plusieurs contradictions entre les déclarations faites par cette dernière, par l’entremise d’un interprète du mandarin, à l’agent d’immigration au point d’entrée et son Formulaire de renseignements personnels (FRP), qui a été modifié à plusieurs reprises avant l’audience, en particulier en ce qui concerne le moyen par lequel elle est arrivée au Canada et sa déclaration suivant laquelle elle était perçue par les autorités chinoises comme une adepte du Falun Gong.

 

[3]               En plus de conclure au manque de crédibilité de son récit en ce qui touche les points précités, la Commission n’a pas cru que la demanderesse était une véritable adepte du Falun Gong au Canada.

 

[4]               La Commission a reconnu que la demanderesse avait nommé, exécuté et récité correctement les versets du premier et du quatrième exercices du Falun Gong et qu’elle avait produit des photographies d’elle en train de pratiquer le Falun Gong et de participer à des événements du Falun Dafa au Canada, ainsi qu’une lettre d’un camarade pratiquant le Falun Gong certifiant qu’elle est une adepte du Falun Gong. Elle a également reconnu qu’il était « loisible au tribunal de conclure que la demanderesse a la qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’elle ne pourrait pratiquer le Falun Gong si elle retournait en Chine ». Elle a toutefois jugé que la demanderesse « n’est pas un témoin crédible […] [et a] conclu, selon la prépondérance des probabilités, [qu’elle] a acquis sa connaissance du Falun Gong au Canada pour étoffer sa demande d’asile fabriquée de toutes pièces ».

 

[5]               Étant donné qu’aucun autre élément de preuve n’a démontré que la demanderesse était exposée à un risque sérieux d’être persécutée si elle devait retourner en Chine et qu’aucune preuve ne permettait de conclure qu’elle risquait d’être torturée, la Commission a déterminé qu’elle n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, et elle a rejeté sa demande.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               Les questions suivantes sont soulevées dans les observations écrites déposées à l’appui de la présente demande :

1.      Le tribunal a-t-il commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité en ne prenant pas en considération ou en interprétant mal la preuve au regard des contradictions relevées par le commissaire?

2.      Le tribunal a-t-il commis une erreur en omettant de tirer une conclusion claire et explicite concernant l’appartenance de la demanderesse au Falun Gong à la date de l’audience?

 

[7]               Comme l’a souligné la Cour dans Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 695, au paragraphe 27, « [i]l est bien établi en droit que les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile sont des conclusions de fait qui sont soumises à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) ».

 

[8]               La demanderesse a une lourde charge lorsqu’elle conteste une conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité : Moore c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1772 (1re inst.) (QL), au paragraphe 8. Bien que l’avocat de la demanderesse ait souligné dans sa plaidoirie que les conclusions de la Commission relatives à deux des contradictions étaient manifestement déraisonnables, il ne s’est pas attardé à l’ensemble des contradictions et ne m’a pas non plus convaincu que le commissaire n’a pas pris en considération ou a mal interprété la preuve. Par conséquent, je suis persuadé que la Commission était fondée à conclure comme elle l’a fait au sujet de la crédibilité et qu’il ne s’agit pas d’une question en litige réelle et concrète dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[9]               Il reste à savoir si le tribunal a commis une erreur en ne tirant pas une conclusion explicite et précise au sujet du risque de persécution auquel sera exposée la demanderesse parce qu’elle dit actuellement être une adepte du Falun Gong.

 

[10]           Comme la Cour l’a mentionné dans Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 25, au paragraphe 26, les articles 96 et 97 de la Loi établissent des conditions précises : « En conséquence, la Commission doit déterminer à partir des faits particuliers devant elle si une personne est un “réfugié au sens de la Convention” et si elle a le statut de “personne à protéger”. Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit. » La Cour a ensuite appliqué la norme de la décision raisonnable à la question mixte de fait et de droit en litige dans cette affaire : Umba, précitée, aux paragraphes 29 à 31. Elle a aussi statué dans d’autres affaires que cette norme s’applique aux questions mixtes de fait et de droit dont la Commission était saisie. Voir, par exemple, Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, au paragraphe 14; Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 289, au paragraphe 12.

 

[11]           Selon Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, un arrêt rendu par la Cour suprême du Canada, une décision ne sera jugée déraisonnable :

55    […] que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. […]

 

56   Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. […]

 

ANALYSE

 

[12]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en ne tirant pas une conclusion claire et explicite quant à son appartenance au Falun Gong à la date de l’audience et qu’elle n’a donc pas appliqué la définition de réfugié au sens de la Convention en tenant compte de sa nature prospective. Elle fait valoir qu’une personne ne doit pas nécessairement avoir subi de la persécution dans le passé pour établir une crainte fondée de persécution, mais qu’elle doit seulement démontrer qu’elle appartient à un groupe qui pourrait être la cible d’actes de persécution : Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.).

 

[13]           La demanderesse soutient également que la Commission n’a pas donné de motifs clairs expliquant pourquoi elle n’avait pas ajouté foi à tous les éléments de preuve étayant sa pratique du Falun Gong au Canada : Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.). La demanderesse reconnaît que, même si la Commission a conclu que la preuve avait été réunie pour « étoffer une demande d’asile fabriquée de toutes pièces » et que [traduction] « c’était peut-être ce qui avait poussé initialement la demanderesse à chercher à connaître le Falun Gong, le tribunal n’a pas fourni de motifs réfutant la preuve produite par la demanderesse le jour de l’audience ».

 

[14]           Le défendeur fait valoir que la Commission s’est expressément demandé si elle devait conclure que la demanderesse a la qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’elle ne serait pas en mesure de pratiquer le Falun Gong si elle retournait en Chine. La Commission n’était cependant pas tenue de tirer une telle conclusion puisqu’elle avait conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et qu’elle s’était associée au Falun Gong au Canada pour « étoffer une demande d’asile fabriquée de toutes pièces ». Il soutient que le fait que la Commission a reconnu la preuve et a tiré une conclusion à cet égard suffisait dans les circonstances.

 

[15]           Le défendeur appuie cette prétention sur Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 971, et sur Liu. Dans Yang, la Commission a statué que, en devenant une adepte du Falun Gong, la demanderesse avait simplement choisi un moyen facile de devenir une résidente canadienne en demandant l’asile. Compte tenu de cette conclusion, la Cour a conclu, dans le cadre du contrôle judiciaire, que la Commission n’était pas tenue de se demander expressément si les activités de la demanderesse au Canada pouvaient entraîner des persécutions en Chine : Yang, précitée, aux paragraphes 2 à 6. De même, dans Liu, la Cour a statué, aux paragraphes 43 et 44, que la Commission n’avait pas commis une erreur susceptible de contrôle en ne tirant pas explicitement une conclusion quant à la crédibilité de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était une adepte du Falun Gong, puisque la Commission avait analysé la preuve de la présence de la demanderesse à des événements du Falun Gong à Toronto et avait conclu que la valeur de cette preuve était peu élevée.

 

[16]           Comme la Cour l’a dit dans Salibian, au paragraphe 19, « point n’est besoin, en effet, pour se réclamer du statut de réfugié au sens de la Convention, de démontrer ni que la persécution est personnelle ni qu’il y a eu persécution dans le passé ». La demanderesse a donc raison d’affirmer qu’une personne ne doit pas nécessairement avoir subi de la persécution dans le passé pour établir une crainte fondée de persécution, mais qu’elle doit seulement démontrer qu’elle appartient à un groupe qui pourrait faire l’objet d’actes de persécution.

 

[17]           Il me semble toutefois que ce fait a été reconnu par la Commission en l’espèce, lorsqu’elle a dit qu’« [i]l est loisible au tribunal de conclure que la demandeure d’asile a la qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’elle ne pourrait pratiquer le Falun Gong si elle retournait en Chine ». Elle a toutefois conclu que, « selon la prépondérance des probabilités, […] la demandeure d’asile a acquis sa connaissance du Falun Gong au Canada pour étoffer sa demande d’asile fabriquée de toutes pièces ».

 

[18]           La Cour était aussi saisie de cette question dans Yang. Dans cette affaire, la Commission disposait d’une preuve moins abondante qu’en l’espèce relativement aux activités de Mme Yang au sein du Falun Gong au Canada; la Cour avait même fait état « du peu d’éléments de preuve » dont elle disposait (au paragraphe 4). Malgré tout, la décision de la Cour reposait sur le fait que la Commission avait clairement rejeté tout le récit de Mme Yang et conclu qu’elle « avait un motif secret lorsqu’elle est venue au Canada : présenter une fausse demande d’asile » (au paragraphe 5).

 

[19]           Dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480, la demanderesse prétendait, comme en l’espèce, que la Commission avait commis une erreur en ne déterminant pas si elle était membre du Falun Gong et si, le cas échéant, il en découlait un risque de persécution pour elle si elle retournait en Chine, citant expressément Saliban. La Cour a statué que la Commission n’avait pas procédé à l’analyse nécessaire en vue de déterminer si la demanderesse était alors une adepte du Falun Gong (au paragraphe 21).

 

[20]           La Cour a établi une distinction avec Chen dans Yang et Liu. Dans Yang, elle a souligné que la Commission avait soigneusement exposé les raisons pour lesquelles elle avait rejeté tout le récit de Mme Yang, y compris sa prétendue appartenance au Falun Gong. Elle a conclu ce qui suit :

6      Je suis d’avis que le cas en l’espèce diffère sur ce point des cas dans lesquels la Commission n’a pas procédé à une évaluation aussi approfondie de la crédibilité : voir, par exemple, Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480, [2002] A.C.F. no 647. Dans la décision Chen, la Commission ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la demanderesse était une adepte du Falun Gong. Le juge O’Keefe a conclu, avec raison, que la Commission avait omis de tenir compte du risque que la demanderesse soit maltraitée par le gouvernement de la Chine à son retour dans ce pays, et ce, même si la Commission ne croyait pas qu’elle y ait fait l’objet de persécution. En revanche, dans le cas en l’espèce, la Commission n’a pas ajouté foi à la prétention de la demanderesse selon laquelle elle aurait été adepte du Falun Gong en Chine. Elle a qualifié la demande dans son ensemble de mensonge. Je ne peux pas en arriver à la conclusion que la Commission a omis d’examiner une question importante.

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           Dans Liu, la crédibilité générale du récit de la demanderesse principale était également au cœur du litige et c’est la crédibilité de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était une adepte du Falun Gong qui a été analysée par la Cour. Celle‑ci a statué que, même si la Commission n’avait jamais explicitement tiré une conclusion à cet égard, cette omission n’équivalait pas à une erreur comme c’était le cas dans Chen (au paragraphe 43). Lorsqu’elle est parvenue à cette conclusion, la Cour a souligné que la Commission avait analysé la preuve de la présence de la demanderesse principale à des événements du Falun Gong à Toronto, « mais elle a conclu que sa valeur probante était peu élevée, étant donné que la demanderesse principale a admis que les photographies avaient été prises expressément aux fins de l’audience, et que quiconque pouvait assister à cet événement » (au paragraphe 44).

 

[22]           En l’espèce, la Commission a tiré des conclusions claires suivant lesquelles 1) elle ne croyait pas que la demanderesse avait été perçue comme une adepte du Falun Gong en Chine et 2) elle ne croyait pas que la demanderesse était actuellement une véritable adepte du Falun Gong. Bien que j’aie reconnu que la sincérité puisse s’acquérir avec la pratique au fil du temps, comme l’a fait valoir l’avocat, la Commission a clairement conclu dans la présente affaire que la preuve relative à la pratique du Falun Gong par la demanderesse au Canada avait été réunie dans le seul but d’étayer sa demande d’asile. Dans ces circonstances, bien qu’il ait peut-être été prudent de le faire, il n’était pas nécessaire que la Commission aille plus loin et affirme explicitement que la demanderesse ne serait pas persécutée si elle retournait en Chine parce qu’elle n’est pas une véritable adepte du Falun Gong.

 

[23]           Le raisonnement de la Commission résiste à un examen assez poussé sur ce point. Il est donc raisonnable en l’espèce, compte tenu des conclusions sous-jacentes relatives à la crédibilité.

 

[24]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3939-06

 

INTITULÉ :                                                   HUI QING LI

                                                                        c.

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                   

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