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Date : 20070524

Dossier : IMM-3991-06

Référence : 2007 CF 549

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

OSMAN AMAYA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

 

MOTIF DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un tribunal de la Section de l’immigration (le tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle le tribunal a déterminé que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) parce qu’il était membre d’un groupe du crime organisé. 

 

[2]               Le demandeur est citoyen du Salvador. Il s’est présenté à la frontière canadienne le 1er mars 2006 et a demandé l’asile. À son arrivée, il a admis avoir été membre de la bande Mara Salvatrucha 13 (MS-13) au Salvador entre 1992 et 1996 ou 1997.

 

[3]               Le demandeur a fourni des renseignements supplémentaires concernant son appartenance à la MS-13 au cours des entrevues réalisées au point d’entrée les 1er et 6 mars 2006. Il a expliqué avoir été initié par une certaine clique de la bande en 1992 en se faisant frapper au cours d’une fête pendant 12 à 14 secondes et a déclaré à l’agent à la frontière qu’il avait été tatoué à l’âge de 14 ou 15 ans. Il a également décrit certaines activités de la bande, notamment comment l’organisation se procurait de l’argent en volant ou en vendant de la drogue ou en demandant de l’argent à certaines personnes. Toutefois, il a déclaré n’avoir eu aucune responsabilité dans le groupe, notamment n’avoir jamais tué ou volé, bien qu’il ait admis avoir visité un membre de la bande en prison, avoir tenté de recruter des jeunes dans la bande et avoir réussi à recruter une personne. Il a ajouté qu’il avait assisté aux réunions de la bande et que l’argent était recueilli tous les huit jours.

 

[4]               Le demandeur a également déclaré à la frontière qu’il avait cessé d’être membre de la bande en 1996 ou 1997 et qu’il avait pris ses distances par rapport au groupe. Il a fondé sa demande d’asile sur le fait qu’il craignait d’être blessé par des membres de la MS-13 ainsi que par d’autres membres de bandes du Salvador, en précisant que des « Maras » avaient ouvert le feu sur lui et l’avaient poignardé en juin ou juillet 2005.

 

[5]               Une enquête a eu lieu les 8, 17 et 24 mai 2006. L’une des principales questions était de savoir si le demandeur était interdit de territoire pour activités de criminalité organisée en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Une grande partie du témoignage du demandeur contredisait la preuve fournie à l’agent au point d’entrée. L’élément le plus important est qu’il a déclaré avoir réellement joint les rangs de la MS-13 en 1995 seulement et que la description antérieure qu’il a faite de son initiation dans la bande en 1992 n’était pas vraie.

 

[6]               Le 5 juillet 2006, le tribunal a déterminé que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 37(1)a) et a pris une mesure d’expulsion contre lui. 

 

[7]               Le tribunal a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la MS-13 est une « organisation » visée par l’alinéa 37(1)a). 

[traduction] […] Elle est composée d’un groupe de personnes, que le gang a une hiérarchie et une structure. Elle est constituée de dirigeants et de partisans. Le groupe se caractérise par ses tatouages et son principal objectif est de se livrer à des activités criminelles dont les membres tirent un avantage. La preuve démontre que la bande n’a pas été formée au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction. Il est évident que la MS-13 existe depuis de nombreuses années et que les activités criminelles représentent une grande part de ses activités régulières qui procurent, entre autres choses, une sécurité financière.

 

 

[8]               Le tribunal s’est ensuite demandé si le demandeur était membre de la MS-13. Le tribunal a conclu que, pour faire partie de la bande, il fallait simplement appartenir à celle-ci, a souligné que le demandeur avait admis être membre et a ajouté qu’il existait d’autres indices de son statut de membre, notamment les tatouages du demandeur. Par conséquent, le tribunal a conclu que le demandeur avait vraisemblablement joint les rangs de la MS-13 en 1992, comme il l’a d’abord déclaré au point d’entrée.

 

[9]               Le tribunal a ensuite conclu, d’après le témoignage et les déclarations du demandeur recueillies à la frontière, que le demandeur était au courant des activités de la clique MS-13 avec laquelle il était associé. Le tribunal a déclaré ce qui suit : [traduction] « [le demandeur] connaissait personnellement les activités criminelles d’autres membres de la MS-13 faisant partie de sa ‘clique’ et a clairement toléré leurs activités qui procuraient un avantage financier au groupe ».

 

[10]           Ayant conclu que la MS-13 était une « organisation » et que le demandeur en était « membre », le tribunal s’est ensuite demandé si la MS-13 se livrait aux types de crimes visés par la disposition.

 

[11]           Le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas crédible aux motifs qu’il avait fourni deux récits différents au point d’entrée et à l’enquête, et a exposé en détail toutes les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur et le manque de précision du témoignage. Toutefois, la conclusion du tribunal quant à la crédibilité du demandeur concernait les tentatives du demandeur de s’éloigner, pendant l’enquête, du contenu de son témoignage au point d’entrée. Le tribunal n’a pas remis en cause la véracité des aveux et des déclarations du demandeur au point d’entrée.

 

[12]           Par ailleurs, le tribunal a conclu que M. Alicea, un enquêteur des gangs de la police de l’État de New York, qui connaît bien la MS-13 et qui a témoigné à l’enquête, était tout à fait crédible et a déterminé que son témoignage concernant la MS-13 du Salvador était aussi très valable. En ce qui concerne l’erreur commise par M. Alicea à propos de la date à laquelle avait pris fin la guerre civile au Salvador, le tribunal a expliqué ce qui suit : [traduction] « il a corrigé ce faux pas avant la fin de son témoignage. Rien n’indique qu’il ait tenté de tromper le tribunal ». Le tribunal a dit être d’avis que des éléments de preuve crédibles et dignes de foi lui permettaient de conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’organisation MS-13 se livrait à des activités criminelles et que M. Amaya était une personne visée par l’alinéa 37(1)a).

 

DISPOSITION LÉGISLATIVE APPLICABLE

[13]           L’alinéa 37(1)a) de la LIPR, qui prévoit l’interdiction de territoire de personnes pour des motifs de criminalité organisée, énonce ce qui suit :

37(1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

[…]

 

37(1) A permanent resident or foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

                 

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside of Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of a pattern.

 

[…]

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[14]            

a.       Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la bande MS-13 était une organisation visée par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR qui se livrait à des activités criminelles à Usulután entre 1992 et 1997?

 

b.      Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur avait l’élément moral requise pour être interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR?

 

ANALYSE

[15]           Les questions en litige concernent toutes deux l’application des faits de l’affaire aux critères juridiques découlant de la législation. Dans la décision Thanaratnam c. Canada (M.C.I.), [2006] 1 R.C.F. 474, 2005 CAF 122, une affaire dans laquelle on a examiné la portée de l’article 37 de la LIPR, le juge Evans a conclu au paragraphe 27 que le fait de déterminer si la preuve était suffisante pour constituer des « motifs raisonnables de croire » qu’un demandeur « se livrait à des activités faisant partie » d’un plan d’activités criminelles était une question mixte de fait et de droit. Toutefois, comme les éléments factuels étaient si importants, le juge Evans a conclu que la norme appropriée était celle de la décision manifestement déraisonnable. Par conséquent, si les questions en litige de la présente instance portent sur des questions qui sont en grande partie fondées sur les faits, elles seront examinées par rapport à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Cependant, si les questions en litige portent sur des questions qui ne sont pas autant fondées sur les faits, la norme de la décision raisonnable sera appliquée.

 

1)         Existence de la bande MS-13 dans les années 1990 à Usulután

[16]           Le tribunal s’est grandement fondé sur le témoignage de M. Hector Alicea. Le demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur en accordant autant de poids au témoignage de celui‑ci. M. Alicea a affirmé que les déportations avaient eu lieu au milieu des années 1980. Le demandeur souligne que M. Alicea avait d’abord déclaré, au moins à deux occasions, que la guerre civile du Salvador avait pris fin en 1979. Il n’a admis son erreur quant à la date de la fin de la guerre qu’en contre-interrogatoire. Ainsi, selon le demandeur, la chronologie de M. Alicea était décalée du même nombre d’années, ce qui signifie que les déportations au Salvador sont survenues, non pas au milieu des années 1980, mais plutôt à partir du milieu des années 1990. Le demandeur signale que cette conclusion est cruciale puisque le tribunal s’est fondé sur le témoignage de M. Alicea pour conclure que la bande s’était livrée à des activités criminelles pendant la période au cours de laquelle le demandeur en était membre. M. Alicea a également indiqué que la bande était extrêmement active entre 1992 et 1995 à Usulután, au Salvador, le secteur où vivait le demandeur. Par conséquent, le demandeur fait valoir que, même si la MS-13 se livrait à des activités criminelles comme le prétend M. Alicea, cela aurait été l’activité et la présence de l’organisation à une date ultérieure, non au cours de la période pendant laquelle le demandeur en faisait partie.

 

[17]           À en juger par la preuve documentaire seulement, il semble que les bandes se sont déplacées massivement au Salvador dans les années 1990. À plusieurs endroits dans la preuve documentaire, il est fait mention de cette politique de déportation. Dans l’article de Crime and Justice International, on rapporte que la bande de rue MS-13 n’a été formée aux États-Unis qu’à la fin des années 1980. L’article de l’Alliance nationale des associations d’enquêteurs sur les bandes (National Alliance of Gang Investigators Associations) indique que la bande a été formée à Los Angeles à la fin des années 1980. C’est également ce qu’a affirmé dans son témoignage de M. Valdez, qui a témoigné dans une affaire précédente sur la MS-13 du Honduras devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le Dr Valdez a déclaré que la MS-13 était bien établie au Honduras et dans d’autres pays d’Amérique centrale dès le milieu des années 1990. Le Maldon Institute affirme que les Maras ont vu le jour à Los Angeles au milieu des années 1980 et que des déportations ont été signalées au « milieu des années 1990 ». Dans son article, le Maldon Institute précise que la première vague de déportations vers le Salvador a commencé en 1993. Toutefois, un document de recherche de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié soulève la possibilité que les déportations aient commencé en janvier 1990 (bien que cette affirmation porte sur les déportations de citoyens salvadoriens en général). Enfin, l’article de Crime and Justice International souligne que la bande terrorise le Salvador depuis la fin de la guerre civile en 1992. Aucune preuve documentaire déposée ne fournit des dates différentes pendant lesquelles des bandes auraient commencé leurs activités dans différentes régions du pays, et aucune preuve documentaire ne précise que, lorsque les bandes ont commencé à se former, elles n’ont pas commis les mêmes actes criminels qu’elles avaient commis aux États-Unis.

 

[18]           Toutefois, à la lumière de la preuve documentaire, le témoignage de M. Alicea suscite des préoccupations. D’une part, M. Alicea, a incorrectement cité deux fois la date de fin de la guerre civile au Salvador, un fait qu’il n’a admis qu’en contre-interrogatoire[1]. D’autre part, il a affirmé que la vague de déportations avait eu lieu au début et au milieu des années 1980, ce qui contredit clairement toute la preuve documentaire. Il a admis en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas de contacts précis à Usulután, bien qu’il ait des contacts avec la police nationale du Salvador. Il a admis que, s’il avait besoin de renseignements de la police du Salvador, il devrait demander au FBI d’établir le contact avec le gouvernement du Salvador. Il a déclaré qu’il n’avait pas fait de telles demandes. Par conséquent, la preuve de M. Alicea concernant la MS-13 à Usulután, au Salvador, ne semble pas être aussi fiable que l’a conclu le tribunal, surtout en raison de l’importance de ces deux faits à l’égard de la question en litige.

 

[19]           À bien des égards, cet élément semble ne pas être pertinent parce que le demandeur lui‑même a admis sans équivoque dans sa déclaration solennelle qu’il était membre de la MS-13 entre 1995 et 1996 ou 1997. Ainsi, les seules questions qui restent à trancher sont de savoir si ce groupe était une « organisation » à Usulután à cette époque et si le demandeur avait l’élément moral voulu pour en être membre.

 

[20]           La portée de l’organisation telle qu’elle est définie doit être limitée à la plus petite composante lorsque les organisations sont divisées en factions. Par conséquent, la clique MS-13 à Usulután doit être définie comme étant une organisation. Voir Bedoya c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1092, au paragraphe 20. Le juge O’Reilly a fourni un exposé détaillé de ce qui constitue une organisation pour l’application de l’article 37 dans la décision Thanaratnam c. Canada (M.C.I.), [2004] 3 R.C.F. 301, 2004 CF 349 aux paragraphes 29 à 31, infirmée pour d’autres motifs, [2006] 1 R.C.F. 474 (C.A.), 2005 CAF 122 :

Ni la Loi sur l'immigration ni la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne donne d'indication sur ce qu'est une « organisation ». Par ailleurs, le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, au paragraphe 467.1(1) définit l'expression « organisation criminelle » en détail. Ce paragraphe stipule que l'organisation criminelle est un groupe, « quel qu'en soit le mode d'organisation », composé d'au moins trois personnes « dont un des objets principaux ou une des activités principales » est de commettre des infractions graves susceptibles de procurer certains avantages aux membres du groupe. Plus particulièrement, une organisation criminelle au sens du Code n'inclut pas « un groupe d'individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d'une seule infraction ».

La définition du Code criminel ne s'applique pas directement à une situation en matière d'immigration. Toutefois, j'estime qu'il est utile de noter que le Code n'exige pas de formalités particulières ou de formalités ayant trait à la prise des décisions. Pour répondre à cette définition, il faut présumer qu'un groupe doit avoir une certaine forme de structure organisationnelle. Les mots « quel qu'en soit le mode d'organisation » laissent entendre qu'elle doit être organisée d'une manière quelconque, mais sans la nécessité de se doter d'un attribut minimum ou obligatoire.

En l'espèce, les deux groupes tamouls décrits par la police ont certaines caractéristiques d'une organisation, par exemple, l'identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base--et je ne peux trouver aucune erreur dans la conclusion de la Commission selon laquelle ces groupes tombent sous le coup de l'alinéa 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

 

[21]           Par conséquent, le juge O’Reilly se sert de la définition de l’« organisation criminelle » fournie au paragraphe 467.1(1) du Code criminel comme point de référence et conclut que l’exigence de la structure organisationnelle devrait être interprétée au sens large.

 

[22]           L’approche du juge O’Reilly concernant la définition de l’organisation a été confirmée par le juge Linden de la Cour d’appel fédérale dans Sittampalam c. Canada (M.C.I.), 2006 CAF 326. En appel, le juge Linden a clarifié deux questions. D’abord, il a confirmé que la disposition n’exige pas que la personne soit actuellement membre. Par conséquent, une personne peut être interdite de territoire en raison d’un lien antérieur. Ensuite, le juge Linden a confirmé au paragraphe 36 que la définition du terme « organisation » devrait recevoir une interprétation large et sans restriction et confirme l’interprétation du terme organisation fournie par le juge O’Reilly aux paragraphes 38 à 40 :

Des décisions récentes appuient cette interprétation. Dans Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 301 (C.F.), décision infirmée pour d’autres motifs, [2006] 1 R.C.F. 474 (C.A.), le juge O’Reilly a tenu compte de divers facteurs lorsqu’il a conclu que deux bandes tamoules (dont la bande A.K. Kannan en cause en l’espèce) étaient des « organisations » au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. À son avis, les deux groupes tamouls avaient « certaines caractéristiques d’une organisation », à savoir « l’identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base » (au paragraphe 31). Les facteurs énumérés dans Thanaratnam, précitée, ainsi que d’autres facteurs comme l’occupation d’un territoire ou la tenue de réunions régulières dans un endroit donné – deux facteurs pris en considération par la Commission – sont utiles lorsqu’il faut rendre une décision fondée sur l’alinéa 37(1)a), mais aucun d’eux n’est essentiel.

Ces organisations criminelles n’ont généralement pas une structure formelle comme une société commerciale ou une association qui est dotée d’une charte, de règlements ou d’un acte constitutif. Elles sont habituellement peu structurées et leur organisation varie énormément. L’absence de structure et le caractère informel d’un groupe ne devraient pas cependant contrecarrer l’objet de la LIPR. C’est pour cette raison qu’il faut faire preuve de souplesse lorsqu’on détermine si les caractéristiques d’un groupe particulier satisfont aux exigences de la LIPR étant donné que pareil groupe peut prendre différentes formes et qu’il mène ses activités dans la clandestinité. Il est donc important d’évaluer les différents facteurs utilisés par le juge O’Reilly ainsi que d’autres facteurs semblables qui peuvent aider à déterminer si les caractéristiques essentielles d’une organisation existent dans les circonstances. Une telle interprétation du terme « organisation » laisse une certaine latitude à la Commission lorsqu’elle doit déterminer si, à la lumière de la preuve et des faits dont elle dispose, un groupe peut être considéré comme étant une organisation au sens de l’alinéa 37(1)a).

En ce qui concerne l’argument de l’appelant selon lequel il faut se servir de la jurisprudence en matière pénale et des instruments internationaux pour savoir ce qu’est une « organisation » criminelle, je n’y souscris pas. Ces documents peuvent servir d’outils d’interprétation, mais ils ne sont pas directement applicables en matière d’immigration. Le législateur a délibérément choisi de ne pas adopter la définition d’« organisation criminelle » qui figure à l’article 467.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Il n’a pas non plus adopté la définition de « groupe criminel organisé » de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (la Convention). Le libellé de l’alinéa 37(1)a) est différent parce que son objet est différent.

 

[23]           Le juge Linden a conclu ce qui suit au paragraphe 55 :

[L]e terme « organisation », employé à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, doit être interprété d’une façon libérale et sans restriction. Bien qu’aucune définition précise ne puisse être formulée en l’espèce, les facteurs énumérés par le juge O’Reilly dans Thanaratnam, précitée, par le commissaire et peut-être aussi par d’autres personnes sont utiles, mais aucun d’eux n’est essentiel. La structure des organisations criminelles varie, et la Commission doit disposer d’une certaine latitude pour apprécier l’ensemble de la preuve à la lumière de l’objet de la LIPR – donner la priorité à la sécurité – lorsqu’elle décide si un groupe est une organisation aux fins de l’application de l’alinéa 37(1)a). […]

 

 

[24]           À l’examen du témoignage du demandeur, ainsi que de celui de M. Alicea, le tribunal avait le loisir de conclure que la bande d’Usulután était organisée dans une certaine mesure. Bien que le témoignage de M. Alicea, comme je l’ai mentionné plus tôt, n’est pas très fiable en ce qui concerne les cliques MS-13 du Salvador, son témoignage quant à la structure de la bande aux États-Unis est instructif et fiable. Le témoignage du demandeur quant aux activités de la bande à Usulután correspond aux descriptions faites par M. Alicea. Des réunions régulières avaient lieu et il existait une certaine forme de hiérarchie (bien que dans son témoignage le demandeur laisse entendre que la hiérarchie n’était pas très stricte), la bande s’est livrée à des activités criminelles, allant du vol au meurtre, qui procuraient des avantages à la bande (le demandeur a admis lui-même dans son témoignage à l’enquête qu’un membre de la bande qui était en prison lui avait demandé de commettre un crime grave, comme un meurtre, pour le compte de la bande, même s’il n’a pas lui‑même donné suite à la demande). À la lumière de ces faits, il n’est pas déraisonnable que l’agent ait conclu qu’il s’agissait d’une organisation au sens de la disposition.

 

[25]           Enfin, il n’est pas manifestement déraisonnable de conclure que la clique MS-13 à Usulután s’est livrée à des actes qui constitueraient les types d’infractions visées par la disposition. Le demandeur a admis que la bande se livrait à des actes criminels graves, comme le trafic de la drogue et même des crimes violents, même s’il n’a pas admis avoir pris part directement à ces activités.

 

2)                  Élément moral requis pour faire du demandeur un membre

[26]           Le tribunal a conclu que le demandeur était au courant des activités criminelles de la MS-13 et qu’il s’était livré à des activités criminelles. Bien que le demandeur ait nié avoir joué un rôle actif dans celles-ci et qu’il ait tenté, dans son témoignage, de prendre ses distances par rapport aux activités de la MS-13, ses déclarations indiquent le contraire. Comme nous l’avons déjà mentionné, les conclusions du tribunal quant à la crédibilité du demandeur concernaient non pas les déclarations du demandeur quant à son appartenance au groupe, mais plutôt ses déclarations à l’enquête au cours desquelles il a voulu prendre ses distances par rapport à la bande. Par exemple, le tribunal a souligné que le demandeur avait admis avoir essayé de recruter de nouveaux membres (et qu’il en avait recruté un) et qu’il avait admis avoir recueilli de l’argent pour le compte de l’organisation au sein de la collectivité (mais non sous la menace). Il a rendu visite à un autre membre du groupe qui était en prison. Il a assisté à des réunions et a versé une cotisation au profit de la bande.

 

[27]           Certes, ces éléments ne démontrent pas qu’il a personnellement participé à des crimes graves. Toutefois, le tribunal est aussi en mesure d’appuyer sa conclusion en raison du fait que le demandeur avait une connaissance directe des activités criminelles d’autres membres de la bande, qui agissaient au nom de la bande. Dans l’arrêt Chiau c. Canada (M.C.I.), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.F.), demande d’autorisation rejetée [2001] C.S.C.R. no 71, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 57 que le fait d’être membre d’un groupe du crime organisé (comme la disposition a été définie dans la loi précédente) désigne simplement l’« appartenance » à l’organisation :

[...] Cependant, en assimilant la qualité de « membre » à l'« appartenance » à une organisation criminelle, le juge de première instance a conclu à juste titre que, dans ce contexte, le mot devrait être défini largement. […]

 

 

[28]           Par conséquent, le terme « membre » désigne toute personne qui appartient simplement à une organisation criminelle. Pour en arriver à cette conclusion, le juge Evans a confirmé la conclusion du juge de première instance. Au paragraphe 25, il a réitéré la conclusion suivante du juge de première instance :

Quant au sens du mot « membre », le juge a estimé que compte tenu du principe qui sous-tend l'alinéa 19(1)c.2), le mot « membre » n'était pas limité à une personne qui participait activement à des activités criminelles, ou à une personne qui détenait une carte de membre et dont le nom apparaissait sur une liste de membres. Ce mot devrait plutôt s'entendre dans un sens plus large, pour désigner simplement une personne qui « appartenait » à l'organisation criminelle en question.

 

 

[29]           Le juge O’Reilly résume comme suit ces énoncés dans la décision Sinnaiah c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 1576, au paragraphe 6 :

Pour démontrer que l'intéressé « fait partie » d'une organisation, il faut à tout le moins qu'il y ait des éléments de preuve tendant à établir l'existence de « liens institutionnels » ou d'une « participation consciente » aux activités du groupe (arrêt Chiau et jugement Thanaratnam, précités).

 

 

[30]           En résumé, même si le demandeur ne s’est pas livré à des activités criminelles, s’il était au courant des activités, il semble qu’il satisfait aux critères de l’appartenance. Le fait d’être au courant des activités de la bande semblerait suffisant pour satisfaire à l’exigence de l’élément moral.

 

[31]           Le demandeur a clairement reconnu qu’il était au courant des activités criminelles. Le tribunal a appuyé sa conclusion selon laquelle le demandeur était au courant des activités criminelles du groupe au moyen de multiples renvois aux éléments de preuve. Par exemple, au point d’entrée, dans ses renseignements de base, on a demandé ce qui suit au demandeur : « Est‑ce que vous avez déjà été associé ou appartenu à un groupe qui a ou a eu recours à la lutte armée ou à la violence afin d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques, ou qui les défend ou les a défendus? ». Le demandeur a coché la réponse « oui ». Il a également coché « oui » à la question de savoir s’il avait déjà « eu recours, planifié d’avoir recours ou défendu le recours à la lutte armée ou à la violence afin d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques? ». Il a déclaré dans les notes explicatives à ces déclarations qu’il avait planifié des actes violents avec la MS-13. Il a aussi affirmé qu’il avait été détenu pour avoir pris part à une bagarre entre la MS et « 18 ». Il a clairement déclaré, au point d’entrée, qu’il avait tenté de recruter des jeunes et qu’une personne avait joint les rangs du groupe à cause de lui. De plus, son témoignage laisse entendre qu’il était au courant de la violence physique et des activités criminelles liées à la drogue auxquelles se livrait le groupe. Il a même admis qu’il avait initié une personne dans la bande (bien qu’il ait précisé avoir été forcé de le faire) en la frappant pendant 12 à 14 secondes de ses mains. Ces éléments donnent à croire que la bande commettait des crimes graves.

 

[32]           À la lumière de ces éléments de preuve, il n’est pas manifestement déraisonnable de conclure que le demandeur avait l’élément moral requis.

 

 

JUGEMENT

 

[33]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Guillaume Chénard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3991-06

 

INTITULÉ :                                                   OSMAN AMAYA

 

                                                                        - et -

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE MARDI 15 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 24 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                                    

 

Clifford Luyt                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Alexis Singer                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)                                             POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR



[1] Toutefois, la date qu’il a fournie comme étant la date de la fin de la guerre est en réalité celle du début; on peut donc supposer qu’il s’agit simplement d’une méprise.

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