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Date : 20070531

Dossier : IMM-5150-06

Référence : 2007 CF 577

Ottawa, Ontario, le 31 mai 2007

En présence de Madame le juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

DOROTY PAYEN

demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent), rendue le 29 août 2006, statuant qu’il n’existe pas de considérations d’ordre humanitaire pour accorder une dispense de l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent avant de venir au Canada (« demande CH »).

 

 

 

 

 

LES FAITS

 

[1]               Dorothy Payen, la demanderesse, est citoyenne d’Haïti. Le 17 mars 2000, elle arrive au Canada. Le 1er juin 2000, elle demande asile et la demande est rejetée le 25 mars 2002. Le 6 décembre 2000, elle donne naissance à une fille, Dania Donalita Joseph, à Ottawa.

 

[2]               Elle demande un examen des risques avant renvoi et un agent ERAR détermine qu’elle ne serait pas exposée à des risques advenant son retour en Haïti.

 

[3]               Le 28 août 2003, la demanderesse ne se présente pas à un rendez-vous avec un agent d’immigration et conséquemment Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) émet un mandat d’arrestation à son encontre. Le mandat est exécuté en janvier 2004 et la demanderesse est détenue pendant à peu près un mois.

 

[4]               Le 4 mars 2004, elle donne naissance à un fils, Donavann Payen Azelin, à Laval.

 

[5]               La demanderesse dépose une demande CH. Le 29 août 2006, une décision négative sur cette demande est rendue concluant que les informations présentées à l’appui de la demande n’avaient pas permis de démontrer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en déposant sa demande à l’extérieur du pays. Pour ce qui est de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent concluait :

Bien qu’une telle situation ne soit pas idéale pour ces enfants, la requérante ne me démontre pas que leur développement serait gravement compromis advenant qu’elle retourne en Haïti pour soumettre une demande de résidence permanente, ou qu’une situation porterait atteinte à leur intérêt supérieur à un point tel qu’une dispense serait justifiée, compte tenu de l’ensemble des éléments du cas.

 

[6]               La jurisprudence a établi que la norme de contrôle applicable aux demandes CH est celle de la norme raisonnable simpliciter, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (C.A.F.) et Jovanovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 116.

 

[7]               Raisonnable simpliciter est aussi la norme de contrôle applicable à la question à savoir si un agent d’immigration a considéré l’intérêt supérieur de l’enfant d’une manière adéquate. Dans l’affaire Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 le juge Evans dit ce qui suit :

[31] L'avocat a convenu que, conformément au critère juridique établi dans les arrêts Baker et Legault pour examiner la manière dont les agents ont exercé leur pouvoir discrétionnaire, le refus de l'agente d'accueillir la demande de considérations humanitaires de Mme Hawthorne pourrait être annulé au motif qu'il s'agit d'une décision déraisonnable si l'agente n'a « prêté aucune attention » à l'intérêt supérieur de Suzette. D'autre part, si le décideur a été « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt (Baker, par. 75), on ne pourrait soutenir qu'il s'agit d'une décision déraisonnable.

 

[8]               Dans l’arrêt Baker précité, la Cour suprême du Canada a établi que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important auquel on doit accorder un poids considérable et qu’un décideur doit être « réceptif, attentif ou sensible » à cet intérêt.

 

[9]               La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.),  a précisé qu’un décideur doit identifier et définir l’intérêt supérieur de l’enfant de façon à pouvoir lui accorder le poids qu’il mérite dans les circonstances de l’espèce.

 

[10]           La demanderesse soutient qu’il y avait aucune preuve dans le dossier pour indiquer que sa mère ou ses sœurs seraient disposées à prendre en charge ses enfants temporairement pendant qu’elle retourne en Haïti pour déposer sa demande CH. Elle affirme ne pas avoir de liens familiaux serrés et qu’en l’absence de preuve, il était déraisonnable pour l’agent de supposer qu’un membre de la famille accepterait la responsabilité de s’occuper des enfants. Je suis de cet avis.

 

[11]           Bien que la jurisprudence a établi qu’il incombe au demandeur de fournir les éléments de preuve à l’appui d’une demande CH (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 158 (C.A.F.), il n’en demeure pas moins que l’agent ne peut tirer des conclusions sur de pures conjectures. Il était donc déraisonnable pour l’agent de présumer que les membres de la famille de la demanderesse seraient disposés à prendre charge des enfants pendant l’absence de leur seul parent.

 

[12]           Bien que l’agent n’était pas obligé de le faire, il a toute la latitude pour demander des preuves supplémentaires (Kim  c. Canada, 2004 CF 1713). Cette question était d’une telle importance pour analyser l’intérêt supérieur des enfants, qu’il était déraisonnable d’affirmer sans preuve suffisante que leur développement ne serait pas gravement compromis advenant le départ de leur mère vers Haïti.

 

[13]           Je rappelle que la jurisprudence a clairement établi que l’agent n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait, ce qui a été fait dans le présent dossier. À cet effet, le juge Décary affirmait dans Hawthorne c. Canada, précité, au paragraphe 5 :

[5]  L'agente n'examine pas l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu'un enfant vivant au Canada sans son parent. A mon sens, l'examen de l'agente repose sur la prémisse - qu'elle n'a pas à exposer dans ses motifs - qu'elle constatera en bout de ligne, en l'absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de "l'intérêt supérieur de l'enfant" penchera en faveur du non-renvoi du parent.

 

[14]           De plus, aucune analyse n’a été faite de facteurs aussi importants lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant tel l’adaptation sociale et scolaire, le soutien affectif, les répercussions financières du départ d’un parent qui doivent être examinés pour déterminer des «difficultés» que l’enfant devra subir (Hawthorne, précité).

 

[15]           À mon avis, l’agent ne s’est pas montré « réceptif, attentif ou sensible » à l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse et n’a pas procédé à une analyse équilibrée qui tenait compte de tous les éléments pertinents. Cette erreur était déterminante de sorte qu’il n’y a pas lieu d’étudier les autres prétentions de la demanderesse.

 

[16]           En conséquence, la décision est cassée et l’affaire est retournée pour ré-détermination devant un nouvel agent.

 

 

 

JUGEMENT

 

 

[17]           La décision est cassée et l’affaire est retournée pour ré-détermination devant un nouvel agent.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5150-06

 

INTITULÉ :  

DOROTY PAYEN   

demanderesse

- et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION             

 

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :               23 mai 2007

 

MOTIFS  :                                         Madame la juge Tremblay-Lamer

 

DATE DES MOTIFS :                      May 31, 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annick Legault

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Lisa Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Annick Legault    

400, rue McGill, 2ième étage

Montréal, Québec

H2Y 2G1

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, C.R.

Sous-procureur general

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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