Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20070530

Dossier : T-2108-03

Référence : 2007 CF 574

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

ENTRE :

M.K. Plastics Corporation

demanderesse

et

 

Plasticair Inc.

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

Il s’agit d’une action en contrefaçon de brevet intentée par M.K. Plastics Corporation (la demanderesse) à l’encontre de Plasticair Inc. (la défenderesse) et par laquelle la demanderesse sollicite, à sa discrétion, une injonction et des dommages-intérêts ou la remise des profits à l’encontre de la défenderesse de même que des dommages-intérêts punitifs pour contrefaçon délibérée.

 

[1]               La défenderesse a présenté une demande reconventionnelle à l’encontre de la demanderesse pour cause de diffamation commerciale, pratique commerciale déloyale et incitation à rupture de contrat. La défenderesse réclame des dommages-intérêts et sollicite un jugement déclarant que le brevet en cause est invalide ainsi qu’une ordonnance enjoignant au commissaire des brevets (le commissaire) d’invalider le brevet.

 

CONTEXTE

[2]               Les deux parties sont des entreprises canadiennes qui fabriquent et vendent une variété de ventilateurs industriels et commerciaux.

 

[3]               Au début des années 1990, Minel Kupferberg a conçu un appareil de marque « Axijet » visant à rejeter les vapeurs évacuées. Le 13 janvier 1995, il a déposé une demande de brevet intitulée « Ventilateur d’Extraction/Exhaust Fan Apparatus » par laquelle il revendiquait la priorité en raison de la demande de brevet américaine déposée le 15 novembre 1994 (08/340,894). M. Kupferberg est désigné comme étant son inventeur. Le mémoire descriptif a été publié le 16 mai 1996.

 

[4]               Le 20 avril 1999, le commissaire a délivré un brevet à M. Kupferberg pour son appareil portant le numéro de série 2,140,163 (le brevet 163). M. Kupferberg a accordé, par licence, tous les droits, que lui confère le brevet 163, à la demanderesse, laquelle fabrique et vend l’Axijet depuis 1995, et l’a mis en marché au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Asie.

 

[5]               La demanderesse allègue que l’Axijet augmente nettement le rejet principal des vapeurs évacuées par rapport aux cheminées et aux ventilateurs classiques en rejetant les vapeurs à grande vitesse et en aspirant en plus grande quantité l’air extérieur pour diluer davantage les vapeurs expulsées. Le panache qui en résulte est de la même hauteur ou plus haut que celui produit par les cheminées de rejet classiques plus hautes; de plus, il produit une dilution supérieure en aspirant une plus grande quantité d’air extérieur. Cela est utile, car les vapeurs nocives doivent être rejetées à une hauteur suffisante au‑dessus du toit d’un édifice pour éviter qu’elles soient réintroduites dans le même édifice ou dans des édifices contigus.

 

[6]               En mars 2001, M. Kupferberg et la demanderesse ont su qu’une entreprise, Engineered Products, laquelle est située à Porto Rico, a installé un ventilateur semblable à l’Axijet à San German (Porto Rico). Swabey Ogilvy Renaud, cabinet d’agents de brevets, a écrit à l’entreprise au nom de la demanderesse pour l’informer du fait que le ventilateur contrefaisait le brevet américain équivalent au brevet canadien 163.

 

[7]               En avril 2001, Swabey Ogilvy Renaud a reçu, par lettre, deux réponses au nom de la défenderesse indiquant que celle-ci est un fabricant canadien d’équipement de ventilation, qui a fourni de l’équipement à Engineered Products. Elle a reconnu connaître l’existence du brevet 163, et a noté que, bien que son appareil ait été semblable à ce brevet, il ne l’aurait pas contreferait vu les différences importantes entre les deux appareils en cause.

 

[8]               La défenderesse fabrique et vend son ventilateur d’évacuation de marque Skyplume sous forme d’unité intégrale munie d’un ventilateur centrifuge ou de pièces qui peuvent être utilisées avec un ventilateur centrifuge ou un ventilateur axial.

 

[9]               Jusqu’en avril 2003, M. Kupferberg a accordé, par licence, à la demanderesse, tous les droits que lui confère le brevet 163. En avril 2003, il lui a cédé tous les droits, titres et intérêts qu’il possédait relativement à l’Axijet et au brevet 163.

 

[10]           Conformément à l’ordonnance de disjonction prononcée par la Cour le 4 juillet 2005, la présente décision se limite à la question de savoir si la demanderesse a droit aux mesures de réparation demandées, et à la détermination de la responsabilité à l’égard de la demande reconventionnelle de la défenderesse. Le montant des réparations applicables sera déterminé dans le cadre d’une instruction distincte suivant l’article 107 des Règles des Cours fédérales (1998), DORS/98-106.

 

[11]           Bien qu’il y ait cinq revendications au brevet 163, les deux parties conviennent que seulement les revendications 1 et 2 sont en cause dans le cadre de la présente action.

 

[12]           La première revendication est ainsi formulée :

Un ventilateur d’évacuation comprenant un carter muni d’une partie supérieure et d’une partie inférieure, où la partie inférieure comprend une enveloppe de ventilateur centrifuge, l’enveloppe ayant des parois parallèles, un arbre, un premier axe normal par rapport à la paroi latérale et comportant une hélice, un moteur qui actionne l’arbre, un orifice d’entrée placé de manière axiale par rapport au premier axe sur une paroi latérale de l’enveloppe, un orifice de décharge partant de l’enveloppe, une première portion tubulaire communiquant avec l’orifice de décharge du ventilateur et une deuxième partie tubulaire s’étendant vers le haut à partir de la première partie tubulaire, la deuxième partie tubulaire bifurquant pour fournir au moins deux passages ayant généralement des axes parallèles normaux par rapport au premier axe, et où les axes des passages se situent dans un plan parallèle au premier axe.

 

[13]           La deuxième revendication du brevet 163 est ainsi rédigée :

Un ventilateur d’évacuation tel qu’il est défini à la revendication 1, dans lequel la deuxième partie tubulaire comprend une paire d’orifices de sortie espacés correspondant aux deux passages, et un anneau entoure la deuxième partie tubulaire à un niveau correspondant aux orifices de sortie pour former un anneau à cet endroit avec les orifices de sortie, par où l’air ambiant passe à travers l’anneau et se mélange aux gaz qui sortent des passages.

 

 

[14]           Le nœud du litige entre les parties, pour ce qui est de l’interprétation de la revendication, se fonde sur quatre éléments : la première partie de diffuseur tubulaire (le diffuseur); la deuxième partie tubulaire bifurque pour fournir au moins deux passages (la bifurcation de la buse ou la buse qui bifurque; particulièrement si cela se rapporte à une séparation à l’intérieur de la buse ou à une bifurcation du débit d’air produit), où les axes des passages se situent dans un plan parallèle au premier axe (l’orientation) et, enfin, un anneau entoure la deuxième partie tubulaire à un niveau correspondant aux orifices de sortie pour faire un anneau à cet endroit avec les orifices de sortie, par où l’air ambiant traverse l’anneau.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Voici les questions soulevées dans le cadre de la présente espèce :

1.      Quelle interprétation doit-on donner aux revendications 1 et 2 du brevet 163, et la défenderesse les a-t-elle contrefaites?

2.      Le brevet 163 est-il valide?

3.       La demanderesse a-t-elle usé de pratiques de commerce déloyal ou commis une diffamation commerciale?

 

ANALYSE

INTERPRÉTATION DU BREVET

Principes

[16]           La première étape dans l’analyse des questions de validité et de contrefaçon dans le cadre d’une poursuite en matière de brevet, consiste à interpréter les revendications du brevet.

 

[17]           Les principes applicables par la Cour en interprétant des revendications de brevet ont été réitérés par la Cour suprême dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67 et dans l’arrêt, rendu simultanément, Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66. Essentiellement, les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet de manière à assurer prévisibilité et équité et de manière à définir les limites du monopole.

 

[18]           La date pertinente pour interpréter le texte d’un brevet est la date de sa publication (Whirlpool, précité, au paragraphe 55); le brevet 163 a été publié le 16 mai 1996.

 

[19]           Un brevet s'adresse, en théorie, à une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention et doit recevoir l'interprétation que cette personne lui aurait donnée lorsqu'il a été rendu public. Cet être fictif a des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée; cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec (Free World Trust, précité, au paragraphe 44).

 

[20]           L’interprétation téléologique repose sur l’identification par la Cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les « éléments essentiels » de son invention (Whirlpool, précité, au paragraphe 45).

 

[21]           Dans l’arrêt Free World, le juge Binnie a défini comme étant essentiel l’élément qui est nécessaire pour que l’appareil fonctionne comme l’a prévu l’inventeur et conformément aux revendications. L’élément non essentiel peut être substitué ou omis sans que la construction ou le fonctionnement de l’invention décrite dans les revendications n’en soit substantiellement modifié (Free World, précité, au paragraphe 20).

 

[22]           L’appréciation des éléments essentiels doit relever l'inventivité de l’invention et doit faire plus que simplement résumer les principaux éléments d'un appareil. En d’autres mots, ce qui produit un résultat utile d'une façon nouvelle et inventive et dont l'absence priverait l’appareil d'inventivité (Norac Systems International Inc. c. Prairie Systems and Equipment Ltd. (2002), 19 C.P.R. (4th) 360, 2002 CFPI 337, au paragraphe 16 (C.F. 1re inst.)).

 

[23]           Un élément peut être considéré essentiel ou non essentiel conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications (peu importe son effet en pratique), et selon la preuve indiquant s’il aurait été manifeste ou non, pour un travailleur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné modifierait ou non le fonctionnement de l’invention (Free World, aux paragraphes 31 et 55).

 

[24]           Au paragraphe 31 de l’arrêt Free World, précité, le juge Binnie a spécifiquement endossé les propositions suivantes :

[...]

a)  La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b)  Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

c)  La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

d)  Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole.  On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

e)  Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas.  Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

 (i)  en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

 (ii)  à la date à laquelle le brevet est publié;

 (iii)  selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

 (iv)  conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

 (v)  mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

 

f)  Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis.  Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

 

 

[25]           Aussi les revendications doivent être interprétées selon le contexte. La question est donc de savoir ce que, à la date de la délivrance du brevet, une personne versée dans l’art en cause aurait compris en lisant les revendications et en se servant du reste du mémoire descriptif pour interpréter les mots (Whirlpool, précité, au paragraphe 54).

 

[26]           La preuve d’expert est admissible au procès pour déterminer ce qui était de connaissance générale au moment de la délivrance du brevet. La preuve d’expert peut aussi être présentée quant au sens à donner aux mots utilisés dans les revendications (Airseal Controls Inc. c. M & I Heat Transfer Products Ltd. (1997), 77 C.P.R. (3d) 126, à la page 127 (C.A.F.)).

 

[27]           Le rôle de l’expert ne consiste pas à interpréter les revendications du brevet, mais à faire en sorte que le juge de première instance soit en mesure de le faire de façon éclairée (Whirlpool, précité, au paragraphe 57; Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 499, aux pages 506 et 507 (C.A.F.)). L’interprétation des revendications est une question de droit pour le juge, et l’expert ne fera qu’aider la Cour dans sa tâche (Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc., [1995] 63 C.P.R. (3d) 473 (C.A.F.)).

 

Les experts

[28]           La demanderesse a présenté l’opinion de M. Wagdi Habashi, professeur de génie mécanique à l’Université McGill à Montréal, lequel y occupe le poste de directeur du laboratoire de dynamique des fluides numérique. Le professeur Habashi a écrit quelque 240 articles scientifiques, est le rédacteur en chef du International Journal of Computational Fluid Dynamics, et il est aussi membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec de même que de l'Académie canadienne du génie et de l’American Society of Mechanical Engineers. Il détient une maîtrise en génie mécanique et un doctorat en génie aérospatial.

 

[29]           En plus de ces affiliations et qualifications, M. Habashi a maintenu de forts liens avec l’industrie, et a agi à titre d’expert‑conseil au cours des trente dernières années pour un certain nombre d’acteurs importants de l’industrie comme Pratt & Whitney Canada et Bombardier en plus d’avoir travaillé au sein de sa propre entreprise de services conseils. Il a de l’expérience dans l’étude des vents, y compris en ce qui concerne les effets du vent et des polluants autour des bâtiments.

 

[30]           La défenderesse s’est appuyée sur la preuve d’expert de M. Peter Willings, ingénieur en chef chez H.H. Angus & Associates Ltd., cabinet d’ingénieurs‑conseils dans laquelle il a joué un rôle pendant plus de quarante ans. Il a reçu son diplôme d’ingénieur en 1958 et il a travaillé, pendant une période de temps substantielle, dans le domaine des services de construction conçus pour les édifices à bureaux, les hôpitaux et les universités en plus de travailler dans le domaine de l’expansion industrielle. Il a supervisé des employés spécialistes qui s’occupaient des usines de chauffage et de réfrigération, des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, et il a une expérience importante dans le choix et l’application des systèmes d’évacuation par ventilateur. Il supervise actuellement la pratique en ingénierie chez H.H. Angus, tout particulièrement en ce qui concerne les systèmes mécaniques et électriques. Il est membre de l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario et de l’American Society of Heating, Refrigeration and Air Conditioning Engineers.

 

Autres témoins

[31]           M. Kupferberg est président et actionnaire contrôlant de l’entreprise de la demanderesse. Il est ingénieur mécanique depuis 1956, et il a une expérience substantielle dans le domaine de la conception de ventilateurs d’évacuation étant donné qu’il y a consacré une grande partie de sa carrière.

 

[32]           Il a soutenu pendant l’instance que la caractéristique principale du brevet 163 n’est pas seulement la buse, mais plutôt une combinaison du ventilateur centrifuge, d’un arbre, d’un moteur et de la buse avec l’anneau. Cette opinion est aussi émise dans le rapport de M. Habashi.

 

[33]           Essentiellement, M. Kupferberg a témoigné que son ventilateur d’évacuation s’inspirait d’un appareil produit par une entreprise nommée Strobic Air, et que ce ventilateur d’évacuation est fondé sur ce qu’on appelle le brevet Andrews, qu’il a tenté d’améliorer. L’appareil a été conçu pour ne pas contrefaire ce brevet tout en demeurant suffisamment semblable pour tirer parti du marché détenu par Strobic Air. D’après son témoignage, les ventes de la demanderesse ont augmenté : elles sont passées annuellement de près de deux millions de dollars en 1993 à environ onze millions de dollars en 2003 et ce, principalement en raison des ventes liées à l’Axijet. Les ventes de l’Axijet représentent actuellement les 3/4 (75 %) des revenus de la demanderesse, lesquels ont chuté à six millions de dollars; M. Kupferberg attribue ce déclin à la concurrence exercée par le Skyplume de la défenderesse.

 

[34]           Dans son témoignage, M. Kupferberg a toujours déclaré que le « diffuseur » mentionné au brevet 163 n’a pas d’importance au niveau fonctionnel, et qu’il n’agit que comme transition, que la bifurcation de la buse se rapporte à des passages multiples pour la circulation de l’air plutôt qu’à une division dans la buse et que l’anneau a une forme convergente, nécessaire pour atteindre son objectif fonctionnel, qui est de mélanger l’air aux vapeurs rejetées. Il a aussi ajouté qu’un ventilateur axial aurait un rendement bien modeste comparativement à un ventilateur centrifuge.

 

[35]           La défenderesse s’est appuyée sur le témoignage de Paul Sixsmith, président de l’entreprise de la défenderesse, qui a travaillé comme vendeur dans le domaine des ventilateurs d’évacuation. Il n’a aucune formation technique dans ce domaine, et il a une expérience minimale dans la conception de tels appareils. Il est désigné inventeur secondaire du Skyplume pour sa « contribution en idées », alors qu’Alan Hill, ingénieur en mécanique, qui a travaillé pour la défenderesse, mais n’a pas témoigné dans le cadre de l’instance, a été désigné inventeur principal.

 

[36]           M. Sixsmith a témoigné que l’appareil de la défenderesse se vend en pièces, habituellement la buse du Skyplume seule, ou en une unité intégrée comprenant un ventilateur centrifuge, une buse et un anneau Venturi. La buse pourrait aussi être utilisée avec un ventilateur axial. M. Sixsmith a aussi témoigné qu’il y avait deux versions de la buse du Skyplume, une version à deux lobes et une version à quatre lobes, qu’il désignait respectivement génération 1 et génération 2.

 

[37]           M. Sixsmith a témoigné au sujet des brochures et des catalogues de la défenderesse concernant ses produits des années 1990 liés à l’évacuation, y compris le Skyplume. Il a admis que les vendeurs de la défenderesse sauraient si le client prévoyait utiliser son produit avec un ventilateur centrifuge ou un ventilateur axial. Il a ajouté que, parfois, la défenderesse fournissait aussi une canalisation de transition, aussi appelée « diffuseur », à placer entre le ventilateur et la cheminée. M. Sixsmith a témoigné que le Skyplume représentait, ces dernières années, en moyenne environ 50 % des ventes de la défenderesse.

 

Revendication 1 :

i)          Bifurcation

[38]           La demanderesse fait valoir que la division à l’intérieur de la buse n’est pas essentielle; elle n’est pas décrite en tant que tel à la revendication 1, et elle n’a aucun effet matériel sur la structure ou sur le fonctionnement du brevet 163. En particulier, il prétend que la description de la buse comme « bifurquant » se rapporte à la bifurcation résultante du débit d’air lorsqu’il sort de la buse. Selon elle, un lecteur averti comprendrait cela, et il interpréterait la teneur de la revendication en se fondant sur les principes du génie mécanique et de la dynamique des fluides.

 

[39]           La défenderesse affirme qu’une interprétation raisonnable de la revendication 1 veut que la « bifurcation », par rapport à un appareil, soit physique.

 

[40]           M. Kupferberg a admis au procès que son invention était dérivée du Strobic Air (fondé sur le brevet américain no 4,806,076, connu sous le nom de « brevet Andrews ») d’une buse utilisée avec un ventilateur axial et branchée avec un anneau Venturi. En indiquant les défauts de l’appareil Strobic, il a conclu que plusieurs d’entre eux pouvaient être éliminés en utilisant un ventilateur centrifuge plutôt qu’un ventilateur axial. Bien qu’il ait expérimenté une grande variété de conceptions, il a choisi la buse de Strobic, qui a été divulguée dans le brevet Andrews.

 

[41]           M. Habashi a témoigné que la bifurcation à laquelle on se reporte dans le brevet 163 se rapporte au débit d’air et qu’elle n’était pas conçue pour décrire une séparation physique dans la buse elle‑même. Essentiellement, il a conclu qu’il n’y avait aucune différence fonctionnelle entre une buse qui bifurque et une buse qui faisait bifurquer le débit d’air résultant. En tant qu’ingénieur, lorsqu’une buse divise un débit d’air, on peut considérer qu’elle « bifurque », qu’il y ait des parois ou non.

 

[42]           Il a affirmé qu’il y a peu de différences entre les buses convergentes; peu importe leur conception, elles sont presque aussi efficaces les unes les autres en ce qui concerne l’accélération du débit (bien qu’elles puissent être différentes au point de vue de l’esthétique et des effets de friction). Il a noté que cela aurait été connu en mai 1996. À son avis, les parois ne font pas de différence en ce qui concerne l’efficacité de la buse. Alors que, dans le brevet Andrews, il y a une séparation physique entre les divers passages, cela est pertinent pour l’efficacité de la vitesse en raison de l’utilisation d’un ventilateur axial. Une telle séparation n’est pas nécessaire lorsqu’elle est utilisée avec un ventilateur centrifuge, où la séparation n’est pas pertinente. Ainsi, la séparation découlerait de choix esthétiques plutôt que techniques, et elle aurait été connue des lecteurs avertis en mai 1996.

 

[43]           Cependant, en contre‑interrogatoire, M. Habashi a admis qu’il y avait une différence en matière de vitesse en ce qui concerne les deux buses. Il était d’accord pour dire que le profil de vitesse obtenu de deux passages séparés par des parois est différent de celui d’un seul passage sans paroi, bien que la décharge soit, en définitive, la même en termes de pieds cubes à la minute. Il a ajouté que la buse n’est pas la caractéristique principale du brevet 163, mais plutôt qu’il s’agit de l’appareil vu comme un tout.

 

[44]           En contre‑interrogatoire, M. Kupferberg a déclaré que, en testant le modèle qui bifurque, il a découvert que l’air ambiant monte entre les deux passages à cause d’une séparation entre eux. Il a aussi mentionné que, à son avis, si les passages n’étaient pas séparés, il n’y aurait pas eu d’air qui aurait monté entre eux. Il avait élaboré de nombreuses buses, et il avait décidé de ne pas utiliser une buse dont les deux passages seraient raccordés.

 

Appréciation de la preuve

[45]           La demanderesse fait valoir qu’il n’y avait pas de preuve, provenant d’une personne versée dans l’art, qu’une séparation soit nécessaire pour obtenir la bifurcation de débit d’air désirée et que sa présence n’a aucun effet matériel sur la structure ou sur le fonctionnement de l’appareil. Il affirme que cette interprétation est aussi cohérente avec la teneur particulière de la revendication, car l’adjectif « bifurqué », qui signifie à « deux embranchements », n’est pas compatible avec l’expression « au moins deux passages », qui fait clairement référence à la possibilité de plus de deux passages.

 

[46]           La défenderesse fait valoir qu’une grande partie du témoignage de M. Habashi n’est pas pertinente aux fins de l’interprétation de la revendication du brevet 163 : il a inadéquatement comparé l’Axijet de la demanderesse avec le Skyplume de la défenderesse; il a lu un brevet concernant le Skyplume; il a testé la buse du Skyplume pour produire son rapport, et il a discuté avec M. Kupferberg à propos de la signification recherchée pour ce qui est de ses revendications contenues dans le brevet 163. Tous ces facteurs sont étrangers au processus judiciaire d’interprétation des revendications.

 

[47]           Je conviens avec la défenderesse que ces considérations outrepassent bel et bien le champ de la preuve relative à l’interprétation adéquate des revendications et que, de ce fait, elles ne seront pas prises en considération à cette fin. Néanmoins, comme il a été énoncé précédemment, la preuve d’expert vise à aider la Cour à tirer ses propres conclusions en ce qui concerne l’interprétation des revendications, et certains aspects du témoignage de M. Habashi demeurent utiles pour faciliter la compréhension de la Cour quant aux termes utilisés dans les revendications.

 

 

[48]           Au procès, j’ai estimé que M. Habashi était très compétent et expérimenté dans le domaine de la dynamique des fluides et du génie mécanique. Dans l’ensemble, j’ai été impressionné par la qualité de son expérience et de ses connaissances, et j’ai estimé qu’il a expliqué des termes et des principes pertinents de façon claire, succincte et accessible. J’ai aussi estimé que son rapport était présenté et organisé de façon efficace; cela a facilité la compréhension du sujet et des appareils en cause par la Cour.

 

[49]           Bien que je reconnaisse et apprécie les efforts de M. Willings, j’estime que son témoignage n’a pas été très utile. Au procès, M. Willings a eu du mal à se rappeler quel affidavit d’expert correspondait à la version finale et, dans l’ensemble, j’ai trouvé que son témoignage n’était pas clair. De plus, en contre-interrogatoire, il a hésité en répondant à de nombreuses questions importantes. De la même façon, le rapport qu’il a préparé n’a pas été très utile à la Cour aux fins de la présente instance. À mon avis, M. Willings n’a pas démontré un haut degré de connaissance en ce qui concerne l’état antérieur de la technique pertinent quant à l’objet en cause, et il n’a pas non plus apporté à la Cour une explication théorique et pratique des deux appareils en cause.

 

[50]           En résumé, je reconnais que M. Habashi possède une expertise beaucoup plus grande que celle de M. Willings en ce qui concerne l’objet de la présente action. Il a aussi démontré une meilleure connaissance des appareils en cause sur le plan théorique et fonctionnel, connaissance nécessaire pour aider la Cour à parvenir à ses propres conclusions à l’égard des brevets et appareils en cause.

 

[51]           Dans l’ensemble, j’ai estimé que M. Kupferberg connaissait très bien l’industrie pertinente et son expansion pendant la période liée à la présente instance, et j’ai conclu que son témoignage était crédible et fiable quant à l’état antérieur de la technique. Je préfère son témoignage à celui de M. Willings pour ce qui est l’état antérieur de la technique au moment pertinent aux fins de la présente décision. De plus, le témoignage de M. Kupferberg a été confirmé de façon crédible par M. Habashi.

 

[52]           J’estime qu’il est révélateur que M. Kupferberg ait admis que sa conception de la buse était fondée sur le modèle Strobic, qui contenait une bifurcation physique. Sa variation de l’état antérieur de la technique, qui consiste à le combiner avec un ventilateur centrifuge, est pertinente eu égard à la présente analyse, puisqu’elle guide l’interprétation de la Cour quant aux éléments essentiels des revendications. Lorsque l’inventeur a adopté, comme il a été admis, des caractéristiques spécifiques de l’état antérieur de la technique, comme la buse en cause, l’on peut considérer qu’elles sont reproduites à titre de caractéristiques essentielles du brevet à moins qu’on les différencie précisément dans le libellé des revendications.

 

[53]           De plus, et sans égard à la variante fonctionnelle entre la buse décrite au brevet 163 et celle du Skyplume, j’estime que la teneur du brevet, examiné objectivement, suggère fortement que le breveté voulait revendiquer une buse bifurquée physiquement.

 

[54]           Comme l’a clairement exposé le juge Binnie dans l’arrêt Free World, précité, au paragraphe 51, un inventeur est lié par les mots qu’il choisit d’utiliser dans des revendications de brevet :

 

Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications.  Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même.  Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

 

[55]           Au paragraphe 59 de l’arrêt Free World, précité, le juge Binnie fait appel à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Eli Lilly & Co. c. O'Hara Manufacturing Ltd. (1989), 26 C.P.R. (3d) 1, pour réitérer que le breveté :

[...] attachait une importance particulière aux mots choisis (à la p. 7) :

... sauf si de toute évidence, l’inventeur savait que le fait de ne pas s’y conformer n’aurait aucun effet sur le fonctionnement de [l’invention].

 

[56]           Je suis d’accord avec le juge Roger Hughes, lequel a conclu dans la décision Pfizer c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, [2005] A.C.F. no 2155 (QL), au paragraphe 39, que :

Il ne faut pas en conclure pour autant que le tribunal doit s'engager dans un examen subjectif de ce que l'inventeur avait en tête. Le tribunal doit plutôt procéder à une analyse objective de ce que le lecteur versé dans l'art aurait compris de ce que l'inventeur voulait dire.

 

 

[57]           Premièrement, le brevet en cause décrit un appareil et non un procédé. En conséquence, à mon avis, une simple lecture de la revendication 1 par rapport à un appareil dénote deux passages distincts et séparés. Bien que j’aie accepté l’opinion de la demanderesse voulant que l’inventeur ait utilisé l’adjectif « bifurqué » alors qu’il voulait utiliser l’adjectif « divisé », tel que cela est suggéré par l’expression « au moins deux passages », je conclurais néanmoins qu’il ne serait pas raisonnable d’interpréter le brevet comme décrivant un passage unique avec des « passages » d’air multiples. Je suis convaincue que l’utilisation du terme « passage », une fois replacé dans son contexte, ne suggère pas des chemins que peut emprunter l’air, mais que cela dénote plutôt des structures.

 

[58]           Deuxièmement, en lisant simultanément les revendications 1 et 2, il devient manifeste que le brevet décrit en fait une bifurcation dans deux passages. Cela est non seulement conforme au sens ordinaire du terme « bifurcation », en tant que division en deux branches ou fourches, mais est manifestement étayé par l’emploi de l’expression « une paire d’orifices de sortie espacés correspondant aux deux passages » à la revendication 2. À mon avis, toute ambiguïté attribuable à l’utilisation d’« au moins deux passages » à la revendication 1 est levée par la teneur de la revendication 2.

 

[59]           De plus, l’adjectif « bifurqué » était utilisé dans l’industrie au moment pertinent pour décrire une buse de ventilateur avec des passages séparés. M. Kupferberg a témoigné que sa buse, qui comprenait la bifurcation, était fondée sur le brevet Andrews préexistant, qui comporte une telle division. Gardant cela à l’esprit, l’interprétation téléologique avertie de la revendication est qu’elle se reportait à une buse qui bifurque.

 

[60]           À mon avis, une personne versée dans l’art de la mécanique des fluides, du génie mécanique et en systèmes d’évacuation par ventilateur aurait raisonnablement compris que les revendications en cause décrivaient un appareil de conception particulière et, à mon avis, cette conception comprenait une configuration qui créait deux passages.

 

ii)         Diffuseur

[61]           La demanderesse soutient que le diffuseur n’est pas un élément essentiel du brevet 163, car il n’a pas d’effet important sur sa structure ou son fonctionnement. La défenderesse indique que le brevet 163 se distingue du brevet Andrews en partie du fait que l’efficacité de son diffuseur est plus grande, et donc que cela a manifestement une importance fonctionnelle pour le brevet et constitue une caractéristique essentielle.

 

Preuve

[62]           La preuve était contradictoire sur la question de savoir si le « diffuseur » du brevet 163 visait une fonction autre que de raccorder la partie inférieure et la partie supérieure de l’appareil.

 

[63]           M. Habashi a témoigné que le diffuseur sert de transition et qu’il a peu d’effet sur quoi que ce soit, car il y a très peu de différences à cet endroit entre la sortie du ventilateur et l’entrée de la buse. Cependant, en contre‑interrogatoire, il a admis que le diffuseur décrit dans le brevet 163 a un diamètre inférieur qui est plus petit que le diamètre supérieur, et qu’une telle forme divergente signifie que les gaz de sortie se diffusent vers l’extérieur. De plus, cela a comme effet d’égaliser le profil de vitesse, redirigeant le débit air/échappement et augmentant sa pression, avant d’être accéléré dans la buse convergente.

 

[64]           M. Kupferberg a témoigné qu’un diffuseur important du point de vue fonctionnel n’a pas été communiqué par l’état antérieur de la technique, et que même si la définition du dictionnaire supposait qu’il « diffuserait » l’air, on ne devait pas le comprendre, techniquement parlant, de cette manière. Le « diffuseur » agit purement comme une transition entre le ventilateur et la cheminée de buse, raccordant une canalisation ronde et une canalisation rectangulaire, et il n’est ni essentiel ni nécessaire. Il s’agissait principalement d’une caractéristique esthétique et non fonctionnelle. Selon l’état antérieur de la technique, le diamètre et la taille du moteur du ventilateur radial sont limités et, partant, l’efficacité du diffuseur est limitée à cause de l’espace limité à la périphérie du ventilateur radial. Cependant, en contre-interrogatoire, M. Kupferberg a admis que le brevet lui-même distingue le brevet 163 de l’état antérieur de la technique par une efficacité de diffuseur plus grande et par l’orientation.

 

Appréciation de la preuve

[65]           Je suis convaincue qu’une interprétation ordinaire et téléologique du brevet montre que le diffuseur a un impact fonctionnel sur la façon dont l’appareil fonctionne, et qu’il en est une caractéristique essentielle.

 

[66]           L’objet du brevet 163 se différencie de celui du brevet Andrews par la plus grande efficacité de son diffuseur : [traduction] « l’efficacité du diffuseur [du brevet Andrews] est aussi limitée à cause de l’espace limité à la périphérie du ventilateur radial ». Le brevet attribue aussi une importance fonctionnelle au diffuseur en tant que partie de l’invention : [traduction] « le diffuseur du ventilateur centrifuge est plus efficace lorsque le débit du fluide est dirigé vers les axes des passages ». Il n’y a aucune application de l’invention qui ne comporte pas de diffuseur.

 

[67]           De plus, bien que M. Habashi ait expressément indiqué dans son témoignage que cela a peu d’effet, j’estime que, en général, il ressort de son témoignage que la conception divergente du diffuseur a un impact sur la façon dont l’appareil fonctionne. Essentiellement, sur le fond, il a indiqué dans son témoignage que même si l’effet sur la performance globale peut être minimal, il y a néanmoins une différence au niveau du fonctionnement de l’appareil à cause de la présence et de la configuration du diffuseur. Un lecteur averti ordinaire aurait, en mai 1996, compris que le breveté voulait que le diffuseur soit une caractéristique essentielle de l’invention revendiquée.

 

[68]           Je n’ai aucune difficulté à conclure que le diffuseur était conçu pour être, et est bel et bien, une caractéristique intégrale et essentielle de la revendication 1.

 

 

iii)         Orientation

[69]           La demanderesse soutient que l’orientation des passages n’est pas un élément essentiel de la revendication, car cela n’est pas pertinent au fonctionnement ou à l’efficacité selon des principes de génie mécanique et de dynamique des fluides. La défenderesse affirme qu’une telle orientation n’est pas seulement spécifiquement revendiquée, mais qu’on lui donne une importance fonctionnelle en termes d’augmentation de l’efficacité avec le diffuseur; c’est essentiel.

 

Preuve

[70]           Lors de son interrogatoire principal, M. Habashi a dit que l’orientation n’a pas d’effet sur le fonctionnement de l’appareil, car [traduction] « une buse est une buse », sans égard à son orientation. Il a affirmé que, en tant qu’ingénieur, il savait que l’orientation ne changerait rien au fonctionnement de l’appareil, car cela découle simplement de choix de fabrication de nature esthétique. Que l’orientation soit perpendiculaire ou parallèle, ou toute autre, le comportement du débit d’air serait le même. Cela aurait été manifeste en mai 1996 pour toute personne versée dans l’art.

 

[71]           M. Habashi et M. Kupferberg ont déclaré que des essais ont été effectués dans le but de déterminer, le cas échéant, l’impact fonctionnel d’un changement d’orientation. Le rapport de M. Habashi traitait aussi de cette question. Il a été conclu tant dans les témoignages que dans le rapport qu’il n’y avait aucune différence de fonctionnement importante lorsque l’orientation était modifiée.

 

[72]           En contre-interrogatoire, lorsqu’on l’a interrogé sur le brevet 163, M. Kupferberg a admis que le brevet disait que l’orientation divulguée [traduction] « permet une distribution égale du débit d’air dans le diffuseur » et que le diffuseur est plus efficace avec le débit dirigé vers les axes des passages.

 

 

Appréciation de la preuve

[73]           La teneur de la revendication suggère que, au moment où le brevet a été publié, l’orientation était conçue pour être pertinente du point de vue fonctionnel et pour être une caractéristique originale de l’invention :

 

[traduction] « La présente invention permet une construction plus souple et efficace que l’état antérieur de la technique. Par exemple, le diffuseur du ventilateur centrifuge est plus efficace avec le débit du fluide dirigé vers les axes des passages. »

 

[74]           De plus, aucune autre orientation n’est divulguée ou revendiquée dans le brevet.

 

[75]           Bien que j’accepte le témoignage de M. Habashi fondé sur des essais qu’il a effectués sur une buse du Skyplume, à savoir que l’orientation n’a en fait aucun effet matériel sur le fonctionnement de l’appareil, ce témoignage n’est pas pertinent eu égard au processus d’interprétation de la revendication. Il n’y a que son explication des termes employés dans le brevet 163 qui soit admissible pour déterminer des éléments des revendications. De plus, la preuve présentée n’établit pas qu’une personne versée dans l’art aurait objectivement, en mai 1996, compris que le breveté ne voulait pas que l’orientation soit un élément essentiel de son invention. Au contraire, je suis convaincue que la preuve démontre qu’une lecture téléologique équitable de la revendication 1 indique clairement que le breveté voulait que cela soit un élément essentiel; ainsi il demeure lié par la teneur de cette revendication même si, pour reprendre les termes du le juge Binnie (Free World, précité, aux paragraphes 31 et 51), « l’inventeur ne peut s’en prendre qu’à lui-même ».

 

Revendication 2

[76]           Tel qu’il a été exposé précédemment sous la rubrique « bifurcation » de la revendication 1, je conclus qu’une [traduction] « paire d’orifices espacés correspondant aux deux passages » est essentielle à l’invention revendiquée dans le brevet 163; il s’agit donc d’un élément essentiel de la revendication 2.

 

[77]           La demanderesse fait valoir que la revendication 2 décrit un ventilateur d’évacuation tel qu’il est décrit à la revendication 1, où un « anneau » est fixé au sommet de la partie supérieure (c.‑à‑d. à la buse). À son avis, l’anneau qui entoure la buse à un niveau correspondant aux sorties d’orifice constitué un élément essentiel; elle prétend que le renvoi au passage suivant : [traduction] « ... par où l’air ambiant est produit à travers l’anneau pour se mélanger avec les gaz qui s’échappent des passages ... » suppose que l’anneau est conique et serait compris de cette façon par le lecteur averti. La défenderesse soutient qu’une telle forme n’est pas revendiquée dans la revendication 2 même s’il s’agit d’une caractéristique essentielle.

 

[78]           Dans le cadre de son interrogatoire principal au procès, M. Habashi a déclaré que la fonction de l’anneau est de recevoir l’échappement accéléré dans la buse, auquel point la pression diminue, engendre une dépression, et cette dépression aspire l’air extérieur et le mélange à l’air contaminé, ce qui éjecte un mélange plus dilué à très grande vitesse.

 

[79]           M. Habashi et M. Kupferberg ont admis qu’une forme conique est nécessaire pour obtenir l’effet appelé Venturi qui aspire l’air ambiant et dilue les vapeurs de sortie. M. Kupferberg a affirmé que cette forme distingue fonctionnellement parlant l’anneau du brevet 163 du « capuchon anti‑pluie » ou du « dispositif anti‑vent » divulgués dans l’état antérieur de la technique; de plus, il était d’accord en contre‑interrogatoire pour dire que cette caractéristique fait une différence au niveau fonctionnel en ce qui a trait au fonctionnement de l’appareil. M. Habashi et M. Kupferberg ont convenu qu’une personne versée dans l’art en mai 1996 comprendrait évidemment que la forme de l’anneau est convergente à la lumière du renvoi fait à l’introduction d’air extérieur.

 

Appréciation de la preuve

[80]           Suivant les témoignages de M. Kupferberg et de M. Habashi, il est clair que l’introduction d’air dans l’air évacué à travers l’anneau est une partie essentielle du brevet 163 et qu’elle était supposée avoir un impact fonctionnel.

 

[81]           Il y avait une preuve claire et non contestée établissant qu’il aurait été évident, pour une personne versée dans l’art, au moment où le brevet 163 a été publié, que le renvoi à l’introduction d’air ambiant par rapport à l’anneau dénoterait nécessairement que l’anneau avait une forme convergente; le principe Venturi qui régit la dynamique des fluides applicable est connu depuis des siècles et n’importe quel lecteur averti interprétant la revendication aurait compris qu’une telle forme était sous-entendue. Je suis convaincue que cette forme convergente a en effet été revendiquée à la revendication 2.

 

CONCLUSION RELATIVE À L’INTERPRÉTATION DE LA REVENDICATION

[82]           Après avoir examiné la preuve, je suis convaincue que les éléments contestés suivants de la revendication 1 sont essentiels :

·        Une première partie de diffuseur tubulaire communicant avec l’orifice de décharge de ventilateur;

·        Une deuxième partie tubulaire s’étendant vers le haut à partir de la première partie tubulaire;

·        La deuxième partie tubulaire comportant une bifurcation pour fournir deux passages ayant des axes généralement parallèles généralement normaux par rapport au premier axe de l’arbre;

·        Dans laquelle les axes des passages sont situés dans un plan qui est parallèle au premier axe.

 

[83]           Je conclus que les éléments contestés suivants de la revendication 2 sont essentiels :

·        La deuxième partie tubulaire comprend une paire d’orifices de sortie espacés correspondant aux deux passages;

·        Un anneau entoure la deuxième partie tubulaire à un niveau correspondant aux orifices de sortie pour former un anneau à cet endroit avec les orifices;

·        Au moyen de quoi de l’air ambiant est introduit par l’anneau pour se mélanger avec les gaz qui sortent des passages.

 

CONTREFAÇON

Principes

[84]           Bien que la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi), ne définisse pas la contrefaçon, il est établi en droit qu’une contrefaçon consiste en tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet.

 

[85]           Ce monopole est un monopole établi par la loi (Monsanto Canada Inc c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, aux paragraphes 34 et 35), et correspond au droit, à la faculté et au privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter, vendre et importer l’invention (Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (no 1), [1990] A.C.F. no 530, [1990] 3 C.F. 528 (C.F. 1re inst.)).

 

[86]           Comme cela a été énoncé précédemment, la première étape consiste à interpréter les revendications du brevet liées à l’invention. Une fois que les revendications ont été interprétées adéquatement, la tâche de déterminer si une revendication a été contrefaite est « est essentiellement une question de fait » (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd.), [1981] 1 R.C.S. 504), comme l’a confirmé la Cour suprême dans l’arrêt Monsanto, précité, en ajoutant que les faits indiqueront clairement s’il y a eu contrefaçon, une fois la revendication interprétée.

 

[87]           Dans une action en contrefaçon de brevet, le demandeur doit établir, selon l’interprétation du brevet et de ses revendications, qu’il y a eu contrefaçon. En d’autres mots, il doit être manifeste que le défendeur a exploité son invention.

 

[88]           La partie qui reprend la substance d’une invention, ou qui reproduit tous les éléments essentiels d’un brevet est coupable de contrefaçon. Il importe peu qu’elle omette un élément non essentiel ou y substitue un équivalent. Selon l’arrêt Free World, précité, au paragraphe 68, pour déterminer s’il y a eu contrefaçon, la question à laquelle la Cour doit répondre est de savoir si « l’appareil en cause reprend tous les éléments essentiels de l’invention » [non souligné dans l’original].

 

ANALYSE

 

[89]           La demanderesse allègue que la défenderesse a contrefait le brevet 163, puisque son appareil Skyplume reproduit et comprend tous ses éléments essentiels décrits aux revendications 1 et 2. Elle allègue que la seule différence qui existe est d’ordre esthétique; dans le brevet 163, les axes des passages sont parallèles à l’axe de l’arbre, alors que les passages du Skyplume ont des axes qui y sont perpendiculaires; de plus, bien que la buse du Skyplume ne soit pas séparée comme celle du brevet 163, elle bifurque essentiellement par le bais de la symétrie de son débit.

 

[90]           D’après la demanderesse, ces modifications ne sont pas importantes en ce qui a trait au fonctionnement, car le même rendement est obtenu, que l’orientation soit de 90 degrés par rapport à l’axe du ventilateur ou qu’elle y soit parallèle; et, de fait, le président de la défenderesse a admis que l’appareil est conçu pour être utilisé alors qu’il est orienté de l’une ou l’autre façon.

 

[91]           La demanderesse fait aussi valoir que les différences apparentes entre les buses ne sont pas importantes, vu que la symétrie du débit produit le même effet que la bifurcation. La variation n’a pas d’effet sur la vitesse du débit d’air ni sur la façon dont l’appareil fonctionne. En conséquence, la demanderesse déclare que la fabrication et la vente du Skyplume constituent une contrefaçon des revendications 1 et 2 du brevet 163 ou, subsidiairement, une incitation à les contrefaire.

 

[92]           Au procès, M. Habashi a indiqué dans son témoignage que le Skyplume et le brevet 163 contiennent des « sections diffusantes », alors que le Skyplume est vendu comme ventilateur d’évacuation intégré. Dans son témoignage, M. Habashi a tout spécialement expliqué que la buse ne peut être placée directement sur un ventilateur centrifuge, et donc qu’il est nécessaire qu’il y ait une partie transitoire.

 

[93]           M. Habashi a aussi témoigné que, dans le brevet 163, l’orientation est parallèle au ventilateur, alors qu’elle est de 90 degrés dans le cas du Skyplume; cependant, peu importe l’orientation, le rendement du débit d’air était essentiellement le même. Son témoignage, étayé par son rapport, portait que les essais effectués sur la buse du Skyplume, comparativement aux essais du début effectués sur la buse du demandeur, ont confirmé qu’il n’y avait qu’une très petite différence entre eux. Tant dans son témoignage au procès que dans son rapport, il s’est dit d’avis qu’il n’y avait pas d’importance fonctionnelle au fait de changer l’orientation dans un tel appareil.

 

[94]           Dans son témoignage au procès, M. Kupferberg a indiqué qu’il n’y aurait pratiquement pas de différences entre le rendement associé aux deux orientations; cependant, s’il y en avait une, celle du Skyplume serait légèrement moins efficace.

 

[95]           Dans son témoignage, M. Habashi a réitéré à plusieurs reprises qu’il n’y a pas de véritable différence entre les buses convergentes, et donc qu’une nouvelle buse convergente ne devrait pas constituer un nouvel appareil. Selon son témoignage, bien que les buses aient été d’allure différente, elles auraient probablement la même efficacité et elles sont « essentiellement identiques », bien qu’il ait admis qu’il n’a pas effectué d’essais pour confirmer cette affirmation.

 

[96]           En général, dans son témoignage, M. Habashi a prétendu que, bien qu’il y ait des différences entre les appareils des parties, ces différences sont « techniquement équivalentes en substance sur toutes les pièces ».

 

[97]           S’agissant du matériel promotionnel de la défenderesse, M. Kupferberg a déclaré qu’il dépeignait le produit de la défenderesse comme une unité intégrée, y compris une centrifuge et ce qui semblerait être toutes les autres caractéristiques essentielles du brevet 163.

 

[98]           Paul Sixsmith a témoigné que le Skyplume, lorsqu’il a été vendu en tant qu’unité intégrée, contenait une transition pour raccorder la sortie ronde du ventilateur à l’entrée carrée de la cheminée. Ces transitions, que l’on appelle parfois diffuseurs, varieraient selon les tailles relatives des ventilateurs et des cheminées requis par l’utilisateur. En contre‑interrogatoire, M. Sixsmith a affirmé que, bien que la cheminée serait souvent placée directement sur un ventilateur centrifuge, la partie inférieure de la transition serait parfois plus grosse que sa partie supérieure; d’autres fois, c’était l’inverse, tout dépendant du matériel des clients.

 

[99]           Comme il a été énoncé précédemment, je conclus que les buses des parties se différentient par la séparation comprise dans la buse de l’appareil de la demanderesse. À la lumière de l’interprétation donnée à la revendication 1, il est manifeste que la buse de la défenderesse ne possède pas la bifurcation revendiquée au brevet 163.

 

[100]       De plus, la preuve ne permet pas d’établir que le Skyplume contient un diffuseur. M. Sixsmith a expliqué que tous les appareils ont des sorties d’où l’air sort, et cela pourrait être défini comme étant un diffuseur. Cependant, lors de son contre‑interrogatoire, M. Kupferberg a dit qu’une transition de ce type n’est pas le diffuseur auquel on renvoie dans le brevet en cause.

 

[101]       En ce qui concerne l’orientation, le Skyplume n’est pas vendu avec des axes des passages dans un plan parallèle au premier axe comme cela a été admis par le demandeur au paragraphe 37 de sa déclaration; il est utilisé avec des axes perpendiculaires aux premiers axes. Ayant conclu qu’il est manifeste que le Skyplume a une configuration différente de celle présentée dans le brevet, je conclus que la défenderesse n’a pas contrefait le brevet en cause.

 

VALIDITÉ

[102]       Comme il a été mentionné précédemment, dans sa défense et dans sa demande reconventionnelle, la défenderesse allègue que le brevet 163 est invalide.

 

[103]       D’après le paragraphe 43(2) de la Loi, en l’absence de preuve contraire, un brevet canadien est présumé valide pendant les vingt ans suivant la date de dépôt. Le fondement de cette présomption porte que le commissaire est autorisé à délivrer des brevets seulement pour des inventions, terme ainsi défini à l’article 2 de la Loi : « Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité. »

 

[104]       Ainsi le postulat veut que l’état des connaissances et l’état antérieur de la technique sur le sujet aient été étudiés par les employés du commissaire, qui sont versés dans le domaine pertinent. Il incombe à la personne qui conteste la nouveauté et l’esprit inventif du brevet d’établir son invalidité (Free World Trust et al. c. Électro Santé Inc., [1997] R.J.Q. 2907, 81 C.P.R. (3d) 456 (C.A. Québec), confirmée dans l’arrêt Free World, précité).

 

[105]       La partie contestant un brevet doit prouver son invalidité selon la prépondérance des probabilités, sans quoi, la présomption prévaut (Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.).

 

Le caractère évident

 

[106]       Lorsque la validité d’un brevet est contestée sur le fondement de l’antériorité et du caractère évident, le caractère évident devrait être considéré en premier (Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy, (1986) 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294, 64 N.R. 287 (C.A.F.)). Pour ce qui est du caractère évident ou du manque d’esprit inventif, l’invention ne doit pas être divulguée dans un seul brevet ou une seule invention antérieure comme dans le cas de l’antériorité.

 

[107]       La question du caractère évident consiste à se demander si les connaissances disponibles à la date de la revendication mèneraient directement à l’invention. Le juge James Hugessen, dans l’arrêt Beloit, précité, a établi le critère fréquemment cité qui s’applique au caractère évident, lequel est ainsi énoncé :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

 

[108]       En examinant la preuve relative au caractère évident d’une invention, il est utile de se reporter à un autre passage souvent cité de l’arrêt Beloit, précité :

Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela »; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »

 

 

[109]       La preuve de succès commercial étaye la conclusion selon laquelle la combinaison d’éléments connus n’était pas évidente (Windsurfing International Inc. et al. c. Triatlantic Corporation (1984), 8 C.P.R. (3d) 241, à la page 260, 63 N.R. 218 (C.A.F.), cité avec l’approbation de notre Cour dans plusieurs affaires y compris, plus récemment, dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 455, [2007] A.C.F. no 617 (QL), au paragraphe 352).

 

[110]       M. Willings a témoigné qu’il aurait été évident, pour une personne versée dans l’art, que la combinaison du ventilateur centrifuge et du brevet Andrews créerait un débit d’air expulsé plus rapide.

 

[111]       M. Kupferberg a témoigné que, au moment où le brevet a été revendiqué, il y avait un certain nombre d’ingénieurs et de concepteurs de nombreuses entreprises qui cherchaient à s’accaparer une partie du marché du ventilateur d’évacuation, lequel était dominé par Strobic Air, et son exploitation du brevet Andrews, mais aucun ne l’avait combiné avec le ventilateur centrifuge. M. Kupferberg et deux autres ingénieurs ont dû travailler un an pour créer l’invention. Aucun des ingénieurs travaillant avec M. Kupferberg n’est parvenu à la solution décrite dans le brevet 163 avant novembre 1994 et ce, bien qu’ils aient cherché précisément une telle solution.

 

[112]       M. Kupferberg a aussi témoigné quant au succès commercial important de l’Axijet, tout particulièrement dans les premières années de sa mise en marché, bien que celui-ci se soit estompé après la mise en marché du Skyplume de la défenderesse.

 

[113]       Dans son interrogatoire principal, M. Habashi a affirmé que l’utilisation d’un tel ventilateur avait pour effet de distinguer le brevet 163 de l’état antérieur de la technique qui utilisait un ventilateur axial et, de fait, il l’a décrit comme un appareil changeant les règles du jeu dans l’industrie. À son avis, comme dans le cas de nombreuses innovations techniques, l’appareil combinait les technologies existantes qui n’avaient pas été efficacement combinées antérieurement.

 

[114]       Je préfère les témoignages de M. Habashi et de M. Kupferberg à celui de M. Willings quant à savoir si la combinaison de l’état antérieur de la technique était évidente au moment où le brevet 163 a été revendiqué. J’accepte aussi la preuve de M. Kupferberg ayant trait au succès commercial de l’Axijet.

 

[115]       Tel que cela a été énoncé par le juge Binnie dans l’arrêt Free World, précité, au paragraphe 25, « [i]l faut peu d’ingéniosité pour constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire ». Bien qu’il puisse sembler évident maintenant d’avoir combiné l’état antérieur de la technique avec un ventilateur centrifuge, rien dans la preuve n’indique que ce qu’on appelle la « créature mythique », à laquelle se rapporte le juge Huguessen dans l’arrêt Beloit, précité, aurait été inventée directement et sans difficulté avant la date de revendication pertinente du brevet 163. Le succès commercial de l’Axijet le confirme également; si une telle combinaison profitable de la l’état antérieur de la technique avait été évident, d’autres auraient sûrement saisi la chance avant la date de la revendication du brevet. La preuve n’étaye donc pas la conclusion selon laquelle le brevet 163 était évident au moment où il a été revendiqué en 1994.

 

Antériorité

 

[116]       L’article 28.2 de la Loi exige que l'objet de la revendication n’ait pas fait l'objet d'une communication avant la date de la revendication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs. Il exige aussi que le critère de l’antériorité soit apprécié au regard des revendications, et non de la communication. La date pertinente est celle de la revendication, soit le 15 novembre 1994.

 

[117]       Une communication antérieure de l’invention revendiquée peut se faire sous forme de publication antérieure, de communication orale, de vente ou d’exploitation pour autant que l’invention soit rendue accessible au public, mais elle doit avoir été entièrement effectuée dans un seul brevet ou invention antérieure pour avoir un « caractère d’antériorité ». Dans l’arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 26, la Cour suprême a cité et approuvé le passage suivant qui a été énoncé à l’origine par le juge Hugessen dans l’arrêt Beloit, précité, à la page 297 :

... l’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document public; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s 'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif . Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité.

 

 

[118]       Pour qu’une utilisation publique antérieure constitue une antériorité opposable à une invention, il doit s'agir d'une divulgation qui permet de réaliser celle-ci (« enabling disclosure »), c’est-à-dire que la divulgation doit être telle qu’elle permette au public de faire ou d’obtenir l’invention (Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro Industries Ltd. (2002), 17 C.P.R. (4th) 478, 2002 CAF 158, au paragraphe 42, s’appuyant sur l’arrêt Merrell Dow Pharmaceuticals c. H.N. Norton & Co., [1996] R.P.C. 76 (H.L.)).

 

[119]       Dans la présente affaire, la défenderesse a renvoyé la Cour à un certain nombre de brevets et appareils antérieurs, mais elle n’a pas fait la preuve d’une seule et même communication antérieure comprenant tous les éléments essentiels du brevet 163. C’est pourquoi je ne suis pas convaincue que la défenderesse ait établi que le brevet en cause avait un caractère d’antériorité.

 

Ambiguïté

[120]       La défenderesse soutient que, puisque la revendication 2 ne mentionne pas la forme annulaire convergente formant l’anneau (windband), laquelle est un élément essentiel, la revendication est trop large et elle est donc invalide.

 

[121]       Je conviens que la revendication qui omet un élément essentiel de l’invention est invalide parce qu’elle a une portée excessive; il est bien établi que les revendications sont invalides si elles ont une portée plus large que la description qui en est faite (juge Arbour, dissidente dans l’arrêt Monsanto, précité, au paragraphe 124, citant Irving Pulp & Paper Ltd. c. Amfac Foods Inc. et al. (1984), 80 C.P.R. (2d) 59, à la page 80 (C.F. 1re inst.), citant de nombreux précédents).

 

[122]       De plus, le paragraphe 27(4) de la Loi énonce que les revendications de brevet doivent définir de façon distincte et en termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif. La Cour doit déterminer si la teneur de la revendication serait claire pour une personne versée dans l’art. Si la teneur est obscure ou ambiguë, la Cour déclarera le brevet invalide.

 

[123]       Un terme non défini dans la communication n’est pas une raison suffisante pour invalider un brevet pour cause d’ambiguïté (Corning Glass Works c. Canada Wire & Cable Ltd. (1984), 81 C.P.R. (2d) 39, 2 C.I.P.R. 77 (C.F. 1re inst.)). Le critère approprié est de savoir si le demandeur a divulgué tout ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de l'invention avec ou sans un élément non essentiel (Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, à la page 1638; Risi Stone Ltd. c. Groupe Permacon Inc. (1995), 101 F.T.R. 241, 65 C.P.R. (3d) 2 (C.F. 1re inst.)). Enfin, comme l’a conclu le juge Hughes après avoir examiné la jurisprudence relative à l’ambiguïté dans la décision Pfizer, précitée, au paragraphe 53 : « En résumé, l'ambiguïté n'est véritablement invoquée qu'en dernier recours, sinon jamais. »

 

[124]       Pour les motifs exposés précédemment, qui sont liés à l’interprétation de la revendication 2, je conclus que le renvoi à l’introduction d’air ambiant par rapport à l’anneau suggérait sans équivoque que l’anneau aurait une forme convergente. Au moment pertinent, un lecteur averti aurait manifestement compris le renvoi comme étant une divulgation d’une telle forme et aurait saisi qu’il s’agissait d’un élément essentiel de l’invention. En conséquence, la revendication 2 n’est ni ambiguë ni trop large.

 

PRATIQUE COMMERCIALE DÉLOYALE

[125]       La défenderesse présente un demande reconventionnelle à l’encontre de la demanderesse, suivant l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, pour déclarations fausses et trompeuses tendant à discréditer son entreprise, ses marchandises et ses services.

 

[126]       La demanderesse a écrit aux distributeurs des produits de la défenderesse en les avisant de la contrefaçon potentielle du brevet 163. La demanderesse a écrit ces lettres avant d’intenter une action pour contrefaçon de brevet et avant d’envoyer une lettre de désistement à la défenderesse. La défenderesse allègue qu’elle a subi des dommages à cause des actes de la défenderesse.

 

[127]       La défenderesse fait valoir que l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce crée une cause d’action reconnue par la loi et permettant de réclamer des dommages-intérêts lorsqu’une personne subit des dommages à cause de déclarations fausses ou trompeuses d’un concurrent et ce, qu’on ait su ou non si les déclarations étaient fausses à ce moment-là, ou si elles ont été faites avec malveillance.

 

[128]       La demanderesse prétend que, puisque le brevet 163 a été dûment déposé, il est présumé valide et le breveté a le droit d’agir sur ce fondement (M & I Door Systems Ltd. c. Indoco Industrial Door Co., [1989] 25 C.P.R. (3d) 477 (C.F. 1re inst.)).

 

[129]       La demanderesse soutient également que toutes les lettres visaient à informer plutôt qu’à menacer leurs destinataires de recours juridiques. De plus, une lettre est adressée à une personne située à Porto Rico. Une autre lettre est adressée à l’agent des ventes de la défenderesse au Kansas, alors qu’une troisième est adressée au propre agent des ventes de la demanderesse; aucune de ces personnes n’étaient des clients de la défenderesse ni des clients potentiels.

 

[130]       La demanderesse affirme que les deux premières lettres ont été envoyées aux parties à l’extérieur du Canada, et donc la Loi sur les marques de commerce ne s’applique pas, puisque les contraventions alléguées sont survenues dans un autre ressort. Elle avance aussi qu’il n’y a pas de preuve qu’un préjudice ait été causé à la défenderesse, et donc les déclarations n’ouvrent pas droit à une action.

 

[131]       Je conviens avec la demanderesse que les deux premières lettres envoyées aux parties au Kansas et à Porto Rico débordent du champ d’application de la Loi sur les marques de commerce, et donc qu’elles ne fournissent pas de motifs étayant la cause d’action alléguée par la défenderesse dans sa demande reconventionnelle. J’estime aussi que la défenderesse n’a pas établi que la lettre envoyée aux agents des ventes de la demanderesse lui a causé préjudice.

 

[132]       En conséquence, je conclus que la défenderesse n’a pas établi les motifs nécessaires démontrant le bien-fondé de sa demande.

 

CONCLUSION

[133]       La preuve n’étaye pas la conclusion selon laquelle le Skyplume de la défenderesse contient tous les éléments essentiels du brevet 163. Comme il a été exposé précédemment, le Skyplume ne contient pas la bifurcation dans la buse et il n’a pas non plus de diffuseur comparable. De plus, bien que la preuve indique clairement que la variante d’orientation n’a pas d’impact fonctionnel sur le rendement de l’appareil en comparaison avec le brevet, je suis convaincue que le breveté voulait que l’orientation soit une caractéristique essentielle de son invention, comme la teneur de la revendication 1 l’a clairement démontré. En conséquence, il est lié par la teneur de ses revendications de brevet; l’orientation dans le Skyplume le différencie du brevet 163.

 

[134]       Puisqu’il suffit qu’un quelconque élément essentiel diffère, l’appareil Skyplume ne contrefait pas la première revendication du brevet 163.

 

[135]       Toutefois, je suis également convaincue que le brevet 163 est valide. Bien qu’il puisse sembler manifeste, après coup, qu’il serait évident de combiner la technique antérieure du brevet Andrews avec la performance accrue du ventilateur centrifuge, tel que cela est exprimé dans le brevet en cause, aucune preuve n’indiquait que cela a bel et bien été fait. À mon avis, le brevet a été validement délivré en reconnaissance de sa nouveauté, de son ingéniosité et de son utilité. En conséquence, la demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée à cet égard.

 

Dépens

[136]       En vertu du paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir; elle peut examiner toute autre question qu’elle juge pertinente (alinéa 400(3)o)).

 

[137]       L’alinéa 400(3)a) exige que la Cour prenne correctement en compte le résultat de l’instance en exerçant ce pouvoir discrétionnaire, et qu’elle le fasse « de manière judiciaire » (Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Anchors Co., 2003 CAF 358, [2003] F.C.J. no 1477 (QL), au paragraphe 11).

 

[138]       Dans l’arrêt Illinois, précité, les faits pertinents étaient essentiellement les mêmes qu’en l’espèce : la défenderesse a été poursuivie pour contrefaçon de brevet par la demanderesse. Deux moyens de défense ont été invoqués pour répondre à l’action : premièrement, qu’il n’y avait aucune contrefaçon du brevet des demanderesse et, deuxièmement, que le brevet des demanderesses était invalide. Pour que la poursuite soit rejetée, la défense n’avait pas à être acceptée dans son intégralité : l’un ou l’autre moyen suffirait. Le juge de première instance a conclu que les produits de la défenderesse ne contrefaisaient pas le brevet des demanderesses, et il a rejeté leur action.

 

[139]       La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Illinois, précité, a conclu essentiellement que, lorsqu’une demande et une demande reconventionnelle sont toutes deux rejetées, les dépens ne devraient pas nécessairement « s’annuler mutuellement », divisant de ce fait le fruit de la réussite entre les parties. Dans cette affaire, l’intimée avait plutôt droit aux dépens à titre de partie ayant eu gain de cause. J’estime qu’il en va de même pour la défenderesse dans la présente affaire. Les dépens seront adjugés à la défenderesse.

 

JUGEMENT

[140]       L’action et la demande reconventionnelle sont rejetées, et les dépens sont adjugés à la défenderesse.

 

 

                                                                                                    « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., dipl. trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-2108-03

 

INTITULÉ :                                      

                                                            M.K. PLASTICS CORPORATION

DEMANDERESSE

ET

 

PLASTICAIR INC.

DÉFENDERESSE

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 MAI 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Julie Gallagher

 

POUR LA DEMANDERESSE

Robert H.C. MacFarlane

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BÉLANGER SAUVÉ

Bureau 1700

1, Place Ville-Marie

Montréal (Québec) H3B 2C1

Par : Julie Gallagher

 

 

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

BERESKIN & PARR

Bureau 4000, 40e étage

40, rue King Ouest, Toronto

(Ontario) M5H 3Y2

Par : Robert H.C. MacFarlane

       Christine M. Pallotta

 

 

 

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.