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Date :  20070605

Dossier :  T-1062-06

Référence :  2007 CF 570

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

LE CONSEIL DU TRÉSOR

(SOLLICITEUR GÉNÉRAL CANADA –

SERVICE CORRECTIONNEL)

demandeur

et

 

ROBERT HUPPÉE, PAUL MAILLOUX

et PIERRE MAUGER

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l’encontre d’une décision datée du 26 mai 2006 de Sylvie Matteau, Arbitre de grief (l’arbitre), aux termes de l’article 92 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, (la Loi sur les RTFP). L’arbitre a accueilli les griefs des défendeurs et a ordonné au demandeur de leur verser l’indemnité mensuelle prévue à la clause 6.01 de l’Appendice « C » de la Convention Collective conclue entre le Conseil du Trésor du Canada et l’Alliance de la fonction publique du Canada pour le groupe des Services de l’exploitation.

 

I.          QUESTION EN LITIGE

[2]               La décision de l’arbitre est-elle raisonnable?

 

[3]               Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est positive. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

II.        CONTEXTE FACTUEL

 

[4]               Il s’agit de griefs déposés par trois fonctionnaires qui travaillent pour le Service correctionnel du Canada (SCC) à l’établissement Leclerc à Laval (Québec). En tant que chauffeurs manutentionnaires, ils sont appelés à transporter des produits dangereux.

 

[5]               À la demande de l’employeur, les défendeurs ont suivi la formation sur le transport des matières dangereuses dispensée par Transport Canada et sont en possession d’un certificat valide de formation conformément à la Loi de 1992 sur le Transport des marchandises dangereuses 1992, L.C. ch. 34, (la  Loi).

 

[6]               Le 4 août 2003, les défendeurs ont informé leur superviseur immédiat de l’obtention du certificat pour le transport des matières dangereuses et ont demandé le paiement de l’indemnité mensuelle prévue à la clause 6.01.

 

[7]               Le 6 août, 2003, les défendeurs ont été avisés par leur superviseur immédiat qu’ils n’avaient pas droit à l’indemnité mensuelle car ils n’avaient pas la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses.

 

[8]               Les défendeurs ont déposé des griefs à l’encontre de cette décision le 11 août 2003 et le 2 septembre 2003 en ce qui concerne le défendeur Pierre Mauger. Leurs griefs ont tous été rejetés à chacun des trois paliers sur la base que les demandeurs n’avaient pas la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des matières dangereuses pour le transport. 

 

[9]               Le 16 mars 2005, les trois griefs ont fait l’objet d’un renvoi à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail de la fonction publique (CRTFP), laquelle a accueilli les griefs. C’est cette décision qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

III.      DÉCISION CONTESTÉE 

 

[10]           Dans sa décision, l’arbitre a déterminé que deux conditions sont nécessaires pour le versement de l’indemnité :

a)      la certification aux termes de la Loi; et

b)      s’être vu confier la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses pour le transport conformément à la Loi.

 

[11]           Seule la deuxième condition est en litige. Puisque la clause 6.01 de l’Appendice «C » de la Convention Collective est claire, l’arbitre s’est limité à déterminer si l’indemnité devait être payée dans les circonstances particulières de ces griefs. Selon la preuve déposée, l’arbitre en est arrivé à la conclusion que les défendeurs manipulaient et transportaient des marchandises dangereuses en vertu de la Loi, telles que des matières corrosives, explosives ou infectieuses.

 

[12]           En outre, l’arbitre a constaté que l’employeur avait reconnu dans la description de travail des manutentionnaires chauffeurs qu’ils ont comme principales activités « d’emballer, préparer et compléter les documents relatifs aux articles, en vue de l’entreposage ou de leur expédition aux utilisateurs ». Or, l’employeur reconnait que les fonctionnaires tels que les défendeurs sont requis de « manipuler des produits chimiques et des matières dangereuses ».  Ils doivent également avoir une connaissance des règlements touchant aux matières dangereuses, afin de les manipuler avec précaution. 

 

[13]           L’arbitre a mentionné Le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, DORS/2001-286 (Règlement) et a déterminé que les défendeurs devaient étiqueter les marchandises aux fins du transport en vertu de la Loi.

 

[14]           Se référant à la preuve soumise, l’arbitre a conclu que les défendeurs exerçaient déjà ces fonctions avant d'obtenir leur certificat et par conséquent, ils avaient droit au paiement de l’indemnité prévue à la clause 6.01,  puisqu’ils sont détenteurs du certificat en question et que l’employeur leur a confié la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses pour le transport, conformément à la Loi. 

 

[15]           En accueillant les griefs, l’arbitre a ordonné que l’employeur verse l’indemnité au défendeur M. Mailloux pour la période du 18 juin 2003 au 26 février 2005, date de sa retraite. Le paiement de l’indemnité a également été ordonné pour les deux autres défendeurs rétroactivement au 18 juin 2003.

 

IV.       DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[16]           La clause 6.01 de l’Appendice « C » de la Convention Collective stipule ceci :

Un employé certifié aux termes de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses à qui est confiée la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses pour le transport conformément à la Loi, doit recevoir une indemnité mensuelle de soixante-quinze dollars (75$) pour chaque mois au cours duquel il ou elle conserve cette certification.

An employee certified pursuant to the Transportation of Dangerous Goods Act and who is assigned the responsibility for packaging and labelling of Dangerous Goods for shipping in accordance with the Act shall receive a monthly allowance of seventy–five dollars ($75) in a month where the employee maintains such certification.

 

 

[17]           L’article 2 du Règlement offre la définition suivante de la fonction de manutention :

« manutention »

“ handling ”  « manutention » Toute opération de chargement, de déchargement, d’emballage ou de déballage de marchandises dangereuses effectuée en vue de leur transport, au cours de celui-ci ou par après. Les opérations d’entreposage effectuées au cours du transport sont incluses dans la présente définition.

“handling”

« manutention » “handling” means loading, unloading, packing or unpacking dangerous goods in a means of containment for the purposes of, in the course of or following transportation and includes storing them in the course of transportation;

 

 

 

 

 

 

 

 

V.        ANALYSE

 

La décision du tribunal est-elle raisonnable?

 

Norme de contrôle

 

[18]           Il faut tout d’abord établir quelle est la norme de contrôle applicable ici. L'analyse des quatre facteurs énoncés dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S 226  permet de déterminer quelle est la norme que doit utiliser la Cour dans des situations semblables.

 

            i)          clause privative/droit d'appel

[19]           La Loi ne contient pas de clause privative ni de droit d'appel. Ce facteur est donc neutre.

 

ii)         l'expertise du tribunal

[20]           L’arbitre de grief possède une expertise en droit du travail dans la fonction publique fédérale. Comme le soulignent les défendeurs, il s’agit d’une compétence exclusive. Dans le cas sous étude, le rôle de l’arbitre n’est pas d’interpréter la clause 6.01, puisque cette dernière est claire et sans équivoque. La tâche de l’arbitre consiste à appliquer la disposition de la clause 6.01 aux circonstances (les faits) donnant lieu aux griefs et à déterminer si oui ou non l’indemnité devait être payée. Cette tâche exige une certaine compétence dans l’arbitrage de griefs ainsi qu’une spécialité dans l’analyse des contrats de travail et des normes réglementaires. Ce facteur amène donc un degré élevé de déférence.

 

 

 

iii)        l'objet de la loi

[21]           L'objet de la clause 6.01 est de reconnaître la responsabilité des fonctionnaires quant aux risques dans la manutention des marchandises et des produits dangereux. L’indemnité en question vise donc à compenser ces fonctionnaires par voie d’un paiement mensuel. Dans ce contexte, l’arbitre doit apprécier si les conditions sont réunies pour l’octroi de l’indemnité. Ce facteur amène moins de déférence.

 

iv)        la nature du problème

[22]           Il s'agit d'une question mixte de faits et de droit, et non pas une question de droit seulement, tel que le prétend le demandeur. Il ne s’agit pas non plus d’une question purement factuelle, tel que proposé par les défendeurs. L’arbitre doit considérer ou apprécier si les faits sont réunis pour déclencher l’application de l’indemnité. Pour ce faire, elle vérifie si une Loi peut être reliée à la Convention Collective et si elle s’applique ou non aux circonstances particulières des griefs soumis. La jurisprudence nous enseigne que lorsqu’il s'agit d'une question mixte de droit et de faits, la déférence sera moins grande.

 

[23]           Le demandeur soutient que la Cour devrait adopter deux normes de contrôle soit celle de la décision correcte pour la question de l'interprétation de la Loi et du Règlement et ensuite celle de la décision raisonnable simpliciter pour la question de l'application du contexte factuel au Règlement (Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis, 2007 CSC 14, [2007] A.C.S. no 14, para. 19 (QL)).

 

[24]           Cependant, je crois que suite à l'analyse pragmatique et fonctionnelle, j'adopterai la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[25]            Ayant considéré l’ensemble de la preuve devant l’arbitre ainsi que la décision contestée, je suis satisfait que la décision est raisonnable. Après avoir entendu les témoignages, l'arbitre a procédé à analyser les descriptions de tâches ainsi que les responsabilités dévolues par l'employeur et elle en est venu à la conclusion que ceux qui avaient déposé des griefs avaient droit à l'indemnité en question. Selon la preuve, un témoin de l'employeur a reconnu que les fonctionnaires font le transport journalier de matières corporelles comme le sang et l’urine. Il a aussi reconnu qu'il est possible qu'il y ait des versements et que des produits peuvent, à l'arrivée au magasin, être endommagés et qu’ils doivent être transvidés et étiquetés par les fonctionnaires.

 

[26]           Pour en arriver à sa conclusion, l'arbitre n'avait pas à interpréter la Loi ou le Règlement (Reibin c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] A.C.F. no 794 (C.F. 1ère inst.) (QL)). Elle les a mentionnés pour en extraire des définitions et les rattacher aux descriptions de tâches. Cette cause se distingue de la cause Lévis, précitée où il s'agissait essentiellement de conflits entre la Loi sur les cités et villes et la Loi sur la Police.

 

[27]           La Cour considère que l'arbitre s'est posé la bonne question en s'interrogeant de la façon suivante au paragraphe 47 de la décision :

Je dois donc déterminer si l'employeur a ou non confié aux fonctionnaires la responsabilité d'emballer et d'étiqueter des marchandises dangereuses. L'employeur a raison en disant que la clause de la convention collective est claire et que je n'ai pas à l'interpréter. Ma tâche consiste plutôt à appliquer cette disposition à la situation qui m’est présentée et à déterminer si oui ou non cette indemnité devrait payer.

 

[28]           En plus, le demandeur soutient que l’Arbitre a commis une erreur révisable dans la mesure où sa décision porte atteinte à ses pouvoirs de gestion. Je ne partage pas cet avis. L’Arbitre n'a rien enlevé au pouvoir de l'employeur de gérer son entreprise. En effet, je ne trouve pas déraisonnable lorsqu’elle écrit au paragraphe 53 de sa décision :

[…] Le chargement le déchargement, l'emballage et le déballage de la marchandise aux fins de transport, avant, pendant et après celui-ci ainsi que l'entreposage sont des activités incluses dans les tâches des fonctionnaires. Ainsi, le transport inclut (sic) la manutention des produits.

 

[29]            Ces constatations sont basées et soutenues par la preuve tant testimoniale que documentaire.

 

[30]           La Cour considère qu’il n’y pas matière à intervention.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Le tout sans frais selon entente entre les parties.

 

« Michel Beaudry »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1062-06

 

INTITULÉ :                                       LE CONSEIL DU TRÉSOR

(SOLLICITEUR GÉNÉRAL CANADA –

SERVICE CORRECTIONNEL)

et ROBERT HUPPÉE, PAUL MAILLOUX ET

PIERRE MAUGER

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 juin 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Simon Kamel                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

 

James Cameron                                                            POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DEMANDEUR      

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

RAVEN, CAMERON, BALLANTYNE                     POUR LES DÉFENDEURS

 & YAZBECK LLP/s.r.l.                                             

Ottawa (Ontario)

 

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