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Date : 20070529

Dossier : T-1041-06

Référence : 2007 CF 562

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

INDERJIT SINGH REYAT

 

demandeur

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

1.    Introduction

[1]        Le demandeur, Inderjit Singh Reyat, voudrait faire annuler une décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d’appel) datée du 29 mai 2006. Dans cette décision, la Section d’appel confirmait la décision d’un comité de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) de détenir le demandeur jusqu’à la fin de sa peine (ci-après la date d’expiration du mandat).

 

[2]        Les circonstances de cette demande particulière ont débuté le 10 février 2003, lorsque le demandeur s’est reconnu coupable d’homicide involontaire à propos de la tragédie communément appelée l’attentat à la bombe contre Air India. En 1991, le demandeur avait été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de dix ans pour homicide involontaire lié à l’explosion, à l’aéroport Narita, au Japon, au cours de laquelle deux bagagistes avaient été tués. Pour son rôle dans l’attentat à la bombe contre Air India, le demandeur fut condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans.

 

[3]        En vertu de l’article 127 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), le demandeur était admissible à une libération d’office en juin 2006. Après que le Conseil d’examen de l’incarcération en établissement eut recommandé que la détention du demandeur se poursuive, l’affaire fut soumise à la Commission pour examen de la détention. Par décision datée du 13 mars 2006, la Commission a estimé que, si le demandeur était mis en liberté, il commettrait une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne avant l’expiration de sa peine, et elle a conclu que le demandeur devait [traduction] « demeurer incarcéré jusqu’à l’expiration, selon la loi, de la peine en cours à la date de la présente ordonnance, ou jusqu’à ce que la Commission nationale des libérations conditionnelles en décide autrement ».

 

[4]        L’appel interjeté par le demandeur devant la Section d’appel a été rejeté. La Section d’appel a conclu ainsi :

[traduction] La Section d’appel est persuadée que la Commission a fait une évaluation objective du risque. À notre avis, la décision de la Commission de maintenir votre détention est raisonnable, elle est appuyée par des informations pertinentes, fiables et persuasives, et elle s’accorde avec les critères de la détention qui sont exposés dans la loi et dans la politique de la Commission. La décision de la Commission est la moins restrictive possible au regard de l’impératif de protection de la société.

 

[5]        En l’espèce, la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission. Vu les circonstances de la présente demande de contrôle judiciaire, il s’ensuit que la Cour est invitée ici à procéder au contrôle judiciaire de la décision de la Commission (Ngo c. Canada (Procureur général), 2005 CF 49, 268 F.T.R. 64, [2005] A.C.F. n° 71, paragraphe 8 (C.F.) (QL); Ng c. Canada, 2003 CFPI 781, 236 F.T.R. 129, [2003] A.C.F. n° 1018, paragraphe 15 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

2. Point litigieux

[6]        L’unique point soulevé dans la présente demande est celui de savoir si la Commission (et donc la Section d’appel) a commis une erreur en disant que le demandeur commettra, s’il est mis en liberté, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne (alinéa 130(3)a) de la Loi). Le demandeur soulève ici trois points connexes qui concernent la décision de la Commission :

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en rendant sa décision sans avoir la preuve que le demandeur était susceptible de récidiver?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur de fait en concluant que [traduction] « un comportement violent persistant a été attesté »?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en se fondant sur la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible?

 

[7]        J’examinerai chacune de ces prétendues erreurs dans l’analyse qui suit.

 

3. Analyse

3.1   Régime législatif

[8]        Je commencerai par examiner la tâche qui incombait à la Commission et à la Section d’appel. Selon les dispositions de la Loi, le demandeur avait droit à une mise en liberté à la date de sa libération d’office. Plus exactement, d’après la Loi, la date de libération d’office du demandeur est « celle où il a purgé les deux tiers de sa peine » (paragraphe 127(3) de la Loi). La libération d’office n’est pas automatique cependant. Chaque cas de libération d’office doit être étudié (article 129 de la Loi). Si le Service correctionnel du Canada estime qu’il « y a des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne », l’affaire est déférée à la Commission (ici en vertu du paragraphe 129(2) de la Loi). Aux termes des dispositions de l’article 130, la Commission procède à un examen de la détention. Elle dispose de plusieurs options; celle qui intéresse la présente demande est énoncée dans l’alinéa 130(3)a). Selon cette disposition, la Commission peut par ordonnance interdire la mise en liberté du délinquant avant l’expiration légale de sa peine si elle est convaincue que le délinquant commettra, en cas de mise en liberté, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne. Selon le paragraphe 132(1) de la Loi, la Commission doit prendre en compte tous les facteurs utiles, notamment les suivants :

a) un comportement violent persistant, attesté par divers éléments, en particulier :

 

     (i) le nombre d’infractions antérieures ayant causé un dommage corporel ou moral,

 

     (ii) la gravité de l’infraction pour laquelle le délinquant purge une peine d’emprisonnement,

 

     (iii) l’existence de renseignements sûrs établissant que le délinquant a eu des difficultés à maîtriser ses impulsions violentes ou sexuelles au point de mettre en danger la sécurité d’autrui,

 

     (iv) l’utilisation d’armes lors de la perpétration des infractions,

 

 

     (v) les menaces explicites de recours à la violence,

 

     (vi) le degré de brutalité dans la perpétration des infractions,

 

 

     (vii) un degré élevé d’indifférence quant aux conséquences de ses actes sur autrui;

 

 

b) les rapports de médecins, de psychiatres ou de psychologues indiquant que, par suite d’une maladie physique ou mentale ou de troubles mentaux, il présente un tel risque;

 

c) l’existence de renseignements sûrs obligeant à conclure qu’il projette de commettre, avant l’expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne;

 

d) l’existence de programmes de surveillance de nature à protéger suffisamment le public contre le risque que présenterait le délinquant jusqu’à l’expiration légale de sa peine.

 

 

(a) a pattern of persistent violent behaviour established on the basis of any evidence, in particular,

 

    (i) the number of offences committed    by the offender causing physical or psychological harm,

 

     (ii) the seriousness of the offence for which the sentence is being served,

 

 

     (iii) reliable information demonstrating that the offender has had difficulties controlling violent or sexual impulses to the point of endangering the safety of any other person,

 

     (iv) the use of a weapon in the commission of any offence by the offender,

 

     (v) explicit threats of violence made by the offender,

 

     (vi) behaviour of a brutal nature associated with the commission of any offence by the offender, and

 

     (vii) a substantial degree of indifference on the part of the offender as to the consequences to other persons of the offender’s behaviour;

 

(b) medical, psychiatric or psychological evidence of such likelihood owing to a physical or mental illness or disorder of the offender;

 

 

(c) reliable information compelling the conclusion that the offender is planning to commit an offence causing the death of or serious harm to another person before the expiration of the offender’s sentence according to law; and

 

(d) the availability of supervision programs that would offer adequate protection to the public from the risk the offender might otherwise present until the expiration of the offender’s sentence according to law.

 

 

[9]        Le mandat de la Section d’appel pour l’affaire qui nous concerne est énoncé dans l’article 147 de la Loi. Les motifs pour lesquels un appel peut être interjeté de la décision de la Commission sont énumérés dans le paragraphe 147(1) :

147.1 (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d’appel pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :

 

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

 

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

 

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

 

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

 

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l’exercer.

 

 

147.1 (1) An offender may appeal a decision of the Board to the Appeal Division on the ground that the Board, in making its decision,

 

(a) failed to observe a principle of fundamental justice;

 

(b) made an error of law;

 

 

(c) breached or failed to apply a policy adopted pursuant to subsection 151(2);

 

 

(d) based its decision on erroneous or incomplete information; or

 

(e) acted without jurisdiction or beyond its jurisdiction, or failed to exercise its jurisdiction.

 

 

[10]      Finalement, je signale que le législateur a établi des principes censés guider les personnes et organismes chargés d’accorder la libération conditionnelle. Ces principes sont exposés dans l’article 101 de la Loi :

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d’une part, et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu’au public, d’autre part;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en œuvre de ces directives;

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

 

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

 

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

 

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

 

[11]      Examinant ces principes, le juge Décary, de la Cour d’appel fédérale, soulignait, dans l’arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), 300 N.R. 362, [2003] 2 C.F. 317, aux paragraphes 13 et 19, l’importance de la protection de la société :

Aussi, qu’il s’agisse de libération conditionnelle ou de libération d’office, quand vient le temps pour la Commission d’exercer sa discrétion, c’est l’intérêt primordial de la société qui doit l’emporter sur l’intérêt du délinquant.

. . .

 

La proposition selon laquelle la Loi, en cas d’ambiguïté, doit être interprétée en faveur du délinquant est exacte dans la mesure où elle signifie qu’une fois assurée la protection de la société, la Commission doit choisir, dans un cas donné, la solution qui entrave le moins la liberté du délinquant. Mais elle est inexacte dans la mesure où la Loi veut assurer au départ que la société soit protégée : s’il y a ambiguïté à ce niveau, elle jouera en faveur de l’intérêt public plutôt qu’en faveur de l’intérêt du délinquant. Je comprends en effet du paragraphe 101a) de la Loi que l’intention du Parlement est de faire du critère de « la protection de la société » le critère « le plus déterminant ». Ce souci d’accorder priorité à la protection de la société se reflète aussi au paragraphe 101d) selon lequel « le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible ».

 

[12]      C’est là le contexte légal dans lequel la Commission et la Section d’appel ont rendu leurs décisions selon lesquelles le demandeur ne devrait pas être mis en liberté avant la date d’expiration de son mandat. C’est également le contexte dans lequel je dois examiner leurs décisions.

 

3.2  Norme de contrôle

[13]      Les parties s’entendent sur le fait que, globalement, la norme de contrôle devant s’appliquer à la décision de la Section d’appel est celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Cartier, précité, paragraphe 9). Cependant, selon le défendeur, la question primordiale soulevée dans la présente instance concerne l’appréciation de la preuve présentée à la Commission et à la Section d’appel; la question devrait être examinée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Scott c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1215, 58 W.C.B. (2d) 605, [2003] A.C.F. n° 1541, paragraphe 15 (C.F.) (QL)). Il est inutile que je me prononce à titre définitif sur la question de la norme de contrôle puisque, pour les motifs ci-après, je suis d’avis que, quelle que soit celle des deux normes proposées qui s’applique, il n’y a pas lieu pour la Cour de modifier la décision.

 

3.3  Analyse des décisions et des prétendues erreurs

[14]      Dans l’ensemble, la décision de la Commission est détaillée et réfléchie. La Commission n’a pas manqué de considérer l’ensemble des facteurs énoncés dans le paragraphe 132(1), ni l’ensemble des preuves qu’elle avait devant elle. Dans sa décision, la Commission explique chacune de ses conclusions. Pareillement, la décision de la Section d’appel montre qu’elle a pris en compte tous les arguments du demandeur avant de dire que la décision de la Commission devait être confirmée.

 

[15]      Devant moi, le demandeur reconnaît que, pour arriver à sa décision, la Commission n’a laissé de côté aucune des preuves qu’elle avait devant elle. Le demandeur ne prétend pas non plus que la Commission (ou la Section d’appel) a appliqué le mauvais critère juridique. Le demandeur dit plutôt que la Commission n’avait devant elle aucune preuve lui permettant de conclure qu’il commettrait, avant l’expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne. Le demandeur affirme aussi que la Commission a commis une erreur de fait sur laquelle, du moins en partie, elle a fondé sa décision. Le demandeur signale ainsi trois aspects où la Commission aurait commis une erreur dans sa manière d’évaluer la preuve qu’elle avait devant elle.

 

  • la Commission a commis une erreur en disant qu’il avait un comportement violent persistant;

 

  • la Commission a laissé de côté le rapport psychiatrique de la Dre De Freitas qui concluait qu’il était improbable que le demandeur commette une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne; et

 

  • la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible.

 

[16]      J’examinerai chacune de ces prétendues erreurs.

 

3.3.1  Le « comportement violent persistant »

[17]      Dans sa décision, la Commission arrivait à la conclusion qu’« un comportement violent persistant a été attesté ». Dans son examen, la Section d’appel n’a vu aucune erreur dans cette conclusion.

 

[18]      Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en affirmant que les deux déclarations de culpabilité prononcées contre lui [traduction] « constituent un comportement violent persistant ». En réalité, d’affirmer le demandeur, la déclaration de culpabilité pour homicide involontaire prononcée contre lui en 1991 au regard de l’explosion survenue à l’aéroport Narita, et la déclaration de culpabilité prononcée contre lui pour son rôle dans l’attentat à la bombe contre Air India se rapportent toutes les deux au même acte commis par lui. Plus exactement, il dit qu’il a n’acheté qu’en une seule fois le matériel qui avait servi à fabriquer les bombes utilisées dans les deux cas. Ainsi, affirme-t-il, il n’y a pas de « comportement persistant ».

 

[19]      Selon l’alinéa 132(1)a), la Commission doit se demander s’il y a eu « comportement violent persistant ». Puis, l’alinéa énumère les genres de preuve que la Commission doit prendre en compte pour conclure à l’existence d’un « comportement persistant ». Dans la liste figure « le nombre d’infractions antérieures » (sous-alinéa 132(1)a)(i)). Sans doute est-il vrai que le demandeur n’a acheté qu’en une seule fois le matériel employé par lui pour fabriquer les explosifs, mais il n’en reste pas moins qu’il a été déclaré coupable de deux infractions distinctes. En outre, ainsi que le notaient la Commission et la Section d’appel, le dossier du demandeur fait aussi état d’une infraction de possession d’arme (possession d’une arme de poing magnum 357 non enregistrée), infraction non rattachée aux déclarations de culpabilité pour homicide involontaire. Au vu de cette preuve, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu’il y avait « comportement violent persistant ».

 

3.3.2  Les rapports psychiatriques

[20]      Comme il est indiqué ci-dessus, la Dre De Freitas a conclu qu’il était improbable que le demandeur cause la mort ou un dommage grave. Un second rapport, intitulé « Évaluation psychiatrique pré-libératoire », a été rédigé par le Dr Dickey. Le demandeur fait observer que, dans ce rapport, le Dr Dickey n’a pas dit qu’il pensait qu’il récidiverait. Au vu de cette preuve, le demandeur dit que la Commission a commis une erreur dans son évaluation. Je ne partage pas ce point de vue.

 

[21]      La Commission n’est pas liée par les rapports psychiatriques; elle doit plutôt faire appel à ses connaissances spécialisées pour procéder aux évaluations. La Cour d’appel fédérale a dit que, malgré leur utilité et leur importance, les avis d’experts ne sauraient dans la plupart des cas être déterminants (arrêt Condo c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 391, 67 W.C.B. (2d) 847, [2005] A.C.F. n° 1951, paragraphe 42 (C.A.F.) (QL)). Ils ne constituent qu’un facteur à prendre en compte en même temps que tous les autres facteurs pertinents (arrêt Condo, précité, paragraphe 42).

 

[22]      En l’espèce, il importe de lire les rapports attentivement. La Dre De Freitas a conclu que le demandeur n’allait pas récidiver, mais elle a aussi admis l’existence de difficultés dans l’évaluation du risque pour « ce type de violence ». À l’opposé de la conclusion de la Dre De Freitas, le Dr Dickey a exprimé l’avis suivant :

[traduction] Tout ce que l’on peut dire dans une perspective psychiatrique, c’est que son état d’esprit actuel ne donne pas la certitude qu’il s’abstiendra d’un comportement ou d’un rôle bien organisé porteur de conséquences fâcheuses, que ce soit directement ou indirectement, et pouvant conduire à un dommage grave pour autrui.

 

[23]      La décision de la Commission montre qu’elle a attentivement examiné les rapports psychiatriques. Cependant, elle a conclu qu’elle [traduction] « ne peut accorder que peu de poids à de telles évaluations pour déterminer le risque que vous représentez ». Vu le contenu de tels rapports, ce propos n’est pas déraisonnable.

 

3.3.3  Crédibilité

[24]      La Commission a estimé que, durant son témoignage au cours de l’audience tenue devant elle, le demandeur avait donné [traduction] « des réponses aux questions... qui ne s’accordent pas avec les déclarations que vous avez faites, ou qui vous ont été attribuées précédemment ». La Commission écrivait ce qui suit :

[traduction] La Commission croit que ces divergences sont pertinentes, car elles l’ont conduite à conclure que vous avez été évasif et que vous vous êtes contredit dans vos déclarations d’aujourd’hui et que, par conséquent, vous n’êtes guère crédible.

 

[25]      Le demandeur fait valoir que la Commission ne peut invoquer une absence de crédibilité quand il n’y a pas d’autre preuve apte à confirmer la conclusion selon laquelle le demandeur commettra vraisemblablement une infraction. Le demandeur invoque l’arrêt D.W. c. La Reine, [1991] 1 R.C.S. 742, page 757, 122 N.R. 277, 63 C.C.C. (3d) 397. Le demandeur interprète ainsi la conclusion à laquelle sont arrivés les juges majoritaires de la Cour suprême : [traduction] « même si l’accusé n’est finalement pas cru, il doit être acquitté dans la mesure où la preuve admise suscite un doute raisonnable ». Appliquant cette conclusion à la présente demande, le demandeur dit que, même si la Commission ne l’a pas cru, la preuve restante ne permet pas d’affirmer qu’il récidivera. Ainsi, de prétendre le demandeur, son niveau de crédibilité ne devrait pas entrer en ligne de compte.

 

[26]      La principale difficulté que suscite cet argument, c’est que la Commission ne conduit pas un procès criminel. S’agissant des dispositions de la Loi qui concernent la libération conditionnelle et la libération d’office, la Commission applique un régime législatif dont la considération première est la protection de la société (article 101 de la Loi; Ngo, précité, paragraphes 22 à 24) et elle ne doit pas faire intervenir des normes propres à la procédure criminelle dans ses audiences (Ngo, précité; Giroux c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 89 F.T.R. 307, pages 313 - 314, 51 A.C.W.S. (3d) 1057, [1994] A.C.F. n° 1750 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[27]      Dans la présente procédure de contrôle judiciaire, il me semble que la crédibilité du demandeur intéressait parfaitement l’évaluation qu’a faite la Commission de la probabilité que le demandeur commette une autre infraction causant la mort ou un dommage grave. Le fait pour la Commission d’invoquer la crédibilité n’a pas pour effet d’inverser le fardeau de la preuve, comme le prétend le demandeur. La Commission voit simplement la crédibilité comme l’un des facteurs de son processus décisionnel. Elle a le droit de le faire.

 

4. Dispositif

[28]      En bref, je ne puis voir aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour. L’examen de la décision de la Commission montre que la Commission a tenu compte de tous les facteurs pertinents prévus dans la Loi, qu’elle n’a laissé de côté aucune des preuves qu’elle avait devant elle, qu’elle n’a pas tenu compte de facteurs hors de propos et qu’elle a exposé, d’une manière logique et réfléchie, les motifs de ses conclusions. En rejetant l’appel formé contre la décision de la Commission, la Section d’appel a elle aussi agi raisonnablement. Autrement dit, la décision de la Commission et celle de la Section d’appel peuvent résister à un examen assez poussé. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                      T-1041-06

 

INTITULÉ :                                                    INDERJIT SINGH REYAT

                                                                         c.

                                                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 22 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                   LE 29 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

John L. Hill                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

 

Derek Edwards                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John L. Hill                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Cobourg (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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