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Date : 20070605

Dossier : IMM-5605-06

Référence : 2007 CF 591

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

ENTRE :

Ravindranath Anton

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’iMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur est un adulte citoyen du Sri Lanka qui réside actuellement en Angleterre où il a fait une demande de visa de résident permanent auprès du Haut-commissariat du Canada au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières. Cette demande a été rejetée dans une décision rendue le 16 août 2006, laquelle fait l’objet du présent contrôle judiciaire dont est saisie la Cour.

 

[2]               J’accueillerai la demande, la décision sera annulée et l’affaire retournée à un autre agent du Haut-commissariat pour nouvel examen.

 

[3]               Le demandeur est un tamoul qui résidait dans le Nord du Sri Lanka. Il prétend qu’il a été arrêté, détenu et battu par des membres de l’armée, et que ces derniers ont tué son père. Il s’est enfui à Singapour, s’est ensuite rendu en Afrique et puis au Royaume-Uni, où on lui a refusé l’asile. Il a par la suite présenté une demande d’asile au Canada.

 

[4]               Les faits de la présente affaire sont quelque peu semblables à ceux présentés un peu plus tôt cette année dans l’affaire Sutharsan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 226. Dans cette affaire, la Cour a conclu que l’agent avait appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer le fardeau de la preuve qui incombait au demandeur. Elle a également conclu que le critère qui devait être appliqué était celui de savoir si le demandeur avait établi l’existence d’un risque raisonnable ou de motifs probables qu’il serait persécuté, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, étant donné que l’agent a affirmé qu’il était convaincu qu’il n’existait qu’une simple possibilité que le demandeur soit exposé à un risque et qu’on pouvait s’attendre à ce que l’État lui offre une protection.

 

[5]               Fait troublant dans la présente affaire, les passages déterminants de la décision rendue par l’agent sont presque identiques à ceux de la décision Sutharsan, ce qui pousse la Cour à croire que l’agent a omis de prêter une attention particulière aux faits de l’espèce et qu’il a simplement rédigé la décision machinalement, ou à l’aide de paragraphes déjà écrits tirés d’une banque de textes informatisés, plutôt que d’y prêter l’attention nécessaire.

 

[6]               Voici le paragraphe 10 de la décision Sutharsan rendue par la Cour, d’où sont tirés les passages pertinents de la décision de l’agent :

 

[10]           Dans la lettre informant le demandeur de la décision sous examen, l’agent s’est exprimé comme suit 

 

.    .    .

 

[…]

Vous avez dit que vous avez été arrêté par la police, mais non que vous aviez été inculpé de quelque infraction que ce soit. Même si vous avez dit que vous avez été maltraité, vous n’avez pas mentionné que vous aviez signalé ce fait aux autorités ou demandé de l’aide d’organisations comme le comité contre le harcèlement ou la commission nationale des droits de la personne. Étant donné que vous n’avez jamais été accusé d’avoir des liens avec les TLET et que vous avez été relâché, il semblerait que les autorités sri‑lankaises étaient convaincues que vous n’aviez rien à voir avec les TLET. En conséquence, je ne crois pas que vous aviez des raisons de craindre que les autorités s’intéressent à vous.

 

Le cessez-le-feu entre les TLET et le gouvernement est toujours en vigueur et, même s’il y a eu des cas où des individus ont été ciblés par les TLET (par exemple, lors de l’assassinat du ministre des Affaires étrangères Kadirgamar en août 2005), ces actes étaient fondés sur des motivations politiques et il ne semble pas que la population civile ait été ciblée. Si vous deviez retourner au Sri Lanka, votre situation ne serait pas plus périlleuse que celle des autres personnes de ce pays. Tout en étant préoccupés par la situation de paix au Sri Lanka, des organismes comme la Sri Lanka Monitoring Mission et Amnistie Internationale ont reconnu que le gouvernement du Sri Lanka avait pris des mesures pour rétablir primauté de la loi.

 

Étant donné qu’il n’y a aucune raison pour laquelle les autorités sri‑lankaises pourraient s’intéresser à vous, que les TLET ont décidé de respecter les conditions du cessez‑le‑feu actuel et que la situation est relativement stable à l’heure actuelle au Sri Lanka, je ne suis pas convaincu que vous craignez avec raison d’être persécuté.

[Non souligné dans l’original]

 

[7]               À des fins de comparaison, voici la partie pertinente de la décision de l’agent dans la présente affaire :

[traduction] Vous avez dit que vous avez été détenu par l’armée, mais confirmé que vous aviez été relâché sans avoir été inculpé de quelque infraction que ce soit. Même si vous avez dit que vous avez été maltraité, vous n’avez pas mentionné que vous aviez signalé ce fait aux autorités ou demandé de l’aide d’organisations comme le comité contre le harcèlement ou la commission nationale des droits de la personne. Étant donné que vous n’avez jamais été accusé d’avoir des liens avec les TLET et que vous avez été relâché, il semblerait que les autorités sri-lankaises étaient convaincues que vous n’aviez rien à voir avec les TLET. Après un incident aussi sérieux que l’attentat à la bombe de l’aéroport de Colombo en juillet 2001, il semble probable que les autorités srilankaises aient fait preuve de diligence en cherchant, en détenant et en traduisant en justice les individus qui, selon elles, avaient participé à cette attaque. Le fait que les autorités vous ont libéré après quelques jours semble indiquer qu’elles ne croyaient pas que vous étiez impliqué dans l’attaque de l’aéroport et que vous n’aviez donc aucun intérêt pour elles. Je ne suis donc pas convaincu que vous ayez raison de craindre que les autorités s’intéressent à vous. Vous avez aussi affirmé que les TLET cherchaient vous assassiner parce que  vous avez divulgué des renseignements au sujet de votre ancien ami aux autorités. Étant donné que vous avez dit avoir connu votre ami par hasard à Colombo et que vous avez passé si peu de temps ensemble, un tel risque semble improbable.

 

Le cessez-le-feu entre les TLET et le gouvernement est toujours en vigueur et, même s’il y a eu des cas où des individus ont été ciblés par les TLET (par exemple, lors de l’assassinat du ministre des Affaires étrangères Kadirgamar en août 2005), ces actes étaient fondés sur des motivations politiques et il ne semble pas que la population civile ait été ciblée. Si vous deviez retourner au Sri Lanka, votre situation ne serait pas plus périlleuse que celle des autres personnes de ce pays. Tout en étant préoccupés par la situation de paix au Sri Lanka, des organismes comme la Sri Lanka Monitoring Mission and Amnesty International ont reconnu que le gouvernement du Sri Lanka avait pris des mesures pour rétablir primauté de la loi. Je suis donc convaincu qu’il n’existe qu’une simple possibilité que vous soyez menacé par les des TLET et, si c’était le cas, il est raisonnable de croire que l’État vous offrirait une protection.

 

Étant donné qu’il n’y a aucune raison pour laquelle les autorités sri-lankaises pourraient s’intéresser à vous, que les TLET ont décidé de respecter les conditions du cessez‑le‑feu actuel et que la situation est relativement stable à l’heure actuelle au Sri Lanka, je ne suis pas convaincu que vous craignez avec raison d’être persécuté.

 

 

 

[8]               L’examen des notes du STIDI prises par l’agent révèle que ce dernier avait chargé une autre personne, à laquelle on se réfère seulement par l’acronyme MCH, d’insérer les paragraphes précités dans la [traduction] « lettre de refus ».

 

[9]               Le premier des paragraphes précités indique la compréhension qu’avait l’agent des circonstances factuelles propres au présent demandeur. Le deuxième paragraphe, à l’exception de l’ajout de la dernière phrase qui préserve la décision de l’agent de l’erreur de droit commise dans la décision Sutharsan, est identique au passage figurant dans cette dernière décision. Cependant, le dossier de la Cour en l’espèce ne fournit aucune preuve sur laquelle les déclarations attribuées au Sri Lanka Monitoring Mission aurait pu être fondées. En ce qui concerne la déclaration selon laquelle Amnistie Internationale reconnaît que le gouvernement du Sri Lanka a pris des mesures pour rétablir la primauté de la loi, le dossier de la Cour montre que la déclaration exacte faite par Amnistie Internationale a été résumée de la façon suivante :

Le cessez-le-feu entre le gouvernement et les Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE, Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul) a été maintenu toute l’année, en dépit de nombreuses violations et de la dégradation des relations entre les deux parties. Les homicides politiques  se sont multipliés dans le nord, suscitant un climat de peur au sein de la population. L’état d’urgence est resté en vigueur au niveau national la majeure partie de l’année. Des centaines de milliers de Sri-Lankais étaient toujours déplacés dans des camps. Il a été question de rétablir la peine de mort et la police a été accusée à de nombreuses reprises de pratiquer la torture.

 

[10]           Il est difficile, voire impossible, de croire que l’agent a bel et bien examiné le rapport d’Amnistie Internationale pour ensuite conclure comme il l’a fait. L’ensemble du rapport appui fortement les arguments du demandeur.

 

[11]           De plus, dans ses notes du STIDI, l’agent s’est demandé pourquoi le demandeur n’avait pas demandé l’asile lorsqu’il s’est enfui à Singapour. L’agent n’a pas tenu compte du fait, ou peut-être ne le savait-il pas, que Singapour n’était pas signataire de la Convention et qu’une telle demande ne pouvait être présentée dans ce pays.

 

[12]           Le dossier de la Cour montre clairement que l’agent a omis de prêter une attention particulière aux circonstances de la présente affaire. L’agent a choisi de copier une autre affaire dans laquelle une décision avait été rendue relativement à une situation semblable. Il a omis d’examiner correctement le dossier du demandeur afin de vérifier s’il contenait des éléments de preuve à l’appui des conclusions qu’il aurait tirées.

 

[13]           Je conclus que les conclusions de fait susmentionnées prétendument tirées par l’agent sont manifestement déraisonnables au regard du dossier de la Cour en l’espèce. La décision doit être annulée et l’affaire renvoyée à un autre agent pour nouvel examen, lequel devra examiner soigneusement le dossier avant de rendre une décision.

 

[14]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification.

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS,

LA COUR STATUE :

1.                  que la demande est accueillie;

2.                  que l’affaire est renvoyée à un nouvel agent du Haut-commissariat pour nouvel examen;

3.                  qu’aucune question n’est certifiée;

4.                  qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5605-06

 

INTITULÉ :                                                   Ravindranath Anton c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 31 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

                                                           

DATE DES MOTIFS :                                  LE 5 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel McLeod

POUR LE DEMANDEUR

Sandra Weafer

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Preston Clark McLeod

Avocats

302-2695, rue Granvillet

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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