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Date :  20070606

Dossier :  T-700-07

Référence :  2007 CF 604

Montréal (Québec), le 6 juin 2007

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ DU DROIT DE REPRODUCTION DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS AU CANADA (SODRAC) INC.

et

 

SODRAC 2003 INC.

Demanderesses

et

 

HÔTEL DES ENCANS DE MONTRÉAL INC.

Défenderesse

et

 

SOCIÉTÉ DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES

ET PLASTIQUES (ADAGP)

et

ARTISTS RIGHTS SOCIETY (ARS)

et

BILD-KUNST

et

RAO

et

SOCIÉTÉ BELGE DES AUTEURS-COMPOSITEURS ET

ÉDITEURS (SABAM)

et

VEGAP

Mises en cause

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une requête de la défenderesse en vertu du paragraphe 34(6) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) afin que la demande de contrôle judicaire (la demande) intentée par les demanderesses (ci-après collectivement la SODRAC) en vertu de l’alinéa 34(4)a) de la Loi soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

Contexte

[2]               La défenderesse, Hôtel des encans de Montréal Inc., est une entreprise de commissaires-priseurs établie à Montréal depuis 1983 qui se spécialise dans la vente aux enchères publiques d’œuvres d’art et d’antiquités.

[3]               Dans le cadre des activités de la défenderesse, certaines œuvres qui lui sont confiées par des tiers pour être vendues aux enchères figurent dans ses catalogues et sur son site Internet www.iegor.net.

[4]               D’après la SODRAC, en vertu de la Loi, la défenderesse ne peut reproduire ou communiquer au public par télécommunication les œuvres artistiques faisant partie du répertoire géré par la SODRAC sans obtenir l’autorisation préalable du titulaire du droit d’auteur sur ces œuvres ou de son représentant.

[5]               Par sa demande, la SODRAC considère qu’il y a contravention à la Loi et cherche donc à obtenir la condamnation de la défenderesse au paiement d’une somme de 81 584,16 $ (plus les taxes) à titre de redevances et de pénalités prétendument exigibles pour la reproduction et la diffusion des œuvres artistiques mentionnées plus avant.

[6]               La demande de la SODRAC fut introduite par l’application conjuguée des règles 300 et suivantes des Règles des Cours fédérales (les règles) et de l’alinéa 34(4)a) de la Loi qui prévoit qu’un recours civil pour violation du droit d’auteur peut être intenté soit par action, soit par requête (application dans la version anglaise de la Loi).

[7]               L’article 34 de la Loi se lit ainsi :

34. (1) En cas de violation d’un droit d’auteur, le titulaire du droit est admis, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, à exercer tous les recours -- en vue notamment d’une injonction, de dommages-intérêts, d’une reddition de compte ou d’une remise – que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d’un droit.

34. (1) Where copyright has been infringed, the owner of the copyright is, subject to this Act, entitled to all remedies by way of injunction, damages, accounts, delivery up and otherwise that are or may be conferred by law for the infringement of a right.

(2) Le tribunal, saisi d’un recours en violation des droits moraux, peut accorder à l’auteur ou au titulaire des droits moraux visé au paragraphe 14.2(2) ou (3), selon le cas, les réparations qu’il pourrait accorder, par voie d’injonction, de dommages-intérêts, de reddition de compte, de remise ou autrement, et que la loi prévoit ou peut prévoir pour la violation d’un droit.

(2) In any proceedings for an infringement of a moral right of an author, the court may grant to the author or to the person who holds the moral rights by virtue of subsection 14.2(2) or (3), as the case may be, all remedies by way of injunction, damages, accounts, delivery up and otherwise that are or may be conferred by law for the infringement of a right.

(3) Les frais de toutes les parties à des procédures relatives à la violation d’un droit prévu par la présente loi sont à la discrétion du tribunal.

(3) The costs of all parties in any proceedings in respect of the infringement of a right conferred by this Act shall be in the discretion of the court.

(4) Les procédures suivantes peuvent être engagées ou continuées par une requête ou une action :

(4) The following proceedings may be commenced or proceeded with by way of application or action and shall, in the case of an application, be heard and determined without delay and in a summary way:

a) les procédures pour violation du droit d’auteur ou des droits moraux;

(a) proceedings for infringement of copyright or moral rights;

b) les procédures visées aux articles 44.1, 44.2 ou 44.4;

(b) proceedings taken under section 44.1, 44.2 or 44.4; and


 

c) les procédures relatives aux tarifs homologués par la Commission en vertu des parties VII et VIII ou aux ententes visées à l’article 70.12.

(c) proceedings taken in respect of

(i) a tariff certified by the Board under Part VII or VIII, or

(ii) agreements referred to in section 70.12.

Le tribunal statue sur les requêtes sans délai et suivant une procédure sommaire.

 

(5) Les requêtes visées au para-graphe (4) sont, en matière civile, régies par les règles de procédure et de pratique du tribunal saisi des requêtes si ces règles ne prévoient pas que les requêtes doivent être jugées sans délai et suivant une procédure sommaire.  Le tribunal peut, dans chaque cas, donner les instructions qu’il estime indiquées à cet effet.

(5) The rules of practice and procedure, in civil matters, of the court in which proceedings are commenced by way of application apply to those proceedings, but where those rules do not provide for the proceedings to be heard and determined without delay and in a summary way, the court may give such directions as it considers necessary in order to so provide.

(6) Le tribunal devant lequel les procédures sont engagées par requête peut, s’il l’estime indiqué, ordonner que la requête soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

(6) The court in which proceedings are instituted by way of application may, where it considers it appropriate, direct that the proceeding be proceeded with as an action.

(7) Au présent article, « requête » s’entend d’une procédure engagée autrement que par un bref ou une déclaration.

(7) In this section, “application” means a proceeding that is commenced other than by way of a writ or statement of claim.

 

 

(nos soulignements)                                           (We underline)

[8]               À l’appui de la requête à l’étude, la défenderesse a soumis un affidavit de son vice-président et commissaire-priseur, M. Iégor de St-Hippolyte (l’affidavit de la défenderesse).

[9]               Dans cet affidavit, la défenderesse liste les moyens de défense substantifs suivants qu’elle entend faire valoir, entre autres, lors du mérite de la demande de la SODRAC :

-                                  qu’il n’y a pas eu reproduction substantielle des œuvres;

-                                  qu’il y a eu autorisation des ayants droit, soit les tiers qui confient des œuvres pour être vendues;

-                                  que la SODRAC n’a pas les droits qu’elle invoque;

-                                  que les agissements de la défenderesse sont justifiés par les exceptions d’utilisation équitable prévues à la Loi;

-                                  que sans admission quant aux droits invoqués par la SODRAC, la défenderesse entend également contester le montant des redevances et pénalités que réclame la SODRAC; et

-                                  que l’application que propose la SODRAC de la Loi est de nature à brimer la liberté d’expression commerciale de la défenderesse, de ses clients et de ses mandants, liberté fondamentale qui est reconnue par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C‑12.

[10]           Dans son affidavit, la défenderesse souligne par ailleurs l’importance du cas présent en ce que cela serait la première fois que le droit de reproduction et de communication d’œuvres d’art au public serait invoqué à l’encontre d’un commissaire-priseur chargé de la vente de telles œuvres.  Ainsi, les présentes procédures seraient une première au Canada et feront jurisprudence.  Les enjeux soulevés par la demande de la SODRAC seraient donc considérables et de nature à affecter l’ensemble de l’industrie de l’art au Canada.

[11]           Quant à la preuve que la défenderesse entend administrer au mérite, le paragraphe 8 de son affidavit indique qu’elle comprendra, notamment, une preuve d’experts (sur la valeur, sur la nature de l’utilisation, etc.) ainsi que des témoignages de ses représentants et de représentants d’autres entreprises semblables.

[12]           En représentations écrites – et non dans son affidavit – la défenderesse ajoute sur ce point  qu’une preuve par affidavit ne permettra pas d’obtenir les témoignages de ces tiers, témoignages qui sont nécessaires à sa défense.  Cette dernière entend notamment assigner comme témoins les représentants de différentes entreprises de vente aux enchères canadiennes et des propriétaires de galeries d’art afin de témoigner de l’effet du recours de la SODRAC sur leur entreprise.  Or, de tels témoignages, selon la défenderesse en représentations écrites, ne peuvent être obtenus par affidavit car la défenderesse ne contrôle pas ces témoins.

[13]           Enfin, aux paragraphes 10 et 11 de son affidavit, la défenderesse énonce les allégations générales suivantes :

[10]      Une preuve par affidavits comme le prévoient les règles 306 et 307 ne permettra pas un exposé complet des faits et enjeux en cause et risque de porter préjudice à [la défenderesse].  Il est de loin plus approprié que la présente affaire procède par action, permettant ainsi audition des témoins et experts devant la cour.

[11]      Il serait très préjudiciable à [la défenderesse] que cette affaire procède par la procédure prévue aux règles 300 et suivantes.  En effet, il lui serait alors impossible de faire une preuve complète et de faire valoir tous ses moyens à l’encontre du recours de la SODRAC, tel qu’énoncé ci-dessus.

Analyse

[14]           Tel que le souligne la défenderesse, peu de décisions de notre Cour ou de la Cour d’appel fédérale traite de la possibilité qu’envisage le paragraphe 34(6) de la Loi.

[15]           Dans l’arrêt Kraft Canada Inc. et al c. Euro Excellence Inc., 2003 CFPI 46 (l’arrêt Kraft), la Cour a conclu que le fardeau de preuve sous le paragraphe 34(6) de la Loi reposait comme dans le cas présent sur la défenderesse et que la jurisprudence élaborée sous le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, était pertinente.  Aux paragraphes 10 à 13 de cet arrêt, la Cour s’est exprimée comme suit dans le cadre de son analyse qui l’a amenée à rejeter la demande de conversion de la défenderesse d’alors :

[10]      Le paragraphe 34(4)a) de la Loi prévoit clairement le droit d’introduire un recours sous la Loi par voie de demande.  C’était à la défenderesse de convaincre la Cour d’exercer sa discrétion en vertu du paragraphe 34(6) de la Loi pour que la demande soit instruite comme une action.  À cet égard, je pense à l’instar des demanderesses que l’utilisation de la jurisprudence élaborée sous un article utilisant un libellé similaire, soit le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R. (1985), ch. F-7, est pertinente.

[11]      L’arrêt de principe à cet égard semble être l’arrêt Macinnis v. Canada (Procureur général (C.A.), [1994] 2 C.F. 464.

[12]      Je ne considère pas que la défenderesse ait introduit par voie d’affidavit des éléments de preuve qui nous permettent de conclure que les éléments recherchés dans l’arrêt Macinnis soient présents.

[13]      Je ne considère pas que la défenderesse ait, autrement qu’en arguments théoriques, démontré en preuve que des moyens procéduraux essentiels en l’espèce lui échapperaient de façon préjudiciable si la présente demande des demanderesses suit son cours.  D’autre part, je ne puis voir comment le fait que sous la Loi le recours des demanderesses se poursuive comme demande et non comme action limite les moyens ou motifs de défense légitimes que pourrait vouloir faire valoir la défenderesse.

[16]           Bien que dans une décision rendue le 17 novembre 2005 dans l’affaire Société canadienne de perception de la copie privée c. Fuzion Technology Corp., 2005 CF 1557 (l’arrêt Fuzion), notre Cour ait indiqué que le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas aux instances introduites en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi, cet arrêt Fuzion n’écarte pas expressément les paramètres d’analyse que l’on retrouve dans l’arrêt Macinnis, supra, de la Cour d’appel fédérale.

[17]           Il ne serait donc pas totalement inapproprié de garder à l’esprit ici les enseignements des arrêts Macinnis et Kraft.

[18]           Dans la situation présente, je ne considère pas que l’affidavit de la défenderesse établisse une dynamique qui doive m’amener à considérer qu’il est indiqué, au terme du paragraphe 34(6) de la Loi, que la demande de la SODRAC soit instruite dorénavant comme s’il s’agissait d’une action.

[19]           Les allégations de la défenderesse à l’effet que le présent cas est un cas complexe qui se présente pour la première fois et qui risque de créer un précédent ne sont pas de nature à me convaincre.  Il en est de même du fait que les Chartes canadienne et québécoise pourront être du débat et que des témoignages d’experts seront présentés.  Des arguments de même portée ont été regardés puis rejetés dans l’arrêt Macinnis.

[20]           Le fait que le témoignage de tiers non sous le contrôle de la défenderesse puisse être recherché ne doit pas ici nous amener à changer notre conclusion.  Il y a possiblement lieu de croire que les tiers recherchés par la défenderesse auraient une version à offrir qui irait en faveur des thèses de défense qu’entend présenter la défenderesse.  De plus, il n’a pas été établi en preuve dans le cadre de la présente requête que tout tiers ait été approché et ait refusé de fournir un affidavit.  L’affidavit de la défenderesse est silencieux sur ce point.

[21]           Je pense, dans les circonstances, que le régime général d’administration de la preuve envisagé par les règles régissant la mise en état, puis l’audition au mérite d’une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour est plus que suffisant pour permettre à la défenderesse ici de faire valoir adéquatement, donc sans préjudice réel, ses moyens substantifs à l’encontre de la demande de la SODRAC sans qu’il y ait nécessité de déployer tout l’appareillage entourant le processus d’une action.

[22]           À ce chapitre, je ne puis me rendre à l’approche suggérée par la défenderesse et considérer que malgré le libellé neutre et en apparence égalitaire du paragraphe 34(4) de la Loi, l’on doive considérer que le régime des actions est le régime général à suivre en cas de violation de la Loi et que le régime d’une demande de contrôle judiciaire (soit la preuve par affidavits) soit l’exception.  Dans cet ordre d’idées et suivant la défenderesse, lorsqu’une partie utilise le régime d’une demande de contrôle judiciaire, une partie adverse qui présente une requête en conversion sous le paragraphe 34(6) de la Loi devrait bénéficier d’un assouplissement certain des critères élaborés dans l’arrêt Macinnis.  Dans ce dernier arrêt, un des critères centraux est à l’effet que

(...) le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d’affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d’un procès pourrait être supérieure.  (Voir page 472)

[23]           Pour ces motifs, j’entends rejeter avec dépens la requête de la défenderesse sous le paragraphe 34(6) de la Loi.


ORDONNANCE

            La requête de la défenderesse sous le paragraphe 34(6) de la Loi sur le droit d’auteur est rejetée avec dépens.

 

« Richard Morneau »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-700-07

 

INTITULÉ :                                       SOCIÉTÉ DU DROIT DE REPRODUCTION DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS AU CANADA (SODRAC) INC. ET AL

                                                            contre

                                                            HÔTEL DES ENCANS DE MONTRÉAL INC. ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               4 juin 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      6 juin 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Chantal Poirier

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Marek Nitoslawski

Me Chloé Latulippe

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matteau Poirier

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Fasken Martineau DuMoulin

S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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