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Date : 20070529

Dossier : T-781-06

Référence : 2007 CF 567

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2007

En présence de monsieur le juge Blais

 

 

ENTRE :

La BANDE INDIENNE DES AHOUSAHT

La BANDE INDIENNE DES DITIDAHT

La BANDE INDIENNE DES EHATTESAHT

La BANDE INDIENNE DES HESQUIAHT

La BANDE INDIENNE DES HUPACASATH

La BANDE INDIENNE DES HUU-AY-AHT

La BANDE INDIENNE DES KA:’YU:K’T’H/CHE:K’TLES7ET’H’

La BANDE INDIENNE DES MOWACHAHT / MUCHALAHT

La BANDE INDIENNE DES NUCHATLAHT

La BANDE INDIENNE DES TLA-O-QUI-AHT

La BANDE INDIENNE DES TOQUAHT

La BANDE INDIENNE DES TSESHAHT

La BANDE INDIENNE DES UCHUCKLESAHT et

La BANDE INDIENNE DES UCLUELET

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par le ministre des Pêches et des Océans (ci-après le défendeur ou le ministre) le 10 avril 2006 ou vers cette date, en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14, et ayant pour objet la mise en œuvre d’un plan pilote pour la pêche commerciale des poissons démersaux sur la côte du Pacifique de la Colombie-Britannique (ci-après « le plan pilote »), qui prévoyait notamment de nouvelles conditions assortissant les permis ainsi que l’attribution de contingents individuels transférables à des pêcheurs commerciaux pour la sébaste, la morue lingue et le chien de mer, dont la pêche n’avait pas encore été assujettie à des régimes de gestion prévoyant des contingents individuels transférables (ci-après « la décision »).

 

CONTEXTE

[2]               Les demanderesses dans la présente affaire sont quatorze Premières nations (les Premières nations Nuu-chah-nulth) qui composent collectivement le groupe culturel et linguistique Nuu-chah-nulth et sont situées sur la côte Ouest de l’île de Vancouver. Elles ont formé le Nuu-chah-nulth Tribal Council (NTC), qui est chargé, entre autres choses, de coordonner certains aspects des relations entre les Premières nations Nuu-chah-nulth et des représentants de l’État, notamment le ministre et d’autres personnes agissant pour le compte du ministère des Pêches et des Océans (MPO). Le NTC administre un service des pêches qui offre des services aux Premières nations membres du NTC dans des domaines liés à la gestion des ressources aquatiques, et il a établi un organisme de gestion des ressources appelé Uu-a-thluk, l’instance centrale dont fait partie le Ha’wiih Council (composé des chefs héréditaires et de leurs représentants), qui est appuyée par un groupe de travail technique commun (GTTC) composé de membres du MPO, des Premières nations et du NTC. Les demanderesses sont actuellement engagées dans le processus de négociation de traités de la Colombie-Britannique, de même que dans des litiges devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans le cadre desquels elles revendiquent des droits ancestraux de pêche à des fins commerciales.

 

[3]               Le défendeur dans la présente instance est le ministre des Pêches et des Océans. Trois personnes du MPO ont par ailleurs traité avec les demanderesses dans le présent dossier, à savoir Ronald Kadowaki, directeur responsable de la réforme des pêches du Pacifique, Diana Trager, coordonnatrice régionale de la gestion des ressources de l’Unité de gestion des poissons de fond et Paul Sprout, directeur général régional de la Région du Pacifique du MPO.

 

[4]               La présente affaire concerne le processus qui a mené à l’instauration par le ministre d’un plan pilote sur trois ans pour la gestion des pêches commerciales des poissons démersaux en avril 2006. En vertu du plan pilote adopté par le ministre, les pêcheurs sont maintenant entièrement responsables de leur prise. À cette fin, on a instauré un régime de contingents individuels pour les pêches de poissons démersaux qui ne faisaient pas encore l’objet de contingents individuels. En outre, ces contingents peuvent être réalloués entre toutes les pêches commerciales de poissons démersaux, afin de permettre aux bateaux de répondre des mortalités accessoires. Ces mesures devraient être étayées par de nouvelles normes de surveillance déjà annoncées qui feront notamment appel à un système de surveillance électronique et vidéo totale en mer pour tous les bateaux faisant la pêche commerciale des poissons démersaux au piège et à la ligne. Le défendeur note que la mise en œuvre du plan pilote était particulièrement importante, étant donné les autres mesures déjà mises en œuvre, afin d’éviter une fermeture précoce des pêches, ce qui serait vraisemblablement survenu sans les mesures de réattribution des contingents.

 

[5]               Selon le défendeur, le MPO avait déjà décidé en 2001 qu’il serait nécessaire de mettre en œuvre des réformes dans le secteur des pêches de poissons démersaux de la côte du Pacifique pour répondre à d’importants problèmes de conservation et de protection touchant des espèces de sébaste en voie de disparition ou en péril et la mortalité accessoire et permettre au MPO d’évaluer les stocks avec précision en améliorant la surveillance et la déclaration des prises pour toutes les espèces. À la lumière de ses expériences passées, le MPO a aussi reconnu que la mise en œuvre de toute nouvelle politique ne pourrait réussir qu’avec une participation importante des intéressés.

 

[6]               Des discussions entre le MPO et des associations industrielles ont commencé en mars 2003 et ont mené à l’élaboration de documents de travail et à la création du Comité consultatif sur l’intégration des pêches commerciales des poissons démersaux (CCIPCPD), qui comprenait des représentants de l’industrie des pêches commerciales, dont les quatre principales associations industrielles du secteur des pêches de poissons démersaux, ainsi que la province de la Colombie‑Britannique et le MPO. Le CCIPCPD comprenait aussi des représentants de communautés côtières, du Marine Conservation Caucus, du Sport Fish Advisory Board et de la British Columbia Aboriginal Fisheries Commission (BCAFC). Il convient de noter que la BCAFC a désigné une personne du NTC pour agir comme son représentant en 2004 et en 2005. Bien que le représentant désigné n’ait pas assisté aux quatre réunions du CCIPCPD en 2004, la BCAFC a été représentée aux réunions de 2005, d’abord par un pêcheur commercial du NTC et ensuite par un employé du NTC.

 

[7]               Le CCIPCPD a créé un comité composé de seize de ses membres, le Commercial Industry Caucus (CIC), qui a préparé la proposition qui est devenue plus tard le plan pilote. Ce comité ne comprenait aucun représentant autochtone.

 

[8]               En mars 2005, toutes les personnes admissibles à un permis de pêche commerciale de poissons démersaux au piège et à la ligne et tous les propriétaires de bateaux utilisés pour ces pêches ont été informés, dans une lettre envoyée par le MPO, qu’un système obligatoire de surveillance totale en mer serait instauré à compter de 2006. Toujours en mars 2005, la Commercial Industry Caucus Pilot Integration Proposal (la proposition de réforme) a été présentée au CCIPCPD et au MPO.

 

[9]               La consultation des intéressés au sujet de la proposition de réforme a débuté en juin 2005. À cette fin, le MPO a d’abord créé un site Web, qui fournissait des renseignements sur la proposition de réforme et sur les différentes politiques qui ont mené à cette proposition. Il a ensuite envoyé une lettre, accompagnée d’un guide de consultation, à tous les titulaires de permis de pêches de poissons démersaux pour les inviter à faire part au MPO de leurs commentaires au sujet de la proposition de réforme. Des lettres et des guides de consultation ont également été envoyés à toutes les Premières nations côtières de la Colombie‑Britannique pour recueillir leurs observations. La deuxième phase de la consultation a eu lieu en octobre et novembre 2005, lorsque des représentants du MPO se sont rendus dans quatre villes de la province pour engager des discussions avec les intéressés. Le dernier stade du processus de consultation a consisté en des discussions bilatérales avec les Premières nations touchées. Cela dit, les demanderesses n’ont pas été invitées à prendre part à ces discussions bilatérales planifiées parce que le défendeur ne considérait pas que la proposition de réforme avait un effet préjudiciable sur les droits ancestraux qu’elles revendiquaient.

 

[10]           Les demanderesses notent qu’elles ont soulevé l’idée d’une consultation bilatérale auprès des Premières nations Niu-chah-nulth une première fois en janvier 2005, puis à nouveau lors des réunions du CCIPCPD du 15 avril 2005 et du 30 mai 2005.

 

[11]           La première réunion entre des représentants du MPO et des représentants des demanderesses au cours de laquelle la proposition de réforme aurait dû être discutée est la réunion du GTTC qui devait avoir lieu en septembre 2005. Cependant, le NTC a annulé cette réunion parce que le chef du service des pêches du NTC, M. Hall, n’était pas disponible.

 

[12]           La réunion a été reportée au 18 novembre 2005, date à laquelle Mme Trager, représentant le MPO, a rencontré des représentants du NTC pour discuter de différentes questions liées aux pêches, dont la proposition de réforme. Il y a eu une autre rencontre entre des représentants du MPO et des demanderesses le 28 novembre 2005, au cours de laquelle Mme Trager a fait une présentation sur la proposition de réforme et a répondu à des questions.

 

[13]           Une autre réunion du CTTC a eu lieu le 29 novembre 2005, mais la discussion a porté uniquement sur le projet de protocole de consultation proposé par les demanderesses dans une lettre datée du 23 novembre 2005, qui permettrait de procéder à des consultations sur plusieurs questions liées aux pêches, dont la proposition de réforme. Ce protocole de consultation comportait six étapes :

1.           Identification des propositions de politique

2.           Explication et discussion initiale des propositions de politique

3.           Communication et étude de renseignements additionnels

4.           Réponse des Nuu-chah-nulth

5.           Réponse du MPO

6.           Accommodement

 

[14]           Le défendeur a accepté d’étudier le protocole de consultation, puis, dans une lettre datée du 20 décembre 2005, M. Sprout a fait savoir qu’ils attendaient encore des commentaires de leurs collègues à Ottawa, mais que le MPO était essentiellement d’accord sur les cinq premières étapes du protocole de consultation, et il proposait que les parties entreprennent immédiatement ces étapes.

 

[15]           Une réunion ultérieure a eu lieu le 23 janvier 2006, mais la discussion a porté seulement sur le protocole de consultation, puisque les demanderesses soutenaient qu’elles n’étaient pas prêtes à discuter de la proposition de réforme tant que le MPO ne se serait pas engagé à adhérer au protocole de consultation proposé. Lors de cette réunion, M. Kadowaki a informé les représentants des demanderesses que le MPO était essentiellement d’accord sur les cinq premières étapes du protocole de consultation, mais que la sixième étape dépendrait des résultats des cinq premières étapes. En outre, M. Kadowaki a déclaré dans son affidavit qu’il a insisté sur l’urgence de l’initiative relative aux poissons démersaux, puisqu’une des pêches importantes de poissons démersaux ouvrirait en mars 2006, et qu’il était donc impératif que les consultations soient entreprises de toute urgence. Il a aussi indiqué que le MPO n’était pas prêt à accepter l’échéancier proposé aux termes du protocole de consultation concernant cette initiative.

 

[16]           Une autre tentative a été faite en vue d’organiser une rencontre au cours de la première semaine de février 2006 afin de passer à la troisième étape du protocole de consultation, mais les demanderesses ont rejeté la proposition de rencontre, en réitérant qu’elles n’étaient pas prêtes à entreprendre des consultations sur des questions de fond avant qu’il y ait entente sur le protocole de consultation. M. Hall a affirmé que la rédaction de questions pour la troisième étape avait été entreprise mais que, [traduction] « dans l’attente de l’entente sur le protocole de consultation et eu égard à d’autres activités plus prioritaires au cours des dernières semaines », elle n’avait pas été hautement prioritaire.

 

[17]           Dans une lettre datée du 16 février 2006, M. Kadowaki a écrit que [traduction] « le MPO est d’accord sur bon nombre des aspects du protocole de consultation que vous avez proposé, et nous croyons qu’il peut servir de fondement à un cadre utile et pratique de consultation. » M. Kadowaki a aussi réitéré l’urgence des consultations au sujet de la proposition de réforme, puisque l’on envisageait de mettre en œuvre la réforme proposée à compter de la saison de pêche de 2006.

 

[18]           Les demanderesses prétendent que le MPO a accepté par cette lettre d’être lié par le protocole de consultation, tandis que le défendeur soutient que le MPO n’a pris aucun engagement semblable. Le défendeur affirme également qu’il faut lire cette lettre à la lumière de la lettre précédente envoyée par Mme Trager et datée du 16 janvier 2006, dans laquelle elle écrivait aux demanderesses que le MPO envisageait de mettre en œuvre la proposition de réforme pour la saison de pêche de 2006, ainsi qu’à la lumière de l’affidavit de M. Kadowaki, dans lequel celui‑ci affirme que l’on a clairement fait savoir aux demanderesses que le MPO n’acceptait pas l’échéancier proposé.

 

[19]           Le 20 février 2006, les demanderesses ont fait savoir qu’elles étaient prêtes à faire avancer le processus de consultation et à passer à l’étape 3 de leur protocole de consultation. Elles ont donc envoyé 102 questions à Mme Trager.

 

[20]           Le 24 février 2006, une autre réunion a eu lieu, au cours de laquelle le MPO a donné des ébauches de réponses à certaines des questions soumises. Le MPO a répondu plus tard à 94 des 102 questions dans un courriel envoyé le 13 mars 2006.

 

[21]           Il n’y a eu aucune autre réunion après cela, mais les parties ont continué à échanger de la correspondance. Les demanderesses ont notamment envoyé des lettres dans lesquelles elles se plaignaient de ne pas être consultées et exprimaient leur opposition à la proposition de réforme. Une lettre a aussi été envoyée pour tenter d’obtenir une rencontre avec le ministre lors de son séjour dans la région en mars 2006. Bien que le ministre ne les ait pas rencontrées à cette occasion, le défendeur fait remarquer qu’il y avait eu une rencontre entre le ministre et les Premières nations Nuu-chah-nulth en janvier 2006.

 

[22]           Une série de notes de service ont été envoyées au ministre les 17 février 2006, 17 mars 2006, 31 mars 2006 et 5 avril 2006, dans lesquelles les préoccupations exprimées par les Premières nations sont clairement signalées. En particulier, la première note de service décrit avec force détails l’opposition des Premières nations, notamment celle du NTC.

 

[23]           Lorsqu’elle a été publiée en avril 2006, la proposition finale correspondait dans une large mesure à la proposition que le CIC avait présentée au CCIPCPD, bien qu’on y ait apporté certains changements, notamment les modifications suivantes : la proposition serait mise en œuvre à titre de plan pilote sur une période de trois ans; la réallocation de contingents entre permis au sein d’une même pêche de poisson démersal serait permise à titre temporaire uniquement pendant l’année de pêche en cours; le MPO s’engageait à reconnaître aux Premières nations un historique de capture additionnel de morue-lingue et de chien de mer sous forme d’attribution de contingents pour ces poissons.

 

[24]           Comme l’ont fait remarquer les demanderesses, le plan pilote a été présenté avant que toutes les étapes du plan de consultation proposé par les demanderesses aient été complétées.

 

[25]           Les demanderesses ont ensuite déposé une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour le 5 mai 2006. En substance, les demanderesses soutiennent que le ministre n’a pas préservé l’honneur de la Couronne et ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter les Premières nations Nuu-chah-nulth et de trouver des accommodements à leurs préoccupations avant de mettre en œuvre le plan pilote.

 

[26]           En conséquence, les demanderesses demandent ce qui suit :

§         une déclaration selon laquelle le ministre a manqué à son obligation constitutionnelle, en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.), constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, de consulter les demanderesses et de trouver des accommodements à leurs préoccupations avant que la décision soit prise et que le plan pilote soit mis en œuvre;

§         une déclaration selon laquelle le ministre a manqué à son obligation constitutionnelle en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et a omis de préserver l’honneur de la Couronne en omettant de consulter les demanderesses et de trouver des accommodements à leurs préoccupations conformément aux termes du protocole de consultation convenu entre le MPO et les demanderesses avant que la décision soit prise et que le plan pilote soit mis en œuvre;

§         une déclaration selon laquelle le ministre a porté atteinte au droit des demanderesses à l’équité procédurale en omettant de se conformer aux termes du protocole de consultation convenu entre les parties;

§         une ordonnance de certiorari en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, annulant ou infirmant la décision et déclarant le plan pilote nul et illégal.

 

QUESTIONS À EXAMINER

[27]           Les questions suivantes doivent être examinées dans le cadre de la présente demande :

1)      Quelle était l’étendue de l’obligation du ministre de consulter les demanderesses relativement à la décision de mettre en œuvre le plan pilote?

2)      Les mesures prises par le ministre étaient-elles suffisantes pour respecter l’obligation de consulter en l’espèce?

3)      Le cas échéant, quelle réparation la Cour devrait‑elle ordonner?

 

ANALYSE

1) Quelle était l’étendue de l’obligation du ministre de consulter les demanderesses relativement à la décision de mettre en œuvre le plan pilote?

 

[28]           L’arrêt clé en ce qui a trait à l’obligation de consulter les Premières nations et de trouver des accommodements à leurs préoccupations est sans aucun doute Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, où la Cour suprême du Canada explique comme suit la source de cette obligation aux paragraphes 16 et 20 :

 16      L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes.

 

[...]

 

 20      Tant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1105‑1106. Les traités permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne, et ils servent à définir les droits ancestraux garantis par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 35 promet la reconnaissance de droits, et « [i]l faut toujours présumer que [la Couronne] entend respecter ses promesses » (Badger, précité, par. 41). Un processus de négociation honnête permet de concrétiser cette promesse et de concilier les revendications de souveraineté respectives. L’article 35 a pour corollaire que la Couronne doit agir honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par celui‑ci et de les concilier avec d’autres droits et intérêts. Cette obligation emporte à son tour celle de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder.

 

[29]           Aux paragraphes 27 et 35 de l’arrêt Haïda, précité, la Cour suprême a aussi examiné la question de savoir à quel moment prend naissance cette obligation de consulter et d’accommoder :

 27      La réponse à cette question découle, encore une fois, de l’honneur de la Couronne. Si cette dernière entend agir honorablement, elle ne peut traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité. Elle doit respecter ces intérêts potentiels mais non encore reconnus. La Couronne n’est pas paralysée pour autant. Elle peut continuer à gérer les ressources en question en attendant le règlement des revendications. Toutefois, selon les circonstances, question examinée de façon plus approfondie plus loin, le principe de l’honneur de la Couronne peut obliger celle-ci à consulter les Autochtones et à prendre raisonnablement en compte leurs intérêts jusqu’au règlement de la revendication. Le fait d’exploiter unilatéralement une ressource faisant l’objet d’une revendication au cours du processus visant à établir et à régler cette revendication peut revenir à dépouiller les demandeurs autochtones d’une partie ou de l’ensemble des avantages liés à cette ressource. Agir ainsi n’est pas une attitude honorable.

 

[...]

 

 35      Mais à quel moment, précisément, l’obligation de consulter prend‑elle naissance? L’objectif de conciliation ainsi que l’obligation de consultation, laquelle repose sur l’honneur de la Couronne, tendent à indiquer que cette obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci : voir Halfway River First Nation c. British Columbia (Ministry of Forests), [1997] 4 C.N.L.R. 45 (C.S.C.-B.), p. 71, le juge Dorgan.

 

 

[30]           Le défendeur ne conteste pas en l’espèce le fait que la Couronne aurait dû avoir connaissance des revendications des demanderesses en matière de droits de pêche. Par contre, il remet en question l’idée selon laquelle la conduite envisagée par le ministre était susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur le droit ancestral en cause.

 

[31]           Le défendeur affirme – et les demanderesses ne le contestent pas – que les demanderesses n’ont réussi à identifier aucun effet préjudiciable sur le droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles et que, par conséquent, aucune obligation de consulter ne serait née à ce titre. Les préoccupations que la proposition de réforme suscite chez les demanderesses sont plutôt toutes centrées sur l’imposition de contingents, et elles ont été exprimées comme suit :

a)      les contingents ont des répercussions sur les règlements conclus en vertu de traités;

b)      les contingents ont des incidences socio-économiques sur les collectivités des Premières nations;

c)      les contingents touchent plus particulièrement les exploitants de petits bateaux, et les membres des communautés Nuu-chah-nulth pratiquent habituellement la pêche au moyen de petits bateaux;

d)      il faut avoir accès à des capitaux pour acquérir des contingents;

e)      il y a une tendance à la concentration commerciale de la propriété des permis et des contingents.

 

[32]           Le défendeur soutient que seules les préoccupations liées aux points c) et d) sont des questions qui présentent un lien avec un droit ancestral, puisqu’elles sont susceptibles d’avoir des conséquences financières préjudiciable au plan de l’acquisition de contingents pour ceux qui pratiquent la pêche commerciale de poissons démersaux, et donc seules ces préoccupations entraîneraient une obligation de consulter. En particulier, les demanderesses ont beaucoup insisté sur le premier point, et ce, dans des lettres adressées aussi bien à des fonctionnaires du MPO qu’au ministre lui-même, parce qu’elles craignent que les contingents individuels n’aient un effet préjudiciable sur la capacité financière du Canada de régler les revendications de traités et les litiges mettant en cause des Premières nations. Cependant, comme le souligne le défendeur, les préoccupations liées à des incidences éventuelles sur le processus de négociation de traités, qui est un processus distinct, n’entraîneraient pas une obligation de consulter. Le processus de négociation de traités et le litige auxquels les demanderesses sont parties n’ont de pertinence que dans la mesure où ils démontrent que les demanderesses ont revendiqué un droit de pêcher à des fins commerciales, puisque c’est cette revendication qui déclenche l’obligation de consulter. J’ajouterais en outre que tout compromis éventuel entre l’objectif du gouvernement concernant la conservation des ressources halieutiques et les coûts accrus pour le gouvernement dans le contexte de négociations de traités avec des Premières nations qui pourrait découler de l’adoption d’une telle proposition sont des considérations de politique internes pour le gouvernement qui n’ont d’incidence directe sur aucun droit des demanderesses de nature à donner naissance à une obligation de consulter. Par conséquent, le seul droit qui demeure en litige est le droit des demanderesses de pêcher à des fins commerciales.

 

[33]           Pour pouvoir déterminer l’étendue et la teneur de l’obligation de consulter, il est essentiel d’établir le droit qui donnera naissance à cette obligation, puisque la Cour suprême du Canada a reconnu que l’étendue précise de cette obligation doit s’apprécier le long d’un continuum. Elle a écrit aux paragraphes 43 à 45 de l’arrêt Haïda, précité :

 43      Sur cette toile de fond, je vais maintenant examiner le type d’obligations qui peuvent découler de différentes situations. À cet égard, l’utilisation de la notion de continuum peut se révéler utile, non pas pour créer des compartiments juridiques étanches, mais plutôt pour préciser ce que le principe de l’honneur de la Couronne est susceptible d’exiger dans des circonstances particulières. À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.

 

 44      À l’autre extrémité du continuum on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.

 

 45      Entre les deux extrémités du continuum décrit précédemment, on rencontrera d’autres situations. Il faut procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour. La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones. Elle peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones. Une attitude de pondération et de compromis s’impose alors.

 

[34]           Les demanderesses soutiennent qu’elles ont présenté une preuve à première vue solide pour établir leur droit de pêcher à des fins commerciales, ce que le défendeur ne conteste pas en l’espèce. Cela dit, le défendeur affirme que l’étendue de l’obligation de consulter se situe à l’extrémité inférieure du continuum, puisque le risque d’atteinte ou d’effet préjudiciable est faible.

 

[35]           Le critère de l’effet préjudiciable relativement à l’étendue de l’obligation de la Couronne a également été analysé par la Cour suprême du Canada dans Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388, où le juge Binnie a écrit, au paragraphe 55 :

L’obligation de consultation, comme il est précisé dans l’arrêt Nation Haïda, est vite déclenchée, mais l’effet préjudiciable, comme l’étendue de l’obligation de la Couronne, est une question de degré. En l’espèce, les effets étaient clairs, démontrés et manifestement préjudiciables à l’exercice ininterrompu des droits de chasse et de piégeage des Mikisew sur les terres en question.

 

[36]           En l’espèce, nous n’avons pas affaire à une revendication visant des terres précises où le gouvernement envisagerait la réalisation d’un projet de développement quelconque, ni même à la délivrance d’un permis d’exploitation des ressources situées sur ces terres qui serait susceptible d’épuiser considérablement les ressources en question. Nous avons plutôt affaire à une revendication d’un droit ancestral de pêcher à des fins commerciales, dans le contexte d’une proposition gouvernementale de mise en œuvre d’un programme de contingents visant, d’abord et avant tout, à favoriser la conservation, de même qu’à réaliser divers autres objectifs, notamment accroître la responsabilité et améliorer la viabilité économique. Ainsi, le défendeur soutient que, plutôt que de porter atteinte aux droits revendiqués par les demanderesses, le plan pilote aidera à protéger les pêches de poissons démersaux au profit de tous les Canadiens, y compris des demanderesses. Puisque l’effet préjudiciable est tout au plus minime, l’étendue de l’obligation de consulter de la Couronne est limitée.

 

[37]           En fait, le défendeur fait valoir que les demanderesses n’ont pas réussi à exposer clairement quelles incidences, s’il en est, la proposition de réforme pourrait éventuellement avoir sur les droits ancestraux qu’elles revendiquent. En outre, étant donné que des régimes de contingents individuels sont en vigueur dans la plupart des secteurs des pêches de poissons démersaux depuis au moins 1997, et que l’effet des contingents individuels a déjà été étudié par le First Nations Panel on Fisheries, le défendeur soutient qu’il serait fourbe de la part des demanderesses de prétendre aujourd’hui qu’elles ne pourraient pas décrire ces incidences tant qu’elles n’auraient pas obtenu les réponses aux questions qu’elles ont soumises au MPO.

 

[38]           Le défendeur fait également remarquer que lorsque l’on évalue le caractère adéquat de la consultation, il faut considérer que les droits revendiqués sont des droits commerciaux sans limite intrinsèque. S’appuyant sur la jurisprudence antérieure à l’arrêt Haïda, précité, le défendeur prétend qu’il y a un vaste éventail d’objectifs que le gouvernement peut légitimement poursuivre et qui peuvent justifier une atteinte aux droits ancestraux commerciaux et que, lorsque l’atteinte est justifiée, toute obligation de consulter sera minimale, et qu’il pourra suffire par exemple de donner un avis aux intéressés et de discuter ultérieurement. À l’appui de cette prétention, le défendeur invoque la jurisprudence de la Cour suprême qui a précédé l’arrêt Haïda, en particulier R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013, et R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723.

 

[39]           Dans Nikal, précité, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si le fait d’exiger que même un Autochtone jouissant d’un droit de pêche protégé par la Constitution doive obtenir un permis violait l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour a affirmé ce qui suit au sujet de la limitation des droits en général, au paragraphe 92 de l’arrêt Nikal, précité :

[...] Il a fréquemment été déclaré que les droits n'existent pas dans l'abstrait et que les droits d'un individu ou d'un groupe sont nécessairement limités par les droits d'autrui. La capacité d'exercer des droits individuels ou collectifs est nécessairement restreinte par les droits d'autrui. Le gouvernement doit, en dernier ressort, être capable d'établir ou de régir la façon dont ces droits devraient interagir. La liberté absolue d'exercer un droit, même un droit ancestral protégé par la Charte ou garanti par la Constitution, n'a jamais été reconnue ni voulue. [...]

 

La Cour suprême a ensuite fait remarquer, au paragraphe 94 :

[...] En l'espèce, il faut mettre en équilibre le droit ancestral de pêcher et la nécessité de conserver les ressources halieutiques. L'existence d'un droit ancestral de pêcher ne peut automatiquement priver le gouvernement de la capacité de mettre sur pied un régime ou programme de délivrance de permis, car l'exercice du droit lui‑même dépend de la survie de ces ressources. Le droit même de pêcher perdrait avec le temps tout son sens si le gouvernement ne pouvait adopter un régime de délivrance de permis susceptible de constituer l'assise essentielle d'un programme de conservation. [...]

 

 

[40]           Dans Gladstone, précité, la Cour suprême du Canada a d’abord réitéré le critère en deux étapes énoncé dans R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 pour décider si les actions de l’État qui portent atteinte aux droits ancestraux peuvent être justifiées. Les deux étapes étaient les suivantes : 1) l’État doit démontrer qu’il a agi en vertu d’un objectif législatif régulier et 2) l’État doit établir que ses actions sont compatibles avec son obligation de fiduciaire envers les peuples autochtones. La Cour suprême du Canada a ensuite cherché, dans Gladstone, précité, à nuancer quelque peu cette décision en précisant que le droit en cause dans Sparrow était le droit de pêche à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles, soit un droit comportant une limite intrinsèque, tandis que le droit de pêche dans Gladstone avait des fins commerciales et ne comportait donc pas une telle limite. La Cour suprême a ensuite affirmé, au paragraphe 59 de Gladstone, précité :

 59      Toutefois, quand le droit ancestral ne comporte pas de limite intrinsèque, la situation décrite dans Sparrow comme étant exceptionnelle devient alors la norme : dans les cas où le droit ancestral est dépourvu de limite intrinsèque, l’application de la notion de priorité formulée dans Sparrow signifierait que si un droit ancestral est reconnu et confirmé, ce droit deviendrait exclusif. Parce que le droit de vendre de la rogue de hareng sur varech sur le marché commercial ne peut jamais être considéré comme ayant été respecté complètement tant que la ressource est encore disponible et que le marché n’est pas saturé, donner priorité à ce droit de la manière proposée dans Sparrow équivaudrait à conférer à son titulaire l’exclusivité vis-à-vis de quiconque ne jouit pas du droit ancestral de participer à la récolte de la rogue de hareng sur varech.

 

 

[41]           La Cour suprême a ensuite examiné la question de savoir ce qui pourrait constituer un objectif impérieux et réel en vertu duquel l’État pourrait légitimement porter atteinte à un droit ancestral, dans le contexte du premier volet du critère établi dans l’arrêt Sparrow. La Cour a écrit ce qui suit aux paragraphes 69, 74 et 75 dans Gladstone, précité :

 69      J’aborde maintenant la seconde différence importante entre la présente affaire et l’arrêt Sparrow. Dans cet arrêt, bien que notre Cour ait reconnu, à la p. 1113, que, pour les fins du premier volet du critère de la justification, il peut exister, outre la conservation, d’autres objectifs « impérieux et réels » en vertu desquels l’État pourrait agir, elle n’a toutefois pas eu à préciser quels pourraient être ces objectifs. De plus, pour définir les exigences applicables pour établir l’ordre de priorité ainsi que les rapports entre les titulaires de droits ancestraux et les autres usagers de la pêche, la conservation est le seul objectif que notre Cour a pris en considération. Cet examen restreint était logique dans Sparrow, car le ministère public avait soutenu que la limitation de la longueur des filets en cause dans cette affaire était une mesure de conservation nécessaire (de fait, la question de la nécessité de cette mesure n’a pas été tranchée dans cet arrêt). Toutefois, dans la présente affaire, même s’il est possible d’affirmer que certains aspects du régime gouvernemental de réglementation visent la conservation -- [...] ‑‑ d’autres aspects de ce régime ne concernent que peu ou pas des questions de conservation. [...] Il est donc nécessaire, dans le présent pourvoi, de se demander quels sont, s’il en est, les objectifs que l’État peut poursuivre, outre la conservation, et qui permettront de satisfaire au premier volet de la norme de justification énoncée dans Sparrow.

 

[...]

 

 74      La reconnaissance de la conservation en tant qu’objectif impérieux et réel démontre cette affirmation. Vu le rôle fondamental qu’a joué la pêche dans la culture distinctive de nombreux peuples autochtones, il est possible d’affirmer que la conservation est un objectif dont la poursuite peut être liée à la reconnaissance de l’existence de telles cultures distinctives. De plus, comme la conservation revêt une importance primordiale pour la société canadienne dans son ensemble, y compris pour les membres autochtones de cette société, elle est un objectif dont la poursuite est compatible avec la conciliation de l’existence des sociétés autochtones avec la société canadienne plus large dont ces dernières font partie. Dans cette optique, il est possible d’affirmer que la conservation est un objectif impérieux et réel qui justifie la violation par l’État de droits ancestraux, à la condition qu’il soit satisfait aux autres éléments de la norme de justification établie dans Sparrow.

 

 75      Bien que je n’entende aucunement me prononcer de façon définitive sur cette question, je dirais qu’en ce qui concerne la répartition de ressources halieutiques données, une fois que les objectifs de conservation ont été respectés, des objectifs tels que la poursuite de l’équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur ces ressources et participent à leur exploitation, sont le genre d’objectifs susceptibles (du moins dans les circonstances appropriées) de satisfaire à cette norme. Dans les circonstances appropriées de tels objectifs sont dans l’intérêt de tous les Canadiens et, facteur plus important encore, la conciliation de l’existence des sociétés autochtones avec le reste de la société canadienne pourrait bien dépendre de leur réalisation.

 

[42]           En s’appuyant sur les décisions précitées, le défendeur prétend que, dans son appréciation du caractère adéquat des consultations en l’espèce, la Cour devrait considérer que les droits allégués auxquels il serait porté atteinte sont des droits commerciaux ne comportant pas de limite intrinsèque. Comme dans le cadre de l’analyse de la justification, où un vaste éventail d’objectifs constituent des atteintes admissibles lorsqu’on a affaire à un droit commercial ne comportant pas de limite intrinsèque, il y aurait lieu d’aborder différemment le caractère adéquat de la consultation lorsqu’un droit commercial ne comportant pas de limite intrinsèque est revendiqué. Le défendeur explique très clairement que, bien que le CCIPCPD et le CIC aient énuméré différents objectifs à titre d’objectifs essentiels, l’objectif primordial était indéniablement de répondre à des préoccupations liées à la conservation dans le secteur des pêches de poissons démersaux.

 

[43]           Par conséquent, le défendeur soutient que même si les demanderesses parviennent en bout de ligne à prouver un droit ancestral de pêcher à des fins commerciales, le plan pilote résistera à l’analyse de la justification de l’atteinte à ce droit ancestral. Partant, étant donné que le plan pilote serait une atteinte justifiée, le défendeur prétend que toute obligation de consultation en l’espèce se limite à donner un avis aux intéressés et à discuter des questions soulevées, comme mentionné dans l’arrêt Haïda, précité, au paragraphe 43.

 

[44]           Bien qu’elles soutiennent qu’un système de contingents, comme celui mis en œuvre par le défendeur, qui permet des échanges entre intérêts commerciaux privés, traduit un choix de modalités de gestion et ne constitue donc pas la seule méthode de conservation des poissons démersaux que l’on aurait pu mettre en œuvre, les demanderesses ne nient pas que le défendeur poursuivait un objectif de conservation valide lorsqu’il a mis en œuvre le plan pilote.

 

[45]           Enfin, il importe de rappeler le passage suivant de l’arrêt Haïda, précité, de la Cour suprême :

 42      À toutes les étapes, les deux parties sont tenues de faire montre de bonne foi. Le fil conducteur du côté de la Couronne doit être « l’intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones] » à mesure qu’elles sont exprimées (Delgamuukw, précité, par. 168), dans le cadre d’un véritable processus de consultation. Les manœuvres malhonnêtes sont interdites. Cependant, il n’y a pas obligation de parvenir à une entente mais plutôt de procéder à de véritables consultations. Quant aux demandeurs autochtones, ils ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne devraient pas non plus défendre des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans les cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre : voir Halfway River First Nation c. British Columbia (Ministry of Forests), [1999] 4 C.N.L.R. 1 (C.A.C.‑B.), p. 44; Heiltsuk Tribal Council c. British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management) (2003), 19 B.C.L.R. (4th) 107 (C.S.C.‑B.). Toutefois, le seul fait de négocier de façon serrée ne porte pas atteinte au droit des Autochtones d’être consultés.

 

 

[46]           Après avoir examiné soigneusement les observations des deux parties à la lumière de la jurisprudence applicable, je suis convaincu que toute atteinte aux droits des demanderesses de pêcher à des fins commerciales, ou tout effet préjudiciable touchant ces droits, découlant du plan pilote serait limité, particulièrement compte tenu du fait que le défendeur poursuivait un objectif impérieux et réel de conservation de la ressource en cause au profit de tous les Canadiens, y compris des demanderesses. Pour cette raison, je conclus que l’obligation de consulter les demanderesses et de tenir compte de leurs préoccupations se serait située à l’extrémité inférieure du continuum.

 

2) Les mesures prises par le ministre étaient-elles suffisantes pour respecter l’obligation de consulter en l’espèce?

 

[47]           Les demanderesses prétendent tout d’abord que le ministre a manqué à son obligation de consulter puisqu’elles n’ont pas été consultées au début du processus, à l’époque de l’élaboration de la proposition de réforme. Elles soutiennent qu’une consultation véritable doit avoir lieu en temps utile, et qu’elle doit donc commencer tôt dans le processus. Les demanderesses s’appuient sur l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique Halfway River First Nation c. British Columbia (Ministry of Forests) (1999), 178 D.L.R. (4th) 666, cité par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mikisew, précité, selon laquelle :

[traduction] L’obligation de consultation de la Couronne lui impose le devoir concret de veiller raisonnablement à ce que les Autochtones disposent en temps utile de toute l’information nécessaire pour avoir la possibilité d’exprimer leurs intérêts et leurs préoccupations, et de faire en sorte que leurs observations soient prises en considération avec sérieux et, lorsque c’est possible, soient intégrées d’une façon qui puisse se démontrer dans le plan d’action proposé.

 

[48]           Les demanderesses ont aussi invoqué la décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique Squamish Indian Band c. British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management), [2004] B.C.J. No. 2143, où le juge Koenigsberg a affirmé ce qui suit :

[traduction] Ainsi, à mon avis, l’obligation de consulter en l’espèce prend naissance dès que l’État commence à prendre des décisions dans le cadre d’un processus d’approbation menant à une atteinte éventuelle à des droits ancestraux revendiqués. En outre, la prise en compte des préoccupations de la Première nation Squamish qui peut être requise pour justifier une atteinte peut notamment nécessiter que l’État obtienne le consentement de la Première nation à une partie de l’atteinte proposée. Par conséquent, le processus de consultation doit être complet, se dérouler en temps utile et être bien documenté.

 

 

[49]           Bien que l’argument relatif au moment de la consultation soit peut-être valide, le défendeur fait à juste titre remarquer que s’il est vrai que les demanderesses ont seulement reçu une copie officielle de la proposition de réforme en juin 2005, elles connaissait déjà à ce moment‑là l’orientation générale que prenait la proposition de réforme en raison de la participation au CCIPCPD d’un de leurs représentants désigné par la BCAFC dès janvier 2005. D’ailleurs, je ferais également observer que, si le représentant désigné par la BCAFC – qui était aussi un représentant du NTC – avait assisté aux réunions du CCIPCPD en 2004, les demanderesses auraient été engagées d’une certaine façon dans ce processus et auraient su encore plus tôt quelle orientation il prenait.

 

[50]           La différence entre les arguments des demanderesses et de ceux du défendeur montre bien que les demanderesses ont essentiellement adopté comme position, tout au long du processus, que la seule forme de consultation acceptable était une consultation bilatérale. Les notes de la réunion du 30 mai 2005 du CCIPCPD, par exemple, révèlent que le représentant du NTC a déclaré que les commentaires des Premières nations Nuu-chah-nulth ne pourraient être formulés que dans le cadre du processus de consultation bilatérale.

 

[51]           Sur ce point, le défendeur porte à l’attention de la Cour l’arrêt Taku River Tlingit First Nation c. British Columbia, [2004] 3 R.C.S. 550, où la Cour suprême du Canada a rejeté l’idée voulant que l’obligation de consulter signifie que le processus de consultation doit toujours être adapté à la Première nation dont les droits pourraient être touchés, et que la consultation doit donc toujours être bilatérale. La Cour suprême a fait observer, au paragraphe 40 de l’arrêt Taku River, précité :

 40      La juge en son cabinet a estimé que l’obligation de consulter a été respectée jusqu’en décembre 1997, parce que la PNTTR participait alors à part entière à l’évaluation (par. 132). Je souscris à son opinion. La province n’était pas tenue de mettre sur pied, pour l’examen des préoccupations de la PNTTR, une procédure spéciale de consultation différente de celle établie par l’Environmental Assessment Act, qui requiert expressément la consultation des Autochtones concernés.

 

 

[52]           Étant donné que l’obligation de consulter en l’espèce se situe à l’extrémité inférieure du continuum et que les demanderesses étaient représentées dans le processus multilatéral par l’entremise du CCIPCPD et étaient donc au courant de la situation à mesure qu’elle évoluait, je suis d’avis que le ministère n’était pas tenu de prendre de mesure additionnelle pour consulter les demanderesses à l’époque de l’élaboration de la proposition de réforme. Bien que l’absence du représentant du NTC aux deux premières réunions du CCIPCPD ait pu avoir une incidence sur la connaissance que les demanderesses ont eue du processus, on ne saurait en faire porter le blâme au ministre.

 

[53]           Après que la proposition de réforme eut été présentée au ministre, le MPO a entrepris un processus de consultation des intéressés, auquel les demanderesses ont été invitées à participer, non seulement en remplissant un questionnaire écrit pour formuler des commentaires au sujet de la proposition, mais encore en participant aux rencontres avec les intéressés. De fait, les demanderesses ont participé aux deux processus : elle ont remis des commentaires écrits le 15 août 2005 et ont participé à la séance de dialogue tenue à Nanaimo les 2 et 3 novembre 2005.

 

[54]           En outre, il est clair que les demanderesses étaient bien au fait de la principale question soulevée par la proposition de réforme, à savoir l’imposition de contingents individuels, qui existait déjà pour la majorité des pêches de poissons démersaux au moins depuis 1997, et à laquelle elles s’opposaient de manière générale. Dans les observations qu’elles ont communiquées au MPO, les demanderesses ont d’ailleurs invoqué un rapport préparé par le First Nations Panel on Fisheries intitulé « Our place at the table : First Nations in the B.C. Fisheries ». Comme l’a déclaré M. Hall dans sa réponse au questionnaire inclus dans le Guide de consultation, les demanderesses approuvaient une recommandation faite dans ce rapport selon laquelle il y aurait lieu d’imposer un moratoire sur l’instauration de nouveaux régimes de contingents individuels tant qu’on n’aurait pas répondu aux préoccupations des Premières nations.

 

[55]           Bien que le défendeur n’ait pas prévu au départ de mener des consultations bilatérales avec les demanderesses, parce que le MPO croyait que des consultations multilatérales seraient suffisantes pour répondre aux préoccupations des demanderesses, il a néanmoins accepté de mener une certaine forme de consultations bilatérales. Il ressort clairement de la série d’événements décrits aux paragraphes 11 à 21 de la présente décision qu’une série de rencontres bilatérales ont effectivement eu lieu entre les demanderesses et le défendeur.

 

[56]           Les demanderesses se plaignent essentiellement de ce que les consultations n’ont pas été menées à terme avant que le ministre fasse connaître sa décision, et ce, parce que le MPO a attendu jusqu’à la toute fin du processus avant d’entrer en rapport avec les demanderesses. Ainsi, au moment où le processus de consultation a commencé, le MPO était déjà pressé par l’échéance de mars 2006 qu’il s’était lui-même imposée, de sorte qu’il ne restait pas suffisamment de temps pour mener le processus de consultation jusqu’à son terme.

 

[57]           Il ne fait aucun doute que le MPO avait un échéancier plutôt serré parce qu’il tentait d’instaurer les nouvelles mesures avant l’ouverture de la saison de pêche de 2006. Néanmoins, les demanderesses allèguent qu’elles ont manifesté leur intérêt à mener des consultations bilatérales au début de 2005, mais qu’aucune mesure n’a été prise avant l’automne 2005. Les demanderesses soutiennent donc que cette situation aurait pu être évitée si le MPO avait entrepris une consultation en temps utile.

 

[58]           Le défendeur soutient pour sa part qu’une fois que le processus bilatéral a été amorcé, les demanderesses ont tenté de faire achopper et de retarder les consultations puisqu’elles refusaient d’engager des discussions de fond tant que le MPO n’aurait pas accepté le protocole de consultation qu’elles proposaient. En outre, lorsque les demanderesses ont finalement accepté d’aller de l’avant, elles ont soumis une série de 102 questions qui, selon le défendeur, visaient principalement à retarder le processus de consultation.

 

[59]           Bien que je convienne avec les demanderesses que le MPO aurait pu entamer un processus de consultation bilatérale avec les Premières nations en général, et non seulement avec les demanderesses, avant novembre 2005, je reconnais aussi que le MPO s’affairait à organiser des consultations multilatérales auprès des intéressés et qu’ils ne pouvait pas tout faire en même temps.

 

[60]           Chose plus importante, concernant les consultations bilatérales avec les demanderesses, je ne suis pas disposé à tenir le défendeur entièrement responsable de l’absence de résultats tangibles des consultations bilatérales, à tout le moins pour ce qui est des demanderesses. Il ressort clairement de la chronologie des événements que les demanderesses ont une part appréciable de blâme à porter pour avoir retardé le processus jusqu’à ne plus avoir le temps de présenter leurs observations officielles avant l’adoption du plan pilote par le ministre. Elles ont annulé des réunions, notamment une réunion prévue beaucoup plus tôt en septembre 2005, et elles n’ont présenté leur protocole de consultation que le 23 novembre 2005, bien qu’elles eussent proposé des consultations bilatérales dès janvier 2005. Fait important, elles ont insisté pour que le MPO accepte leur protocole avant de commencer à discuter du fond des questions.

 

[61]           Il paraît clair à la lumière des éléments de preuve que le ministre ne voulait pas s’engager à adhérer à un protocole de consultation qui risquerait de l’obliger à reporter l’adoption de la proposition à la saison de pêche de 2007 parce que toutes les étapes de ce protocole n’auraient pas été conclues à la satisfaction des demanderesses à temps pour la saison de pêche de 2006. Bien que les demanderesses allèguent que le ministre a finalement accepté ce protocole de consultation, et qu’il a donc fait naître chez elles l’attente légitime qu’il s’abstiendrait de prendre une décision au moins jusqu’à ce que les cinq premières étapes du protocole de consultation soient franchies, je ne suis pas convaincu que tel est le cas. À la lumière de l’affidavit de M. Kadowaki et des lettres et courriels échangés par les parties, et compte tenu de l’intention claire du défendeur de mettre en œuvre le plan pilote avant la saison de pêche de 2006, je ne crois pas que le défendeur a accepté d’être lié par ce protocole de telle manière qu’aucune décision ne puisse être prise tant que les cinq premières étapes du protocoles n’auraient pas été menées à bien.

 

[62]           De plus, il me semble que les demanderesses ont placé le ministre dans une situation très difficile, en insistant d’une part pour qu’il mène des consultations bilatérales avec elles avant la mise en œuvre de toute réforme et en refusant d’autre part d’entamer ces consultations tant que le ministre n’aurait pas accepté de procéder conformément à leur protocole. Les étapes du protocole, en elles-mêmes, n’étaient sans doute pas particulièrement controversées, mais l’échéancier proposé était clairement plus problématique, étant donné l’intention du MPO d’adopter la proposition de réforme à temps pour la saison de pêche de 2006. D’ailleurs, en ce qui a trait à la date cible de conclusion du processus, les demanderesses ont simplement écrit : [traduction] « [l]e temps qu’il faudra pour compléter le processus de consultation », ce qui ne pouvait pas être très rassurant pour le ministre. Au fond, en refusant de participer au processus de consultation jusqu’à ce que le MPO accepte un protocole de consultation, alors qu’elles auraient dû savoir qu’il serait problématique, les demanderesses ont réduit à néant toute possibilité que des consultations véritables de la nature de celles qu’elles souhaitaient puissent être menées à terme avant le début de la saison de pêche de 2006.

 

[63]           Il convient aussi de mentionner que, comme l’a signalé le défendeur, les demanderesses ont manifesté une farouche opposition d’ordre philosophique à l’instauration de contingents individuels, de sorte qu’elles n’auraient vraisemblablement pas accepté l’instauration d’un tel régime, même après de longues consultations.

 

[64]           En résumé, un représentant des demanderesses a été désigné par la BCAFC pour assister aux réunions du CCIPCPD, permettant ainsi aux demanderesses de se tenir au courant, quoique indirectement, des travaux que menait le CIC relativement à la proposition de réforme. Lorsque le MPO a été prêt à mener des consultations auprès des intéressés, on a envoyé aux demanderesses une lettre leur expliquant la situation, de même qu’une copie de la proposition de réforme et un questionnaire écrit leur permettant de communiquer leurs observations au ministre. Les demanderesses ont aussi participé à une des rencontres avec les intéressés tenue en novembre 2005. Il y a également eu deux rencontres bilatérales avec les demanderesses en novembre 2005, au cours desquelles la proposition de réforme a été discutée. Les demanderesses ont alors soumis au défendeur une proposition de protocole de consultation et ont par la suite refusé de discuter de questions de fond pendant deux mois et demi, insistant pour que le ministre accepte d’abord ce protocole avant d’aller plus loin. Lorsque le processus de consultation a repris en février, les demanderesses ont transmis plus de cent questions au MPO et le défendeur insiste pour dire qu’un bon nombre d’entre elles ne présentait aucun lien évident avec un intérêt autochtone susceptible de donner naissance à l’obligation de consulter. Le MPO s’est néanmoins efforcé de donner autant de réponses que possible dans un lapse de temps très court. Entre‑temps, une série de notes de service ont été rédigées à l’intention du ministre relativement à la proposition de réforme, qui décrivaient les grandes lignes de l’opposition des Premières nations, notamment celle des demanderesses. Enfin, lorsque le plan pilote a été adopté, il comportait certaines modifications importantes visant à répondre aux préoccupations des intéressés, notamment le fait qu’il s’agissait maintenant d’un projet pilote d’une durée de trois ans. Il y avait aussi un engagement exprès envers les Premières nations à leur reconnaître un historique de capture additionnel de morue-lingue et de chien de mer sous forme d’attribution de contingents de morue‑lingue et de chien de mer. Cette mesure, selon le défendeur, visait à répondre aux préoccupations soulevées par le NTC et d’autres Premières nations relativement au contingent et aux espèces non visées, de même qu’à compenser les coûts additionnels que la mise en œuvre du plan pilote pourrait éventuellement occasionner pour les demanderesses. Ainsi, il est clair que l’on a intégré au plan pilote une mesure visant à prendre en compte les effets potentiellement préjudiciables de la proposition de réforme évoqués par les demanderesses.

 

[65]           Bien que le défendeur admette que les consultations bilatérales avec les demanderesses n’ont pas été menées à terme avant que le ministre prenne une décision au sujet du plan pilote, je conviens avec le défendeur que les demanderesses ont eu suffisamment d’occasions de participer au processus pour considérer que le ministre s’est acquitté de l’obligation de consultation qui lui incombait en l’espèce, et que certains des retards qui ont empêché la conclusion des consultations avant la prise de la décision sont imputables aux demanderesses.

 

[66]           Étant donné les consultations multilatérales qu’a tenues le MPO et auxquelles les demanderesses ont pris part, les questions de conservation en jeu, l’incidence potentielle sur les pêches de poissons démersaux de l’instauration du régime de surveillance totale de toutes les prises pour la saison de pêche de 2006 sans l’introduction de contingents individuels transférables et que le plan a été instauré uniquement à titre de projet pilote pour une période de trois ans, je suis convaincu que la décision du ministre de procéder sans attendre la conclusion des consultations bilatérales avec les demanderesses était justifiée et que cela ne constitue pas un manquement à son obligation de consulter les demanderesses.

 

3) Le cas échéant, quelle réparation la Cour devrait-elle ordonner?

 

[67]           Dans ses observations écrites, le défendeur a soutenu que si la Cour devait conclure que le processus de consultation n’était pas, dans une certaine mesure, conforme à la norme applicable, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider des réparations appropriées.

 

[68]           Bien que j’aie affirmé que le processus de consultation n’avait pas été parfait et qu’on aurait pu en faire davantage de part et d’autre pour assurer des consultations plus productives, je conviens avec le défendeur qu’il n’y aurait pas lieu en l’espèce de déclarer que le ministre a manqué à son obligation constitutionnelle de consulter en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, ni de prononcer une ordonnance de certiorari en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales et d’infirmer la décision du ministre.

 

[69]           Bien que le défaut de mener à terme le processus de consultation puisse, à première vue, paraître constituer un manquement à l’obligation du ministre de consulter, je crois qu’il y a suffisamment de circonstances atténuantes en l’espèce, notamment les consultations multilatérales qui ont été menées, la nature du plan en cause, les adaptations apportées par le défendeur et le comportement des demanderesses, qui militent contre une déclaration selon laquelle le ministre a manqué à son obligation constitutionnelle envers les demanderesses.

 

[70]           Au risque de me répéter, je fais remarquer que les demanderesses ont été pleinement informées de la proposition de réforme et ont eu diverses occasions de faire part de leurs observations au sujet de cette proposition, occasions qu’elles ont laissé passer dans certains cas en insistant pour que le défendeur adhère à un protocole de consultation en particulier  au lieu d’engager des discussions sérieuses sur le fond des questions. En outre, non seulement on a essayé de tenir compte des préoccupations des demanderesses et d’autres Premières nations relativement à l’attribution de contingents, mais encore le plan pilote n’est précisément qu’un simple plan « pilote ». Il s’ensuit que les demanderesses auront assurément la possibilité de continuer à faire valoir leurs points de vue à mesure que le plan se développera, puisqu’il y aura une étape d’évaluation avant qu’un plan final puisse être mis en œuvre, la Couronne étant toujours tenue de s’acquitter honorablement de son obligation de consulter et de trouver des accommodements. D’ailleurs, le défendeur a affirmé que les consultations auprès des demanderesses sont censées se poursuivre et que le plan pilote peut être modifié pour tenir compte d’accommodements qui pourraient découler de ces consultations.

 

[71]           J’encouragerais donc les deux parties à profiter de l’occasion que représentent les deux années qui restent du programme pilote pour entreprendre des consultations véritables, en gardant à l’esprit les instructions données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Haïda, précité, concernant l’importance d’entreprendre des consultations de bonne foi.

 

[72]           En conséquence, la présente demande de contrôle judicaire est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur.

 


JUGEMENT

 

1.      La demande est rejetée.

2.      Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-781-06

 

INTITULÉ :                                      

La BANDE INDIENNE DES AHOUSAHT

La BANDE INDIENNE DES DITIDAHT

La BANDE INDIENNE DES EHATTESAHT

La BANDE INDIENNE DES HESQUIAHT

La BANDE INDIENNE DES HUPACASATH

La BANDE INDIENNE DES HUU-AY-AHT

La BANDE INDIENNE DES KA:’YU:K’T’H/CHE:K’TLES7ET’H’

La BANDE INDIENNE DES MOWACHAHT / MUCHALAHT

La BANDE INDIENNE DES NUCHATLAHT

La BANDE INDIENNE DES TLA-O-QUI-AHT

La BANDE INDIENNE DES TOQUAHT

La BANDE INDIENNE DES TSESHAHT

La BANDE INDIENNE DES UCHUCKLESAHT et

La BANDE INDIENNE DES UCLUELET

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

défendeur

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               15 et 16 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Blais

 

DATE DES MOTIFS :                      le 29 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

Kevin D. Lee / Maegen Giltrow

 

POUR LES DEMANDERESSES

Paul F. Partridge / R.S. Whittaker

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ratcliff & Company

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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