Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20070608

Dossier : IMM-6150-06

Référence : 2007 CF 615

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

REZA RAFIPOOR

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. Reza Rafipoor (le demandeur) est un citoyen iranien qui demande l’asile au Canada au motif qu’il craint d’être persécuté par le régime iranien parce qu’il est accusé d’être un activiste étudiant. Dans une décision datée du 6 novembre 2006, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile. La crédibilité du demandeur a joué un rôle central dans cette décision. Plus précisément, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer

 

  • qu’il était recherché par les autorités iraniennes;

 

  • qu’il se trouvait en Iran au cours de la période où il affirmait avoir eu des problèmes;

 

  • qu’il a quitté l’Iran illégalement;

 

et qu’il est peu probable qu’il éprouve des problèmes graves avec les autorités iraniennes s’il retourne en Iran.

 

[2]        Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Questions en litige

[3]        Le demandeur a soulevé les questions suivantes à l’audience tenue devant moi :

 

  1. La Commission a-t-elle violé les droits du demandeur à une audience équitable en ne lui assurant pas une traduction adéquate?

 

  1. La Commission a-t-elle commis de erreurs graves ou a-t-elle négligé de tenir dûment compte : a) de l’horaire des vols vérifié par l’agent des douanes; b) du fait que le demandeur était demeuré dans les toilettes de l’aéroport pendant un certain temps alors que rien ne démontrait la présence de caméras ou de patrouilles?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’aurait aucun problème à son retour en Iran s’il mentait aux autorités iraniennes au sujet de sa demande d’asile?

 

Analyse

Première question : la traduction

[4]        La norme de contrôle judiciaire qui s’applique à la question de savoir si le droit du demandeur à une audience équitable a été violé est celle de la décision correcte.

 

[5]        À l’audience, les parties ont débattu entre elles de la question de la date à laquelle le demandeur avait quitté l’Iran. Le demandeur, qui a témoigné en farsi, a utilisé le calendrier iranien pour répondre à cette question. L’interprète semblait hésiter entre l’année 2004 et l’année 2005. Le conseil du demandeur a attiré l’attention de la commissaire sur cette possible erreur et a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Tout ce que je demande, c’est que l’année, l’année anglaise, soit transposée selon le calendrier iranien lorsqu’on interroge le demandeur d’asile, parce qu’il n’est pas habitué à des années comme 2005 ou 2004.

 

[6]        À la suite de cette intervention, la commissaire a posé de nouveau la question, à laquelle le demandeur avait répondu, selon l’interprète, qu’il avait quitté l’Iran en 2005. La commissaire a alors fait le commentaire suivant :

 

[traduction] D’accord. Donc, c’était en 2005 et non en 2004. D’accord, je vais laisser M. Leduc poursuivre. Il y a une question de crédibilité que M. Leduc va sûrement vouloir aborder.

 

[7]        Le demandeur soutient que le problème de traduction est suffisamment grave pour constituer une violation de l’article 14 de la Charte (Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 C.F. 85). Il soutient en outre qu’il n’y a pas eu de renonciation au droit à une traduction adéquate et que la question des dates a joué un rôle crucial dans la décision de la Commission.

 

[8]        Je ne suis pas de cet avis. Premièrement, je ne suis pas convaincue qu’on a, tout compte fait, affaire à une erreur de traduction de la nature de celle qu’envisage l’arrêt Mohammadian, précité. Bien qu’il y ait eu une certaine confusion, il semble qu’elle ait été résolue avec l’aide du conseil du demandeur. On est loin du problème qui existait dans l’affaire Mohammadian où la capacité du demandeur d’asile kurde iranien de communiquer par l’intermédiaire d’un interprète turc ou kurde iraquien était remise en question. Dans l’affaire qui nous occupe, il semble que nul ne prétend que la qualité de l’interprétation était, dans l’ensemble, inadéquate. Les réserves exprimées ne portent que sur la traduction d’une très petite partie de l’audience.

 

[9]        Deuxièmement, je suis convaincue que le conseil du demandeur a en fait renoncé aux droits du demandeur de soulever la question de la traduction. Ainsi que je l’ai déjà signalé, il était très conscient du problème et est intervenu pour vérifier les dates. Si les préoccupations formulées par le demandeur ou par son conseil avaient été suffisamment graves pour mettre en doute l’intégrité de l’audience, le conseil n’aurait sûrement pas hésité à soulever la question. Or, il ne l’a pas fait. J’estime donc qu’il y a eu renonciation.

 

[10]      De plus, même s’il y a une erreur de traduction au sujet de la date, la date en cause et l’observation de la Commission suivant laquelle il s’agissait d’une « question de crédibilité » n’ont pas joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission. Ce point n’est d’ailleurs même pas mentionné.

 

[11]      Les autres erreurs de traduction relevées par le demandeur étaient mineures ou ont été commises par l’agent de protection des réfugiés. Comme la Cour d’appel l’a fait remarquer dans l’arrêt Mohammadian, précité, la loi n’exige pas que la traduction soit parfaite.

 

Deuxième question : l’appréciation de la preuve

[12]      De façon générale, la Commission a fondé sa décision sur trois conclusions principales : le  demandeur n’était pas recherché par les autorités iraniennes, il n’avait pas démontré qu’il était en Iran durant la période où il prétendait s’y trouver et il n’avait pas quitté l’Iran illégalement. Le demandeur ne reproche à la Commission de s’être trompée qu’en ce qui concerne la deuxième de ces conclusions. Sur la question de l’endroit où le demandeur se trouvait avant de venir au Canada, la Commission a expliqué quelques-unes des réserves qu’elle avait au sujet de la version des faits du demandeur et est arrivée à la conclusion que le demandeur « a[vait] probablement quitté l’Iran après 1998, à destination des États-Unis, et qu’il y a[vait] passé quelque temps avant de venir au Canada en 2005 ». En d’autres termes, le demandeur n’a pas convaincu la Commission qu’il se trouvait en Iran lorsqu’il était, selon ses dires, victime de persécution de la part des autorités iraniennes.

 

[13]      La norme applicable aux décisions de la Commission portant sur la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. La conclusion en question ne devrait être annulée que si elle a été tirée « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont [la Commission] disposait » (alinéa 18.1(4)0), Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

 

[14]      La Commission fait reposer la conclusion en litige sur un certain nombre de facteurs, dont un échange de courriels entre des douaniers et des agents d’immigration le soir de l’arrivée du demandeur. Dans son analyse, la Commission relate qu’un fonctionnaire « a vérifié les vols qui étaient arrivés avant cette heure, vers 21 h, et aucun n’avait de passager muni d’un passeport grec ». La Commission relève par ailleurs les propos d’une agente d’immigration suivant lesquels « le demandeur d’asile ne pouvait pas “flâner” trop longtemps à l’aéroport après avoir franchi la porte, à cause des patrouilles de sécurité et des caméras qu’il y a partout dans cette zone ».

 

[15]      Le demandeur soutient que la Commission s’est trompée en affirmant que l’agente des douanes avait vérifié les vols arrivés « avant » 21 h, alors que les courriels indiquent qu’il avait vérifié les vols arrivés « après » 21 h. Ce fait est important parce que, selon le demandeur, il corrobore son affirmation selon laquelle il est arrivé sur un vol qui est arrivé avant 21 h. Le demandeur signale par ailleurs qu’il se trouvait dans les toilettes pendant cette période et que rien ne démontrait la présence de caméras ou de patrouilles dans les toilettes. Le demandeur affirme que la décision devrait être infirmée en raison de ces deux erreurs que la Commission aurait de toute évidence commises sans tenir compte de la preuve. Je ne partage pas cet avis.

 

[16]      J’estime que l’erreur commise en mentionnant « vers 21 h » au lieu de « après 21 h » ne change pas de façon appréciable la situation générale du demandeur. La Commission a tenu compte de suffisamment d’autres faits pour justifier sa conclusion que le demandeur n’était pas arrivé au Canada de la façon décrite. Quant à la présence de caméras dans les toilettes, la Commission pouvait raisonnablement supposer que l’affirmation selon laquelle il y avait des caméras « partout » permettait de croire qu’il y en avait aussi dans les toilettes de l’aéroport. Enfin, même si je devais conclure qu’il s’agissait de deux erreurs, il est peu probable qu’on pourrait pour autant en conclure au caractère manifestement déraisonnable de la conclusion en cause ou, plus important encore, de la décision au complet.

 

Troisième question : les risques en cas de retour en Iran

[17]      Ayant conclu que le demandeur n’était pas recherché par les autorités iraniennes, qu’elle n’était pas convaincue qu’il se trouvait en Iran au cours de la période durant laquelle il affirmait avoir eu des problèmes et enfin qu’il n’avait pas quitté l’Iran illégalement, la Commission s’est penchée sur la possibilité que le demandeur éprouve des problèmes graves avec les autorités iraniennes à son retour en Iran :

 

En conséquence, après avoir soigneusement examiné la preuve documentaire relative aux rapatriés iraniens, nous estimons que, dans le cas du demandeur d’asile, il est peu probable qu’il éprouve des problèmes graves avec les autorités iraniennes s’il retournait dans son pays. Dans le rapport d’évaluation du Royaume‑Uni (R.‑U.) sur l’Iran, nous lisons qu’habituellement une personne qui retourne dans ce pays se fera demander pourquoi elle était à l’étranger. Si la réponse est du genre : « J’essayais simplement de me trouver un emploi », cette personne sera le plus vraisemblablement autorisée à aller chez elle, dans sa famille. De manière générale, cela dépend de la documentation qui existe sur le rapatrié. Puisque M. Rafipoor n’a pas démontré, à la satisfaction du tribunal, qu’il était recherché par les autorités, qu’il est un activiste de l’opposition ou un activiste étudiant, ou qu’il a quitté l’Iran illégalement, nous ne pouvons pas par conséquent croire qu’il serait arrêté ou qu’il serait exposé à des traitements ou peines cruels et inusités à son arrivée en Iran.

 

[18]      Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en estimant qu’il pourrait mentir s’il retournait en Iran et éviter ainsi les problèmes. Le demandeur cite la décision Donboli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 883, à l’appui de son argument que la Commission fait erreur lorsqu’elle invite le demandeur à faire de fausses représentations, et il ajoute que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve concernant les sanctions extrajudiciaires infligées en cas de sortie illégale d’un pays.

 

[19]      À mon avis, la décision Donboli n’est pas directement pertinente en ce qui concerne les faits de l’espèce ou la décision qui m’est soumise. Dans Donboli, l’erreur reprochée n’était pas que la Commission avait incité au demandeur d’asile à mentir. La juge Dawson a plutôt affirmé que la Commission avait « commis une erreur de droit lorsqu'elle n'a pas examiné la question de savoir si M. Donboli risquait de subir un traitement sévère ou extrajudiciaire de la part d'un régime répressif, à cause de sa sortie illégale du pays ». La remarque de la Commission selon laquelle M. Donboli avait une bonne explication à fournir à la police soulignait selon elle cette erreur.

 

[20]      Il s’ensuit que, dans le cas qui nous occupe, la question est de savoir si, malgré l’utilisation certes mal avisée de la formule « J’essayais simplement de me trouver un emploi », la Commission s’est effectivement demandée si le demandeur serait exposé à des risques s’il retournait en Iran. Je suis convaincue qu’elle l’a fait. Elle a cité des éléments de preuve documentaire provenant du Royaume-Uni et évoqué le fait que la détention dépendrait du type de documentation ou de « dossier » que les autorités possèdent au sujet du demandeur. La Commission a signalé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur était recherché par les autorités ou qu’il avait été un activiste étudiant. Comme le demandeur ne présenterait pas d’intérêt à ces titres, les autorités n’auraient aucune raison de le détenir. Ainsi que je l’ai fait remarquer, il était mal avisé de la part de la Commission de se servir de la citation précitée extraite directement d’un document du Royaume-Uni. Cela n’équivaut cependant pas à une erreur, compte tenu du fait que la Commission a examiné la preuve dont elle disposait et qu’elle a abordé la question des risques auxquels le demandeur serait exposé, en tant que demandeur d’asile débouté, s’il devait retourner en Iran.

 

Conclusion

[21]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question ne sera certifiée.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

  1. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

                                                                                                            « Judith A. Snider »

____________________________

                        Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6150-06

 

INTITULÉ :                                       REZA RAFIPOOR c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               6 juin 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      8 juin 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Vanita Goela

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.