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Date : 20070608

Dossier : IMM-4698-06

Référence : 2007 CF 616

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2007

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

REINA ISABEL ALMENDAREZ MATUTE

FRANDER ARMENGO VELASQUEZ ANTUNEZ

 

demandeurs

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Reina Isabel Almendarez Matute et Frander Armengo Velasquez Antunez à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 24 juillet 2006 à la suite d’une audience tenue le 6 mars 2006. Dans sa décision, la Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs au motif que le Honduras, leur pays d’origine, peut assurer leur protection.
Contexte

[2]               Mme Matute et M. Velasquez sont mariés. Mme Matute a quitté le Honduras en février 2005 et a réussi à se rendre au Canada en passant par le Guatemala, le Mexique et les États-Unis. Elle est arrivée ici le 27 juin 2005, et a aussitôt fait une demande l’asile. M. Velasquez l’a suivie, mais n’est arrivé au Canada que le 18 juillet 2005. Il a fait une demande d’asile à la frontière canadienne.

 

[3]               La demande présentée par les demandeurs était fondée sur un vécu de violence physique et de menaces infligées par l’ancien mari de Mme Matute, Miguel Antonio Zelaya Mejia. M. Zelaya est une personne violente qui a à plusieurs reprises infligé de mauvais traitements à Mme Matute tout au long de leur mariage. Mme Matute a donné un récit de nombreuses agressions et de plusieurs tentatives de sa part pour échapper au mariage. En 1984, elle a été en mesure d’obtenir un divorce, mais M. Zelaya a continué à la harceler.

 

[4]               En 1999, Mme Matute a rencontré M. Velasquez et ils ont commencé à vivre ensemble en octobre 2000. Cette relation ne faisait pas l’affaire de M. Zelaya et il les a souvent menacés et harcelés. Dans la nuit du 10 septembre 2004, M. Zelaya et quatre autres membres de sa bande ont menacé Mme Matute et M. Velasquez avec une arme.  Mme Matute a raconté qu’elle avait subi un viol collectif devant M. Velasquez et qu’ils ont ensuite été sauvagement battus et laissés dans la rue. Quand on les a retrouvés le lendemain matin, ils ont été transportés à une clinique où ils sont tous deux restés pendant 28 jours. Les dossiers médicaux de ce séjour ont révélé de multiples fractures et désarticulations et des lésions des tissus mous et, dans le cas de Mme Matute, des preuves d’agression sexuelle.

 

[5]               Mme Matute soutient qu’elle n’a pas porté plainte à la police au cours de cette longue histoire de violence, car les autorités honduriennes ne prennent pas la violence conjugale au sérieux et parce que M. Zelaya était le chef d’un gang criminel violent et avait menacé de la tuer si elle le dénonçait. Elle croyait aussi que M. Zelaya était en contact avec la police hondurienne et serait protégé contre les poursuites.

 

[6]               C’est à la suite de l’incident du 10 septembre 2004 que les demandeurs ont décidé de quitter le Honduras. Ils sont restés discrets pendant un certain temps et ont tenté de vendre leur boutique pour réunir les fonds nécessaires pour venir au Canada.

 

La décision de la Commission

[7]               Bien que la Commission ait jugé Mme Matute « crédible en ce qui concerne les incidents qui ont été allégués », elle a rejeté les demandes en raison de la disponibilité de la protection de l’État. En arrivant à cette conclusion, la Commission a fait les observations suivantes : [traduction] 

a.             la police hondurienne « manque de fonds, de formation et de personnel, et la corruption est un grave problème, d’où une énorme frustration dans le public en raison de l’incapacité des forces de l’ordre de prévenir et de contrôler la criminalité »;

b.            la nouvelle administration, en collaboration avec la police et l’armée, surveille les rues, d’où une diminution considérable des infractions mineures;

c.             malgré le fait que la police hondurienne soit « infestée d’agents corrompus, au moins 3 000 agents de police ont été congédiés depuis 1998 pour corruption »;

d.            le Congrès a créé un nouveau Conseil dont la fonction comprend la surveillance des activités des agents de police et la prévention de l’abus de pouvoir chez les policiers;

e.             les forces de police font l’objet d’une surveillance civile grâce au ministère d’État et de la Sécurité;

f.              des organisations internationales ont accusé les autorités honduriennes d’exercer une « politique non officielle de nettoyage social » contre les gangs criminels et d’avoir recours à des escadrons de la mort pour assassiner les membres de gangs.

 

[8]               En s’appuyant uniquement sur ces constatations, la Commission a conclu que la corruption de la police hondurienne [traduction] « n’est pas si forte que la demanderesse d’asile ne pouvait pas ou n’aurait pas pu faire traiter sa plainte d’une manière appropriée ». La Commission a aussi estimé qu’il n’existe [traduction] « aucune preuve crédible indiquant que l’État ne veut pas ou ne peut pas assurer la protection ». Le fait que Mme Matute n’ait pas sollicité la protection des autorités honduriennes a été, par conséquent, jugé déraisonnable.

 

Questions en litige

[9]               a)         Quelle est la norme de contrôle appropriée aux questions soulevées dans cette demande?

b)         La Commission a-t-elle erré dans son analyse de la preuve portant sur la question de la protection de l’État?

 

Analyse

[10]           Les questions soulevées dans la présente demande constituent des questions mixtes de fait et de droit applicables aux conclusions de la Commission relativement à la protection de l’État. Ce sont des questions assujetties à la norme de la décision raisonnable : voir Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 584, 2007 CAF 171, au paragraphe 38.

 

[11]           Une grande partie de l’argumentation des demandeurs dans cette demande touchait la question de la violence fondée sur le sexe et sur la présentation erronée des demandes de protection comme étant fondée sur un risque de criminalité généralisée. Il ne fait aucun doute que la violence conjugale est à l’origine de ces deux demandes que la Commission aurait dû évaluer au regard de ce risque particulier et de la question de la réticence de Mme Matute à faire appel à la police. Cependant, la lacune fondamentale de l’analyse de la Commission est le fait qu’elle n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve portant sur la question de la protection de l’État et, en particulier, les raisons pour ne pas la solliciter.

 

[12]           La Commission a rejeté les prétentions des demandeurs simplement parce qu’ils n’avaient pas sollicité la protection des autorités honduriennes qui, selon la Commission, leur aurait été fournie. Le problème, toutefois, est que la décision ne tient pas compte des aspects importants de la preuve. La Commission ne fait nulle part référence aux explications de Mme Matute pour ne pas demander la protection de la police au Honduras, des explications qui étaient tout à fait compatibles avec une grande partie de la documentation au dossier. En bref, la Commission n’a pas tenu compte de la situation personnelle de Mme Matute en tant que victime de violence conjugale grave et prolongée aux mains d’un agresseur vicieux bénéficiant apparemment de la protection de la police locale. Mme Matute a également déclaré dans son témoignage qu’elle considère qu’une plainte à la police aurait non seulement été inutile, mais aurait inévitablement entraîné des représailles sanglantes. Le fait de ne pas tenir compte du témoignage de Mme Matute est particulièrement inquiétant étant donné l’acceptation sans réserve de sa preuve par la Commission, y compris sa description du point culminant que constituent l’agression et le viol qui ont mené à l’hospitalisation de Mme Matute et de M. Velasquez pendant près d’un mois. Il est clair que son ancien conjoint n’avait pas peur d’être arrêté, et la brutalité de l’agression a ajouté un poids considérable à la crainte de Mme Matute qu’il se livre à d’autres agressions.

 

[13]           Mme Matute avait indiqué dans son témoignage que son ancien conjoint avait menacé à plusieurs reprises de la tuer – une menace qui a presque été exécutée au moment du dernier viol et de la dernière agression qu’elle a subis. Bien que la Commission ait pris note de la preuve démontrant que la corruption de la police au Honduras constitue un problème grave, et semble avoir accepté comme un fait que la police hondurienne est « infestée d’agents corrompus », elle n’a nulle part pris en considération le témoignage de Mme Matute au regard de l’environnement établi de corruption de la police. En fait, la Commission a non seulement fait fi de la preuve considérable démontrant que la protection de l’État était largement illusoire au Honduras, elle a affirmé à tort qu’il n’y avait « aucune preuve crédible indiquant que l’État ne veut pas ou ne peut pas assurer la protection » de Mme Matute. Cette affirmation était incohérente avec ses propres conclusions sur la corruption de la police et d’autres éléments de preuve démontrant que les cas de violence conjugale et le viol au Honduras ne sont souvent pas pris au sérieux par la police et le système judiciaire. Bien qu’il fût loisible à la Commission de ne pas adopter ces éléments de preuve, elle se devait de les examiner et c’était une erreur d’affirmer que le Commission n’avait pas d’éléments de preuve crédibles sur ce point.

 

[14]           L’une des autres justifications de sa conclusion touchant la protection de l’État était fondée sur l’existence d’une « politique non officielle de nettoyage social » dirigée contre les gangs criminels du Honduras dans le cadre de laquelle « des escadrons de la mort » de la police assassinaient ou agressaient systématiquement les personnes soupçonnées d’être membres de gangs. Ce n’est pas la première fois que je vois la Commission s’appuyer sur une preuve de criminalité policière de cette façon. À mon avis, il est manifestement erroné de considérer la criminalité policière comme étant une preuve de l’efficacité de la protection de l’État. Les violations systématiques ou largement répandues des droits de la personne, tolérées par l’État ou non, ne peuvent que constituer une preuve de l’effondrement de l’appareil de protection de l’État. La corruption policière sous toutes ses formes est l’antithèse de la protection de l’État. C’est incompatible avec l’état de droit et c’est une force corrosive qui mine la confiance du public à l’égard des autorités civiles. En tant que telle, elle ne devrait jamais être considérée comme une forme d’application efficace de la loi ou vue comme une preuve de l’amélioration de la perception du public à l’égard de la disponibilité de la protection de l’État. Le fait que la Commission s’appuie sur cette preuve était, à mon avis, illogique et ne peut pas appuyer une conclusion voulant que l’État assure une protection. À l’honneur de l’avocat du défendeur, c’est un point qui n’a pas été adopté au cours de son argumentation, bien que la décision ait été défendue avec vigueur pour d’autres motifs.

 

[15]           Je note également que la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État était disponible au Honduras n’est pas étayée par ses conclusions de fait. La preuve de la réduction de la petite criminalité et des efforts de surveillance de l’administration civile notée par la Commission n’a pas supplanté la constatation voulant que la police du Honduras soit inefficace et corrompue. La Commission disposait peut-être d’autres éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais ce qu’elle a consigné au dossier était tout à fait insuffisant, en particulier en l’absence de toute considération de la preuve contraire apportée par Mme Matute.

 

[16]           La décision de la Commission dans ce cas ne résiste pas à l’examen fondé sur la norme de la décision raisonnable. En conséquence, il est nécessaire d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer cette affaire à un comité de la Commission différemment constitué afin de reconsidérer l’affaire sur le fond.

 

[17]           Aucune des parties n’a proposé la certification d’une question et l’affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour un nouvel examen sur le fond.

 

 

                                                                                                                     « R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4698-06

 

INTITULÉ :                                       REINA ISABEL ALMENDAREZ MATUTE ET AL.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR                       LE JUGE BARNES

 

DATE :                                               Le 8 juin 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha Green                                                                            POUR LES DEMANDEURS

 

Modupe Oluyomi                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WILLARD GREEN

Avocats                                                                                    POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Simms, c.r.                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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